Oldies But Goodies: Daredevil Comics #2 (Août 1941)
29 juin 2013[FRENCH] Après avoir lancé le Daredevil originel dans les pages de Silver Streak Comics puis un homérique Daredevil Battles Hitler (où les principaux héros de la firme s’étaient alliés pour lutter contre le nazisme), l’éditeur Lev Gleason avait décidé de capitaliser sur le succès de cet aventurier en rouge et bleu. Mais, à l’époque, il semblait impensable de lancer un titre où on ne trouverait qu’un seul héros. La société commanda donc en hâte un certain nombre de héros secondaires. Les répercussions de l’un d’entre eux se font encore sentir de nos jours.
En 1941 le format qui faisait fureur dans les comics, c’était l’anthologie. Si vous lisiez un numéro de Captain America Comics, vous ne risquiez pas d’y trouver les seules aventures du Capitaine en question. Idem pour Flash Comics et l’essentiel des séries qui portaient le nom d’un héros : elles en abritaient en général une demi-douzaine d’autres. La technique avait plusieurs avantages. D’abord conserver les auteurs principaux du héros principal, qui auraient peiné à fournir des dizaines de pages par numéro. Et puis, aussi, tester éventuellement certains personnages secondaires qui, idéalement pourraient être transplantés dans leurs propres titres (encore que la chose resterait rare).
Par la suite les éditeurs s’apercevraient que les jeunes lecteurs fixaient leur attention sur les héros et que les auteurs étaient donc interchangeables (avec tous les débordements qu’on peut imaginer) et le format anthologique aurait tendance à se raréfier. Mais en 1941 il n’avait rien d’une exception. C’était, au contraire, la norme ! Ce qui fait que le jour où Lev Gleason décida de lancer un titre régulier Daredevil Comics, la logique du moment fit qu’on demanda également à d’autres auteurs de venir structurer un peu le cocktail en important d’autres personnages qui pourraient jouer les bouche-trous. Le premier épisode ayant été Daredevil Battles Hitler, la série Daredevil Comics commencerait directement au #2…
Volonté d’émuler DC Comics ou simple commodité qui faisait qu’il était plus facile d’utiliser des auteurs travaillant déjà pour un autre éditeur et qui voulaient arrondir leurs fins de mois, les gens de Lev Gleason se tournèrent vers quelques « extras », entre autres vers deux signatures associées à Batman. D’un côté Jerry Robinson (qui lancerait pour l’occasion un super-héros britannique nommé London), de l’autre George Roussos (connu aussi sous la signature d’Inky Roussos et, plus tard, de George Bell), soit une partie de l’équipe créative de Batman. Robinson était l’encreur officieux (et parfois même le dessinateur) de Batman. George Roussos (1915-2000) était l’assistant de Robinson. Disons que Robinson était régulièrement le « nègre » de Bob Kane (le créateur officiel de Batman) et que Roussos était l’assistant pour une partie de l’encrage et des décors. En Août 1941, Roussos se trouva donc également invité à participer à la constitution de Daredevil Comics #2. Il inventa (ou au minimum co-inventa) un héros du nom de Nightro (sorte de contraction des mots « Night » et « Nitro »). Dans les faits on ignore qui scénarisa l’histoire de Roussos mais, en raison d’un gros indice que nous verrons un peu plus loin, tout laisse à penser que le dessinateur fut également très impliqué dans l’écriture du récit.
Officiellement Nightro se veut comme une version modernisée de Robin des Bois (c’est d’ailleurs le sous-titre de la première histoire). Néanmoins le personnage et sa genèse sont profondément marqués par des choses déjà parues chez DC Comics quelques mois plus tôt. A commencer par le fait que Nightro se distingue par un handicap bien particulier, que le commentaire commence à évoquer dès la première case: « Certaines personnes sortent de cette expérience en en voulant à la Terre entière. D’autres sont terrassés. Seules quelques rares personnes seraient assez fortes et intelligentes pour s’en tirer comme Hugh Goddard l’a fait ! De nos jours, les yeux endommagés de manière à ce qu’il ne puisse voir que dans le noir, cet homme marqué frappe partout, quand il s’aperçoit que l’injustice se cache pour échapper à la Loi. Piégeant les sorciers du crime à leur propre jeu, il s’empare de ce qui a été volé et offre le butin à ceux qui souffrent de l’avarice des autres, pour sauver les désespérés. Enfin, il connaît une revanche magnifique sur ceux qui l’ont trahi dans l’histoire inhabituelle qui suit… Lisez maintenant comment Nightro en est venu à exister ». Cette dernière phrase (en anglais « Read How Nightro Came To Be ») évoque furieusement un autre titre d’histoire… « The Batman and How He Came to Be » (Detective Comics #33, novembre 1939), dans laquelle Bill Finger en venait finalement à révéler les origines précises de Batman/Bruce Wayne. On reste donc à nouveau dans la sphère de Batman. En tout cas en apparence tout au moins.
Car très vite on voit que l’existence d’Hugh Goddard n’a rien à voir avec celle d’un Bruce Wayne. Il s’agit d’un jeune scientifique qui prend part à une expédition en Alaska, en compagnie des gens qui ont financé le voyage (le riche Hoag et l’ingénieur Tollini). Goddard opère un laboratoire mobile à partir duquel il peut faire des tests sur les matériaux que les hommes récupèrent. Bientôt, Hugh apprend à ses mécènes qu’ils viennent de découvrir un énorme gisement de radium. Le filon vaut une petite fortune. Hoag et Tollini sont donc aux anges, tandis que Hugh est toujours l’œil rivé sur un microscope, suant visiblement à grosses goûtes. Mais le jeune scientifique réfléchit à voix haute : « Quelle énorme mine [de radium]. Quand nous en ferons don à la Fondation de Lutte Contre le Cancer, ils seront en mesure de traiter des malades du Cancer à travers le monde et à un très bas prix. Mais ca ne fait pas l’affaire des deux autres. Sans doute qu’étant le co-découvreur de la mine Hugh pose un problème à ses deux compagnons de voyage. Qu’il est en mesure de faire le don alors qu’eux voudraient garder la mine pour eux. Mais en définitive Hoag et Tollini décident d’agir. L’ingénieur demande à Goddard demande de vérifier à nouveau qu’il s’agit bien de radium et, pendant qu’Hugh examine encore le microscope, Tollini tente de l’étourdir avec une bûche. Mais la manœuvre échoue. Le coup est mal porté et Hugh se redresse pour se défendre. Un combat éclate entre Hugh et Tollini. Cette fois, pendant que Goddard est concentré sur l’ingénieur, c’est Hoag qui profite qu’il lui tourne le dos pour assommer le scientifique avec la bûche.
Quand Hugh revient à lui, il est seul. Il voit au loin Hoag et Tollini qui s’en vont en traîneau, emportant tout l’équipement nécessaire à la survie. Ils laissent clairement Hugh derrière eux dans l’idée qu’il soit tué par le froid. Le jeune homme implore « Ne m’abandonnez pas ici pour mourir ! » Mais il lui faut bientôt se faire une raison. Il est seul. Équipé d’un simple manteau, il part donc à pied dans la neige, en espérant trouver une trace de civilisation. Mais le vent le clou bientôt sur place tandis que la neige commence à le recouvrir. Il ne doit son salut qu’au fait d’être bientôt découvert par des chasseurs eskimos qui le ramènent à leur camp. Quelques heures plus tard Hugh Goddard reprend conscience mais reste pourtant dans des ténèbres absolues. Il réalise qu’après avoir longtemps marché dans les terres du Grand Nord, ses yeux ont été endommagés par le froid et le reflet de la lumière sur la neige. Une ophtalmie terrible… qui l’a rendu totalement aveugle. Hugh sombre alors dans le désespoir… Mais enfin il est sauf. Et quelques mois plus tard un bateau qui passe par là permet de ramener en Amérique le scientifique aveugle. Hugh Goddard fait alors ce qu’il ne pouvait espérer dans le village eskimo. Il fonce consulter le spécialiste mondiale de ce genre de cas, un certain docteur… Frank Miller !
Et là, le lecteur moderne de comics ne peut que tiquer. Frank Miller ? C’est en effet le scénariste/dessinateur qui a su relancer la popularité du Daredevil de Marvel Comics (Matt Murdock) à la jonction des années 70/80. Pas vraiment le genre de nom qu’on s’imagine trouver dans un comic-book de 1941. Mais ca n’a pourtant rien d’un hasard (en tout cas pas à ce niveau). Dans l’histoire de la BD américaine, il y a tout bonnement trois Frank Miller différents. Le premier (1898-1949) était un scénariste et dessinateur de strips. Le deuxième (1926-1983) était un caricaturiste de presse. Le plus connu de nous jours, créateur d’Elektra, Sin City et de 300 mais aussi durablement associé au Daredevil de Marvel (Matt Murdock) est né en 1957, soit 16 ans après la parution de cette histoire. En fait le premier des trois, qui dessinait un strip titré Barney Baxter, avait tout bonnement été le mentor de George Roussos. Ce dernier n’ayant pas les moyens de se payer une école de dessin avait appris le métier en recopiant des strips de « Frank Miller 1 » et en lui envoyant pour avoir son avis. S’en était suivi toute une correspondance et ce Frank Miller avait donc d’une certaine manière guidé les premiers pas de Roussos dans la profession. Le fait de donner ce nom à un personnage qui vient en aide au héros est donc une manière pour l’artiste de remercier ce mentor et c’est l’indice dont je parlais qui m’incite à penser que Roussos a non seulement dessiné mais aussi au moins en partie scénarisé cette histoire. Vue l’importance que prendra le troisième Frank Miller pour l’autre Daredevil, l’ironie est cependant sidérante…
Le Docteur Miller explique alors à Hugh qu’il a une infirmité particulière mais qu’il y a peut-être une solution. Miller lui demande alors de passer une vitre de poloroid (et non pas polaroid) devant ses yeux. C’est une vitre teintée et donc plus sombre. Mais, oh surprise, Hugh s’aperçoit qu’il y voit plus nettement. Miller explique alors à Hugh qu’il peut lui construire une paire de lunettes en poloroid, qu’elles seront hideuses mais que grâce à elles il pourra y voir. Plus tard (en pleine nuit), on retrouve Hugh Goddard chez lui, en train de revêtir une tenue masquée blanche et verte : « Et ainsi l’aveugle y voit et Hugh Goddard devient Nightro, nemesis du crime. Séparé de la société par ses horribles lunettes, que faire d’autre sinon se confectionner une tenue adéquate et adopter une volonté de prévention du crime… ». On ironisera sur ces lunettes en théorie si affreuses (en fait, de simples lunettes noires) semblent mettre le héros au ban de la société. L’idée c’est qu’étant normalement aveugle Nightro n’a pas besoin de lumière pour y voir, ce qui fait de lui un parfait combattant nocturne. Mais cela fait aussi de lui un plagiat assez marqué du Doctor Mid-Nite de DC Comics, un autre justicier aveugle que George Roussos aurait des difficultés à ignorer. Même la cagoule noire de Nightro et ses lunettes lui donnent un air de Doctor Mid-Nite ! Néanmoins le mécanisme est ici inversé. Également aveugle, Mid-Nite ne peut voir que dans le noir et il porte des lunettes spéciales qui lui permettent d’y voir même le jour, dans la lumière. Nightro, lui, est totalement aveugle (y compris dans le noir) mais ce sont ses lunettes spéciales qui lui permettent de réveiller sa vision, qu’il fasse noir ou pas. On verra un peu plus loin que cela implique une logique différente lors des combats.
Plus tard, la silhouette de Nightro se presse contre le mur d’un appartement, non loin d’une fenêtre. A l’intérieur Hoag et Tollini se félicitent encore de leur récente fortune liée à la découverte du radium. Ils sont d’ailleurs en train de regarder des films tournés lors de l’expédition et Hoag ironise : « Dommage que Goddard ne soit pas là pour voir ces vues de l’Alaska. Mais il aimait tellement le paysage qu’il a décidé d’y rester ! Ah ah ! ». Visiblement la nouvelle du sauvetage de Goddard n’a pas fait les gros titres de la presse et les deux hommes ignorent que leur victime est non seulement vivante mais également de retour en Amérique. Mais bientôt on tape à la porte. Tollini va ouvrir et découvre un personnage masqué (Nightro, vous l’aurez compris). Tollini croit à une plaisanterie et, furieux, lui demande qui il est. Nightro rétorque simplement : « Salut Tollini. Tu te souviens de moi ? Non, j’imagine que non avec ces lunettes ! » et il lui donne un violent coup de poing.
Mais Nightro désire avant tout que ses deux tortionnaires sachent d’où vient cette colère. Aussi il prend le temps de poser ses lunettes de manière à ce qu’ils voient, au moins l’espace d’un instant, son visage. Les deux fripouilles sont sidérées. Goddard ? Seraient-ils en train de devenir fou. Mais ce héros masqué débutant fait une erreur en leur répondant. Il leur donne trop d’information en un sens : « C’est moi, gentlemen ! Mais maintenant je dois remettre ces lunettes de manière à attraper un couple de putois ! ». En gros, Nightro, sans entrer dans les détails, vient d’expliquer à ses deux adversaires qu’il a besoin de ces lunettes. Et dans la bagarre qui éclate dès la scène suivante, Tollini sait quoi faire. Il se précipite sur les lunettes de Nightro et lui arrache. De ce fait, Nightro redevient complètement aveugle et doit agir sans voir ce qu’il fait. Par chance il arrive à attraper Tollini et à lui faire une prise à la tête. Mais Goddard trébuche sur une chaise et perd l’équilibre. Heureusement pour lui, en cherchant à se défendre, il lance la chaise à travers la pièce et elle fracasse l’ampoule du plafonnier. L’endroit se retrouve dans le noir et, au moins, ils sont maintenant à égalité. Mieux : Nightro profite de la confusion pour chercher ses lunettes au sol et les remettre. Cette fois il y voit… Mais Hoag et Tollini, plongés dans le noir, font des proies faciles.
Alors que Tollini, inconscient, repose sur le sol, Nightro force Hoag à signer un document dans lequel il abandonne la propriété de la mine de radium et en fait don aux bonnes œuvres. Victorieux, Nightro est maintenant bien décidé à livrer Hoag et Tollini (et comme il leur a livré le secret de son identité on comprend que Nightro n’est pas forcément décidé à cacher son vrai nom sur le long terme). Mais dans la bagarre une bobine de film (celle qu’Hoag et Tollini regardaient avant l’arrivée de Nightro) a volé près de la cheminée. Elle s’enflamme et déclenche un violent incendie. Bien que Nightro tente de sauver la vie de ses deux adversaires, il est le seul à sortir vivant des flammes (ce qui a, scénaristiquement, l’avantage de faire disparaître les deux seules personnes qui connaissaient le secret du héros). Une semaine plus tard, à la Fondation de la Lutte Contre le Cancer, les sociétaires se félicitent et se demandent même, heureux, s’ils ne seront pas bientôt sans emploi. Un mystérieux donateur anonyme vient de leur faire don d’une énorme mine de radium. Il y a assez de minerai pour « traiter tout le monde dans l’hôpital » (quoi que ceci veuille dire dans le contexte de l’époque) et plus encore. L’implication (avec les gens de la Fondation parlant de se mettre au chômage) est que le don de Nightro aurait presque permis d’éradiquer le cancer mais le scénario préfère finalement rester flou… Et ce n’est pas plus mal.
La dernière case nous montre Nightro en costume, visiblement d’attaque pour continuer son combat contre le mal bien au-delà de sa revanche personnelle. Mais le dernier pavé de commentaire semble promettre un surplus d’explication : « Pourquoi Nightro se nomme Nightro ? Que cache ce nom ? Le mois prochain Nightro révèlera un pouvoir qui frôle l’incroyable ! Aussi impensable que cela puisse vous paraître ! Vous verrez au prochain épisode ! ». Ce « teaser » semblait promettre qu’on ne savait pas tout de Nightro, qu’il y avait une raison encore inexpliquée dans le choix de son nom… et qu’un autre superpouvoir restait à établir. En fait, le mois suivant, cette promesse serait totalement oubliée, il n’y aurait pas d’explication particulière du nom et encore moins la découverte d’un nouveau talent. Nightro reviendrait bien, mais tout simplement pour affronter des gangsters comme les super-héros (y compris les super-héros aveugles) de cette époque le faisaient classiquement. Les aventures de Nightro allaient ainsi durer quelques mois dans les pages de Daredevil Comics avant que le personnage sombre… euh… dans l’obscurité. Mais sa portée réelle se ferait sentir quelques années plus tard.
Remettons les choses dans l’ordre : Le Daredevil de Marvel a été lancé 23 ans plus tard, en 1964, par Stan Lee, Bill Everett et Wally Wood. Il s’agit d’un héros devenu aveugle (Matt Murdock) à la suite d’une irradiation, pour lequel Stan Lee a récupéré en toute connaissance de cause un ancien nom célèbre des comics, qui était tombé en désuétude (Marvel referait la même chose quelques temps plus tard avec Captain Marvel). Lee ne pourrait donc pas prétendre ne jamais avoir entendu parler de Daredevil Comics puisque c’est la raison d’être du nom de code de Matt Murdock. Or, on trouve bien dans Daredevil Comics #2 cette histoire où Hugh Goddard devient lui aussi un héros aveugle, qui plus est là aussi en lien avec l’idée de radioactivité. Bien sûr (malgré ce que racontent un certain nombre d’articles ou d’index écrits sans avoir lu l’épisode de base), le radium n’est pas *directement* lié à la cécité du héros ou à sa capacité à voir dans le noir.
Tout au plus un lecteur moderne qui voudrait forcément voir un lien pourrait imaginer que (puisqu’on voit Goddard suer de manière marquée alors qu’il examine le radium au début de l’histoire) le radium a pu jouer un « rôle secret » dans l’infirmité du héros. Mais ce n’est très certainement pas ce qui est écrit dans l’épisode, où il est bien stipulé que ses yeux ont été brulés par le soleil. L’absence de toute mention de « Frank Miller » (chose qu’un lecteur actuel ne manquerait pas de noter) est également une bonne manière de détecter les sources qui parlent de ce personnage sans pour autant l’avoir lu [1]. Comme dans la plupart des origines d’héros aveugles le docteur qui traite le personnage central n’est pas identifié et qu’à l’évidence le Docteur Miller qui soigne Goddard a déjà, mystérieusement, une expertise en la matière, il serait tentant d’imaginer que ce Frank Miller est celui qui s’est occupé des Doctor Mid-Nite et des autres. Mais la chose a peu de chance d’être instaurée un jour. Si un scénariste moderne s’avérait d’utiliser un personnage nommé « Frank Miller », le malentendu serait sans doute total avec la majeure partie du lectorat.
Nightro ne doit donc pas ses pouvoirs au radium. C’est clair. Néanmoins il n’en reste pas moins troublant que ce héros aveugle soit apparu dans le premier numéro régulier d’une série titrée Daredevil Comics qu’on a forcément lu chez Marvel. Qui plus est, dans les années 60, George « Inky » Roussos était lui-même devenu un employé de Marvel. Nightro n’est pas le seul héros aveugle des comics mais, que le lien avec le radium soit jugé direct ou pas, il n’en reste pas moins qu’il est forcément très bien placé pour être considéré comme l’un des prototypes de Daredevil/Matt Murdock.
Cerise sur le gâteau, une publicité parue dans Daredevil Battles Hitler #1 annonçait le lancement prochain de Daredevil Comics en montrant les héros qu’on y retrouverait. Nightro y apparait mais dans un costume colorisé de manière différente de ce qu’on a finalement connu : il est vêtu d’une tenue rouge, avec une cape jaune. Nightro est donc passé très près d’être un héros aveugle vêtu de rouge. Le revirement en la matière peut avoir deux raisons. D’abord le Daredevil du Golden Age lui aussi avait un costume utilisant beaucoup de rouge (et sans doute était-il préférable de différencier deux héros paraissant dans la même revue). Ensuite Nightro avec sa tenue rouge et sa cape jaune avait un gros air de famille avec un héros publié par la concurrence. Fawcett Comics avait en effet un certain Mister Scarlet, super-héros vêtu de rouge (et par ailleurs juriste dans la vie civile, ce qui fait qu’il n’est pas rare qu’on voit en lui un autre ancêtre du Daredevil de Marvel). Le parallèle va au point que, sur la publicité pour Daredevil Comics, le Nightro rouge est surmonté du slogan « chaque héros déclenche un Wow ! ». Or, Mister Scarlet, le « jumeau antérieur » de Nightro, était publié dans… Wow Comics ! En définitive si Stan Lee s’est sans doute inspiré de Nightro, George Roussos aurait eut du mal à lui jeter la pierre. D’abord parce qu’il n’est pas dit que Roussos, collaborateur de Lee par la suite, n’a pas tout simplement adoubé cette appropriation. Ensuite parce que Roussos lui-même, entre Doctor Mid-Nite et Mister Scarlet, ne s’était pas fait prié pour aller chercher chez d’autres l’inspiration !
Tombé dans le domaine public américain depuis des décennies, Nightro n’a depuis fait que quelques apparitions mineures dans des scènes de foule de super-héros du Golden Age (en particulier dans des publications d’AC Comics vers 1990). Georges Roussos a un temps travaillé avec un dénommé Bill Cain sur un projet de super-héros nommé Lunar Man qui semblait ressembler, au moins en surface, à sa précédente création. Essentiellement, Nightro étant le domaine public, le héros aveugle peut potentiellement être utilisé par tout le monde et ferait sans doute une bonne mascotte pour diverses associations, qu’elles concernent les malvoyants ou, en raison de l’épisode que nous venons d’évoquer, la lutte contre le Cancer. Bref, là comme dans bien d’autres cas de héros tombés en désuétude, il y aurait bien des choses à faire avec Nightro…
[Xavier Fournier]
[1] Dark Horse Comics a sorti le premier tome d’une réimpression qui comporte l’intégrale des pages de Daredevil Battles Hitler mais aussi Daredevil Comics #2 à 4. On y trouve donc les premiers épisodes de Nightro dans un état rénové et tout à fait lisible.
Content de lire afin une chronique complète (et corrigée) des origines de ce héros.
Comme quoi, il faut toujours remonter à la source ^^
Je préfère préciser : On ne peut décemment pas jeter la pierre à des gens qui, faute de réimpression ou d’accès aux épisodes originaux, ont décidé de faire des articles ou des dossiers sur ce genre de personnages à partir des éléments qu’ils avaient à leur disposition. Par contre ce qui m’irrite ce sont les « experts » de troisième ou quatrième génération, qui partent d’un article qui a lu l’article qui a lui-même lu l’article et qui arrivent avec force à établir des rapprochements qui n’ont pas lieu d’être. Il n’y a pas de mal à ne pas avoir accès à la source. Par contre il faut faire attention à ne pas confondre une photo du paysage et le paysage en lui-même. Mais sinon, oui, partir de la source c’est pas plus mal (là, par exemple, ce n’est pas avec un reprint noir et blanc qu’on risquerait de faire le rapprochement entre le Nightro rouge et Mister Scarlet) 🙂
Je ne critique pas non plus (d’autant que, m’étant intéressé à ce perso il y a peu, je m’étais arrêté à la version « radioactive » de son origine faute d’avoir pu lire le comics en question).
Je voulais simplement souligner qu’il faut toujours se méfier des généralités que l’on pense avérées à force de répétition.
Toujours très instructif 😉
A noter que l’éditeur Français Wanga a annoncé pour la fin de l’année la sortie de la gamme de réédition » Golden Age Archive « .
Le premier Volume présentera une sélection d’histoires sur le thème des héros patriotiques.
Le second Volume sera entièrement consacré au sus-nommé « Original Daredevil ».
@Sim : Je viens d’aller voir votre article. Mais ça ne fait pas partie des choses que je visais puisqu’on ne peut pas nier, à l’évidence, qu’il y a de la recherche. Je parlais plus de ceux qui se contentent de copier-coller des index pour faire comme s’ils les avaient lu, sans la moindre recherche annexe (j’ai, vu par exemple, le Wikipedia VF qui prétend que Daredevil version Marvel et Nightro avaient pratiquement le même costume et là, euh… faut sérieusement taquiner la bouteille pour y croire). L’Histoire des comics est forcément un « Work In Progress », qu’il y ait des choses à revoir, à corriger, fait partie du jeu. Ca m’ennuie plus quand des gens qui n’ont pas la moindre idée de ce dont ils parlent confisquent le débat. Je me souviens avoir vu/lu des trucs délirants au moment de la sortie des Twelve par exemple, des affirmations sur Dynamic Man ou Black Widow qui faisaient douter de la santé mentale des chroniqueurs, qui présentaient de plus la chose sur le ton « c’est comme ça pis c’est tout ».
@ Lionel. Le Daredevil originel a déjà fait l’objet d’une ou deux impressions VF (en particulier via John Favre). Par contre si j’insiste sur la version Dark Horse c’est qu’il y a vraiment un gros travail de restauration des planches. A ce jour c’est la meilleure version que j’ai vu. Mais ça reste en anglais, c’est sur.
Ce qui en soit n’est pas un problème 😉 je vais de ce pas me renseigner , merci.
(Une petite decouverte HS : http://goodcomics.comicbookresources.com/2013/07/05/comic-book-legends-revealed-426/3 )