[FRENCH] En 1942 l’éditeur Lev Gleason publia les éphémères aventures d’un certain War Eagle. Héros costumé se situant à mi-chemin entre Captain America et Hawkman, cet étrange « aigle de guerre » fut aussi (avec Captain Marvel Jr.) l’un des premiers super-héros à « handicap ». Avec une autre caractéristique notable : la tentative de l’auteur de présenter sa création comme le plus ancien héros volant…
Les fans de l’Age d’Or des comics s’accordent à dire que « Crime Does Not Pay » fut la première revue marquante des « crime comics » qui allaient graduellement déferler sur les présentoirs des vendeurs de journaux, surtout après la seconde guerre mondiale. En fait, c’est (comme souvent) un peu plus compliqué que ça puisque les comics s’étaient depuis toujours intéressés aux histoires policières. Le succès de Dick Tracy mais aussi la longévité de Detective Comics (une anthologie policière plusieurs années avant l’apparition de Batman), les histoires consacrées aux agents du FBI ou les Federal Men de Siegel et Shuster pour nous montrer que la BD américaine n’avait pas attendu les années quarante pour s’intéresser à la lutte contre le crime. N’empêche que Crime Does Not Pay #22 marque un tournant. Oui, #22 car les premiers 21 épisodes n’existent pas. A l’époque la poste américaine attendait qu’une revue ait quelques numéros à son actif pour accorder des abattements sur les frais postaux. Si vous étiez éditeur, vous aviez donc tout intérêt à récupérer la numérotation d’une série existante qui ne marchait plus plutôt de lancer un premier numéro. En l’occurrence, l’éditeur Lev Gleason avait décidé d’arrêter Silver Streak (série qui avait vu la première apparition du Daredevil du Golden Age, mais ce dernier avait depuis migré dans son propre titre) au #21. Les deux auteurs-éditeurs vedettes de Lev Gleason étaient Bob Wood et Charles Biro et ils proposèrent alors une nouvelle série racontant des histoires criminelles qu’on pourrait présenter comme étant inspirées à des degrés divers par des faits réels. Ou tout au moins crédibles. Finalement la série fut baptisée Crime Does Not Pay pour profiter de la notoriété du feuilleton radio « Crime Does Not Pay » diffusé par la Metro-Goldwyn-Mayer à partir de 1935. Il ne semble pas clairement qu’il y ait eu d’arrangement entre l’éditeur de comics et le producteur de l’émission radiophonique. Mais il parait évident que cette homonymie poussa une partie des auditeurs à s’intéresser au contenu de la BD. En définitive, une seul chose est sûre : Crime Does Not Pay (le comic book) connu rapidement un succès digne d’une série de super-héros et devint la BD policière la plus populaire de son époque. Avec le temps la représentation des crimes se ferait plus noire, plus cynique. Les couvertures seraient plus accrocheuses, sulfureuses. Par exemple le #29 montre deux bagnards dégoulinants de sang en train de s’échapper. Le #32 montre un criminel prêt à balancer un homme dans une cuve de métal en fusion. La célèbre couverture du #42 superpose l’image d’un homme en train de se faire tirer dessus avec l’ombre d’une électrocution… Crime Does Not Pay aura un goût de plus en plus prononcé pour le macabre, sentiment renforcé par l’apparition, dès le #24 d’un étrange narrateur nommé Mister Crime venant présenter les histoires. Mister Crime peut être considéré comme un ancêtre du Gardien de la Crypte ou autres personnages similaires des EC Comics. En fait quand on y regarde bien, même si les styles graphiques sont loin d’être si variés dans Crime Does Not Pay, la revue est, à bien des égards, un jalon qui va mener vers l’esprit des EC Comics dans les années 50…
Tout ça pour dire qu’en 1942, Crime Does Not Pay #22 semblait tourner le dos aux aventures super-héroïques. « Semblait » car étrangement au fond de ce premier numéro on trouve quand même un pittoresque personnage costumé, War Eagle, création du scénariste/dessinateur Alan Mandel. Là dessus deux hypothèses différentes semblent s’opposer. La première veut que Lev Gleason n’aurait pas été totalement à l’aise avec un titre ne comportant vraiment aucun super-héros et en aurait voulu un de manière à pouvoir corriger le tir selon la réaction du public (si le lectorat avait rejeté l’aspect policier, l’éditeur aurait pu mettre en évidence War Eagle dans les numéros suivants, de la même manière que Batman avait pris de plus en plus d’importance dans Detective Comics). L’autre possibilité est que War Eagle avait été produit pour ce qui aurait du être Silver Streak #22, avant qu’on décide d’enterrer la revue. Du coup l’éditeur avait peut-être simplement cette histoire sous le coude et préféra l’utiliser comme bouche-trou plutôt que de la gaspiller. Mais notons peut-être faut-il simplement combiner les deux versions. Si Lev Gleason s’était vraiment retrouvé avec une histoire de super-héros sur les bras, il ne manquait pas d’autres magazines (comme Daredevil Comics par exemple) où il aurait pu publier War Eagle. Il est bien possible que ce héros soit effectivement un rescapé de Silver Streak ET que Lev Gleason se soit dit qu’il était prudent de le placer dans Crime Does Not Pay « au cas où… ».
Mais qui est War Eagle ? La première page de son unique épisode nous le décrit de manière éclatante : c’est un héros ailé (et donc volant) qu’on pourrait rapprocher d’Hawkman : En dehors de l’usage similaire d’une paire d’ailes, War Eagle dissimule son visage dans une cagoule ressemblant à une tête d’aigle, tout comme Hawkman faisait la même chose avec une fausse tête de faucon. Mais si la tête et le dos font penser à Hawkman, le reste du costume fait furieusement penser à Captain America. Plus exactement le torse fait penser à Captain America tandis que les bottes (et leur rebord étoilé) font penser au « modèle » de Captain America, le Shield originel. Bref, dès le premier coup d’oeil War Eagle s’impose comme le fruit d’une improbable fusion entre Hawkman et Captain America. Mais curieusement le commentaire tente d’amener le concept sur une autre voie, présentant War Eagle comme étant « l’histoire de la souffrance d’un enfant qui avait contracté une terrible maladie et ne voulait pas se résigner. Avec le coeur d’un guerrier, le jeune Bill Reed se battit contre son handicap et le chassa hors de sa vie… Puis s’éleva dans le ciel de l’Amérique une silhouette ailée et courageuse ! ».
Quand on entre réellement dans le vif de l’histoire, on fait un bon en arrière dans le temps, jusqu’en 1921, quand une ambulance traverse les rues de New York. Le petit Bill Reed, mystérieusement souffrant, est transporté jusqu’à l’hôpital le plus proche. On explique alors à sa mère que Bill est victime de la redoutable « paralysie infantile ». L’auteur ne donnera jamais véritablement de nom à cette affection, désirant sans doute garder toute liberté quand à l’évolution de cette dernière. Il semble bien qu’il s’agisse de la poliomyélite (qualifiée de « paralysie spinale infantile ») ou de quelque chose y ressemblant fortement. Mais le scénariste restera flou, peut-être pour ne pas s’attirer la colère de véritables malades ou de leur famille. Quoi qu’il en soit, Bill perd l’usage de ses jambes. Mais il ne se décourage pas et promet à sa mère, catastrophée, qu’il fera des exercices pour être « dans un aussi bon état qu’avant ». Les années passent et on voit que Bill, devenu un homme, a tenu sa promesse. Il s’est entraîné grâce à de nombreux exercices physiques. Chaque instant est occupé par la pratique sportive… Mais le résultat n’est pas uniforme. Arrivé à l’âge adulte Bill Reed a le torse d’un colosse mais ses membres antérieurs sont toujours aussi faibles. Il passe la plupart de son temps dans un fauteuil roulant, quoi qu’il arrive à se déplacer debout sur de courtes distances (et maladroitement) en faisant usage de jambières thérapeutiques.
Un jour son amie Bonnie lui propose d’aller faire un tour en voiture avec un ami. Mais Bill refuse et explique qu’il va plutôt faire la sieste. En fait c’est une raison plus morose qui lui fait décliner l’offre. Resté seul, Bill se lamente : « Cela ne sert à rien de me mentir à moi-même ! Je ne peux pas demander à Bonnie de m’épouser tant que je serais comme ça. Et on dit qu’il faut des années pour vaincre la paralysie infantile. Et encore si on a de la chance ! ». Le soir venu, Bill se promène en fauteuil dans sa propriété : « Je possède tout ce terrain. Mais quel usage pourrais-je en faire ? ». Arrivé au bout du chemin, Bill surplombe la route et voit une voiture qui s’approche.
Le conducteur est hilare et s’arrête en fanfaronnant : « Ha ha ! On y est mon sucre ! ». Le « sucre » en question n’est autre que Bonnie. L’homme qui l’accompagne, Roger Currians, est saoul et a visiblement des idées derrière la tête. Bonnie proteste mais Roger insiste et tente de l’embrasser, tout en laissant ses mains se promener. Bonnie tente de descendre de la voiture mais Roger la retient : « Tu n’iras nulle part, mignonne ! ». A ce moment là, de là où il est, Bill Reed hurle à Roger Currians d’arrêter tout de suite. Surpris un instant de voir Bill Reed, Roger ne se démonte pas : « Bien, bien… Le dur à cuire en chaise roulante est jaloux ! Écoutes, crétin, Bonnie n’est pas une compagne pour handicapé ! Reste dans le coin et regarde moi faire l’amour à la fille de tes rêves ! ». Roger Currians annonce en gros qu’il s’apprête à violer Bonnie devant Bill et en termes de perversité on est déjà quelques tons au dessus des comics de l’époque. Furieux, « Bill Reed s’accroche aux accoudoirs de sa chaise roulante et lentement il s’élève… Son visage étant devenu un masque de fureur… ». Il titube jusqu’à la voiture, prêt à en découdre avec Currians mais celui-ci ricane : « Nous ne sommes pas dans un film, crétin ! Tu n’as pas ce qu’il faut ! ». Roger le frappe et Bill tombe à terre. Bonnie se précipite à son secours : « Bill chéri ! Tu n’aurais pas du faire ça ! Est-ce que tu vas bien ? ». Tout ça ne remonte pas le moral du héros « Bien sur Bonnie… Sauf qu’il a raison ! Je me suis juste ridiculisé ! ». Il semble que devant ce spectacle Roger se soit un peu dégrisé et soit revenu à raison puisqu’on ne le revoit plus après ça (l’alternative serait que Bonnie ait subi le sort que lui réservait Currians entre deux cases mais ce serait quand même étonnant dans les comics de cette époque).
Cette même nuit, Bill réfléchit en consultant un ouvrage de sa bibliothèque : « Il y a des années l’homme ne pouvait pas voler mais ça ne l’a pas empêché d’essayer ! Si seulement je pouvais trouver quelque chose comme ça pour remplir ma vie ». Et au hasard de ses lectures Bill tombe sur ce qui est présenté comme la « première machine volante » et est sans doute au moins en partie supposé évoquer les dessins de Léonard De Vinci. Il faut croire que Bill Reed possède un ouvrage rarissime qui, au contraire de tous les autres, décrit réellement le secret du vol individuel car quelques semaines plus tard, une silhouette humaine se jette du haut d’une falaise et vole comme un aigle, en battant des ailes. C’est bien entendu Bill, tout surpris et heureux que la technique ait fonctionné : « Je n’ai pas besoin de jambes fortes pour me déplacer avec ces ailes ! ». Mais il décide de garder sa découverte pour lui et continue de s’entraîner en cachette. Le temps passe. Six mois… un an… deux ans. Bientôt Bill explique au lecteur : » Sauter partout avec ces ailes a remusclé mes jambes jusqu’à ce qu’elles redeviennent normales… Je peux me glisser dans le monde des affaires et vivre en société maintenant… Mais bon… Je n’ai pas besoin d’argent et les soirées mondaine stupides m’ennuient ! ». On serait tenté de souffler à Bill que deux ans en arrière il se lamentait de ne pouvoir passer la bague au doigt à Bonnie et que, puisque le voici improbablement guéri, ce serait sans doute le bon moment pour faire sa demande en mariage. Ou pour retourner donner une correction à Roger Currians. Mais non, l’esprit de Bill est ailleurs : « Peut-être qu’il y a quelque chose de grand que je peux faire pour le monde. Quelque chose qui profiterait à toute l’humanité !!! Hmmm… ». On notera que la genèse de War Eagle est une sorte de compression de trois icônes. D’abord l’enfant malade renvoie un peu au personnage de Steve Rogers (le réformé malingre destiné à devenir Captain America). Il est même presque étonnant que l’ouvrage contenant les plans de la « machine volante » ne contienne pas la formule d’un sérum qui aurait rendu Bill Reed assez fort pour marcher et battre des ailes. Il y a aussi, forcément, un soupçon de l’origine du Hawkman du Golden Age, qui veut que le secret du vol humain se cache dans l’antiquité : Carter Hall redécouvrait la science antique des Égyptiens et un mystérieux métal lui permettant de voler. David Reed, lui, se plonge dans un pseudo-ouvrage à la De Vinci. Enfin il y a quelque chose du richissime Bruce Wayne juste avant qu’il devienne Batman (personnage dont la cape est inspiré par une des « machines volantes » de De Vinci), le soir où le notable se demande comment il peut servir la société et terrifier les criminels…
A partir de là, l’histoire s’accélère. Le narrateur explique : « Il y avait bien quelque chose que Bill Reed pouvait faire pour l’humanité. Dans les onze années suivantes les criminels allaient sentir la peur et la terreur. Une nation étonnée allait se poser des questions. Qui était la terrible silhouette ailée qui purgeait le pays de tout mal ? Son nom ou son histoire, personne ne les connaissait. Mais bientôt même le plus sordide vagabond allait apprendre à l’appeler le War Eagle ! Sur une pleine page on voit alors Bill Reed en costume de War Eagle tandis que derrière lui on découvre de nombreuses « unes » de journaux. La présentation nous informe donc que le super-héros a démarra sa carrière en 1929 et énumère des dates importantes de sa carrière (1936, 1939, 1941, 1942…). Situer les débuts de War Eagle onze ans avant la date de parution effective de sa première histoire n’est pas anodin. Antidater les personnages est une pratique assez courante pour les créations de 1942-1943, qui avaient manqué la première vague du super-héroïsme mais tentaient malgré tout d’imiter les grandes figures. En particulier pour les héros patriotiques apparus dans le sillage de Captain America. Rien qu’en 1942 on trouve ainsi Liberty Belle (Boy Commandos #1), Citizen V (Daring Mystery Comics #8) ou encore Captain Commando (Pep Comics #30) dont les origines sont placées rétroactivement pendant la bataille de Dunkerque, en 1940. Cela permet de brouiller les cartes (en plaçant chronologiquement les origines de la copie avant celles du modèle) mais aussi de rattraper le coche pour les héros patriotiques arrivés non pas après la guerre mais avant la déclaration de celle-ci. En 1942, après Pearl Harbor et l’entrée des USA dans la deuxième guerre mondiale, les patriotes retardataires avaient tout à gagner à prétendre être actifs depuis des années. Dans le cas de War Eagle, la particularité tient au fait que la date de ses débuts remonte si loin (en 1929) et à une période non associée à une guerre. On en déduira que son nom de War Eagle vient sans doute du fait qu’il livre une guerre sans pitié au crime.
Mais l’histoire a rattrapé les événements contemporains de la parution de Crime Does Not Pay #22. Nous sommes maintenant en 1942, alors que les espions « étrangers » (mais un étendard nazi ne laisse pas de doute quand à leur nationalité) préparent la chute de l’Amérique. Un certain Klein est ainsi convoqué devant Wrench, le chef d’un réseau de saboteurs. « Wrench » est le terme anglo-saxon pour désigner une clé anglaise. Mais on pourrait traduire approximativement ce terme, dans le contexte, par « la prise » ou « l’étau ». D’ailleurs ce nazi porte des brassières bardées de clous qui laissent déjà entendre qu’il a des méthodes pour le moins physique. Klein travaille sur le navire Atlantic et Wrench exige de savoir s’il est « du côté de l’Allemagne ». Terrifié, l’homme répond par l’affirmative mais explique qu’il a une femme et trois enfants. Wrench, dont on voit le visage bardé de cicatrices, répond haineusement que Klein n’a une femme et trois enfants que s’il travaille pour lui : « C’est la guerre, Klein, aucun expatrié ne peut rester sur le côté. Voici ce que tu vas faire… Sinon… ». Plus tard, la même nuit, Klein est escorté par un des hommes de Wrench. Klein se lamente. Il est contraint de suivre les ordres mais ne les apprécie pas. Il est de plus très impressionné par les bras bardés de clous de Wrench. L’autre homme lui explique que Wrench fut un héros pendant la première guerre mondiale, après qu’il ait stoppé une bombe incendiaire qui menaçait tout une usine de munitions. Ca n’explique guère les clous mais c’est la seule ébauche d’explication qu’obtiendra Klein. Bientôt les deux hommes s’introduisent sur le port et à bord de l’Atlantic en profitant du fait que les gardes connaissent Klein…
Heureusement War Eagle veille ! Sur un toit, non loin de là, le héros ailé surveille le port. Et parle tout seul (une habitude assez répandue dans les comics) : « Demain, le S.S. Atlantic ira jusqu’au chantier naval et sera transformé en porte-avion. Je pense qu’il mérite qu’on le surveille un peu, pour sa dernière nuit ! ». Pendant ce temps les deux saboteurs progressent dans le port. Mais Klein s’inquiète : « Mais qu’arrivera t’il quand le feu démarrera et que je serais le dernier gars a être passé ici ? ». Son compagnon évite de s’étendre sur le sujet. Il ne s’intéresse qu’à une chose : trouver l’endroit idéal pour placer une bombe incendiaire. Avec le monologue de War Eagle, on aura compris que les nazis espèrent détruire l’Atlantic avant qu’il devienne un navire de guerre. L’idée est d’approcher du bateau et de lancer la bombe depuis l’embarcadère, de manière à ce qu’elle passe à travers une des ouvertures restées ouvertes. Mais bien sûr War Eagle a vu la scène. Il s’élance, intercepte la bombe incendiaire et la jette dans des bacs de sable, là où elle ne peut pas incendier grand chose. Puis il ressort du bateau : « Je dois attraper ces rats pour prouver que ceci n’est pas juste un autre accident ! ». Curieuse réflexion de la part de War Eagle : la motivation d’arrêter les coupables aurait été suffisante ! Le voici donc qui vole jusque vers les deux hommes et si Klein, jusqu’ici, avait pu passer par un complice agissant seulement par contrainte, le voici qui sort un revolver. Klein tire sur War Eagle mais ceci n’empêche pas le héros d’assommer l’autre saboteur. Klein en profite pour s’enfuir en voiture…
En fait War Eagle est déjà à ses trousses mais se contente de le survoler. Il suit la voiture de Klein puis s’installe sur le pare-choc arrière. L’idée est visiblement de remonter jusqu’au reste du réseau. Malheureusement pour Bill Reed, quand Klein approche du repaire, Wrench aperçoit le passager clandestin à l’arrière de l’automobile. Wrench laisse Klein pénétrer à l’intérieur de leur cachette et écrase la cage thoracique de l’homme avec ses bras cloutés. Un autre homme de main prévient « Il est mort, boss. Mais War Eagle tente de rentrer par une fenêtre ! Wrench tente alors de s’enfuir par l’autre côté de la maison mais sans y arriver : War Eagle les a aperçu et, à coups d’ailes, a vite fait de les rattraper. Tandis que le héros neutralise l’homme de main, Wrench en profite tout comme Klein un peu plus tôt : il utilise le temps de la diversion pour sauter dans une voiture. A nouveau War Eagle entame une poursuite, devinant que ce « diable à l’air affreux doit être le chef derrière tout ça ! ». Mais Bill Reed, cette fois, décide de ne pas faire durer les choses. War Eagle se pose sur le toit de la voiture et place ses ailes devant le pare-brise. De ce fait, Wrench n’a plus aucune visibilité et ne tarde pas à diriger sans le vouloir sa voiture vers un ravin. Le saboteur nazi arrive néanmoins à sauter par la portière et à sauver sa vie en s’accrochant aux pieds de War Eagle, qui volait non loin de là. Comme les bras de Wrench sont couverts de clous, le héros serre les dents sous la douleur (on se souviendra qu’en théorie ses jambes ne sont quand même pas son point fort) et se dirige alors vers le bord du ravin. Wrench réalise qu’il vole trop bas : « Stop ! Je vais être écrasé ! ». Et c’est bien ce qui se produit : War Eagle précipite Wrench contre les rochers. Le nazi tombe ensuite probablement au fond du ravin. War Eagle est donc un héros volant qui se distingue de la plupart de ses collègues par le fait qu’il n’hésite pas à tuer quand il en a la possibilité (s’il est arrivé à transporter Wrench au bord du ravin, il aurait pu aussi bien le livrer aux forces de l’Ordre). Le narrateur insiste d’ailleurs dans la dernière case. Tandis que l’image montre un War Eagle victorieux, se découpant en silhouette devant la Lune, le scénariste explique : « Et un autre opposant de la Loi a payé le prix ! Les ailes de War Eagle battront encore dans ces pages le mois prochain ! ».
En fait non. War Eagle ne reviendrait pas dans Crime Does Not Pay #23 et disparaîtrait pendant des décennies. Ce qui au demeurant semble encourager la théorie qui veut que cette aventure super héroïque était une histoire survivante de la revue Silver Streak. Mais il est aussi très possible que Lev Gleason ait une autre motivation pour avoir oublié War Eagle aussi vite qu’il était apparu : la ressemblance du costume avec d’autres personnages déjà connu. DC Comics était très chatouilleux sur les copies de ses personnages mais dans le cas d’une copie d’Hawkman, l’affaire aurait été complexe : l’éditeur de Superman n’avait pas intérêt à aller en justice ou entamer une procédure. On n’aurait pas manqué de lui dire que son Hawkman ressemblait étrangement aux Hawkmen vus dans Flash Gordon ! Mais DC pouvait avoir tenté un coup d’esbroufe via une lettre d’avocat. Pour ce qui est de la ressemblance avec Captain America, on reste assez peu documenté sur la position de Marvel/Timely à l’époque. La société d’édition n’avait pas la puissance d’un DC et il possible qu’elle n’était pas forcément très procédurière, préférant publier dans ses propres pages des avertissements prévenant ses lecteurs de se méfier des imitations. Mais il reste aussi un autre « suspect », à l’époque plus puissant que Marvel et tout aussi procédurier que DC : MLJ (futur Archie Comics) avait déjà cherché des noises à Timely quand il s’était aperçu que Captain America (et en particulier son bouclier triangulaire) ressemblait au Shield. Les menaces de MLJ avaient forcé Joe Simon et Jack Kirby à transformer le bouclier, remplaçant le triangle par un objet circulaire. Vu que par la force des choses le costume de War Eagle ressemblait aussi à celui du Shield (y compris dans le détail des bottes), il n’est pas impensable d’imaginer que certaines réactions aient pu venir de là. D’autant que MLJ publiait depuis février 1940 (Pep Comics #1) les aventures d’un groupe d’aviateurs nommés… les War Eagles ! Il est aussi tout simplement possible que plusieurs de ces éditeurs se soient manifestés. En tout cas, mis à part une réimpression vers 1944 dans The Complete Book of True Crime Comics, Bill Reed n’enfilerait pas ses ailes artificielles.
Mis à part la ressemblance du costume avec celui de Captain America (qu’il faudrait forcément corriger pour éviter tout problème), l’idée d’un « héros aviaire » s’attaquant au crime dès la crise de 1929 et assez déterminé pour tuer sans pitié ses adversaires a quelque chose très « pulp ». Si on rajoute sa genèse liée à la poliomyélite War Eagle reste, malgré les apparences, un des cousins d’Hawkman qui cultive le plus la différence. Lev Gleason ayant depuis longtemps disparu, War Eagle tombe désormais dans le « no man’s land » des super-héros sans propriétaire. Pour autant des petits éditeurs connus pour exploiter les personnages du domaine public (comme AC Comics ou Dynamite) ne lui ont pas prêté attention. Peut-être parce que la ressemblance avec le costume de Captain America reste un problème majeur…
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Xavier Fournier]