Oldies But Goodies: Daring Mystery Comics #3 (Avril 1940)

[FRENCH] Voici un super-héros créé en 1940 chez Marvel qui aurait pu survivre sans problème jusqu’à l’ère contemporaine, dans la continuité moderne de l’éditeur. L’apparence de Marvex, le Super-Robot, n’est pas plus ridicule que celle d’un Colossus. Ses pouvoirs, bien qu’ils tiennent de la science-fiction, ne sont pas plus difficiles à accepter que ceux d’un Machine Man. Bref, le personnage semblait prometteur. Ce qui allait faire la différence, c’était une curieuse narration, comme sortie tout droit d’un jeu d’écriture automatique : Marvex serait un robot plus haut en couleurs qu’on pouvait le penser, mais peut-être pas en bien. Nous vous laisserons juger…

Quelque part dans la 5ème Dimension, d’étranges créatures au crâne surdimensionné et à la peau jaune surveillent les humains et la Terre. L’un d’entre eux, nommé Bolo, propose d’enlever quelques humains pour en faire des esclaves. Son interlocuteur le félicite pour cette idée et… C’est dès la case suivant qu’on se rend compte que le scénariste a une curieuse définition de la linéarité. Car le dénommé Bolo fonce dans son laboratoire pour… construire un être artificiel en métal (et donc pas du tout kidnapper des humains comme il le disait mais fabriquer une sorte d’ersatz). L’être de métal est nommé Marvex, le super-robot. Bolo présente sa création à ses pairs et explique qu’il fabriquera beaucoup d’autres esclaves du même genre. Mais en entendant ces mots Marvex s’active et s’écrie « Je ne serais jamais un esclave, espèce de créatures viles ! ». Sans perdre de temps le robot tue ceux qui l’ont fabriqué (sans faire mine de tenter de les raisonner ou de les capturer, il est comme ça Marvex, il ne rigole pas avec sa liberté) et commence à ravager le laboratoire, déclenchant par accident une explosion si forte qu’elle le propulse en dehors de la 5ème dimension. Marvex se matérialise donc sur Terre. Et si l’explication de l’explosion comme moyen de transport vous parait dure à croire, on pourra toujours imaginer que la fenêtre interdimensionnelle (celle de Bolo pour surveiller la Terre en début d’histoire) est restée ouverte et que le choc a poussé Marvex à travers.

Reste qu’à partir de là le récit devient pour le moins bizarre… Marvex s’est matérialisé couché sur le sol d’une route relativement déserte et un homme en panne le trouve dans cette position, croyant qu’il dort. A aucun moment l’inconnu ne tique ou ne fait de réflexion  sur l’apparence de Marvex, qui peut difficilement passer pour humain. Même en imaginant que l’homme puisse penser qu’il s’agit d’un humain déguisé, il devrait au moins s’étonner d’une telle tenue métallique en plein désert. Mais non, l’homme ne se démonte pas . En le traitant de fainéant puisqu’il semble dormir sur la route, l’inconnu propose à Marvex de l’aider à pousser sa voiture jusqu’à la prochaine station à essence. Ce n’est que lorsque Marvex qualifie la voiture « d’étrange embarcation » que le conducteur se dit qu’il est sans doute tombé sur un cinglé. Marvex arrive à tirer derrière lui la voiture, comme s’il était un cheval tirant une carriole. Là, quand même, le propriétaire de la voiture commence à élaborer une théorie un peu plus complexe « Il doit être un phénomène de cirque. C’est pour cela qu’il porte ce costume ». Nous l’avons dit, la narration et les réactions des personnages sont bizarroïdes, comme si on était dans un film de David Lynch.

Le pompiste, en voyant arriver Marvex à sa station, ne trouve rien d’autre à dire qu’un admiratif « Ah ! Quel homme ! » comme s’il était tombé amoureux. Et de manière toute aussi étrange, mécanique, le conducteur offre un billet de 20 dollars à Marvex. Lequel remercie gracieusement parce que, voyez-vous, Marvex le Super-Robot a beau venir de la Cinquième Dimension  et ne jamais avoir mis les pieds sur Terre au point de ne pas savoir ce qu’est une voiture, il sait reconnaître un billet de 20 dollars et sait à quoi il sert…

Arrivé dans le centre-ville, Marvex réalise bien vite que les gens le regardent de manière bizarre à cause de sa carapace de métal (le pompiste ne le regardait pas de manière différente mais allez savoir pourquoi, là Marvex ne s’en étonnait pas).  Le Super-Robot rentre donc dans chez le premier tailleur qu’il trouve et achète un beau costume et un chapeau pour 20 dollars. Bien sûr, rien ne cache le visage de métal de Marvex et le robot, normalement, ne devrait pas passer inaperçu qu’un homme cachant son identité derrière un masque de fer. Mais le stratagème fonctionne, Marvex allant jusqu’à commenter « Ah ! Ils ne me regardent plus maintenant ! ». Mais au même moment une explosion ravage un proche immeuble de bureau et Marvex, qui vient de dépenser ses 20 dollars pour passer inaperçu, saute un peu avec la même force que Hulk (sans s’occuper de savoir ce que peuvent en penser les passants) pour aider une jeune femme. En fait il s’agit de la fille d’un savant qui travaillait pour l’armée et mettait au point un nouveau blindage pour les navires. Des espions viennent de faire sauter l’immeuble en espérant le tuer avant qu’il ne finalise son invention. Et ils ont réussi. La jeune femme pleure dans les bras de Marvex (elle aussi sans s’étonner de son visage de métal). Mais les espions  qui observent la scène de loin décident de la faire taire avant qu’elle n’en dise plus au héros. Arrivant en voiture, ils tirent à la volée avec une mitraillette.

Heureusement Marvex peut protéger sa nouvelle amie en la cachant derrière son propre corps. Le Super-Robot est en effet à l’épreuve des balles. Mieux : il est aussi rapide qu’une voiture et peut ainsi se lancer à la poursuite des espions avant de les rattraper. Marvex saute sur le toit de l’engin et, utilisant sa force supérieure,  l’ouvre comme une boite de conserve en s’écriant « Vous n’êtes pas bons ! Vous mourrez ! »… Ce qui, après le meurtre de ces créateurs, donne une idée de la moralité et du tempérament de Marvex. Le Super-Robot, c’est un peu la mentalité du Punisher alliée à la force herculéenne de Superman. Mais cette fois ce n’est visiblement qu’un numéro pour intimider ses captifs. Un homme craque alors et lui révèle alors que les plans de l’invention du savant sont gardés par leur chef, un certain Von Crabb, chambre 307 dans le Eastern Building… Traversant la ville à super-vitesse, Marvex trouve le bon building et, comme un boulet de canon, s’élance jusqu’au treizième étage, passant à travers la fenêtre de la chambre 307. En le voyant arriver, le dénommé Von Crabb a le réflexe de cacher la formule dans un coffre-fort et de le refermer à clé. Hé ! Mais comment ça la formule ? Quelques cases plus tôt on nous parlait de plans ! Maintenant c’est une formule ? Une bizarrerie de plus à verser au crédit du scénariste…

Après avoir protégé ainsi la formule ou les plans ou « l’objet de la quête » quel qu’il soit dans l’esprit de l’auteur, Von Crabb tire à coup de revolver sur Marvex mais il découvre, comme ses hommes avant lui, que le Super-Robot ne craint pas les balles. Von Crabb est vite désarmé et Marvex lui ordonne d’ouvrir le coffre. Mais l’espion s’exclame « Non ! Pas si tu me tue ! ». Formulation qui prouve que chez les espions on aime bien les lapalissades. Car on imagine mal que Marvex comptait le tuer avant qu’il obéisse (alors que le contraire pouvait s’envisager vu le comportement brutal du robot). Comme Von Crabb refuse d’obtempérer, Marvex ouvre le coffre en faisant usage de sa force, sans le moindre effort apparent (à se demander pourquoi il voulait demander à Von Crabb). Maintenant qu’il a la formule, Marvex peut administrer une dure punition à Von Crabb. Il lui décroche un coup de poing si spectaculaire que l’espion passe à travers le mur (on se souviendra que la chambre est au 13ème étage, ce qui laisse peu de chance à Von Crabb de s’en tirer).

Puis Marvex restitue les plans… Car entre-temps, ne me demandez pas pourquoi, la formule a tellement été effrayée par le sort de Von Crabb qu’elle s’est retransformée en plans… On apprend dans le commentaire que la jeune femme (la fille du savant) à pour nom Clara Crandall (ce qu’on n’avait pas jugé utile de nous révéler jusqu’ici mais qu’on nous précise maintenant que plus aucune introduction n’est nécessaire). Reconnaissante, Clara dit à Marvex qu’il est son seul ami… Et s’attire une étrange réaction de la part du robot qui lui rétorque : « Mais souviens-toi, nous ne pourrons jamais être plus que des amis… ». Curieuse, cette cruche de Clara, qui visiblement n’a pas remarqué que Marvex est fait de métal, demande « Mais pourquoi ? ». Et le clou du spectacle (et la scène finale) c’est Marvex posant son costume à 20$ pour montrer son torse de métal, tout en précisant  « … Parce que je ne suis pas humain. Je suis Marvex le Super-Robot. ».

Franchement, si Clara n’avait pas compris en voyant sa tête et ses exploits qu’il n’était pas humain, on doute que la vision d’un torse soit bien plus explicite pour cette jeune femme visiblement pas très éveillée… A l’évidence le récit contient plusieurs étrangetés, des raccourcis, des maladresses et des réactions de personnages pour le moins artificielles ou forcées.  Cela dit, des origines du Golden Age avec plusieurs contradictions, nous en avons déjà croisées quelques unes tout au long de cette chronique. Certains héros par la suite devenus des classiques ont eux aussi commencé avec les mêmes travers, un peu comme s’ils étaient écrits par un Ed Wood des comics.

Marvex a pour lui un look et des capacités qui pourraient tout à fait fonctionner dans un récit plus moderne tant il est un peu la version robot d’un Superman. Mais les incohérences du récit et des deux seules missions qui allaient suivre (dans la même ambiance surréaliste) allaient consolider son image de ringard (à noter que dans les dernières son visage ressemble plus à celui d’un mannequin qu’à la tête sculptée des début). Et puis chez Marvel/Timely on avait déjà l’androïde Human Torch, la torche humaine des années 40, qui avait tous les avantages d’un robot sans la plupart des inconvénients de Marvex. Au moins Human Torch avait un visage humain et on n’entrait pas dans l’incohérence quand les passants ne remarquaient pas une tête de métal. Et puis il y aurait bientôt la mode des héros patriotiques (les Captain America ou les Patriot). Il faudrait faire de la place… Marvex le Super-Robot serait bien vite oublié alors que, utilisé un peu plus sérieusement, on aurait l’imaginer plus tard jouant un rôle dans une des super-équipes rétroactives de Marvel (par exemple dans la Liberty Legion). En plus, étant un robot, Marvex pouvait tout à fait avoir survécu jusqu’à l’ère moderne… Il resterait cependant oublié pendant plus de soixante ans…

Et pourtant certains éléments concordaient pour le ramener dans le giron de l’univers Marvel contemporain. Dès Strange Tales #103 (Décembe 1962), la Torche Humaine moderne (le héros membre des Quatre Fantastiques) visite la Cinquième Dimension, qui sera par la suite également utilisée dans des épisodes de la série Fantastic Four. Ses habitants ont la peau bleue mais ont des proportions humaines (contrairement aux créateurs de Marvex qui étaient jaunâtres avec une tête énorme) et sont dirigés, au moins au début par un tyran nommé Zemu (plus tard orthographié Xemu), sans trace de super-robots semblables à Marvex. Mais bon, d’une part on parle d’une cinquième dimension qui peut contenir différentes planètes, d’autre part même en restant centrés sur un monde unique, on peut imaginer que les jaunes et les bleus sont deux branches différentes d’une même race. Quand au fait que Zemu et sa clique n’ont pas de robots semblables à Marvex, ce serait compréhensible vu que le Super-Robot a détruit ses créateurs avant de pouvoir être dupliqué. Les deux histoires peuvent cohabiter sans se gêner et même, en un sens, se compléter. Son environnement redevenait donc compatible avec les autres héros de Marvel (et nous verrons à quel degré dans une autre chronique le concernant indirectement) mais point de mention directe de Marvex pendant encore bien des décennies…

En fait l’année 2009 a été pour le personnage la plus active depuis l’époque de sa création (ce qui en même temps ne veut dire vue sa sous-exploitation). Dans Avengers/Invaders  Marvex fait une apparition minime (il fait partie des nombreux héros terrassés par le Red Skull puis on le revoit dans le dernier épisode) et, plus récemment, on a pu le revoir dans sa première histoire solo depuis 69 ans. Dans le All-Select Comics 70th Anniversary Special (principalement consacré à l’héroïne Blonde Phantom), Marvex est la « vedette » d’un récit  signé Michael Kupperman qui insister sur le côté ridicule du personnage. Personnellement je n’aime pas trop quand un très ancien héros est sorti de l’oubli juste pour être ridiculisé mais il faut dire que le mal avait été fait à l’origine et que du coup Kupperman ne fait que souligner un trait déjà existant dans les histoires d’époque. Dans le nouveau récit (qui commence dans les années 40), Marvex est régulièrement abordé par des inconnus qui lui offrent des billets de 20$ et dès qu’une jeune femme sympathise avec lui, le robot se croit obligé de se déshabiller en braillant qu’ils ne seront jamais que des amis puisqu’il n’est pas humain. Après quelques pages, Marvex se rend compte qu’il ne sait pas ce qu’il doit faire après et décide de réfléchir. Après avoir « pensé » tout en restant immobile pendant 70 ans (autrement dit il existe toujours de nos jours), il se rend compte que réfléchir ne le même à rien et décide de façon béate de s’envoler dans l’espace pour explorer l’univers. Chronologiquement ça ne colle pas tout à fait avec la datation d’Avengers/Invaders qui le montrait toujours en action vers 1944 mais même s l’épisode est parodique, sa conclusion resitue au moins le héros. Si un scénariste de série « cosmique » (tiens, par exemple, l’équipe créative des Guardians of The Galaxy) cherchait un personnage singulier à utiliser, il pourrait désormais compter sur cet étrange robot surpuissant mais à la logique fort étrange, qui flotte dans l’espace tout en étant habillé dans un costume à vingt dollars… Et attention à ne pas lui parler amitié, il vous ferait un strip-tease…

[Xavier Fournier]
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