100 ANS DE JACK KIRBY En 1940, alors qu’il produisait les premiers épisodes de Captain America, Jack Kirby accepta un boulot de commande pour un éditeur concurrent. Il allait travailler sur les aventures du premier Captain Marvel pour un numéro produit en un temps record… mais qui a sans doute laissé une empreinte durable sur la mythologie du « King ».
En octobre 1940, Fawcett avait donc décidé de monter en puissance et de développer son pôle comics en recrutant comme responsable éditorial le scénariste France Herron. Actif depuis quelques années, il était d’abord passé par Fox Comics, où il avait croisé entre autres Joe Simon, Jack Kirby et d’autres auteurs. Ensemble, à travers des liens d’amitiés, ils formaient un collectif créatif informel. Quand l’un d’entre eux avait du boulot quelque part, il en faisait profiter les autres. Même chose quand il y avait un comic-book à livrer en urgence, tout ce beau monde remontait les manches, se dépannait. Ainsi, alors que Simon & Kirby avaient mis le pied chez Timely/Marvel, Herron venait de les aider à produire Captain America Comic #1. C’est lui, d’ailleurs, qui est le scénariste non-crédité de l’épisode qui voit apparaître le Red Skull (Crâne Rouge). Engagé par Fawcett pour produire dans l’urgence de nouveaux titres, Herron pratiqua donc la démarche réciproque. Il fit appel à Simon, Kirby et quelques autres acteurs du milieu. Le premier débouché immédiat fut la création de la revue Wow Comics, qui contenait les débuts du héros Mister Scarlet, scénarisé par Herron et dessiné par Kirby.
Mais l’urgence restait de capitaliser directement sur le succès de Captain Marvel. A l’automne, un autre facteur vint s’ajouter aussi bien à la rancœur entre DC et Fawcett qu’à la précipitation de l’éditeur. Désirant surfer lui aussi sur le succès des super-héros, le studio Republic Pictures avait tenté de négocier les droits de Superman pour l’adapter en serial, ce qui aurait été sa première apparition à l’écran. Mais les négociations avaient capoté. Republic s’était donc tourné vers le second choix, celui qui ressemblait le plus à Superman tout en n’appartenant pas à DC. Vous aurez compris qu’il s’agissait du surhomme de Fawcett. Il y avait cependant un problème de taille. Tout comme Superman avait d’abord fait ses débuts dans une anthologie, Captain Marvel était apparu dans un titre chorale, Whiz Comics. Mais il n’y avait pas, à proprement parler, de magazine portant le nom du héros. Le tournage du serial allait commencer fin décembre 1940 et sortir au cinéma début 1941. Il fallait donc remédier à la situation d’ici là, en l’espace de quelques semaines. La nouvelle revue sortirait le 17 janvier 1941 et devrait être conçue en un temps record.
A ce moment-là, Captain America Comics #1 était parti chez l’imprimeur mais ne paraitrait pas avant quelques semaines. Simon et Kirby commençaient à travailler sur le deuxième numéro des aventures du héros étoilé mais acceptèrent de se charger de Captain Marvel Adventures #1 pour le finir dans les temps tout en se pliant aux exigences des propriétaires de Fawcett. Il existe plusieurs variantes de cette histoire. Selon les uns, Kirby aurait changé son style habituel pour que les dirigeants de Marvel ne s’aperçoivent pas qu’il travaillait aussi pour la concurrence. Ce qui semble fantaisiste à ce point. Ne pas vouloir être reconnus ? C’est un fait : Il y avait vraisemblablement un arrangement entre Simon, Kirby et Martin Goodman, le propriétaire de Marvel, afin qu’ils n’acceptent plus de nouveaux travaux en plus. Ce qui fait que Simon et Kirby continuaient de signer leurs épisodes de Blue Bolt (une revue non publiée par Marvel mais sur laquelle ils travaillaient déjà) mais s’abstenaient de le faire sur la majeure partie de leurs nouvelles commandes hors-Marvel. Si bien que les planches produites pour Wow Comics #1 et ailleurs n’étaient pas signées. Mais modifier leur style ? On a des raisons de douter d’une telle volonté.
En 1940, Kirby était à peine actif depuis trois ans, dans une industrie qui, à ce moment-là, n’avait pas forcément le recul et l’expérience pour reconnaître quel style appartenait à qui. Rappelez-vous des années de lecture assidue qu’il vous a fallu avant de différencier les uns et les autres, avant de reconnaître qui dessinait quoi, et vous comprendrez ce que je veux dire. De plus, si Kirby avait voulu masquer son style, il l’aurait fait dès Wow Comics #1 et ses planches de Mister Scarlet, ce qui n’avait pas été le cas. L’autre explication parait plus fiable : Les décideurs de Fawcett Comics préféraient tout simplement que le style de Captain Marvel Adventures se rapproche de celui des épisodes publiés dans Whiz Comics, au point de demander à Kirby de dessiner seulement les pupilles de Billy Batson (façon Hergé, donc). D’ailleurs, déjà pour la couverture de Wow Comics #1, Fawcett avait préféré demander une couverture de Mister Scarlet à C.C. Beck, son dessinateur vedette, plutôt qu’à Kirby qui dessinait les pages intérieures.
Dans Daring Mystery Comics #6 (septembre 1940), Simon et Kirby avaient créé un jeune héros mythique aussi éphémère que Mercury : Marvel Boy devait sa force au fait qu’il était la réincarnation du dieu Hercule. Vu que Captain Marvel devait sa force au même dieu Hercule, la filiation est évidente… Au point que plusieurs érudits émettent l’hypothèse que Fawcett n’aurait pas manqué de menacer Marvel Comics d’un procès (menace dont on n’a pas de trace). Enfin, dans le Captain America Comics #1 qu’ils venaient de mettre en boite, Simon et Kirby avaient reformulé Mercury en… Hurricane, « fils de Thor et dernier des dieux grecs », à son tour pourvu du short bleu du Thor de Fox et de Mercury. En moins d’une dizaine de mois, ils avaient multipliés les héros divins et on peut se demander si en produisant leur Marvel Boy ils n’avaient pas involontairement montré à Fawcett qu’ils pouvaient se rapprocher de Captain Marvel. On verra un peu plus loin que cette « généalogie » des fils de Thor ou d’Hercule n’est pas sans rapport avec l’histoire qui nous intéresse ici.
Reste la question de savoir qui a fait quoi dans Captain Marvel Adventures #1. Et là l’affaire se complique. Car si, pour le coup, même le style d’un Jack Kirby tentant plus ou moins de se rapprocher d’un C.C. Beck reste aisément reconnaissable pour ceux qui l’ont pratiqué depuis de longues années, l’identité du scénariste reste une autre paire de manches. Dans toutes les réimpressions modernes, DC Comics (qui a depuis récupéré les droits de Captain Marvel/Shazam) s’en tient au fait que le script est de Joe Simon. Et l’on sait, effectivement, que Simon a été partie prenante dans la production de ce numéro. Lui-même l’a évoqué plusieurs fois dans ses mémoires ou des interviews. Par ailleurs Simon était un visiblement un grand fan des aventures de Flash Gordon. Comme on le verra le principe de l’histoire qui nous intéresse est d’envoyer Captain Marvel sur une autre planète pour y affronter des hommes reptiles, alors que Gordon affrontait lui, à l’occasion, des Lezard Men semble encourager cette théorie. Et vous nous direz que si même DC officialise la chose, la question de l’identité du scénariste n’a plus de raison d’être. Si ce n’est que Simon lui-même a formellement témoigné ne pas être l’auteur. On l’évoquait plus tôt, la concurrence entre Superman et Captain Marvel déboucha, des années plus tard, sur une terrible procédure lors de laquelle DC était bien décidé à établir que le héros de Fawcett était une copie du sien.
En 1948, Joe Simon fut donc appelé à témoigner précisément sur la fabrication de ce numéro. Il expliqua que le scénario leur était fourni par Fawcett précisément parce que l’éditeur ne voulait pas trop s’éloigner d’une recette proche de Superman. Simon et Kirby, qui avaient tenté d’expliquer à leur client qu’ils seraient plus rapides s’ils modifiaient les scripts à leur idée, se virent opposer une fin de non-recevoir de la part de Bill Parker, celui qui était généralement le scénariste de Captain Marvel dans Whiz (Captain Marvel Adventures #1 marque d’ailleurs la première occasion où le héros n’est pas écrit par Parker. On comprendra donc que Parker validait les histoires pour s’assurer qu’elles ne le contredisaient pas). Au grand regret de Simon & Kirby, la méthode de Fawcett exigeait qu’on leur fournisse les crayonnés, sur lesquels l’éditeur faisait lettrer les dialogues avant de rendre les pages pour qu’elles soient encrées par Dick Briefer. Que faisait Simon s’il n’était pas impliqué dans les scénarios ? Il ne semble pas intervenir dans les dessins (son style en tout cas n’est pas si évident que dans les cas où Kirby et lui ont pu co-dessiner des pages). Il est probable qu’il soit intervenu dans le découpage, dans des choix de narration et aussi pour crayonner certains éléments de décor.
En 1940, Wellman est déjà un vétéran : il a fait ses débuts à la fin des années 30 au sein de l’atelier d’Harry A. Chesler, le premier packageur de comics de l’Histoire. En clair, Chesler fournissait du contenu clé en main, souvent des revues entières, pour divers éditeurs qui n’avaient pas leurs propres créateurs. Chez Chesler, Wellman a fait la connaissance d’Herron et les deux hommes sont devenus bons amis. Tout n’était pas toujours signé et du coup on ignore exactement quels furent les premiers scénarios publiés de Wellman. On le voit en tout cas, via le Studio Chesler, dès 1939 chez MLJ Comics, participant quelques temps à la revue Pep Comics. Wellman est d’ailleurs assez impliqué chez Chesler pour devenir, à un moment, managing editor au sein du studio… Avant d’arriver chez Fawcett en mars 1940, à travers la série Slam-Bang Comics.
Le nom Shazam était un acronyme formé par les premières lettres des six personnages mythiques prêtant leur puissance à Captain Marvel. Il est donc particulièrement ironique que Wellman signifie sa présence par une figure voisine, l’acrostiche (d’autant que dans bien des épisodes du héros, le mot Shazam est présenté visuellement comme un acrostiche, avec la superposition des six noms des « sponsors »). Wellman n’a pas « signé » partout mais les diverses histoires de Captain Marvel Adventures #1 dessinées par Kirby font dans l’ensemble écho à la production littéraire du romancier. Par exemple dans un des récits, Captain Marvel combat un vampire qui fait un peu penser à une version édulcorée d’un personnage utilisé par le romancier dans une de ses nouvelles. Pour ce qui est de cette aventure sur Saturne, elle est produite alors que Wellman était lancé dans l’écriture de Sojarr of Titan, un texte finalement paru en mars 1941 dans Startling Stories. Sojarr était un être supérieurement fort, échoué sur Titan… l’une des lunes de la planète Saturne, où les humains sont pourchassés et réduits en esclavages par des êtres monstrueux, les « Truags »… Nous allons voir que ce récit, sans être strictement identique, a de nombreux points de concordance avec l’une des aventures du bon Captain Marvel dans ce numéro produit à toute vitesse.
Du point de vue du parcours de Jack Kirby, il se passe quelque chose d’important dans cette scène. On l’a vu, l’artiste n’était pas maître du récit. Mais il va cependant en retirer certaines choses : C’est la première fois de sa carrière que Kirby dessine un héros capable de se transformer à volonté, d’alterner entre deux états, humain et surhomme. Auparavant, la scène qui ressemblait le plus à cela dans sa courte carrière était l’origine de Captain America, qu’il avait donc illustré quelques semaines auparavant et dans laquelle Steve Rogers passait du rang de maigrichon à celui d’athlète de haut niveau. Mais c’était une transformation sans billet de retour. Rogers prenait la musculature de Captain America en théorie pour toujours, sans mot magique pour faire marche arrière.
En dessinant cette « métamorphose binaire » qui faisait de Billy le Captain Marvel (et inversement dans d’autres scènes), Kirby mettait le doigt sur un mécanisme qu’il réutiliserait à volonté dans les décennies suivantes, qu’il s’agisse de The Fly chez Archie Comics, du futur Thor de Marvel (à partir de 1962), Ben Boxer dans les aventures de Kamandi ou, de façon encore plus évidente, d’OMAC chez DC (pour ne citer que quelques exemples). Il est bien évident que le frèle Docteur Don Blake se transforme en être divin via une scène qui implique le plus souvent un éclair et un coup de tonnerre. Par ailleurs Blake est boiteux, tout comme l’était Freddy Freeman, l’alter-ego de Captain Marvel Junior, autre détenteur du pouvoir de Shazam chez Fawcett. On pourrait dire que le Thor de Marvel, co-créé par Kirby, est l’héritier du côté mythique de Captain Marvel.
Inversement, OMAC s’inspire de tout le reste hormis la mythologie. OMAC est lancé par Kirby en 1974 comme un homologue de Captain Marvel mais passé cette fois à la moulinette de la science-fiction. D’abord, comme Shazam, OMAC est également un acronyme (One Man Army Corp). Sa facette humaine a pour nom Buddy Blank, qui reprend donc le même genre d’allitération que Billy Batson. Bien que Buddy soit un peu plus vieux que Billy, il existe une ressemblance physique entre eux. Par contre, au lieu de croiser un vieux sorcier façon Père Fouras qui lui donnerait une puissance magique, Buddy est transformé en OMAC par un avatar de la science (fiction), le satellite Brother Eye. Une fois transfiguré, le surhomme se distingue par une sorte de crète de cheveux. Mais si l’on fait abstraction de celle-ci, physiquement OMAC ressemble au Captain Marvel de Fawcett. Il ne s’agit pas dire que parce qu’il a dessiné cette transformation de Billy Batson en Marvel en 1940 il a été poussé à faire le reste. La figure de Captain Marvel était assez connue pour s’ériger en modèle, même sans cela. Mais cette scène reste bel et bien une première pour Kirby.
Reste enfin une dernière question que pourraient se poser certains lecteurs : au lieu de s’enquiquiner avec un vaisseau spatial, pourquoi est-ce que Captain Marvel ne s’envole pas directement dans le ciel ? Pour la bonne raison qu’il ne le peut pas. Pas à l’époque en tout cas. En bon imitateur de Superman, ce cher Captain avait démarré avec les mêmes limitations. Dans les premiers temps de son existence, le surhomme de DC ne pouvait pas voler à proprement parler. Il ne faisait que « bondir » entre les gratte-ciels. Et Captain Marvel en faisait donc de même, en tout cas au début. Les deux héros ne se découvriraient le pouvoir de voler qu’un peu plus tard. Notons d’ailleurs qu’ironiquement Captain Marvel vola le premier et que c’est Superman qui, pour le coup, l’a imité. En 1940/1941 l’alter-ego de Billy Batson était donc alors incapable de quitter l’atmosphère terrestre sans un véhicule pour l’y aider.
Captain Marvel embarque dans le vaisseau (en fait une sorte de grande torpille) et approche bientôt de Saturne. Mais les Dragon Men qui règnent sur la planète ne sont pas dénués de technologie eux non plus. Avec leurs télescopes ils repèrent le vaisseau qui approchent et utilise les rayons X pour savoir ce qu’il contient. Les Dragon Men explosent de colère quand ils remarquent Captain Marvel « Un misérable parvenu humain pilote cet engin ! Détruisez-le avec le rayon de la mort ! ». Un coup de ce rayon suffit à désintégrer entièrement le vaisseau. « Wow ! Ils ont dû deviner ce que j’ai envie de leur faire subir ! » s’exclame le Terrien. Heureusement Captain Marvel est indestructible. Il n’est même pas égratigné. Mais, nous l’avons dit, dans cette version le héros ne sait pas encore voler. Il se retrouve donc en plein ciel, pris dans une chute vertigineuse. C’est là que la cape blanche de l’aventurier prouve qu’elle n’est pas qu’un élément décoratif. S’agrippant à l’étoffe, Marvel s’en sert comme d’un parachute qui ralentit sa descente.
Ce que les tyrans appellent « le donjon », ce sont en fait des oubliettes creusées sous le sol, où Billy est jeté sans ménagement. Il y rejoint les esclaves humains, en particulier un vieil homme à la longue barbe blanche et une jolie jeune femme brune. Billy leur explique qu’il a fait exprès d’être capturé, afin de savoir où ils se trouvaient. Puis il commence à poser des questions. Réalisant que le nouveau venu n’est au courant de rien (mais ne réalisant pas encore que Billy ne soit pas originaire de Saturne), le vieil homme se présente comme Hargo, le dernier scientifique survivant de sa race. Son peuple a été conquis par les Dragon Men, qui viennent d’un monde « au-delà des étoiles ».
Hargo révèle alors une radio qu’il a fabriqué en secret et cachée sous du foin (ou quelque chose qui y ressemble sur Saturne), avec laquelle il s’est efforcé de prévenir d’autres planètes de ce qui se passe ici. Billy peut alors le rassurer : « Ton message a atteint son but ! Je l’ai reçu a des millions de kilomètres et j’ai volé jusqu’ici ! ». On ne peut pas dire que Hargo saute de joie en apprenant cela. « Hélas, tu n’es qu’un enfant alors que j’aurais espéré un grand champion… ».
Il n’en faut pas plus pour que Billy s’exclame son mot magique, « Shazam ! ». Il laisse alors la place à son alter-ego. Les quelques esclaves se réunissent, surpris, autour de Captain Marvel. Et Hargo semble le reconnaître : « Bel étranger, es-tu le Dieu du Tonnerre ? ». Le super-héros se présente explique que, non, il n’est pas le « Thunder God ». Cette mention d’un Dieu du Tonnerre a de quoi, à postériori, faire tiquer les afficionados modernes d’une autre divinité, puisqu’aujourd’hui, dans les comics, l’expression fait plus facilement penser au Thor de Marvel, que Jack Kirby a cocréé par la suite. Bien sûr, ici l’expression peut être prise dans un sens générique. D’autant que quand il se transforme, passant de l’état de Billy Batson à celui de Captain Marvel (ou inversement), il y a un grand éclair, suivi d’un coup de tonnerre. Qui plus est l’une des sept divinités/personnalités combinées dans le pouvoir de Shazam n’est autre que Zeus, le patriarche du panthéon grec, connu pour sa maîtrise de l’orage. On comprend donc comment et pourquoi les humains de Saturne peuvent se demander si Captain Marvel n’est pas le dieu de leurs traditions, une sorte de prophétie qui se réaliserait : « Il y a eu une légende qu’un dieu du tonnerre viendrait nous sauver avant que nous mourrions par la faute du travail et de la cruauté ». Mais le héros rouge ne va pas se reconnaître dans cette description et, mieux, les Saturniens eux-mêmes vont continuer de parler du Thunder God comme un personnage distinct.
Mais parmi les esclaves se cache Ghoppo, un collaborateur de l’occupant. L’humain se dépêche d’aller trouver les Dragon Men et de leur raconter qu’un solide gaillard est en train de fomenter une rébellion. Sans perdre de temps les reptiles se ruent donc jusqu’aux oubliettes. Ils en ouvrent l’entrée en ordonnant aux prisonniers de leur livrer l’étranger, les menaçant, dans le cas contraire, de les exterminer à coup de rayons calorifiques. Les Saturniens proposent plutôt à Captain Marvel de le cacher dans une grotte. Mais le héros ne veut pas fuir. Au contraire, il est pressé d’aller au contact de ces envahisseurs : « Je ne manquerais cette petite fête pour rien au monde ! ». Quand ils le voient arriver puis sauter au dehors, les Dragon Men déclenchent les rayons de chaleur mentionnés plus tôt. Mais Marvel est indestructible. Bien qu’il se retrouve immédiatement encerclé par des flammes, cela ne lui fait ni chaud ni froid. Au contraire, il ironise « Il fait un peu chaud pour cette période de l’année, non ? ». Puis il leur arrache leurs armes (qui ressemblent à des fusils) et les tord entre ses mains. Enfin, il procède à une nouvelle distribution de baffes et les soldats dragons se retrouvent encore à joncher le sol. Mais il reste une arme que Captain Marvel n’a pas vu. C’est un rayon paralysant utilisé par l’un des officiers. Si l’on ne peut pas détruire le héros, on peut au moins l’immobiliser, le réduisant au rang de véritable statue.
On construit donc une sorte de coquille en super-béton qui recouvre le corps du prisonnier, ne laissant dépasser que sa tête (ce qui sera plus pratique pour le faire parler). Pendant ce temps, on renvoie les esclaves humains au travail et on en profite pour récompenser le traitre Ghoppo, en lui donnant comme compagne la belle brune aperçue plus tôt. Ce n’est pas, bien entendu, du goût de cette dernière : « Je préférerais mourir plutôt qu’épouser Ghoppo ! ». Captain Marvel n’est plus paralysé. Il a donc repris connaissance mais reste prisonnier de la gangue de super-béton. Le roi des Dragon Men a donc tout le loisir de l’interroger. Curieux, il demande à Marvel si tous les hommes de la Terre sont aussi forts que lui. Là, si Marvel avait un peu de jugeote, il lui répondrait que oui, ce qui serait une manière de s’assurer que les Dragon Men ne vont pas attaquer notre monde. Mais soit la fameuse sagesse de Salomon est en panne, soit Captain Marvel est trop noble pour mentir, même quand ce serait nécessaire. Il préfère répondre franchement qu’il est l’être le plus fort sur sa planète d’origine. Il n’en faut pas plus pour que le roi décrète qu’il lui sera donc facile de conquérir la Terre.
Si Captain Marvel n’a pas utilisé la ruse pour effrayer le grand reptile, c’est qu’il est convaincu qu’il sera bientôt libre et qu’il aura arrêté les Dragon Men avant qu’ils aient l’occasion de menacer la Terre. C’est d’ailleurs ce qu’il explique au roi… qui se moque de ce qu’il prend pour de la simple vantardise. Là, l’épisode décroche assez curieusement, comme si le dessin et les dialogues n’allaient pas ensemble, à moins que la planche ait été remontée/corrigée après qu’elle ait livrée par Simon & Kirby. Sans qu’on prenne la peine de sous-entendre une ellipse de temps ou sans expliquer que les Dragon Men ont quitté la pièce, Captain Marvel se dit à voix haute que puisqu’il aide souvent Billy Batson, pour une fois c’est au tour de l’enfant de lui venir en aide. On comprendra très vite que la scène ne fonctionne que si les reptiles ne sont plus là. Il crie « Shazam » et le corps du surhomme est remplacé par celui d’un enfant… qui n’a pas de difficulté à se libéré de la gangue de béton en passant par le trou laissé pour que la tête de Marvel dépasse. Billy étant plus frêle, cela ne lui pose aucun problème. L’enfant retourne jusqu’aux oubliettes, où il veut prendre des nouvelles des esclaves humains. Mais en passant la tête par l’entrée, il y aperçoit Ghoppo qui tente de soumettre la femme brune à sa volonté. Ô, pas pour quelque chose de graveleux… Nous sommes dans un comic-book surtout destiné aux enfants. Non, Ghoppo insiste pour rappeler à la femme qu’il est le maître de la maison.
Voyant une damoiselle en détresse, Billy crie à nouveau « Shazam », redevenant un colosse qui n’a aucun mal à mettre fin immédiatement à la dispute. Il saute à la gorge de Ghoppo, qui supplie qu’on l’épargne. Mais l’humaine qu’il voulait avoir comme femme se dépêche d’expliquer au héros terrien que l’avorton qu’il tient est bien le traitre qui l’a dénoncé aux Dragon Men. Apprenant la chose, Captain Marvel a une réaction inattendue. Il relâche Ghoppo et le défi d’aller dire à ses maîtres que leur ennemi est désormais libre. La femme est passablement surprise, demande à Captain Marvel ce qui lui a pris de laisser l’autre fuir, alors qu’il va sans doute le dénoncer à nouveau. Pas impressionné, le terrien répond que les dénonciations de Ghoppo finiront par provoquer sa perte. En attendant, il demande à la femme d’aller prévenir les humains que leur libération est proche. Dans la salle du trône des Dragon Men, Ghoppo est déjà en train de révéler que Captain Marvel est libre. Mais le héros comptait justement là-dessus. Entretemps il a foncé dans la pièce où est entreposée la gangue de béton, s’est à nouveau transformé en Billy afin de pouvoir se glisser à l’intérieur puis a crié encore « Shazam ! ». Ce qui fait que lorsque les Dragon Men déboulent dans la pièce pour voir si Ghoppo dit vrai, ils trouvent… Captain Marvel toujours prisonnier dans le béton, sans la moindre indication qu’il en est sorti puis revenu. Furieux, croyant que Ghoppo s’est moqué de lui, le roi lézard tu l’humain d’un coup de rayon-laser. On note au passage le côté plutôt machiavélique de Captain Marvel, qui là aussi ne semble pas tiquer en provoquant la mort de Ghoppo. Ce qui est paradoxal si l’on se souvient que, plus tôt, lors de l’interrogatoire, le super-héros semblait ne pas vouloir mentir. Le Captain Marvel écrit par Wellman est décidément moins naïf et innocent que l’image classique que l’on se fait du personnage à cette époque.
En fait, le but de la ruse de Captain Marvel est de faire qu’il ne reste plus que de rares Dragon Men (ceux qui ne sont pas des soldats) à l’extérieur. Il peut donc foncer vers l’endroit où sont retenus les esclaves et les libérer en n’ayant que quelques gardes à assommer. Puis il s’adresse aux humains « Je vous avais promis la Liberté, elle sera à vous ! ». Guidant hommes et femmes vers l’arsenal des Dragon Men, qui n’est pas mieux gardé, Captain Marvel arme donc cette petite armée et la guide vers le palais. A l’intérieur, les effets du rayon paralysant s’estompent et le roi reprend ses esprits, quand les soldats lui apprennent que les esclaves se sont rebellés et se dirigent vers eux. Le roi, dans un premier temps, n’est pas impressionné. Les murs du palais sont épais, imprenables. Il suffit de se poster aux fenêtres et de tirer d’en haut sur les humains. C’est sans compter avec la force et l’endurance de Captain Marvel, qui a vite fait de percer un trou dans le mur afin que les humains entrent dans le palais. A ce moment-là, le roi décide de se débarrasser du surhomme une bonne fois pour toute en lui balançant une énorme bombe. Mais une nouvelle fois c’est sans compter avec la rapidité du héros, qui a le temps de faire un « retour à l’envoyeur ». Le roi meurt dans l’explosion (une nouvelle fois ce Cap ne se pose pas de question sur le fait de tuer ou de ne pas tuer, dès lors que sa responsabilité n’est pas directement engagée) et le reste des Dragon Men, sans dirigeants, finissent par se rendre.
Au final, on peut se demander si toute l’histoire n’est pas une parabole de ce qui se passe à l’époque sur Terre. Si elle avait été écrite par Joe Simon et Jack Kirby dans leurs conditions habituelles de travail, on serait tenté de dire oui. Que le duo qui venait de créer Captain America raconte une autre histoire dans laquelle un héros voyage « ailleurs », dans un endroit où un peuple est asservi et exterminé par un occupant qui se prépare à attaquer le point d’origine du héros… Il serait difficile de ne pas lier les deux choses. Mais on l’a mentionné plus tôt, l’histoire n’a pas été écrite par eux. Elle leur a été dictée par la direction de Fawcett, à partir du script de Wellman. Les idées de ce dernier sur ce qui se passait à l’époque en Europe sont moins connues. Difficile de savoir si les parallèles avec la situation réelle sont fortuits ou si Wellman s’est simplement contenté de puiser dans l’archétype des conquérants de l’espace. Si vraiment Wellman voulait parler du nazisme (mais cela reste à établir), alors on mesurerait – avec les créateurs impliqués et le fait que Captain America Comics #1 paraîtra à peu près à la même époque, mais en parlant des choses de manière beaucoup plus directe – à quel point, selon les maisons d’éditions de l’époque n’étaient pas égales devant ce genre d’allusion. Certaines, comme Fawcett, préférait rester dans le flou.
[Xavier Fournier]
Ce 384ème Oldies But Goodies, le troisième publié cette semaine dans le cadre du centenaire de la naissance de Jack Kirby, est aussi le dernier de ce court cycle « kyrbiesque », pensé pour vous proposer une chronique sur un épisode de DC, de Marvel et enfin ce Captain Marvel d’un troisième éditeur (quand bien même Captain Marvel fut racheté ensuite par DC). Et de la même à chaque fois évoquer une décennie différente.
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