Et à partir du moment où Holyoke capitalisait sur le modèle de Superman, il n’est pas étonnant que, quelques mois plus tard, la même revue accueille les débuts d’un certain Catman, de son vrai nom David Merrywether. « Catman » n’était déjà plus en soi un nom exceptionnel. Quelques temps plus tôt Tarpe Mills avait elle aussi lancé les éphémères aventures d’un Catman (un as du déguisement qui assassinait ses victimes à l’aide d’un chat aux griffes empoisonnées). Mais il parait fort probable qu’Holyoke ne s’intéressait pas du tout à la création de Tarpe Mills.
Le nouveau Catman ressemblait à un empilement d’archétypes empruntés à d’autres personnages populaire. L’homonymie avec la création de Mills semble être totalement accidentelle, les deux héros n’ayant absolument aucun point commun… Bien en prendra d’ailleurs à Holyoke car si le Catman de Tarpe Mills peut se targuer d’être « l’original », il n’a duré que deux épisodes là où celui qui nous intéresse présentement deviendra rapidement le Catman le plus célèbre du Golden Age, détenteur, à terme, de sa propre série tout en devenant lui-même le modèle d’un certain nombre de concepts. Pourtant, on n’aurait pas forcément parié sur les chances du nouveau héros en découvrant ses origines pour le moins tarabiscotées…
Bientôt une tigresse affamée arrive sur les lieux. Elle est attirée par les pleurs du bébé survivant qui, entretemps, s’est réveillé et a faim. On pourrait s’attendre à ce que la tigresse affamée ne fasse qu’une bouchée du bébé mais ce qui est identifié comme « l’instinct maternel » prend le dessus. Elle coince la couche du bébé dans sa gueule et le soulève, l’emportant comme s’il s’agissait d’un de ses propres petits. On est clairement dans le registre de l’origine de Tarzan, si ce n’est qu’ici les tigres remplacent les singes. Peut-être aussi une pincée du Livre de la Jungle.
D’un coup, la narration s’accélère. L’histoire est courte et les auteurs n’ont sans doute pas toute la place qu’ils voudraient. Aussi la case suivante est occupée par tout un pavé de texte qui raconte, sans la montrer, l’enfance du héros.
Autre chose étrange : David Merrywether est un « enfant sauvage ». Il a perdu sa famille alors qu’il était encore un bébé qui ne savait même pas parler. Et il a été élevé jusqu’à l’âge adulte par une tigresse. En théorie, en retrouvant l’humanité, il devrait avoir d’énormes lacunes culturelles et/ou cognitives. Il faudrait lui apprendre l’anglais, le forcer à porter des vêtements (et probablement à se tenir sur ses deux jambes). Merrywether devrait avoir un retard énorme, de quoi le condamner exclusivement à une existence simple, probablement en institution. Au contraire, David Merrywether retourne aux USA et y mène une existence de rentier (il est probable qu’il a hérité d’une fortune familiale). Mais surtout le narrateur explique : « Les maux de ce monde agressent son sens de la droiture. Aussi il décide de consacrer sa vie à combattre le Mal. Le temps passe et, en raison de ses exploits merveilleux il devient connu sous le nom de… Catman !« . Il faut croire que Tigerman n’était pas assez logique pour David. Mais ne soyons pas dupes, comme dit plus tôt, il s’agissait sans doute de se rapprocher du nom de Batman… Et quel « sens de la droiture » aurait un être élevé par des tigres ?
Mais surtout comment sait-il qu’il doit précisément traquer la bande de Jackson puisque rien, dans les déclarations des acteurs de la radio, n’établit un lien avec ce gangster ? Enfin, la narration laisse entendre que Catman « sent » (non pas de manière olfactive mais bien à travers une sorte de sixième sens) les déplacements des gangsters. Sans doute encore un improbable pouvoir surnaturel transmis par la tigresse…
Catman fait donc irruption dans le repaire de Bull Jackson, passant à travers une fenêtre. Certains des hommes le reconnaissent tandis que leur patron lance un « tirez-lui encore dessus, les gars !« , ce qui souligne que ce n’est pas le premier combat entre cette bande et Catman. Mais visiblement ce n’est pas la bonne méthode pour en découdre avec le héros puisqu’il est assez agile pour éviter les balles. Il se moque d’ailleurs des gangsters en leur disant qu’ils utilisent sans doute des « revolvers lents ». Une balle, néanmoins, frappe l’ampoule qui éclaire la pièce. Les lieux sont instantanément plongés dans l’obscurité. Mais cet environnement avantage Catman, qui utilise alors ses yeux si particuliers, qui émettent des rayons semblables à des lampes-torches, qui terrorise le gang. Catman, qui ne sait visiblement pas utiliser un escalier conventionnel, saute à nouveau à l’extérieur de la pièce, emportant Stella Richards sous un de ses bras : « N’ayez pas peur ! Je vous protégerais !« .
Catman saute donc… et atterrit sur le toit d’un immeuble proche, faisant preuve de son agilité surhumaine. Stella peut alors lui expliquer : « Il voulait que je passe des signaux à ses hommes chaque soir, pendant mon émission, ce qui leur aurait facilité la tache pour organiser des hold-ups !« . Mais avant que le héros et la comédienne puissent vraiment s’éloigner, un des hommes de Jackson les repère et, d’une position en hauteur, pousse une vieille cheminée branlante : « Voilà ! Ils sont sont juste en dessous ! Je ne peux pas les manquer !« . Puis l’homme annonce à Bull Jackson qu’il les a coincé. Le caïd est satisfait : « Bon travail ! Emmenez-les à notre prison !« . Le gang de Jackson a donc sa propre prison ? C’est plutôt une sorte de donjon dans lequel Catman et Stella reviennent à eux, après avoir été assommés par les briques. Mais un simple donjon ne peut retenir Catman, qui utilise ses aptitudes « animalières » pour escalader les murs tout en transportant la jeune femme. Ensemble, ils arrivent alors à passer par une lucarne située en hauteur. Leur fuite peut alors reprendre. S’élançant à nouveau sur les toits, Catman explique à Stella qu’il va la déposer au pénitencier, où on saura la protéger jusqu’à ce qu’il coffre Jackson. La comédienne, elle, n’a d’yeux que pour les prouesses du héros : « Je ne savais pas qu’un être humain pouvait faire des bonds aussi énormes que les vôtres !« .
Au même moment, Stella a un pressentiment. Elle sent que quelque chose est arrivé à Catman et tente de convaincre le directeur de la prison d’organiser des recherches. Mais l’homme ne bouge pas, par excès de confiance envers le héros : « Il vous a laissé sous ma protection et je vais vous garder ici jusqu’à ce qu’il vienne vous récupérer. Il s’en sortira très bien !« . Mais l’instant d’après, Jackson arrive et s’en prend au directeur : « Nous allons tous vous tuer, tout comme j’ai tué Catman !« . Stella est horrifiée : « Catman… Mort ?« .
Catman revient à lui en s’écriant : « C’était un sommeil qui n’est pas de ce monde ! Je dois rejoindre Stella ! Je sens qu’elle est en danger !« . A nouveau on insinue que le héros a une sorte de don prémonitoire. Il se précipite à la prison et « atteint le bureau du directeur au beau milieu du M…. ». Le quoi ? Le « M ? ». L’encart de texte se termine sur cette simple lettre plutôt que sur un mot. Puisque la scène montre Bull Jackson en train d’étrangler le directeur de la prison, il y a de bonnes chances que ce M était la première lettre du mot « Murder » (« Meurtre ») mais que pour une raison ou pour une autre on n’a pas fini de lettrer l’encart. Peut-être l’éditeur ne voulait-il pas officialiser qu’un gangster était montré en train d’assassiner un représentant des forces de l’ordre et qu’une retouche maladroite est venue retirer le terme de meurtre. Jackson est cependant penché sur sa victime quand il voit Catman arriver : « Bon sang ! Je pensais que je venais de te tuer ! Qu’est-ce tu essaies de faire ? Tu veux me hanter ?« . Cette fois Jackson n’est pas le plus rapide. Catman s’empare de lui et le soulève : « Je vais te montrer quelques techniques de combat que j’ai appris dans la jungle !« . Il pousse Jackson et le reste du gang au fond d’une cellule qu’il referme. Jackson se lamente : « Je serais condamné à perpétuité pour les crimes dont ils vont m’accuser ! Bull Jackson piégé par un homme mort ! C’est un comble !« . En fait la phrase montre les signes d’une autre ironie. Quand il parle de « piégé« , Bull Jackson utilise le terme « licked« , mot que nous avons déjà vu dans cette chronique et qui, au sens littéral, veut dire « léché » (tandis qu’au figuré il véhicule bien l’idée d’être battu ou capturé). Il semble probable que la phrase initiale devait être « Bull Jackson léché par un Catman ! C’est un comble ! » et qu’on a changé le dialogue (la bulle de texte porte des marques évidentes de retouche à cet endroit).
Plus tard, Catman et Stella sont dans le bureau du directeur de la prison. Sauf que, comme par un coup de baguette magique, il n’est plus du tout le directeur de la prison mais le commissaire de police. Pourtant le dialogue va vite nous montrer qu’il s’agit d’un seul et même personnage. L’homme se demande comment les gangsters ont su que Miss Richards se trouvait ici. Et Catman explique alors qu’il a lui-même planté un indice « qu’elle se trouvait là avec vous car j’étais convaincu qu’ils tenteraient d’envahir la prison ! Maintenant vous les tenez tous !« . Le directeur/commissaire le remercie alors : « Vous avez été d’une grande aide ! J’aimerais avoir un homme comme vous dans les effectifs de police !« . Modestement, Catman répond « Merci, monsieur le commissaire, mais je préfère agir en solitaire !« . L’épisode s’achève ainsi, en promettant que Catman reviendra dans chaque nouveau numéro de Crash Comics. En fait, sa renommée dépassera bientôt les limites de cette anthologie et Holyoke lui consacrera bien vite une série à son nom, Catman Comics.
Par contre, sa jeune auxiliaire Kitten serait membre d’une sorte de mini version des Young Allies (les Little Leaders), dans laquelle elle serait la co-équipière de Mickey (pas la souris du même nom mais le sidekick d’un autre héros d’Holyoke, le Deacon). Il ne fait pas l’ombre d’un doute que David Merrywether serait une influence majeure derrière la création bien plus tardive d’un autre Catman, adversaire, lui, de Batman (et connu, à l’ère moderne, pour être membre des Secret Six). Bien sûr les deux Catman font tous les deux références au dicton qui veut que les chats sont supposés avoir neuf vies et on pourrait se dire que la ressemblance ne tient qu’à une coïncidence, deux équipes créatives étant parties du même dicton à deux décennies de distance. Mais le costume du Catman de DC est à peu de choses près le même que celui porté par David Merrywether dans sa période « classique ». D’où une ressemblance bien trop frappante pour être le fruit du hasard. Quand DC décida d’ajouter un Catman au cheptel des adversaires de Batman, Holyoke avait fermé boutique depuis des années et il n’y avait plus d’ayant-droit à proprement parler. A défaut d’un propriétaire en bonne et due forme, Catman était donc tombé dans une sorte de domaine public de fait. DC pouvait donc l’utiliser en toute connaissance de cause… et en ne risquant pas grand chose.
Enfin, dans les pages de Savage Dragon (Image Comics), Catman fait partie d’une bande de héros du Golden Age qui ont été retenus prisonniers pendant des décennies dans un engin qui aspirait leurs pouvoirs. Libérés, ces personnages ont intégré l’univers de Savage Dragon à des degrés divers. Si on considère le Catman de DC comme étant une « version » de David Merrywether malgré leurs identités civiles différentes, il y a donc ces temps-ci quatre avatars différents de Catman dans les comics modernes. Mais vu qu’on nous avait prévenu dès le départ qu’il disposait de neuf vies, cela lui laisse encore de la marge… D’ailleurs même dans les années 40 cela ne tarda pas à se vérifier : le Catman d’Holyoke Comics était la création d’un certain Charles M. Quinlan (scénario) et de Irwin Hasen (dessin). Quelques mois plus tard, Hasen, passé chez le concurrent DC, fut le co-créateur d’un autre personnage félin, le célèbre Wildcat (par la suite pilier de la Justice Society of America). Comme quoi rien ne se perd !
[Xavier Fournier]
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