Oldies But Goodies: Captain America Comics #66 (1948)

[FRENCH] Pendant le Golden Age, la doublette Captain America/Bucky semblait aussi immuable que la paire formée par Batman et Robin. De manière assez symptomatique, la dynamique de ces deux duos serait remise en question à quelques années d’intervalle par l’arrivée d’une femme. Alors que Batman et Robin seraient rejoints sans les années 60 par Barbara Gordon, la Batgirl classique [1], c’est dès 1948 que Captain America recruterait… Golden Girl !

En 1948, les années de guerre de Captain America sont déjà derrière lui et ses aventures sont en perte de vitesse. Tout au moins le public commence à se désintéresser du tandem formé depuis sept ans par Cap et Bucky. La série étant en danger, la firme polymorphe (Marvel/Atlas/Timely Comics) de Martin Goodman se doit de réagir. Et, perdu pour perdu, l’éditeur doit prendre tous les risques possibles, quitte à secouer la formule à la base. En clair, il faut lâcher du lest. Et le lest, dans le cas présent ne peut guère être que le faire-valoir de la série, Bucky. Rétrospectivement, il semble que l’idée de se débarrasser de Bucky flottait dans l’air depuis quelques temps, tout comme le principe que le schisme viendrait d’une femme. Dans Captain America Comics #65 (janvier 1948), déjà, la complicité entre le héros adulte et son sidekick avait été mise à mal. Sur la couverture du numéro, Captain America préfère partir au bras d’une jolie fille, repoussant Bucky d’une violente claque. Sur le ton d’une maîtresse délaissée ou, plus simplement, d’un enfant qu’on abandonne, Bucky s’écrie: « Cap, non ! Stop ! S’il te plait ! Ne me laisse pas tomber après toutes ses années !… Elle n’est pas assez bien pour toi !« . Et le héros étoilé de répondre : « Laisse tomber, petite friture ! Tu as parasité mon style depuis trop longtemps ! Désormais je me débrouillerais seul ! Et fais gaffe à ce que tu dis de ma petite amie, OK ?« . Les événements décrits à l’intérieur du numéro étaient un poil moins dramatique. Certes, Captain America faisait mine d’abandonner Bucky (laissant ce dernier tenter de jouer les super-héros sans mentor). Mais il s’avérait surtout que la fille qu’il « convoitait », Grace, était en fait le leader de la pègre qu’il tentait de démasquer. Qui plus est, la même pègre tentait de faire chanter Captain America en l’avertissant que Bucky serait assassiné si l’adulte faisait mine d’intervenir dans les affaires du syndicat du crime. A la fin, Cap finissait par arrêter la femme fatale et rassurait Bucky sur le fait que rien ne viendrait jamais casser leur complicité…

Et pourtant, sans doute que cet épisode portait déjà en lui les graines de ce qui allait se produire par la suite, tant, trois mois plus tard (la série étant alors trimestrielle) les événements de Captain America Comics #66 semblaient rebondir sur la même thématique, comme s’ils avaient été directement inspirés par le contenu du #65.

A commencer par le fait que l’adversaire du numéro, une criminelle masquée nommée Lavender (Lavande) ressemble énormément à Grace, la femme fatale vu dans le numéro précédent. Au point que le lecteur peut, s’il le veut (bien que rien n’établisse la chose formellement), en déduire que Grace et Lavender ne sont qu’une seule et même personne. Outre l’aspect physique, on verra de plus que les méthodes des deux femmes sont assez compatibles, à la seule différence notable que Lavender est obsédée par les parfums.

L’histoire s’ouvre d’ailleurs par le cambriolage d’une parfumerie. Lavender est assistée de quelques hommes de main qui ne sont visiblement pas des « lumières ». Pendant le vol, passant devant un flacon de lavande, un des gangsters demande sérieusement à sa patronne s’ils ont nommé ce parfum en son honneur. Moqueuse, la criminelle répond d’un bref « pas tout à fait » avant d’expliquer l’objectif réel de l’opération : voler un important stock d’ambre, nécessaire à la mise au point des parfums les plus couteux. Le caisson qu’ils sont en train de voler vaut une véritable fortune !

Heureusement qu’il y a des super-héros qui veillent ! Captain America et Bucky ne manquent pas d’apparaître, contrecarrant les plans du gang. Lavender ordonne à ses hommes de tirer mais les deux héros ont trouvé refuge derrière le bouclier étoilé. Il faut dire, aussi, que les gangsters se contentent de tirer sur le bouclier et pas sur la tête des héros, qui dépasse et n’est donc pas protégée. La réplique de Cap et Bucky est bien plus cinglante. Quand ils laissent parler leurs poings, les bandits n’ont aucune protection. Le gang est donc rapidement mis hors d’état de nuire… A l’exception notable de Lavender, largement moins idiote : « Quelle honte ! Il semble que je dois tout faire moi-même ! Y compris mes propres meurtres ! ». Elle attend que les héros soient à découvert et… Bang ! Elle tire sur Bucky, le touchant en plein ventre. Le garçon s’écroule. Tandis que Captain America se porte au secours de son jeune ami, Lavender s’enfuit en utilisant le camion que ses hommes terminaient de charger avant qu’ils soient interrompus. Du coup, elle part donc avec une bonne partie du butin qu’elle visait… Mais Captain America a d’autres chats à fouetter. Bucky est immobile, ne parle plus. Serait-il… mort ? L’adulte prend son jeune ami dans ses bras, se précipitant vers le plus proche hôpital… « Il ne mourra pas ! S’il y a une justice en ce monde, il s’en sortira bien ! Il ne doit PAS mourir ! ».

Plus tard, dans les couloirs d’un hôpital, Captain America se morfond à l’extérieur d’une salle d’opération où, visiblement, on s’occupe de Bucky. Soudain arrive la jolie Betsy (ou parfois « Betty »), alias fois « Betty »), alias Elizabeth Ross. Aucun rapport avec l’épouse bien plus récente de Bruce Banner/Hulk (bien qu’on comprend que son nom ait servi d’inspiration au moment de créer la fille du général Ross), celle-ci est une alliée de Cap et des Young Allies depuis 1941. A la base, la jeune femme est clairement inspirée par la très similaire Betty Dean, femme policier amie de Namor le Sub-Mariner à partir de Marvel Mystery Comics #3 (janvier 1940). Betsy Ross est un personnage assez bizarre dans le sens où les auteurs ne l’ont jamais traité avec constante. Tantôt agent secret international, membre du FBI, policière ou même parfois simplement qualifiée de « journaliste », Betsy Ross apparaît aussi en blonde platine, brune ou pratiquement rousse selon l’humeur du dessinateur. La tendance générale, cependant, en fait une employée du gouvernement postée d’abord à proximité du Camp LeHigh (caserne militaire de Steve Rogers et Bucky) pour être l’agent de liaison de Captain America. Mais les histoires semblent contradictoires sur la nature exacte de ce qu’elle sait sur Captain America/Steve Rogers. Si elle est son agent de liaison, il semblerait logique qu’elle sache que les deux hommes ne font qu’un. Mais dans certains épisodes elle considère clairement Steve Rogers comme un bouffon et s’intéresse même beaucoup plus au Sergent Duffy (à qui elle accorde un rendez-vous à au moins une reprise). Après la guerre, quand Steve Rogers est démobilisé et devient professeur, elle reste visiblement en contact avec lui mais la nature exacte de sa mission est encore plus floue.

Dans Captain America Comics #66, on ne sait trop quelle est son poste (on verra un peu plus loin à quel point). Elle se précipite néanmoins vers le héros : « Captain America ! Je suis venue aussi vite que j’ai pu ! Des nouvelles ? ». Effondré, Cap ne peut que confirmer que Bucky est dans la pièce voisine, en train de subir une opération délicate. Betsy reprend « J’ai téléphoné à ton ami Steve Rogers ! Je pensais qu’il voudrait être là avec toi mais il n’était pas chez lui… ». Là, Captain America se tourne vers le lecteur, méditant intérieurement « Betsy Ross ne sait pas que je suis en fait Steve Rogers, ou que son jeune ami Bucky Barnes est mon partenaire ! ». Cette mention de Steve Rogers nécessite en elle-même un détour puisqu’il nous faut à nouveau rappeler que pendant le Golden Age effectif, il n’y qu’un seul Captain America (Steve Rogers) de 1941 à 1954 mais que la chose s’est incroyablement compliquée depuis. Ramenant le héros dans les pages des Avengers, Stan Lee décida d’abord que Captain America avait disparu en 1945, à peu près au moment de la chute de l’Allemagne nazie. En gros les épisodes publiés entre la fin 1945 et 1954 (soit pratiquement les deux tiers de la carrière de Cap) étaient supposés ne jamais avoir existé. Par la suite d’autres scénaristes trouvèrent des moyens de nuancer la chose. Oui, Cap avait bien été porté disparu en 1945 mais les USA, incapables de se priver d’un tel symbole, avaient alors demandé à d’autres héros d’assurer la succession. Un héros connu sous le nom de Spirit of ’76, allié des Invaders, avait pris la relève quelques mois, en compagnie d’un garçon ami de Bucky Barnes, Fred Davis. Tous les deux étaient devenus les nouveaux Captain America et Bucky sans que le public ait conscience de la supercherie. Quelques temps plus tard l’ex-Spirit of ’76 avait trouvé la mort, remplacé à son tour par Jeff Mace, alias le Patriot, lequel devenait du coup le troisième Captain America (actif de 1946 à 1950). Enfin, un quatrième homme, plus extrémiste, deviendrait le quatrième Cap en 1953/1954.

Comme nous sommes en 1948, du point de vue de la continuité moderne l’homme auquel Betsy fait référence ne risque pas d’être le Steve Rogers originel et le Captain America à qui elle parle est sans doute Jeff Mace (Cap III, pour ceux qui ont suivi), tandis que le Bucky blessé est en fait Fred Davis… Une solution consisterait à dire que tous les hommes qui ont succédé au Captain America originel ont utilisé le nom de Steve Rogers comme une identité optionnelle (on sait d’ailleurs que c’est ce que fit le quatrième Cap). Jeff Mace aurait donc pu se faire passer pour Steve Rogers et tout irait comme dans le meilleur des mondes… Si ce n’est que Betsy Ross connait Captain America et Steve Rogers depuis 1941. Qu’elle soit incapable de faire la différence entre les différents Captain America, en raison d’un port d’un même costume, semble dur à croire mais, avec un peu d’effort, reste dans le domaine du crédible. Que Betsy croise trois ou quatre hommes différents se faisant appeler Steve Rogers, c’est une autre paire de manches. A moins que les liens de gouvernementaux de Betsy entrent en jeu. Peut-être sait-elle que « Steve Rogers » est une identité interchangeable utilisée par divers agents spéciaux, sans pour autant savoir/comprendre que ces agents furent également tour à tour Captain America. A défaut d’une autre explication on s’en tiendra pour l’instant à cette hypothèse (bien que la future mini-série Captain America: Patriot ne manquera sans doute pas d’éclaircir ou de réinventer la situation). Et même comme ça on restera rêveur sur le fait que cette bonne vieille Betsy ait été amie avec Bucky Barnes pendant plus de 7 ans (à l’époque de ce numéro) sans jamais faire le rapprochement avec le Bucky masqué qui s’activait aux côtés de Captain America…

Mais la discussion entre le héros et Betsy est interrompue par l’arrivée du chirurgien. Son constat est mitigé. Il est tout simplement trop tôt pour savoir si Bucky s’en tirera. Ce docteur brun et moustachu est sujet à une autre digression puisque, depuis la mini-série The Marvels Project, on sait qu’Ed Brubaker a clarifié l’identité et l’origine du héros Angel, de manière à en faire un chirurgien devenu par la suite ami de Captain America. Et à l’exception d’une paire de lunettes qui s’expliquent sans doute dans le contexte de l’opération, le chirurgien qui vient d’opérer est pour ainsi dire le sosie du Angel du Golden Age. Qui plus est, comme montré dans les parutions de l’époque, Angel et le Patriot (Jeff Mace) s’étaient croisés et avaient des amis communs. Le docteur serait le Angel ? Rien, bien sûr, n’est dit en ce sens dans l’épisode originel mais il serait assez logique que le chirurgien vers lequel Captain America s’est tourné soit un confrère super-héros, apte à conserver l’identité secrète de Bucky. En s’allumant une cigarette (nous somme en 1948 et il est visiblement « cool » pour l’époque qu’un homme de médecine se mette à fumer dans les couloirs d’un hôpital), le chirurgien annonce alors que les chances du garçon restent minces. Captain America insiste : « Il se battra, Docteur, Bucky n’a jamais su abandonner ! ». Puis il entre dans la chambre de son jeune ami, l’encourageant à tenir le coup… Avant de retomber dans l’inconscience, Bucky n’a qu’une demande : « Viens à bout de Lavender pour moi ! ».

Et bien sur Captain America jure ses grands dieux qu’il arrêtera Lavender, même si cela doit être la dernière chose qu’il fera ! Cependant une fois sorti de la chambre, Cap commence à se poser des questions… « Mais ce sera dur d’agir seul ! J’ai l’habitude de travailler avec un partenaire ! ». Il est à nouveau interrompu dans ses réflexions par Betsy : « Captain America ! Je t’ai attendue ! Tu ne devrais pas rester seul dans un tel moment ! ». Pas seul ? Cap se dit que Betsy a raison, qu’il a vraiment besoin de quelqu’un pour l’aider à arrêter Lavender et le reste de son gang. En marchant dans la rue, Cap se prend à réfléchir. Et pourquoi pas Betsy elle-même ? Une femme pour aider à combattre une femme ! En fait, on comprendra que cet élément est justifié par une certaine idée de la galanterie qui fait qu’un homme ne doit pas battre une femme, même une criminelle comme Lavender, au risque de passer pour un goujat. Même si des combats façon Batman/Catwoman étaient assez courants dans les années 40, la question de savoir si un héros masculin peut se permettre de se battre contre une femme restait soulevée assez souvent. Et si d’aventure Captain America embauchait une femme pour l’aider dans ce genre d’occasion, la question serait réglée…

Le soir-même, Betsy reçoit une visite nocturne. Captain America vient frapper à sa porte. Pas de problème pour la jeune femme : « Nous pourrons discuter pendant que je finis de faire la vaisselle ! Que veux-tu ? ». Au passage, on s’étonnera qu’une maîtresse de maison forcément exceptionnelle comme Betsy ait une telle pile d’assiettes à laver. Soit elle reste plusieurs jours sans faire la vaisselle (impensable pour les comics de l’époque), soit elle habite avec toute une famille (mettons au moins ses parents) que nous ne voyons pas. Cap est plutôt mystérieux quand au but de sa visite : « Je veux te poser quelques questions personnelles ! Tu avais des activités athlétiques à l’école ? ». Et Betsy commence alors à réciter ses différents exploits sportifs (comme le fait qu’elle était la plus rapide de son collège à la course à pied ou encore qu’elle était championne de boxe). Bizarrement Betsy ne pense pas à mentionner qu’elle est depuis des années un agent secret hors pair, pas plus que Captain America ne pense à prendre en compte le fait qu’elle l’ait aidé à affronter des menaces comme le Red Skull. C’est typique de cette inconstance scénaristique que nous évoquions plus tôt. Un lecteur découvrant Betsy dans Captain America Comics #66 n’aurait aucune raison de soupçonner que les deux personnages ont vécu tant d’aventures ensemble depuis 7 ans !

Mais ces questions sur le cursus scolaire de Betsy attisent sa curiosité. De quoi s’agit-il ? Cap répond par une autre réponse : « Je suppose que tu t’es souvent demandé qui je suis vraiment ? Bien, tu es sur le point de l’apprendre ! ». Et le héros se démasque sans attendre. Betsy est sidérée : « Steve Rogers ! Par les cieux ! Cela explique tant de choses qui m’intriguaient ! Mais alors Bucky est… ». Ah ! Quelle limière cette Betsy ! Mais elle n’a pas le temps de finir sa phrase, Steve lui confirme qu’il s’agit bien de Bucky Barnes. Mais maintenant il veut lui dire pourquoi il a choisi de lui révéler son secret après tout ce temps… Bien vite, Betsy comprend que Cap veut faire d’elle sa nouvelle partenaire. Et Cap de préciser: « Au moins jusqu’à ce que Bucky soit assez bien pour reprendre son poste. Est-ce que tu vas le faire ? ». On notera que Captain America n’est pas une lumière non plus à ses heures puisque la logique aurait voulu qu’il propose d’abord ce poste à Betsy avant de lui révéler son identité. Il aurait l’air fin si elle n’acceptait pas ! Mais, ouf, sans trop de surprise Betsy se rue sur cette offre. Mais il reste une « formation » à suivre avant qu’elle soit digne de Cap. Le héros lui fait suivre des séances d’entraînement et comme le dit le narrateur « elle montre bientôt une aptitude naturelle pour les travaux durs et dangereux ! ». Après 7 ans passés à combattre les pires criminels en compagnie de Cap et de Bucky, c’est le contraire qui aurait été étonnant !

Reste alors à mettre au point le costume de la nouvelle super-héroïne mais pour ça on peut compter sur la nature féminine. Bientôt Betsy montre à Cap le costume jaune et vert qu’elle s’est elle-même cousu. Il est temps d’entrer en action et le nouveau duo s’élance dans la nuit pour sa première patrouille : Captain America a appris qu’une certaine Mme Fifi a refusé d’être rackettée par Lavender et son gang. Ce qui veut dire que c’est là que la criminelle masquée va frapper prochainement. Après quelques heures de planque, la prévision se réalise : Lavender (décidément spécialisée dans les crimes liés au luxe) se lance dans le cambriolage de l’entrepôt de Mme Fifi, qui vend des manteaux de vison. Et Lavender est plus particulièrement intéressée par les inestimables fourrures « platine »… Cependant ses plans sont rapidement contrecarrés par Captain America et sa nouvelle partenaire. Cap se rue sur un des hommes de mains de Lavender tandis que, sans doute pour souligner la « nature féminine » de Betsy, elle lance un mannequin sur un des autres gangsters. Lavender fait alors mine de de se rendre. En fait elle s’apprête à poignarder Car… Mais la nouvelle « Golden Girl » (encore qu’à ce stade de l’épisode on ne l’appelle pas comme ça) déséquilibre son partenaire de manière à ce qu’il tombe et que le couteau lancé le manque. Dans la confusion, Lavender assomme Cap et Betsy, trouvant une nouvelle fois le moyen de s’enfuir.

A son réveil, on pourrait croire que Captain America est reconnaissant envers Golden Girl. Mais non, il est au contraire très en colère : « Tu as fait une erreur idiote, Betsy ! Lavender s’est enfuie avec les fourrures ! ». La nouvelle héroïne objecte, quand même, que c’est facile à dire puisqu’elle vient de lui sauver la vie ! Mais Cap la contredit : « Je savais qu’elle avait un couteau ! Mon bouclier m’aurait protégé de toute blessure ! Ensuite, Lavender aurait été capturée sans besoin de plus combattre ! ». Betsy réalise qu’elle a échoué dès sa première sortie… Et il ne semble pas évident que Cap soit pressé de faire à nouveau équipe avec elle puisque quelques jours plus tard nous retrouvons Betsy en civil, en train de se promener dans la rue. Intérieurement, elle se lamente : « Si seulement il y avait une manière de me racheter aux yeux de Cap ! ». Mais d’un seul coup elle croise une femme portant un rarissime manteau de fourrure « platine ». Et Betsy est prise d’une inspiration. Elle questionne alors la passante. Qui lui confirme avoir acheté sa tenue a bon prix, via quelqu’un qui connait quelqu’un… Autrement dit le vison a été vendu « sous le manteau », de façon officieuse. Et comment penser qu’il y aurait beaucoup de gangs dans la ville qui seraient en possession de ce genre de fourrure ? Bientôt, Golden Girl refait son apparition chez Steve Rogers, passablement surpris: « Betsy ! Que fais-tu dans ce costume ? » Ce qui trahit bien le fait que Cap n’avait plus aucune envie de faire équipe avec elle. Mais la jeune femme ne se démonte pas : « Ce soir, nous avons rendez-vous avec une fille nommée Lavender ! ». Stupéfait, Steve Rogers passe son costume de Cap et s’élance derrière Golden Girl en se demandant bien comment elle a pu découvrir le repaire de leur ennemie. Sa partenaire lui explique brièvement comment elle a remonté la piste mais finit par dire qu’elle lui expliquera plus tard les détails. L’idée de base de Captain America, selon laquelle il faut une femme pour arrêter une femme, est en train de réaliser. Sauf que le héros n’a plus autant la main qu’il le pensait.

Rapidement, donc, Cap et Golden Girl arrivent à l’appartement de Lavender et attaquent le gang. Tandis que le héros neutralise les hommes de la bande, c’est bien Betsy qui s’en prend à Lavender, à commencer par un violent coup de poing (le genre de geste qui ne serait pas passé si c’était Cap qui l’avait donné). Lavender fait mine de s’enfuir une troisième fois mais Golden Girl l’arrête avec une certaine ironie. Elle lance de loin un flacon de parfum qui permet d’assommer la criminelle : « C’est ton odeur favorite, la Lavande ! Mais je ne pense pas que que tu sois habituée à la consommer à si grande dose ! ». C’est bien Golden Girl qui arrêté Lavender, non seulement en remontant sa piste mais en l’assommant. Et pourtant la réaction de Captain America est assez représentative de la condescendance des héros mâles de l’époque pour les femmes. Il félicite, mais avec une certaine réserve : « C’est du bon boulot, Betsy ! J’aurais pu ne jamais les attraper sans toi ! Tu a été d’une grande aide ! ». Une grande aide ? C’est elle qui a fait tout le travail !

D’ailleurs Golden Girl ne serait pas contre une petite récompense. Visiblement très touchée par les compliments de Cap, elle le plaque contre le mur, prête à l’étreindre. Le héros réagit avec la réserve qu’on est en droit d’attendre d’un comic-book de l’époque : « Allons allons, ce n’est pas une manière de se comporter pour une ennemie du crime ! ».

Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil, Captain America ne fait que suivre la philosophie « pas de d’embrassades avant le mariage » déjà chère à Batman, Superman et une multitude d’autres héros du moment. Mais l’interprétation qu’on peut donner à la scène change radicalement quand Cap se ravise : « D‘un autre côté, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire ! ».

Et il embrasse avec fougue sa Golden Girl, après une cour qui durait depuis des années ! Captain America et Betsy ne sont donc pas seulement partenaires, ils sortent ensemble à partir de ce moment.

Reste à annoncer la nouvelle à Bucky. A l’hôpital Captain America explique au jeune garçon : « Betsy m’a aidé à tenir ma promesse d’arrêter Lavender ! C’est une chouette fille et elle ne révélera jamais notre secret ! ». Cap répète alors que Betsy n’est qu’une aide temporaire, jusqu’à ce que le garçon soit remis sur pied. Puis le héros adulte souligne alors que Bucky lui manque. Le garçon le rassure en plaisantant : « Ne t’en fais pas ! Je serais de retour plus tôt que tu le penses… Après tout, je ne veux pas que Betsy me pique mon job ! ». La jeune femme s’empresse de le rassurer : « Je ne pourrais jamais faire ça, Bucky, tu es merveilleux ! ». Et Captain America de conclure… « Aucun combattant du crime n’a eu deux partenaires comme vous ! ».

Que croyez-vous qu’il se passa ? En dehors d’un épisode publié en deuxième partie de Captain America Comics #66 (qui se déroule visiblement avant la blessure infligée au garçon), Bucky disparaît pour ainsi dire de la série, remplacé plus ou moins (dans certains épisodes Cap est en solo, visiblement pas handicapé par l’absence de sidekick) par Golden Girl. On ne verra régulièrement Bucky à côté de Captain America que dans les années 50 (date à laquelle, selon la continuité moderne de Marvel, Bucky n’est autre que Jack Monroe, le futur Nomad). En clair, malgré les propos rassurants de Cap et de Golden Girl, Captain America Comics #66 marque bien la fin de la carrière de Bucky dans les années 40…

Du point de vue de la continuité moderne, il est acquis que le Bucky ainsi blessé était le deuxième garçon a utiliser cette identité, le jeune Fred Davis. Actif entre 1945 et 1949 (en remplacement du premier Bucky) et partenaire de deux Captain America successifs (le Spirit of ’76 et Jeff Mace), il est sans doute, en dehors de Steve Rogers et de Bucky Barnes, le personnage qui aura connu la plus grande expérience au sein d’un tandem Cap/Bucky. En vieillissant, il est devenu membre du V-Battalion et même un des membres directeurs de l’organisation (on a pu le revoir dans une douzaine d’apparitions, notamment dans Thunderbolts). Il a été fait référence à sa blessure l’empêchant de poursuivre ses activités, ce qui valide que les événements de Captain America Comics #66 se sont bien produits, même si pour des raisons de continuité certains éléments sont à revoir.

Golden Girl, elle, a laissé considérablement moins de traces dans la continuité moderne. Et ceci pour diverses raisons : D’abord, en ramenant dans Avengers #4 un Captain America qui était supposé ne pas avoir combattu depuis 1945, Stan Lee tirait un trait sur les activités de Cap après la guerre. Dans les années 60, les épisodes de Cap post-1945 étaient supposés n’avoir pas existé. On ne risquait donc pas de mentionner une Golden Girl dont les activités masquées se déroulaient à partir de 1948. On aurait pu faire référence à la Betsy non-masquée d’avant 1945 mais Stan Lee et Jack Kirby avaient utilisé le nom d’Elizabeth Ross dans la série Hulk.

Pour éviter ce double emploi, Cap finit par faire référence à une femme qui l’avait aidée pendant la guerre, dont il ignorait le vrai nom. Cette femme fut finalement identifiée comme étant Peggy Carter, la sœur (puis, pour une question d’âge, la tante) de Sharon Carter, la dulcinée moderne de Steve Rogers. Dire que Betsy Ross et Peggy Carter sont une seule et même personne (qui aurait utilisé un nom de code) serait sans doute exagéré mais il est clair que Peggy récupéra la fonction scénaristique attribuée auparavant à Betsy. Et à la vue d’épisodes modernes de la série Captain America, il semble évident que le Cap des années 50 connaissait l’existence de Peggy.

Niveau supérieur de difficulté : Dans les années 70 Roy Thomas attribua divers noms de super-héros du Golden Age a des jeunes héros membres des « Kid Commandos », groupe apparaissant dans les pages de la série Invaders et étant activité en 1942. Et comme le nom Golden Girl ne servait à personne… Il décida que la fille de l’équipe, une asiatique nommée Gwenny Lou, aurait pour nom de code Golden Girl. Bon, une homonymie dans les comics, ça arrive. Ce n’est pas un problème en soi. Sauf qu’à partir de là, la Golden Girl originelle de 1948, se retrouve considérée comme étant la deuxième du nom dans certains index, par opposition à Gwenny Lou qui elle, chronologiquement, débute rétroactivement en 1942. L’originelle est vue comme étant une suiveuse, ce qui complique encore une fois son utilisation…

Pourtant les différentes encyclopédies de Marvel se sont employées à garder la trace de Betsy Ross/Golden Girl comme un personnage existant de manière indépendante de Peggy. Mais pendant un temps, en l’absence d’Internet ou de réimpressions, les traces de ce genre d’épisode venaient de fanzines qui eux-mêmes prenaient leurs informations d’autres fanzines. Un phénomène de bouche-à-oreille s’instaura dans les années 80 et de simple « partenaire » de Jeff Mace, le Handbook de Marvel finit par proclamer que Jeff et Betsy, après avoir fait équipe, s’étaient retirés au début des années 50 avant de se marier, bien que la chose n’ai jamais été étayée par des épisodes réellement parus. Il appartiendra à la mini-série Captain America : Patriot de faire la lumière là dessus. Et quand bien même… Cette évolution possible ne tient pas compte d’épisodes plus tardif de Captain America Comics (dans les années 50) où Betsy réapparaissait en journaliste rousse adorant Captain America mais… détestant Steve Rogers. Chose qui paraît difficile vue la révélation de 1948. La profession de journaliste passe encore. Cela pourrait passer comme un changement logique, né de son rapprochement avec le non-moins journaliste Jeff Mace. Mais la Betsy aperçue dans ces épisodes n’a pas du tout l’air d’être mariée où d’avoir un jour été partenaire d’un Captain America. Du point de vue de la continuité moderne on pourrait comprendre que Betsy méprise le Steve Rogers des années 50 (dans le sens où, forcément, elle serait bien placée pour comprendre qu’il s’agit d’un imposteur). Mais si elle comprenait qu’il ne s’agit pas du Steve original, il y a peu de chance qu’elle applaudisse aux exploits de ce nouveau Captain America.

Il n’en reste pas moins que dans l’état Betsy Ross/Golden Girl est la seule femme qui peut se targuer d’avoir collaboré avec les quatre premiers Captain America (et les trois premiers Bucky). C’est un personnage clé de la légende de Captain America, qu’on se réfère aux épisodes parus effectivement pendant le Golden Age ou à la continuité moderne. Pourtant le Marvel contemporain a été (très injustement) relativement muet à son sujet. Et la situation est encore plus floue quand on parle de sa période Golden Girl. Tout au plus on l’entrevoyait dans une scène de la première mini-série Citizen V (dans une scène où plusieurs héros du Golden Age discutent de la création du V-Battalion, mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’une erreur de dessinateur et que la femme représentée aurait du être l’autre Golden Girl, Gwenny Lou, dont on sait qu’elle a fait partie du Battalion). En fait la vraie réapparition de l’alter ego masqué de Betsy s’est faite dans une sorte de continuité parallèle, dans Marvel Adventures The Avengers. Traditionnellement destiné à un public plus jeune, la série colle paradoxalement plus à ce qui est effectivement paru vers la fin des années 40 en ce qui concerne Captain America. Et elle établit même que, dans cette version au moins, Betsy est restée Golden Girl jusqu’en 1954 : Dans le #37, écrit pas Paul Tobin, Golden Girl et quelques héros du Golden Age voyagent à travers le temps jusqu’au présent, désirant ramener Captain America (Steve Rogers, le seul Cap que Betsy ait apparemment connu dans cette continuité-là) dans son époque d’origine. Finalement le héros au bouclier déclinera l’offre, partant du principe qu’on ne peut pas passer sa vie à revivre le passé. Et la relation Captain America/Golden Girl est alors une nouvelle fois manifeste. Dommage que l’univers Marvel habituel n’ait pas sur reconnaître dans une même mesure l’existence (très importante, et peut-être encore plus avec le recul) de la jeune femme qui aura suivi Captain America entre 1941 et 1954…

[Xavier Fournier]

[1] Il est entendu que Batman et Robin rencontrèrent une première version de Batwoman et Batgirl dès les années 50 mais il s’agissait de chipies cherchant à parasiter dans un but amoureux les aventures des deux héros mâles. Elles n’étaient pas acceptées et ne collaboraient pas véritablement avec leurs homologues masculins, là où la deuxième Batgirl (Barbara Gordon), passé un moment de doute à ses débuts, sera autrement adoubée par Batman.

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