[FRENCH] Malgré son nom, la série Captain America Comics n’abritait pas les seuls exploits du capitaine en question pendant le Golden Age. A certaines époques, on a pu y trouver différents aventuriers tels que Father Time, Hurricane ou Tuk. Mais en 1946, le colocataire de Cap n’était autre que l’androïde Human Torch. Bien que ce dernier ait aussi par ailleurs son propre titre, Timely espérait sans doute ainsi attirer un lectorat plus large que si le magazine avait été monomaniaque. C’est donc dans ce titre et pas dans le sien qu’Human Torch allait faire la connaissance d’un assassin à l’allure très féline…
Dans les années 40, Captain America et Bucky passaient leur temps à affronter des nazis ou des japonais (ces derniers étant généralement caricaturés de manière hideuse). Il y avait quelques super-vilains qui sortaient du lot (comme le Red Skull, le Black Talon ou le Ringmaster of Death) mais la plupart des adversaires restent assez « oubliables ». Peut-être justement parce que l’omniprésence d’un Red Skull faisait qu’on pouvait régulièrement faire appel à cette menace et que, de ce fait, il n’était pas nécessaire de se creuser la tête pour trouver de nouvelles figures. Pour Human Torch, la chose était doublement différente. D’abord parce que ce héros aux pouvoirs incendiaires n’avait pas vraiment d’ennemi juré récurrent, pas d’équivalent du Red Skull. Par la force des choses il était nécessaire de lui inventer régulièrement de nouveaux antagonistes.
L’autre facteur à prendre en compte est que Human Torch et son pupille Toro avaient de vrais superpouvoirs (par opposition à Captain America qui avait été transformé en athlète parfait, mais pas en surhomme au sens strict du terme). Là où Cap pouvait se permettre la plupart du temps d’affronter un adversaire masqué avec une dague, Human Torch, par sa nature, impliquait des combats un peu plus « épiques » que pour le tout-venant des acrobates masqués. C’est pourquoi, quand on gratte un peu dans les épisodes de cette époque, on s’aperçoit que cette Torche Humaine originelle avait un certain nombre d’adversaires hauts en couleurs (le Parrot, White Vampire…) qui rapprochait peut-être ses aventures d’un casting façon « DC Comics », avec des ennemis dignes d’un Batman…
Le modèle Batmanien n’était de toute manière jamais très loin des préoccupations des scénaristes de Marvel en ce temps-là (on verra d’ici quelques lignes pourquoi et comment). Dès 1941 il y avait eut des tentatives de copier des personnages comme Catwoman. D’autant plus facilement qu’à l’époque DC ne considérait pas la femme-chat comme une figure majeure (le regain d’attention de Catwoman et la mise au point de sa version classique n’étant intervenus qu’aux alentours de 1947). On avait ainsi eut droit à Cat’s Paw (dans Marvel Mystery Comics #18, 1941), à Leopard Woman (Captain America Comics #36, 1944), à She-Cat the Cat-Woman (Captain America Comics #45, 1945) ou à The Cat-Woman (Marvel Mystery Comics #63, 1945). Toutes ces imitatrices étaient des adversaires de Captain America ou de l’Angel du Golden Age. Mais pour faire bonne mesure, il était clair qu’il ne restait plus qu’à trouver une menace féline pour affronter à son tour Human Torch. Une « lacune » qui serait réglée en janvier 1946, dans Captain America Comics #52.
En janvier 1946, dans Captain America Comics #52, Human Torch va donc affronter… Cat-Man ! La première page de ce récit nous montre la Torche des origines en train de combattre une sorte de créature à l’air sauvage, des dents pointues et une peau entièrement bleue. En fait à l’intérieur de l’histoire le dénommé Cat-Man va avoir une apparence bien plus normale (un humain portant un simple costume bleu nuit, vaguement félin). Mais il n’était pas rare que la page d’introduction soit réalisée avant la réception du script complet… Ou même qu’elle soit dessiné par un autre artiste que celui qui allait se charger d’illustrer les pages suivantes. Et là, dans le cas présent, le coloriste avait eut la main lourde, coloriant en bleu des zones qui auraient du être couleur chair, donnant à Cat-Man cet air inhumain. Dans les cases suivantes, alors que le récit commence réellement, on découvre avant tout une silhouette sombre, errant dans une ruelle. Ce personnage se distingue de celui vu sur l’image d’introduction car, si on y regarde bien, on voit qu’il porte également une petite cape noire (pas toujours évidente selon les cases). Le commentaire nous explique alors que cet homme a pour seul but le meurtre et que son nom est Cat-Man. Le tueur, comme de nombreux personnages de comics livrés à eux-mêmes, parle tout seul : « Voici l’hôtel ! Et la chambre 1209 est tout en haut ! Douze étages… Mais pour Cat-Man c’est une simple affaire… Ha ! Ha !« . Effectivement l’homme-chat escalade la façade sans problème (on ne saura vraiment ce qui lui vaut cette agilité) et s’introduit dans la chambre d’un certain Thorton Kennedy, qu’il étrangle après lui avoir annoncé qu’il avait vécu sa dernière nuit. La scène nous permet de voir que l’assaillant porte sur son dos une sorte de réservoir rouge… Mais dans la lutte, la victime arrive à hurler une sorte de râle ultime.
Il faut croire que les oreilles artificielles d’Human Torch sont plus réceptives que celles d’un humain car, alors que le héros se promène dans la rue avec son jeune pupille, Toro, il entend les cris de Kennedy. Or, il faut rappeler que les cris sont ceux d’une personne qu’on étouffe (et qui n’a donc pas tout son « coffre » pour hurler) 12 ETAGES PLUS HAUT ! Le scénariste ne se donne même pas la peine de souligner que c’est un exploit en soi. Heureusement Human Torch et Toro peuvent voler. Ils s’enflamment donc immédiatement et partent « comme deux comètes jumelles » (selon les mots du narrateur) vers le douzième étage. Et, ils tombent nez à nez avec le tueur, qui était en train de redescendre par la façade. Immédiatement les héros remarquent la nature féline de leur adversaire. Toro s’écrie : « Gosh, on dirait un gros chat noir !« . La réaction de l’assassin prend une autre forme : « Bon sang ! Human Torch ! J’aurais du le savoir !« . Mais contrairement à ses dires, Cat-Man était un peu préparé. Il actionne alors le réservoir dorsal rouge qu’on a pu voir plus tôt : « Tu vois, je t’attendais, la Torche ! Voici un avant-goût de mon propre extincteur personnalisé !« . Une des deux Torches (il n’est pas toujours évident de savoir qui est le héros principal et qui est le sidekick selon les cases) se prend une giclée en pleine figure. Mais l’autre en profite pour tenter de donner un coup de poing au tueur : « Ce que tu as n’est qu’un extincteur classique ! Mais que dis-tu de celui-ci ?« . Et pourtant le coup de poing n’éteint pas le combat. Cat-Man l’évite et s’échappe. Il rentre à nouveau par la fenêtre dans l’hôtel, sans oublier de tirer derrière lui des décharges de son extincteur. Le gadget permet de ralentir les deux héros, qui n’arrivent à entrer dans la pièce que lorsque Cat-Man est déjà parti…
Human Torch inspecte alors le corps de la victime et décide d’interroger le directeur de l’hôtel afin de l’identifier. On l’informe alors que l’homme tué était Thorton Kennedy, qui venait souvent… Sans qu’on comprenne pourquoi. D’autant que personne ne demandait à le rencontrer. Human Torch décide alors de se rendre à la propriété de Kennedy. En effet, alors que les deux héros s’envolent à nouveau, il apparait que le nom du mort ne leur est pas inconnu. Human Torch l’identifie comme étant un des hommes les plus riches en Amérique. Une célébrité, donc. Les deux torches savent donc très bien où se trouvent sa propriété. Comme ils arrivent en pleine nuit, ils réveillent le majordome et lui apprennent la mort de son patron. Human Torch demande alors s’il peut rencontrer un des membres de la famille Kennedy, à qui il voudrait parler. Le domestique l’informe alors que le milliardaire décédé n’avait qu’un seul parent, son fils adoptif, Peter Blake. Mais Peter avait un rendez-vous ce soir et il n’est pas encore rentré… Human Torch décide alors de l’attendre. Blake arrive plus tard. C’est un homme brun, qui fume la pipe et porte une sorte de peignoir, de manière très dandy. Apprenant la mort de son père adoptif, il se dit dévasté mais n’a pas l’ombre d’un seul indice. Il ne connaissait pas d’ennemi à Thorton. Human Torch explique alors qu’il va inspecter le bureau du défunt et que, s’il ne trouve rien, il ira poser quelques questions à George Wilson, l’associé de Kennedy.
Malheureusement les recherches du bureau n’apportent rien. Par curiosité Human Torch demande alors au majordome de quoi Peter Blake vit. Le domestique explique que c’est avant tout un inventeur, qui a d’ailleurs installé son atelier dans le sous-sol de la maison. Le héros décide alors de lui poser quelques questions de plus. Mais Blake est introuvable dans la maison. Et Toro remarque une lettre qui n’était pas là quand ils sont arrivés. Il s’agit d’un télégramme adressé directement à Human Torch. Wilson, l’associé de Kennedy, y explique qu’il vient d’apprendre la mort de Thorton et qu’il dispose d’informations capitales qui pourraient permettre de coincer le coupable. Human Torch et Toro s’enflamment donc à nouveau et s’envolent en direction de la demeure de Wilson. Mais, en cours de route, ils aperçoivent la silhouette de Cat-Man. Toujours armé de son extincteur, il s’en sert cette fois comme d’une massue avec laquelle il assomme d’abord Toro puis Human Torch. Il faut croire que Cat-Man a des réflexes particulièrement aiguisé pour arriver à prendre ainsi par surprise deux héros confirmés. Comme les deux héros sont inconscients, Cat-Man décide d’en profiter pour se débarrasser vraiment d’eux avant qu’ils se réveillent…
Le malfaiteur les emmène alors dans son laboratoire privé, qui se trouve sous terre (ce qui fait qu’à partir de là il reste peu de suspens en ce qui concerne l’identité de Cat-Man). Quand Human Torch et Toro reviennent à eux, ils sont tous les deux sous une sorte de projecteur qui les recouvre d’une couche d’amiante et de plomb (pourtant invisible à l’image). Le traitement a pour effet de paralyser les deux héros et de les priver temporairement de leurs pouvoirs. Le but de la manœuvre étant de les rendre inoffensifs tandis que Cat-Man s’apprête à les jeter dans un bain d’acide, de manière à détruire toute trace d’eux. Le criminel explique : « J’ai attendu longtemps pour ce moment, Torch ! En fait j’ai préparé ce bain d’acide tout spécialement pour toi ! ». Dans le contexte des comics de l’époque, on ne tenait que rarement compte de l’univers partagé. Inutile, donc, de se demander pourquoi Cat-Man s’était préparé plus spécialement contre Human Torch (par opposition à Captain America ou Sub-Mariner). D’ailleurs, après tout, on ne sait pas si Cat-Man n’avait pas d’autres pièges pensés spécialement pour d’autres héros. Mais ce qui étonne, c’est la manière dont l’assassin explique qu’il attendait ça depuis longtemps, comme s’il avait voulu se venger tout spécialement de Torch et de Toro (alors que l’action se déroule en l’espace d’une seule et même nuit). Cat-Man fait tomber ses deux victimes dans le bain, s’exclamant qu’il doit maintenant aller commettre son prochain crime…
La seule chose que Cat-Man n’a pas anticipé, c’est le fait que les deux parties de son double piège s’annulent respectivement. Ainsi, dès qu’Human Torch et Toro baignent dans l’acide et bien que l’enfant commence à se plaindre que ça brûle, ils réalisent que la première chose que le liquide ronge… C’est la couche d’amiante et de plomb. En attendant quelques instants, ils sont donc rapidement débarrassés de ce qui les empêchait d’agir. Ils peuvent s’enflammer à nouveau et s’échapper de la cuve. Quelques secondes plus tard, ils rattrapent Cat-Man qui, au volant de sa voiture, était en route vers chez Wilson. Cette fois le tueur est coincé… Et les deux héros incendiaires peuvent tranquillement le démasquer, une fois revenus à la demeure Kennedy, là où Wilson les a rejoints. Sans surprise, Cat-Man est en fait… Peter Blake. Il explique qu’il a tué son père adoptif pour pouvoir hériter de sa fortune. Wilson, qui connaissait la nature mauvaise de Peter, avait deviné qu’il s’agissait de lui et voulait le dénoncer à Human Torch. C’est pour cela que Cat-Man voulait le tuer avant qu’il ne soit trop tard…
Nous voici donc avec un Cat-Man du Golden Age à l’intérieur de l’univers Marvel… Un Cat-Man qui, soit dit au passage, avec sa petite cape noire, un gros air de ressemblance avec le plus tardif Black Panther. Il s’agit cependant probablement d’une coïncidence (quand on veut représenter une « panthère noire », après tout il n’y a pas trente-six costumes possibles). Ce qui ne doit rien au hasard, par contre, c’est que ce Cat-Man ressemble furieusement à un super-vilain échappé de l’univers DC en général et des aventures de Batman en particulier. Et pour cause : Si on ignore officiellement l’identité du scénariste de cette aventure d’Human Torch, il y a cependant un suspect principal…
En 1946 Bill Finger, le co-créateur de Batman, travaillait très régulièrement pour Marvel/Timely Comics. D’ailleurs toutes les histoires de Captain America parues dans #52 sont attribuées à Finger, si on croit la base de données de Comics.org (et elle fait généralement autorité). Penser que cette aventure d’Human Torch, parue dans le même numéro, puisse être également de la main de Finger ne demande donc pas spécialement un effort d’imagination. Il ne suffit pas que ce soit possible pour que ce soit avéré mais d’autres indices me portent à y voir la main de Finger. Comme on l’a vu dans d’autres Oldies But Goodies, le scénariste était en effet le co-créateur de Catwoman mais aussi de Wildcat. Quelques années plus tard il allait également créer le King of the Cats (dont l’allure est sensiblement similaire à celle de ce Cat-Man) mais aussi le Catman classique de DC (l’ennemi de Batman créé en 1963 et plus tard membre des Secret Six) et, très probablement, en 1959, un autre Catman ennemi de Blackhawk. On se retrouve donc carrément dans un thème de prédilection de Finger. Et encore mieux : Au moment de donner une identité secrète au Catman adversaire de Batman, Finger le baptisa… Tom Blake. Autant dire qu’il est très difficile de ne pas voir en Peter Blake, le Catman de 1946, un « grand frère » de ceux qui allaient suivre dans l’œuvre du scénariste…
Il y a encore un autre point d’intérêt, qui ne concerne pas le tueur mais bien sa victime et éclaire d’une autre lumière le sens qu’on peut donner à cette histoire. Qui était donc réellement Thorton Kennedy ? L’histoire ne nous expliquera jamais pourquoi il se rendait régulièrement dans une chambre d’hôtel où personne ne venait le déranger (c’est un point que le scénariste souligne en début de récit qu’il oublie de résoudre par la suite). Cependant résumons les éléments qui le caractérisent : Thorton Kennedy est l’un des hommes les plus riches d’Amérique. Il possède une propriété située en dehors de la ville, tenue en tout et pour tout par un seul majordome. Kennedy a un fils adoptif capable d’acrobaties hors du commun et enfin… une sorte de laboratoire souterrain a été construit sous le manoir. Autrement dit, Thorton Kennedy est, malgré son nom, une référence manifeste à… Bruce Wayne/Batman ! Un Bruce Wayne qui aurait eut la malchance d’adopter une mauvaise version de Dick Grayson… Et comme entre Batman et Catman il n’y a qu’une lettre de différence, ce Cat-Man de Timely, avec sa petite cape noir, prend des airs de pied-de-nez à l’attention de l’autre création de Finger (à moins qu’il se soit agit d’une manière pour l’auteur d’exprimer sa frustration envers DC, son autre employeur). Au final, qu’elle soit ou pas le fruit des écrits de Bill Finger, l’existence de Peter Blake ouvre une porte intéressante : une sorte de Batman du Mal, capable de disposer des ressources d’une pseudo-Batcave pour menacer les héros du Golden Age. Mais les chances d’utiliser à nouveau ce personnage dans une histoire rétro semblent minces. Si le Marvel d’aujourd’hui se donnait la peine de ramener le Cat-Man de 1946, la plupart des lecteurs modernes penseraient sans doute qu’il s’agit d’une copie de celui de DC.
[Xavier Fournier]
(Note: En dehors de la couverture de Captain America Comics #52, les images utilisées dans cet article proviennent de scans des « microfiches » Marvel éditées par Microcolour à la fin des années 90 dans des résolutions assez mauvaises, ce qui explique la pauvreté des illustrations. L’épisode en question n’a jamais été réédité depuis 1946 mais devrait figurer au sommaire d’un Marvel Masterworks d’ici quelques tomes…)