[FRENCH] En 1945 la seconde guerre mondiale s’achemine vers sa conclusion. Captain America et Bucky commencent à tourner à nouveau leur regard vers les menaces intérieures au pays, comme le grand banditisme. Et ils vont ainsi croiser le chemin d’un gang dont la patronne semble… comment dire… familièrement féline. Et cette fois pas de faux-semblants : Le toupet du scénariste va l’entraîner au point de citer carrément un célèbre personnage de DC Comics dans son histoire. Catwoman chez Marvel ? Incroyable ! Et pourtant, c’est possible…
Sur la page de présentation de l’épisode, Captain America est occupé à se faire tirer dessus par une femme et un homme. Bucky, comme à son habitude pendant le Golden Age, est prisonnier et sur le point d’être torturé. En gros, pour les deux super-héros, ce sont les affaires courantes et rien ne nous met la puce à l’oreille. L’introduction du narrateur évoque « une She-Cat (NDLR: une femme chat) meurtrière, protégée par ses bandits vicieux, qui mesure ses réflexes vifs comme l’éclair et sa ruse féline contre les prouesses de Captain America dans la légende de la Bête Humaine ! ». L’histoire commence réellement un soir, alors que le soldat Steve Rogers et son acolyte Bucky Barnes sont en train de retourner vers le Camp Lehigh, où ils sont en garnison. Bucky entend des coups de feu et a la présence d’esprit de voir qu’ils proviennent de « cette fenêtre allumée au dixième étage ! ». Peut-on réellement percevoir un coup de feu à dix étages de distance mais aussi reconnaître à l’œil nu de quelle fenêtre proviennent les détonations ? Il faut croire que l’entraînement militaire de Bucky est particulièrement efficace (il est doué le petit, sinon il ne serait pas l’assistant de Captain America). Le temps d’enfiler leurs costumes de super-héros et Captain America et Bucky se précipitent au dixième étage…
Dixième étage ? C’était déjà au dixième étage que le Angel du Golden Age avait poursuivi sa propre femme-chat, Cat’s Paw, en 1941. Mais là, pour le coup, on veut bien croire que c’est purement le hasard qui est à l’œuvre (parce que bon, si à chaque fois qu’il y a un dixième étage il faut voir un rapport…). En entrant dans l’appartement repéré, les deux héros tombent sur une femme brune, un revolver à la main, qui vient visiblement d’abattre un homme afin de piller le contenu d’un coffre. Il ne s’agit pas d’une criminelle masquée mais d’une femme en tenue de ville. En bons héros à la fois gentlemen et un tantinet machistes, Captain America et Bucky sont sidérés que leur adversaire soit… gasp… « une fille ! ».
La criminelle leur ordonne alors de se tenir tranquille sinon elle les tuera avec son arme. Mais Captain America n’est pas intimidé. Au contraire il se précipite vers elle, en brandissant son bouclier et en criant « Femme-chat meurtrière ! ». Elle a beau tirer, les balles rebondissent contre le métal. La femme est vite capturée et, de guerre lasse, se rend : « Okay, je laisse tomber ! Je sais quand je suis finie… ». En fait de « finie », l’expression américaine utilisée est « I know when I’m licked ! », ce qui, traduit au sens littéral donnerait quelque chose comme « Je sais quand je suis léchée… ». Ce qui dans le français vernaculaire évoquerait sans doute plein d’images salaces mais le propos réel est tout autre : « Léché/Licked » dans le cas présent veut dire « battue » de façon argotique. Et le scénariste ayant déjà commencé à nous « vendre » le personnage comme une femme aux caractéristiques félines, le jeu de mots est évident.
Se sentant victorieux, Captain America relâche un instant sa vigilance et la jeune femme en profite pour le mordre. Elle lui échappe et s’élance vers les escaliers qui mènent… au toit. Pas vraiment la direction qu’on prend quand on veut fuir d’un immeuble de dix étages. Bucky s’écrie : « Alors on la tient, sauf si elle a des ailes ! ». Et effectivement les deux héros retrouvent la femme sur le toit, sans issue visible. Mais elle est loin d’être sans ressource. Elle saute de l’immeuble et s’accroche à un support à drapeau pour ralentir sa chute (précédant par la même occasion une manœuvre qui, bien plus tard, sera chère à Spider-Man et au Daredevil de Marvel). Les héros pensaient qu’elle tombait dans une chute mortelle mais la femme se révèle être une acrobate hors-pair. Comme le martèle le commentaire : « Mais la femme-chat (NDLR: The Cat Woman) n’a aucune intention de se suicider… ». Le terme est lâché, voici le personnage surnommé Cat Woman !
Surpris, Captain America et Bucky regardent la femme-chat s’éloigner hors d’atteinte. Cap s’exclame : « Une femme acrobate, hein ? Essayes de la rattraper en utilisant les escaliers, Bucky, moi je vais essayer de la suivre ! ». Captain America suit la même route qu’elle, utilisant le support à drapeau pour freiner sa chute. Il a vite fait de se glisser dans l’appartement où elle a trouvé refuge. Voyant qu’il arrive la criminelle s’engouffre dans un ascenseur. Au niveau du sol, une voiture l’attendait, prête à démarrer. Elle est hors d’atteinte de Cap, mais Bucky, qui a trouvé le temps de redescendre, espère encore être en position de l’arrêter. Malheureusement dans sa hâte il heurte un passant qui, au lieu de le laisser passer, cherche la bagarre. Visiblement l’homme joue les fiers-à-bras en pensant être face à un « simple » gosse. Quand Captain America arrive, cependant, c’est une autre paire de manches. L’homme s’excuse. Mais trop tard. Cat Woman a profité du temps perdu par ses poursuivants pour disparaître hors de vue. Bucky est furieux « Ce clown nous a fait perdre notre proie ! ». Mais Captain America est plus méfiant : « Tu sais quoi ? Je ne me demande si tout ça n’était pas délibéré. C’est trop gros pour être le fait du hasard. Suivons le ! ».
Bucky est convaincu que c’est une perte de temps mais Captain America insiste : « J’ai une intuition que la ruée de la fille vers la voiture et l’intervention, au même moment, de notre ami n’avait rien d’un accident ! ». Ils prennent en filature l’homme et grimpent sur le pare-choc arrière de sa voiture pour mieux pouvoir le suivre. Grâce à cette ruse, ils peuvent suivre l’homme jusqu’à un petit immeuble. En épiant les bruits qui viennent de l’intérieur, les deux héros comprennent qu’un gang, celui de She-Cat/Cat Woman, est en train de se partager un butin. Captain America et Bucky font donc rapidement irruption dans la pièce. A nouveau la criminelle leur tire dessus mais les balles s’écrasent sur le bouclier de Captain America. Très vite les deux héros peuvent alors en venir aux mains avec les hommes du gang. Comme il est de bon ton que le Bien l’importe, ce sont bien sûr les gangsters qui en prennent plein la figure. She-Cat/Cat Woman comprend alors que cela ne sert à rien de tirer des balles de face sur Cap, puisqu’il peut se protéger derrière le bouclier. Elle attend donc qu’il concentre son attention sur ses hommes de main. Elle lance vers lui un couteau, de manière à le frapper dans le dos. Mais Bucky l’a aperçu et pousse un cri d’avertissement. Captain America a le temps de se retourner et de se protéger derrière l’homme qui avait joué les faux passants. C’est le truand qui est frappé par le couteau…
Il ne reste bientôt plus que Cat Woman (que le narrateur ne désigne plus du tout sous le nom de She-Cat, pour utiliser seulement le nom de code associé avec l’ennemie de Batman). Elle est furieuse mais alors que Captain America et Bucky approche, elle utilise son pied pour jeter sur le passage un meuble de bureau. Après la démonstration d’acrobatie qui lui a permis de se jeter du haut d’un immeuble et cet usage de son pied (qui plus est en talon aiguille) pour pousser le meuble, il faut croire que Cat Woman a une force herculéenne dans les jambes, même si le scénario ne s’étonne pas particulièrement de ses exploits. Le bureau n’est qu’une diversion mais Cat Woman l’utilise pour prendre un peu d’avance dans sa fuite. A nouveau, Cat Woman tente de prendre la poudre d’escampette en voiture. Mais cette fois encore Captain America et Bucky réussissent à sauter sur le véhicule, bien décidés non pas à la suivre mais bien à la forcer à s’arrêter. Cap, accroché à la portière, lui lance : « O.K. Lady ! Ton petit jeu est terminé ! Tu as bien rigolé mais maintenant il est temps de payer ! ».
Mais le héros n’a pas compté avec la fureur de la meurtrière : « Non ! Je ne vous laisserais jamais m’arrêter ! Jamais ! ». Et Bucky s’aperçoit qu’elle est partie pour précipiter la voiture en dehors de la voie. Les deux héros ont juste le temps de sauter loin de l’automobile avant qu’elle s’écrase contre un poteau… Plus tard, Captain America et Bucky inspectent la voiture de l’extérieur. Le jeune auxiliaire constate : « C’est dommage qu’elle ait voulu en finir comme ça, mais bon elle l’aura voulu ! ». Et Cap de conclure : « C’est vrai, gamin. Hey ! C’est presque l’aube ! On doit rentrer au camp rapidement ! ». L’histoire s’achève sur cette scène, qui implique fortement que Cat Woman a trouvé la mort au volant. Mais d’une part on remarquera que les héros ne s’approchent pas véritablement de la voiture et, pressés, n’ont pas le temps de voir ou d’inspecter le corps. Cat Woman pourrait tout aussi bien avoir elle aussi sauté du véhicule sans que les deux héros s’en aperçoivent. Dans le cas contraire, il reste d’autres alternatives pour sauver la criminelle. D’abord on ne sait rien de ses pouvoirs, si elle en a (mais certaines scènes valident cependant cette possibilité). Et, en dernière analyse, les comics aiment à souligner régulièrement que les chats ont neuf vies. Alors allez savoir si cette femme-chat ne pourrait pas se relever de l’accident pour frapper à nouveau ?
Mais l’obstacle principal pour un retour de cette adversaire de Captain America ne doit rien au fait qu’elle semble mourir à la fin de l’histoire. Dans le cas présent, le gros problème qu’auraient connus les scénaristes de Marvel s’ils avaient voulu ramener Cat Woman est d’un tout autre ordre. Au début des années 40, la Catwoman de DC (Selina Kyle) n’était qu’une simple cambrioleuse, apparaissant le plus souvent en civil pour diriger son propre gang. Les femme-chats (Cat’s Paw, Leopard Woman…) que nous avons vu dans les chroniques précédentes ne posaient pas vraiment de problème avec DC puisque si on note une ressemblance notable avec la Catwoman de ces dernières décennies, elles anticipaient d’une certaine manière une version plus tardive (post 1946) de Selina Kyle. Si Marvel avait du avoir des problèmes concernant Cat’s Paw ou Leopard Woman, il est plus probable qu’ils seraient venus de Tarpe Mills, la créatrice de Miss Fury. DC n’aurait pas pu se plaindre que les deux criminelles ressemblaient tant que ça à Selina Kyle. Ce n’était pas le cas si on se base sur les versions de l’époque.
Pour ce qui est de la Cat Woman rencontrée par Captain America et Bucky en 1945 on se trouve dans un cas de figure totalement différent. D’abord, bien sûr, il y a l’usage d’un nom identique en toutes lettres (même si la version Marvel prend le soin de laisser un espace entre « Cat » et « Woman »). Ensuite physiquement Selina Kyle et l’adversaire de Captain America sont en tout point similaires, même la coupe de cheveux est raccord. Et puis il y a l’usage du jeu de mots sur le terme « licked »… Comme nous l’avons vu, dans les premières pages du récit, quand Cat Woman fait mine de se laisser capturer par les deux héros, elle utilise cette expression d’être « léchée » en lieu et place d’être vaincu. Ce qui est, comme nous le remarquions, un clin d’œil à sa nature féline. Mais ici notre sixième sens de lecteur de comics doit pousser une petite sirène d’alarme. Car si j’ai besoin de vous expliquer cette expression, c’est qu’elle n’est pas si répandue que ça dans les comics. On la trouve cependant dans… Batman #1, en 1940, quand l’homme chauve-souris capture Catwoman (lors de la première apparition de cette dernière). Dans les aventures de Batman, Bill Finger utilise exactement le même jeu de mot sur « licked », de la même manière, pour faire un parallèle félin. Et là, pour le coup il est difficile de croire que c’est un simple hasard…
Il est pour ainsi dire impossible d’ignorer que le scénariste de Captain America Comics #45 se soit consciemment inspiré de la version première (et plus précisément de sa première apparition) de la Catwoman de DC. C’est l’évidence même, à la vue des indices précédents. Et quand l’auteur ne se donne même pas la peine de renommer le personnage (à par l’usage partiel de « She-Cat » dans les premières pages), on peut dire que la copie est pour ainsi dire assumée. C’est énorme. Un peu comme si DC utilisait Doctor Doom ou Magneto dans une histoire de Superman. Mais dans le contexte de l’époque il faut bien considérer que « l’emprunt » n’était pas si manifeste qu’on pourrait le croire avec le recul. A l’époque Catwoman n’était certes pas une inconnue totale dans les comics mais elle ne faisait pas non plus partie des principaux adversaires de Batman.
On peut compter en gros une demi-douzaine d’apparitions de Catwoman chez DC entre 1940 et 1945, alors que le justicier de Gotham apparaissait déjà dans plusieurs titres. Elle était loin d’avoir la popularité d’un Joker ou d’un Red Skull. Assez, peut-être, pour que le scénariste de Captain America puisse croire qu’on ne remarquerait pas automatiquement la ressemblance. Rien qui tienne la route sur le long terme, c’est sûr (mais à l’époque Marvel n’était pas très porté sur les super-villains réguliers). Mais c’était sans doute une manière facile de remplir un épisode sans se donner la peine d’inventer un criminel à partir de rien… Difficile de croire que les responsables de Marvel aient été dans la confidence. Ils n’auraient pas pris un tel risque simplement pour « remplir » quelques pages. On est plus probablement en présence d’un cas où le scénariste glisse son « hommage » au nez et à la barbe de ses supérieurs.
Ironiquement, ce n’est pas la première fois que Captain America « glissait » du côté de DC, dans un des premiers numéros de la série (Captain America Comics #10, janvier 1942, à l’époque où Joe Simon et Jack Kirby œuvraient encore sur le titre), le héros patriotique de Marvel avait chassé les nazis de… Gotham City. A l’époque de Simon et Kirby, « Gotham » restait dans le langage courant un surnom de New York pas forcément associé avec Batman. Tout comme Metropolis, dans les premiers temps, restait un terme générique pas absolument lié à Superman. Et l’idée qu’un nom de ville soit « copyrightable » n’effleurait sans doute pas les auteurs ou les éditeurs. Jusqu’en 1946 (Marvel Mystery Comics #68, lors d’une aventure d’Human Torch) on verrait des héros Marvel s’aventurer à l’occasion dans une ville nommé Gotham sans que cela pose problème. Pour Cat Woman/Catwoman, le cas de figure était cependant différent, plus problématique, et c’est sans doute pour cela que l’auteur pris la peine de « détruire » la criminelle à la fin de ce récit de Captain America, de manière à s’assurer qu’on ne l’utilise pas sur le long terme.
Il est possible également (mais moins certain) que l’auteur se soit aussi inspiré à un certain niveau de Cat’s Paw et Leopard Woman. Même s’il était assez courant à l’époque que des super-héros « suivent » des criminels en s’accrochant au coffre-arrière (à croire que les gangsters n’avaient jamais l’idée de regarder dans le rétroviseur), on notera que le Angel du Golden Age avait non seulement suivi le gang de Cat’s Paw lui aussi jusqu’à un dixième étage (dans des circonstances différentes, il est vrai) et qu’il avait poursuivi les gangsters en s’accrochant également à l’arrière de la voiture. Quelques épisodes avant Captain America Comics #45, le héros étoilé s’était déjà battu contre une femme-chat, Leopard Woman. Le délai est assez court pour penser que l’auteur ait encore en mémoire cette femme panthère. D’ailleurs, dans la scène finale, Leopard Woman se réfugie sur un toit avant de sauter dans le vide et, visiblement, d’échapper à la mort grâce à ses acrobaties. Il est évident qu’il ne faut pas trop s’étonner de voir, à quelques mois d’écart, une criminelle féline illustrer, d’une manière ou d’une autre, le fait que les chats « retombent toujours sur leurs pattes ». Mais les deux scénographies sont assez similaires. Cat Woman est assurément un plagiat de la Catwoman de DC. Pour le reste, au mieux, il s’agît d’un empilement de clichés propres aux chats (l’agilité, le fait de survivre à une chute d’un toit) mais au pire, d’une addition d’emprunts à d’autres récits de femmes-chats de Marvel…
Vue l’importance que Catwoman a pris chez DC ces dernières décennies, il est certain qu’une nouvelle utilisation de l’adversaire de Captain America (par exemple dans le cadre d’un flashback) poserait un problème énorme à Marvel. Si l’éditeur se décidait à la mentionner à nouveau, il semble certain que c’est son surnom alternatif (She-Cat) qui serait utilisé. Mais cette Cat Woman de 1945 n’avait pas de costume distinctif ou d’origine particulière. S’il fallait muscler tout ça dans le cadre de nouveaux récits, les auteurs modernes seraient sans doute obligés de l’éloigner énormément de son modèle d’origine. Ce serait beaucoup d’efforts pour arriver à un résultat méconnaissable. D’autant que, dans le genre, Marvel est allé, depuis, encore plus loin dans le mimétisme avec Catwoman… Mais cela fera l’objet d’une prochaine chronique…
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Xavier Fournier]