Oldies But Goodies: Captain America Comics #60 (Janvier 1947)
26 octobre 2013[FRENCH] 1947. L’Human Torch originel paraît, entre autres, dans la revue de son collègue Captain America. Toujours flanqué de son assistant Toro, le héros aux pouvoirs incendiaires des Marvel Comics va croiser dans une nouvelle aventure un adversaire aux faux-airs d’un personnage de DC Comics… Catman ! Et là, normalement, les fidèles lecteurs de la rubrique que vous êtes vont se dire que j’ai la mémoire qui flanche. Il est bien gentil Fournier, mais il ne serait pas en train de nous refaire deux fois la même chronique ? Et bien non…
Dans un précédent article je vous expliquais comment, dans Captain America Comics #52 (Janvier 1946), les super-héros Human Torch et Toro avaient combattu un certain Catman qui tenait visuellement de Wildcat (super-héros concurrent publié chez DC Comics) et scénaristiquement de Batman et de Robin. Et ceux qui le voulaient bien pouvaient même y voir un précurseur de Black Panther. Il n’y a donc pas de confusion. C’est bien à peine un an plus tard, dans la même série, qu’Human Torch et Toro vont en découdre avec un nouvel ennemi… pourtant furieusement similaire mais dans le même temps n’étant pas strictement identique. Celui-ci laissait plus de place au fantastique et au surnaturel.
Dès la première page de « The Catman Murders » (« les meurtres de l’Homme-Chat ») on découvre un criminel habillé dans une combinaison sombre, assez proche de celle de l’autre Catman qu’Human Torch avait déjà affronté en 1946. Si ce n’est que ce méchant précédent, Peter Blake, portait une petite cape sur les épaules et que sa panoplie n’allait pas jusqu’à intégrer une queue de chat. Le Catman de 1947, c’est l’inverse : pas de cape mais une longue queue féline qui traîne derrière lui et aussi des moustaches beaucoup plus visibles. Le narrateur nous explique : « Attention au chat noir… C’est un présage funeste pour les superstitieux… Ne les laissez pas traverser devant vous, ils annoncent un ennui… Simple superstition… Mais quand l’affreux Catman croise quelqu’un, c’est une vraie cause de terreur. Jusqu’à ce que cette équipe enflammée, Torch et Toro, remontent la piste, quand ils décident de résoudre la périlleuse affaire des… meurtres de Catman ! ».
L’action commence sans attendre avec un homme dans un costume de chat (ou en tout cas la panoplie-type d’un déguisement de chat comme on en voit régulièrement dans les comics) qui saute du haut d’un arbre sur un pauvre passant. Tout en miaulant, l’homme-chat s’attaque à sa victime… Bientôt la police découvre le cadavre de l’infortuné. Il a été griffé à mort, constate l’un des deux policiers. Son partenaire de patrouille, inspectant les blessures, déclare alors assez incroyablement « C’est un chat qui a du faire ça, Fred. Je patrouillais au coin de la rue quand j’ai entendu un horrible miaulement. Ca doit être un sacré chat, cependant, pour laisser des marques de griffes si grosses ! ». Autant dire que la police de la ville n’est pas composée de lumières. L’idée qu’un chat ait pu griffer à mort un homme n’a pas l’air de les étonner plus que çà. Enfin, la hiérarchie, elle, se secoue un peu plus. C’est quand même la cinquième personne qu’on retrouve dans le même état cette nuit. Le chef de la police convoque donc Human Torch et Toro pour leur faire part de ses inquiétudes : « Nous n’avons pas le moindre indice sur ce tueur des quartiers Est ! Nous pensons que c’est un monstre. Est-ce que vous deux êtes d’accord pour enquêter là-dessus ? ».
Au début des années 40, les scénaristes avaient trouvé bon de donner à Human Torch l’identité secrète du policier Jim Hammond. Mais c’était un fait rarement rappelé dans la BD et les auteurs se contentaient généralement le héros comme étant Human Torch 24h/24 sans qu’on semble se souvenir qu’il était supposé avoir une vie en dehors de ça. Cette identité « historique » fait qu’en tenant compte de la continuité il était logique qu’un chef de la police lui demander de mener une enquête. Pour ceux qui s’en tiennent à l’histoire du héros, il était au moins policier. C’était moins farfelu que lorsque les autorités demandaient une aide externe à Superman, Batman ou même à Namor The Sub-Mariner… Même si dans les faits une bonne partie des lecteurs de 1947 n’avaient sans doute pas la moindre idée que Human Torch était supposé être un policier.
Sans surprise, Human Torch et Toro acceptent et, auréolés de flammes, s’envolent au dessus de la ville, ce qui leur permet de surveiller une grande partie du périmètre. Mais quand même Torch s’interroge : « Je ne comprends pas. Un monstre-chat ! ». Bientôt leur patrouille aérienne est cependant interrompue par des cris. Quelqu’un appelle à l’aide et on entend également une sorte d’odieux miaulement.
Tournant le coin de la rue, les deux héros découvrent alors un homme déguisé en chat en train de s’acharner sur sa victime. Sans perdre de temps Human Torch lui lance du feu pour l’effrayer puis créé une sorte de lasso fait de flammes pour tenter de le capturer. Mais ce Catman n’imite pas les animaux au point d’avoir peur du feu. Il franchit les flammes puis bondit sur un toit. En fait il est vif comme l’éclair, comme le constatent les héros. Le temps qu’ils s’enflamment à nouveau et survolent le toi, Catman a déjà disparu. Ils retournent alors s’occuper de la victime… qui est encore vivante, bien que sa vie ne tienne plus qu’à un fil. Les deux héros se précipitent donc pour emmener l’inconnu à l’hôpital le plus proche. Le reste de la nuit ils essaient de retrouver le mystérieux Catman. Sans résultat.
Le lendemain ils rendent donc visite à l’homme qu’ils ont sauvé. Ce dernier les remercie avec empressement : « Passer si près de la mort m’a fait réfléchir. J’ai une fille, qui est mon trésor le plus cher. Mais mon assurance vie d’un montant de 50.000 $ est au nom de quelqu’un d’autre. Je devrais faire le changement… ». Human Torch tique. Qui est donc le bénéficiaire de cette assurance-vie si ce n’est pas sa fille ? L’homme explique alors qu’il s’agit du Docteur Kale. Un an plus tôt le blessé était malade et pauvre. Kale l’a fait entrer dans un hôpital : « Je me suis complètement remis et me sentais si redevable que j’ai voulu faire un geste. J’ai pris cette assurance et je l’ai nommé comme bénéficiaire ! ». Human Torch comprend que le mystérieux Docteur Kale aurait tout intérêt à ce que l’homme disparaisse afin de toucher les 50.000 $. Il décide donc d’aller poser quelques questions à ce médecin. Mais incognito…
Un peu plus tard, à l’hôpital de charité, Human Torch et arrivent en costume de ville, en se présentant comme étant l’auteur Jim Ames (variation de Jim Hammond) et son jeune frère. Torch/Ames explique qu’il voudrait faire un article sur cet endroit et rencontrer Kale. Mais il est déçu. Un autre médecin, le Docteur Francis, lui explique que Kale a déjà terminé sa journée. Francis accepte cependant de guider les deux faux-frères Ames à travers les chambres. Francis explique à quel point ils aident les nécessiteux et « Jim Ames » le félicite pour son travail. Intérieurement, Toro ne voit cependant pas comment ceci peut faire avancer l’enquête. Cette tournée des lieux semble interminable à l’enfant, qui râle ensuite auprès d’Human Torch, une fois qu’ils sont sortis de l’établissement. Mais Jim Hammond lui explique « nous ne pouvions nous soustraire à cette visite sans éveiller les soupçons ! Nous devons rencontrer directement le Dr. Kale ! Prochain arrêt à sa demeure et… » Mais la phrase d’Human Torch est interrompue par un miaulement horrible qui provient d’une cour intérieure. Les deux héros s’y précipitent… Mais ne trouvent qu’un chat normal !
Mais en inspectant l’endroit, ils voient les empreintes du chat qui sortent d’un passage donnant sur la cave. C’est finalement le seul endroit qu’on ne leur a pas fait visiter dans l’établissement et ils décident d’aller voir de plus près ce qui a pu effrayer ce malheureux chat. Mais alors qu’ils y descendent ils entendent des grondements bien plus terribles encore. A l’intérieur de la cave, un homme chauve partiellement défiguré tente de calmer Catman, qui est attaché : « Sh! Sh! Tu sais que je suis ton ami. Tu dois m’obéir comme tu l’as toujours fait ! Reste calme jusqu’à la nuit, après… ». Catman, avec un vocabulaire limité, acquiesce : « Après… Bon Dr. Kale. Je tue. Tu me laisseras tuer ! » On comprendra donc que l’homme-chat est totalement dominé par Kale. Ayant saisi cette partie de la discussion et logiquement déduit le reste, Human Torch et Toro s’enflamment et se précipitent sur le docteur et sa créature. Mais Kale ordonne à Catman de prendre sa défense tandis que le docteur s’enfuit. Catman les retarde donc en leur lançant une caisse dessus… Mais il reste attaché et ne représente pas un véritable danger. Les deux héros se remettent donc rapidement à la recherche de Kale. Mais ne le trouvent pas.
Quand ils remontent dans l’hôpital pour poursuivre le docteur ils ne trouvent que son associé, Francis. Celui-ci leur avoue ne rien comprendre. Pour lui Kale était partie depuis belle lurette. Il implore d’ailleurs qu’on le laisse tranquille et Human Torch, résigné, est sur le point de partir en laissant Francis, qui n’y est pour rien. Quand Toro remarque quelque chose dans un vase pour les fleurs. Un masque ! Un masque à l’imitation de la chair, qui reproduit les traits… du Docteur Kale ! Il n’y a donc jamais vraiment eu de Kale ! Il n’était qu’une invention de… Francis. Et quand les deux héros se retournent vers lui, Francis les menace avec une arme : « Oui, je me suis fait passer pour Kale. Mais le fait que vous l’ayez découvert ne vous aidera pas ! Faîtes un pas vers moi et je laisserais tomber cet explosif ! Je ferais exploser l’hôpital et tuerais tout le monde ! ».
Malheureusement pour Francis, c’est le moment que choisi Catman pour remonter de la cave (visiblement après avoir trouvé le moyen de s’évader). L’homme-chat ne le connait que sous l’apparence de Kale, pas sous celle de Francis, et quand il l’entend parler de tuer tout le monde dans l’hôpital, Catman croit comprendre que… son ami Kale risque d’être tué lui aussi. Il saute donc sur Francis sans réaliser sa méprise. Sous le choc les deux hommes passent à travers la fenêtre et tombent dans le fleuve qui passe en dessous. Plus tard, des marins les repêchent dans leurs filets : « Cet homme est vivant. Mais cet autre, là, a l’air mort ! Par Jupiter… c’est… c’est un homme-chat ! ». Catman s’est effectivement noyé et il ne reste plus qu’à ramener Francis/Kale au commissariat pour qu’il s’explique en présence d’Human Torch. Francis raconte alors que Catman n’était qu’un malade mental atteint du « complexe du chat ». Francis a entretenu ce délire, lui a fait croire qu’il était en train de se transformer vraiment en chat. C’est le docteur qui a créé ce costume de chat noir pour lui, à l’épreuve des balles et doublé à l’amiante (ce qui explique que le lasso de flammes d’Human Torch ne pouvait pas l’arrêter plus tôt). Francis insiste sur le fait qu’il a agit pour protéger la vie de son esclave. Mais Human Torch termine l’histoire en lui expliquant qu’au lieu de ça il n’a réussit qu’à s’assurer de son arrêt de mort !
On l’aura compris à la lecture d’autres chroniques « Oldies But Goodies », ce Catman vient s’ajouter à la liste déjà longue des hommes-chats publiés dans les comics à cette époque. Plus étrange, à un an d’écart Human Torch aura donc affronté dans le même magazine deux « catmen » visuellement très proches sans que le personnage ou ses auteurs ne semblent le réaliser. Les auteurs. Parlons-en. Le dessin d’Human Torch est alors assuré par un jeune Carmine Infantino (plus connu pour sa longue carrière chez le concurrent DC Comics et pour son travail plus tardif sur des séries comme Flash ou Batman). Le ou la scénariste ? C’est une autre paire de manches car rien ne permet de l’identifier. On sait que Bill Finger, co-créateur de Batman, de Wildcat et utilisateur régulier du thème félin, travaillait également pour Timely/Marvel, qu’il lui arrivait d’écrire des épisodes d’Human Torch, y compris certaines histoires illustrées par Infantino. En fait, comme je l’avais écrit précédemment, il y a de bonnes raisons de penser que Finger est l’auteur de l’histoire de Captain America Comics #52 (Janvier 1946), qui mettait en scène le premier Catman combattu par Human Torch. De là à conclure que le Catman de Captain America Comics #60 est aussi le rejeton de Bill Finger, il y a un pas… qu’on ne peut réellement franchir de manière catégorique.
Certes, les deux Catmen se ressemblent. Mais c’est surtout sur le plan visuel. Scénaristiquement les deux histoires sont assez différentes. Il manque cependant certaines marottes scénaristiques propres à Bill Finger. D’abord il n’y a aucun discours sur le fait qu’un chat est supposé avoir « neuf vies » (la manière de retrouver le personnage mort, sans espoir de retour, est assez peu caractéristique de Finger). Il n’y a pas non plus d’aspect fétichiste, pas de crime réellement conçu « avec des méthodes de chat ». Si les deux Catmen se ressemblent, on pourrait très bien penser que c’est parce qu’un second auteur avait lu Captain America Comics #52 et s’en est simplement lointainement inspiré. Inversement on ne peut pas non plus formellement décider que Finger n’a absolument rien à voir dans cette histoire. Quelques temps plus tard, quand il créera le King of the Cats chez DC, ce dernier aura une apparence très proche de Wildcat mais aussi par conséquent de ce Catman. Le Kings of the Cats sera battu et finira par dire qu’il lui faut reprendre ses médicaments, ce qui semble insinuer que lui aussi est un malade mental sous traitement… Au passage, si d’aventure certains lecteurs voulaient imaginer que les deux Catmen n’en sont qu’un seul (Peter Blake, le Catman de Captain America Comics #52, pourrait avoir été interné et reprogrammé par Kale/Francis), ça ne colle pas vraiment puisque dans l’explication finale le docteur explique bien avoir créé ce costume lui-même (là où Blake avait créé son propre costume). Peter Blake était une sorte de « Batman du Mal » là où ce Catman là n’est qu’un pantin et fini par mourir assez bêtement en s’attaquant lui-même à son « maître ». A moins d’imaginer que le docteur Francis/Kale a tout simplement répété le processus sur plusieurs « agents » au fil des ans et que Blake se serait sorti plus performant que le Catman de Captain America Comics #60. En poussant un peu on pourrait même expliquer que Kale a aussi appliqué son procédé à différentes femmes, ce qui expliquerait l’affluence de Cat’s Paw, Catwoman (version Marvel), She-Cat ou Leopard Woman assez semblables dans la même période… Mais ça, bien sûr, c’est si on voulait absolument trouver un schéma directeur à un ensemble de personnages félins qui, pour la plupart, n’ont pas été mentionnés depuis plus de six décennies !
[Xavier Fournier]