Oldies But Goodies: Daring Mystery Comics #1 (Jan. 1940)

[FRENCH] Fin 1939 Martin Goodman, le propriétaire de Timely/Marvel Comics, demanda à son studio de lui créer un nouveau personnage de la même trempe que Human Torch. Joe Simon allait donc mettre en place l’autre héros « incendiaire » du Marvel du Golden Age, le Fiery Mask… Qui n’est d’ailleurs pas seulement un « Human Torch bis » mais un personnage à la filiation bien plus complexe, par ailleurs issue d’une genèse totalement biscornue, le scénariste étant alors un relatif débutant…

Paru officiellement en janvier 1940 (et donc produit sans doute à la rentrée 1939), Daring Mystery Comics fut la deuxième série régulière lancée par l’éditeur de Marvel Comics #1, encore tout surpris du succès qu’il avait pu rencontrer avec sa première revue. Le propriétaire de la société, Martin Goodman, décida donc de renforcer sa présence dans le secteur des comics et d’enchaîner avec d’autres titres qui, dans l’idéal, surferaient sur la même réussite. En regardant les dates et le contenu du premier numéro de Marvel (Mystery) Comics #1, on comprend que Goodman avait toutes les raisons de penser que la locomotive de ses personnages était l’androïde Human Torch, qui apparaissait sur la couverture mais était aussi la première histoire à l’intérieur. Sans doute d’ailleurs que si Goodman et ses prestataires avaient déjà décidé, à la base, d’insister autant sur Human Torch c’est qu’ils pressentaient que le héros serait l’un des plus populaires de leur cheptel. Et l’existence précédente d’une autre création basée sur le feu, The Flame, lancé par Will Eisner chez Fox Comics quelques mois plus tôt n’y était sans doute pas étrangère. Sans que The Flame soit aussi populaire que Superman, il avait déjà prouvé qu’il était viable et reconnaissable. Marvel Comics #1 contenait aussi les aventures de Namor le Sub-Mariner mais c’était en fait la seconde apparition du Prince des Mers, apparu d’abord dans Motion Picture Funnies Weekly (édité par First Funnies, Inc.) qui avait fait un bide. Goodman n’avait sans doute considéré Sub-Mariner que comme un personnage bouche-trou ayant déjà connu l’échec. En 1939, en tout cas, au lendemain de la sortie de Marvel Comics #1, il ne disposait pas d’éléments pouvant lui laisser croire que Namor serait promis à un bel avenir. La seule chose que Goodman pouvait voir c’est que ce premier numéro avec un héros enflammé sur la couverture, avec les exploits d’Human Torch qui ouvraient le fascicule, cassait la baraque. En deux tirages, Marvel Comics #1 allait atteindre pratiquement 900.000 exemplaires. Et tout ce que savait l’éditeur, c’est que la couverture avec la Torche Humaine s’arrachait.

Tout ça pour dire qu’au moment de lancer une série soeur, Goodman n’avait pas d’autres éléments de mesure que « Human Torch est un hit ». Et puisqu’on lançait une autre série, il fallait donc un autre Human Torch. Ce serait le Fiery Mask (« le Masque Flambant »), qui à son tour serait la vedette de la couverture de Daring Mystery Comics #1 mais aussi la première histoire qu’on pouvait trouver à l’intérieur. Avec le recul, on peut s’étonner d’une certaine erreur stratégique concernant la couverture d’ailleurs car sur celle-ci le Fiery Mask… ne porte pas de masque (un comble pour un héros portant un tel nom !) mais ne fait pas non plus usage des pouvoirs basés sur le feu qu’on lui découvre à l’intérieur. Marvel aurait eut tout intérêt à montrer dès cette étape à quel point le nouveau héros s’approchait d’Human Torch.

Mais l’illustration n’y fait pas référence. Au lieu de cela, le dessin réalisé par Alex Schomburg montre Fiery Mask, qualifié de « Homme du Mystère et d’Action », en train de taper sur un véhicule avec une antique masse d’arme qui n’apparaît pas à l’intérieur. Malgré les efforts de Goodman, la couverture mène donc déjà à un quiproquo visuel, sans doute lourd de conséquences sur la perception du public.

Même en admettant que le raisonnement de Goodman soit le bon et que le voisinage avec Human Torch ait été un gage de succès, les lecteurs potentiels, eux, ne pouvaient pas forcément faire le rapprochement quand ils voyaient la couverture de Daring Mystery Comics. Et même si la mention « Fiery Mask » était bien là et qu’on pouvait se douter qu’un « masque flambant » n’avait pas des pouvoirs réfrigérants, elle se perdait dans les détails de l’illustration. Ironiquement, les noms des héros secondaires (Monako, John Steele, Doc Doyle…), placé sous le dessin mais dans un texte en réserve (blanc sur noir) se distinguent beaucoup plus.

L’histoire non plus ne débute pas en faisant mention de flammes. L’entête de l’épisode montre une scène plus tardive (le héros en civil, repoussant à coups de couteau des vautours géants). Ce n’est pas dénigrer Joe Simon de dire qu’à l’époque il était encore jeune dans le métier et qu’il avait su se placer grâce à son sens inné de la négociation. Mais Simon n’était pas aussi expérimenté que certains des autres auteurs produisant des séries pour Marvel. Sur un plan créatif, sans doute que Goodman aurait mieux fait de demander à des Bill Everett ou des Carl Burgos de créer son deuxième Human Torch. Sur le plan éditorial, cependant, il était en train de mettre en place un plan pour moins dépendre des studios externes. D’où le recrutement en direct de Joe Simon comme auteur « interne ». L’origine du Fiery Mask montre à quel point Simon avait encore beaucoup de choses à apprendre en termes d’écriture ou de dessin. Dès la première case, on est plongé dans un certain chaos narratif. Trois personnages (dont un habillé en policier et un autre à la peau verdâtre) gesticulent autour d’un faisceau de lumière verte qui sort… d’on ne sait où. Pas de la fenêtre, qui est dégagée, mais d’un point du sol situé sous le trio. Les explications du narrateur sont alors laborieuses pour donner du sens à cette scène : « Jack Castle, un jeune médecin, est appelé au bureau du capitaine Benson pour l’aider sur une étrange affaire quand… ». Dans cette image Benson (visiblement le policier en uniforme) s’écrie « Faîte attention ! Il revient à la vie ! » tandis que l’homme vert, lui, lâche une phrase cryptique : « Le rayon ! Le Maître ordonne ! ». On en déduira donc que dans une case qui n’existe pas Benson a demandé à Castle de passer au commissariat pour examiner un étrange cadavre vert (ce qui expliquerait ce « Il revient à la vie !). Et donc, visiblement, le rayon qui vient d’on ne sait où a ranimé le corps.

Le zombie vert saute sur Jack Castle en murmurant « Tu feras l’affaire… Le Maître t’aura toi aussi ! ». Et Jack s’aperçoit avec horreur que le faisceau lumineux qui ranimé l’homme a pour effet secondaire de le paralyser, lui. Heureusement la lumière ne semble pas avoir touché Benson. D’abord balayé par le zombie, il peut se redresser et lui tire dessus : « Prends ça ! Pauvre diable ! Tu seras mieux mort ! ». Et, curieusement pour un zombie, la créature s’effondre. Non sans dire quelques dernières paroles : « Le Docteur ! Il sera en colère ! Faîte attention au rayon ! ». Puis le mort-vivant remercie les deux hommes (le fait de le tuer le libère sans doute de son esclavage) avant de s’éteindre. Frappé par l’incident (on le serait à moins), Jack Castle laisse son côté médecin reprendre le dessus. Il constate que l’homme n’avait aucune maladie connue et que pourtant il se déplaçait et regardait comme une chose non vivante, avec de plus cette étrange couleur verte. Benson lui explique alors ce qu’il sait : le décédé se nommait Peter Johnson, un vagabond qui avait disparu l’année précédente. Jusque là le fait que Benson fasse appel à un médecin pour examiner un cadavre si singulier se défendait. Mais Benson attends plus de la part de Castle : « Je dois avoir votre aide pour cette affaire… Cet homme a commis un crime. Mais il semble y avoir une force maléfique derrière tout ça. Peut-être une maladie de l’esprit fabriquée par un humain ! ». L’histoire continue donc de nous donner des informations parcellaires. Puisqu’à aucun moment on a vu Peter Johnson commettre un crime (autrement que sauter sur Castle sans arriver à lui faire grand chose d’ailleurs). Et en quoi Jack pourrait-il être utile à un policier en dehors d’un examen médical ? Mais non… Là, Benson délègue réellement l’enquête policière à Jack Castle qui part dans les bas-fonds, explorant les endroits que fréquentaient d’autres personnes disparues mêlées à cette affaire. Dans la série moderne The Twelve, le scénariste J.M. Straczynski souligne un gros doute quand à cette manière de faire, insistant non sans raison sur le fait que la police demande à un simple médecin généraliste d’aller faire son travail à sa place. En fait, dans le contexte de l’époque, la chose est moins bizarre qu’il n’y parait. Bon nombre de comics du Golden Age fonctionnent selon une logique similaire aux romans de Sherlock Holmes : il n’est pas rare qu’on communique à une personne extérieure des renseignements liés à une enquête ou qu’on lui demande carrément de l’aide. Et après tout de nos jours un homonyme (purement accidentel) du héros dans la série télévisée Castle montre bien qu’un romancier peut, sous certaines conditions, aider la police. Cette « énormité » qui consiste à lancer Castle sur la liste des disparus n’est donc pas la chose la plus difficile à avaler dans cette histoire, encore qu’elle ouvre certaines portes sur lesquelles nous reviendrons.

D’autant que plus tard Jack Castle est pris d’une intuition et va aux bureaux de la compagnie d’électricité pour qu’on lui indique quel est le compte qui consomme le plus d’électricité dans le secteur (l’énergie alimentant le rayon vert doit bien venir de quelque part). Et quand Castle s’identifie auprès de son interlocuteur, il sort une plaque d’identification qui semble bien être celle d’un policier (ou, à défaut, d’un agent du FBI). Jack Castle n’est donc pas un médecin ordinaire même si Joe Simon ne nous explique pas vraiment pourquoi ou comment. Finalement il obtient une adresse où il se rend, en faisant croire qu’il est un inspecteur des installations électriques. Mais l’homme qui lui ouvre est un autre zombie vert, qui le laisse entrer en lui annonçant qu’il arrive « juste à temps ». Cette fois-ci le pseudo-zombie semble disposer de plus d’autonomie. Avant que Castle ait compris ce qu’il veut dire par « juste à temps », l’autre brandit un revolver et, sous la menace de l’arme, le force à descendre dans les sous-sols de la maison. Dans une sorte de grotte, Jack aperçoit alors plusieurs grandes boîtes dans lesquelles dorment d’autres zombies verts.

A part un habitacle qui est occupé non pas par une créature verdâtre mais par une jolie fille inconsciente. Castle ne peut s’empêcher de poser des questions à son sujet et son « guide » lui explique alors que la fille est sujette à une expérience différente, qui demande plus de traitements. Mais sa volonté est « plus dure à briser ». Puis le zombie se reprend et explique qu’il n’est plus temps de poser des questions, qu’il lui faut maintenant mener son prisonnier jusqu’au « Docteur ». Suite à la référence à la volonté de la fille, Castle en déduit que les expériences du mystérieux Docteur sont donc menées à base d’hypnotisme.

Mais il n’a pas fini d’en voir, ce curieux docteur Castle. Car sur le chemin du labo du « Maître », il aperçoit d’énormes, de monstrueux vautours. L’homme qui menace le héros explique au passage qu’il s’agît d’une race crée sur mesure, mise au point pour s’occuper des « inutiles ». N’empêche que les oiseaux géants sont si agressifs que les deux hommes sont obligés de travers l’endroit au pas de course. Mais que font donc ces vautours géants SOUS LA TERRE ? Et dans l’état est-ce qu’ils ne rappellent pas quelque chose aux fidèles lecteurs d’Oldies But Goodies ? Nous y reviendrons d’ici quelques lignes…

Pour l’instant Jack Castle et l’homme qui le menace arrivent dans un grand laboratoire, avec une table d’opération (sur laquelle est installée une sorte de momie dont on ne nous reparlera pas), avec une sorte de grand engin électrique. L’homme qui escorte Jack s’écrie alors « Maître ! Maître ! J’amène un patient pour remplacer Peter ! ». Le Peter en question étant donc le premier zombie abattu au commissariat au début de l’histoire. Mais là, la narration de Joe Simon s’emballe à nouveau. Hors champ, le « Maître » crie : « Un inspecteur de compteur ? Cet homme n’est pas inspecteur des compteur ! ». Comment donc le Maître pourrait-il savoir que Castle s’est fait passer pour un employé de la compagnie d’électricité en arrivant dans la maison ? Son sbire ne lui a pas dit. Et si on peut imaginer que le maléfique docteur a une sorte de système d’écoute qui lui permet de surveiller ce qui se passe à sa porte, pourquoi aurait-il laissé Jack traverser son repaire avant de s’apercevoir de la supercherie ?

Mais le plus étonnant reste encore quand le Docteur/Maître apparaît à l’image : il s’agit d’un géant (vert, comme tous ses esclaves) qui doit mesurer près de quatre mètres de haut ! L’inconnu, qui a de faux airs de Raspoutine, tempête : « Crétin ! Cet homme… il est de la police ! ». Là aussi on ne saura pas trop comment le colosse peut deviner, simplement en le regardant, que Castle collabore avec les forces de l’ordre?. Furieux, le Docteur empoigne Jack : « Tu es venu pour me tuer, pas vrai ? ». Ce qui dénote d’un caractère pour le moins paranoïaque car un auxiliaire de police ne chercherait sans doute pas à le tuer directement. Tout au plus à le capturer. Et on peut se demander de toute façon quel mal Jack Castle pourrait faire à un adversaire de cette taille. Le savant fou décide alors de faire d’une pierre deux coups. Il a besoin de sujets pour ses expériences et doit régler le problème que pose la présence de Castle. Il décide alors d’en faire son nouveau cobaye et commence à l’emballer comme une momie (comme celle qu’on a aperçu plus tôt).

Le Maître explique : « Sous l’influence de la lumière, tu seras envoyé pour accomplir mes missions. Tu tueras ceux qui s’opposent à moi et tu m’aideras à conquérir le monde ! ». Castle tente de protester, explique qu’il n’est pas un policier mais un homme de science intéressé par ces étranges expériences. Ceux à quoi le Maître rétorque : « Ah! Ah! J’ai une avance d’un millier d’années sur tous vos docteurs ! J’ai capturé les éléments ! Le vent ! L’orage ! L’éclair ! ». Puis le géant explique : « ma taille grotesque m’a rendu honteux de sortir au grand jour ! Depuis 50 ans je fabrique ma propre lumière ! Et mes propres ténèbres aussi ! Je fais vivre la mort ! ». Mais le Maître a d’autres problèmes plus immédiats. Il soumet Jack Castle à ses machines mais le jeune docteur connaît les techniques d’hypnotisme. Il en sait assez pour résister aux méthodes conventionnelles et le savant fou n’arrive pas à lui laver le cerveau. Pour une raison étrange la situation dégénère. Le Maître s’énerve et déclare qu’il va envoyer encore plus de puissance qu’il en a jamais utilisé sur un patient.

Le tout menant à une surchauffe des équipements. Les appareils explosent tandis que Jack Castle, libéré par la déflagration. Son corps émet une sore de luminescence. Il murmure : « C’est drôle, je devrais être mort mais… mais… Je me sens plus fort que je ne l’ai jamais été jusqu’ici ! Oh! Puis il y a cette fille ! ». Jack s’apprête à aller la libérer, quand il tombe sur le Maître, furieux, avec ses vêtements déchirés « Avec mes mains nues je vais te tuer ! Tu as détruit mon laboratoire ! ». Bien sûr, l’ironie de la chose c’est que Jack n’y est pour rien et que si le Maître n’avait pas bêtement poussé la puissance rien ne serait arrivé. Jack se prépare à mourir en combattant mais découvre avec stupeur qu’il est désormais bien plus fort que le géant, qu’il arrive à assommer sans problème. Castle peut alors se ruer au secours de la jolie prisonnière qu’il a vu plus tôt dans l’épisode. Mais elle est enchaînée… comment la libérer ? Le héros s’est à peine posé la question que les chaînes fondent : la température du corps de Jack est si élevée qu’elle liquéfie le métal (normalement, avec une telle chaleur, il devrait aussi horriblement brûler la fille mais ce n’est pas un détail qui semble attirer l’attention de l’auteur). Pour fuir, il leur reste alors à traverser l’endroit surveillé par les vautours géants mais instinctivement Jack a le réflexe de souffler et sa super-respiration colle les oiseaux contre le plafond.

Le héros est très étonné de ses prouesses mais sa compagne (pourtant représentée inconsciente dans ses bras) se lance dans une tirade explicative : « Le docteur a maîtrisé les éléments… Quand l’explosion est produite, le pouvoir électrique doit avoir traversé ton corps, tout comme le rayon de la mort vivante, ce qui a causé un changement chimique complet, te donnant une force phénoménale ». Vu que la jeune femme n’était pas dans le laboratoire au moment de l’expérience, on aurait envie de lui demander comment elle peut en savoir si long mais passons… Jack Castle, qui a désormais une puissance similaire au Superman des origines peut alors sauter sur de longues distances. Il s’élance dans le ciel avec la femme toujours dans ses bras, qu’il dépose chez elle en lui conseillant de se reposer. Visiblement très impressionnée, la jeune femme se demande alors si elle reverra ce héros dont elle ignore le nom…

Plus tard, la même nuit, Jack Castle téléphone à Benson pour lui réclamer un nouveau rendez-vous. Quand les deux hommes se rencontrent, le policier est stupéfait : le visage de Castle semble crépiter d’énergie. Son ami lui explique alors toute l’histoire et conclut « Il semble que je possède désormais le pouvoir du vent, de la pluie, de l’orage et même du soleil ! Penses à tout le bien que je pourrais faire avec ces pouvoirs ! Tous les gens dans le besoin que je peux aider ! Je dévouerais ma vie à cette tâche ! ». Mais Benson lui fait remarquer quelque chose : « Mais ton visage… quand tu es en colère, il s’éclaire comme s’il était en feu ! ». Ce à quoi Joe Simon fait répondre une dernière contradiction à son héros : « J’ai pensé à ça… Je porterais un costume… Et un masque aussi… Les mauvais apprendront à craindre le Fiery Mask ! ».

La contradiction c’est que si le visage de Jack émet des étincelles ou des flammes, il aura beau porter un masque cela, en théorie, ne protégera absolument pas son anonymat. Mais l’auteur ne s’arrête pas à ce problème et préfère finir par un « Ainsi naquit le Fiery Mask ! Frappant de terreur le coeur des méchants ! Et apportant de l’espoir à ceux dans le besoin… Suivez les étonnantes aventures du Fiery Mask !« . Ce n’est que cette dernière page qui montre le super-héros en costume, habillé de rouge, jaune et vert. Ce qui est étonnant c’est que quand on y regarde bien le lien avec le feu est finalement minime. Les pouvoirs du héros semblent plus reposer sur l’énergie et l’électricité et l’ajout d’un masque flambant sur la fin semble être un ajout tardif (peut-être pour répondre aux attentes de Goodman qui voulait son autre Human Torch). Si on se base sur cette première histoire, Jack Castle est devenu plutôt la personnification d’un orage. Mais peu importe, par la suite on insisterait plus sur son « regard de braise » et Fiery Mask pourrait communément lancer des rayons enflammés d’un simple regard (chose qu’il ne fait pas dans cette première aventure).

Après ce premier épisode intitulé « The Fantastic Thriller of the Walking Corpses  » le personnage n’aura qu’une brève carrière se limitant à l’année 1940. D’abord il semble que le studio lui-même n’était pas convaincu par le personnage : dès Daring Mystery Comics #2, Jack Castle n’est plus au sommaire ! Il faudrait attendre Daring Mystery Comics #5 pour le revoir, moment à partir duquel il deviendra évident que la série repose surtout sur des menaces macabres (le genre d’adversaires que Joe Simon utilisera plus tard pour la Vision du Golden Age).

Surtout, on verra se distinguer une sorte de méthode car la dernière apparition du Fiery Mask (Human Torch #2, à l’automne 1940) est intitulée « The Strange Case of the Bloodless Corpses ». Après le « mystère fantastique des corps qui marchent », « l’étrange affaire des corps sans sang » fait preuve d’un écho familier. Surtout que le même Joe Simon écrirait plus tard dans les pages d’All-Winners Comics #1 (1941) une aventure de Captain America intitulée « The Case of the Hollow Men » sur un savant nazi fabriquant ses propres zombies… Pour en revenir au Fiery Mask il ne retrouvera pas la jeune femme rencontrée dans le premier épisode (qui avait pourtant le potentiel de devenir une partenaire à la Hawkgirl ou Bulletgirl, ayant elle aussi été soumise aux expériences du Maître). Benson, qui partage le secret de l’identité du héros, ne réapparaîtrait pas plus. Mais dans un épisode ultérieur l’infirmière qui travaillait pour le docteur Castle allait découvrir sa double vie, semblant destinée à être à la fois son « love interest » (façon Jane Foster avant l’heure) et sa confidente. La série ne durant pas, la situation restera relativement inexplorée.

Fin 1940, le Fiery Mask cessait de paraître. Contrairement aux attentes il n’avait pas été le nouveau Human Torch espéré. Bien sûr ses origines étaient incohérentes mais celà n’a pas spécialement handicapé d’autres héros de la même époque qui ont connu une carrière plus longue. Gageons qu’une partie du problème tient au design même du costume final de Fiery Mask. Cette tenue verte, jaune et rouge, sans logo reconnaissable lui donne l’air d’un pizzaiolo portant une cape (ou d’un cousin éloigné de Green Lantern). En fait si le Fiery Mask avait porté une tenue unie, plus identifiable, il s’en serait sans doute mieux sorti. Mais Simon pouvait difficilement le colorier tout en rouge (cela aurait fait ombrage à Human Torch) ou en jaune (trop proche de The Flame). Si l’auteur avait produit le Fiery Mask quelques mois plus tard, après qu’il ait rencontré Jack Kirby, il y a fort à parier que le costume aurait été plus complexe, que le héros aurait fait preuve de plus de charisme. Trop tard. L’occasion été manquée. Il faudrait attendre près de 70 ans pour qu’on l’aperçoive à nouveau dans des revues Marvel. D’abord à partir de 2008 dans la série The Twelve mais aussi en 2009 dans le Marvels Project d’Ed Brubaker et Steve Epting. A ce stade (et même si The Twelve a été mise en jachère pendant quelques années) le Fiery Mask est déjà apparu dans plus de comics moderne qu’il en habité en 1940… Mais la richesse réelle de cette histoire ne se cache sans doute pas dans les apparitions du personnage. Plutôt dans son contexte étendu. L’origine du Fiery Mask résonne en effet sur trois niveaux de continuité qu’on peut identifier tour à tour dans l’oeuvre de Joe Simon, dans le Golden Age de Marvel ou encore dans l’univers moderne de l’éditeur…

1) L’oeuvre de Joe Simon : Il est difficile de savoir dans quel ordre chronologique Simon a réellement produit les histoires de Daring Mystery Comics #1 et de Blue Bolt Comics #1 (paru officiellement en juin 1940 chez Novelty Press). Blue Bolt faisait parti d’un projet qui a peut-être traîné quelques mois avant d’être validé par Novelty. Mais les deux récits possèdent plusieurs éléments communs. Au point de sembler être deux variantes ou deux stades de développement d’un même projet. Dans Daring Mystery Comics #1, le laboratoire du Maître est semblable en tous points (même table d’opération, même canon électrique surmontant la pièce) à celui du docteur Bertoff qui donnera ses pouvoirs à Blue Bolt quelques mois plus tard. Qui plus est, quand Bertoff se lance dans son opération il se vente : « Ah! J’ai une avance d’un millier d’années sur tous leurs docteurs ! ». Avant d’ajouter : « J’ai capturé l’éclair ! ». C’est à peu de choses près ce que dit le Maître. Autrement dit le Maître et Bertoff se paraphrasent dans deux séries différentes de Joe Simon, publiées chez deux éditeurs concurrents.

Qui plus est, Bertoff se livre à ses expériences dans une sorte de monde perdu souterrain (tout comme le Maître opère sous terre). Et si Bertoff est de taille normale pour un humain et ne peut pas être soupçonné d’être le Maître, il devient alors évident qu’ils utilisent la même technologie dans le but de transférer l’énergie naturelle des éclairs à un humain. Qui plus est dans Blue Bolt Comics Bertoff est l’ennemi farouche d’une femme fatale nommée Norzimo la Sorcière Verte qui commande entre autres à d’affreux vautours géants. Tout comme le Maître est vert et a lui-même ses propres vautours géants. Si les deux séries étaient produites chez le même éditeur, il n’en faudrait pas plus pour se convaincre que le Maître vient du monde perdu de Bertoff et Norzimo et qu’il utilise le même savoir. Si on considère la chose sous l’angle d’un univers propre aux créations de Joe Simon, Fiery Mask et Blue Bolt sont deux héros électriques très compatibles. Et, en dernière analyse, le Fiery Mask fait partie de ces héros de Joe Simon qui doivent leurs pouvoirs aux expériences d’un savant désirant créer un surhomme (Blue Bolt donc, mais aussi Captain America…).

2) Le Golden Age de Marvel : La présence d’un savant macabre, à la fois fabriquant de zombies et géant vert, a de quoi surprendre mais ce n’est pas la seule apparition d’un personnage de ce genre dans les revues de l’époque. Dans Mystic Comics #1 (mars 1940) un groupe de détectives nommés les 3X affronte un colosse vert barbu surnommé le Green Terror qui cherche à obtenir du sang. Vu le flou artistique qui règne autour du sort du Maître à la fin de l’histoire de Daring Mystery Comics #1, penser que le géant vert affronté par Fiery Mask et celui rencontré par les 3x ne sont qu’un semble tout à fait possible.

3) Le Marvel Universe contemporain : Là où les choses prennent une autre dimension c’est que si la présence d’un géant vert semble incongru dans les années 40, elle est tout à fait raisonnable une fois considéré sous l’angle de l’univers Marvel moderne. D’abord, les géants verts chez Marvel s’expliquent facilement depuis les années 60 et les débuts de l’Incroyable Hulk. Si le Maître doit sa teinte et sa taille aux rayons gamma, il peut « simplement » être une sorte de Hulk maléfique des années 40 (la scène après l’explosion, où ses vêtements sont déchirés fait d’ailleurs fortement penser au Hulk classique). Mais encore mieux : en cherchant bien on s’aperçoit qu’il existe déjà un colosse vert barbu et scientifique. Les fans de Hulk connaissent bien le personnage du Maestro, version futuriste et barbue de Bruce Banner.

Le « Maître » qui est aussi un « Docteur » pourrait-il être simplement le « Maestro » qui se trouve par ailleurs être une variante alternative du *Docteur* Bruce Banner, un Maestro qui aurait voyagé dans le temps pour des raisons à découvrir ? La solution serait élégante. Mais, me direz-vous, cela n’expliquerait pas que Jack Castle récupère, en plus d’une force supérieure, un visage qui s’enflamme. C’est loin d’être un problème puisque d’abord on sait que tous les personnages Marvel liés aux rayons gamma ne virent pas forcément au vert. Mais surtout, si on prend l’exemple du Hulk Rouge, certains sont effectivement liés à la notion de chaleur. Dans les épisodes de Jeph Loeb et Ed McGuinness, il est établi que plus le Red Hulk devient furieux et plus il devient brûlant, au point d’être finalement auréolé de flammes dans certains cas. Dans Daring Mystery Comics #1, Benson remarque justement que le visage de Jack Castle émet des flammes quand il est… en colère. Enfin le Fiery Mask s’échappe de la demeure du Master en faisant des bonds énormes, ce qui le rapproche là aussi d’un Hulk… Il y a là une histoire à écrire (qui ne le sera sans doute jamais). Et ça, bien sûr, c’est sans parler de l’homonymie entre Jack Castle et Frank Castle (le Punisher), qui rendrait possible le fait que les deux personnages soient parents (mais là ce serait sans doute un peu gros).

4) Le doute: Pour être exhaustif, soulignons que La série The Twelve laisse planer un gros doute quand à la véracité de cette origine du Fiery Mask (il faut dire que les contradictions laissées par Joe Simon sont nombreuses). Néanmoins si on se reporte au traitement subi par Jack Castle dans le labo du Maître on se souviendra qu’il est question d’hypnotisme. Dès lors, il est très possible que contrairement à ce que le Fiery Mask croit, il ait hypnotisé par le Maître et que cette version loufoque de ses origines soit en fait seulement des souvenirs programmés (ce qui permettrait relativement de ménager la chèvre et le choux en termes de continuité). Les doutes que J.M. Straczynski entretient dans The Twelve (série qui devrait voir sa conclusion paraître aux USA courant 2012) sont sans doute d’un autre ordre mais les possibilités sont là.

En termes de héros aux pouvoirs incendiaires, le Fiery Mask ne fut pas l’autre Human Torch que Martin Goodman attendait. Mais l’exemple de Jack Castle montre que même la plus improbable des origines peut donner naissance à un personnage au potentiel fort, qui reste encore à exploiter, plus de 70 ans plus tard.

[Xavier Fournier]

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