Oldies But Goodies: Detective Comics #275 (Jan. 1960)
23 mai 2009[FRENCH] Un homme déguisé en chauve-souris patrouillant dans les rues de Gotham, c’est déjà assez bizarre en soi. Mais quand, en plus, Batman n’est plus vraiment Batman mais devient le « Zebra Batman », on entre dans le kitsch le plus ultime. Quand Batman entre dans les sixties, c’est encore plus fort et plus « psyché » que le masque de Rorschach !
Nous l’avons déjà vu plusieurs fois dans le cadre de cette rubrique : il ne faut jamais sous-estimer la capacité du Batman classique à fournir des situations… disons assez pittoresques (souvenez-vous du Bat-Ape). Et nous avons pu noter en d’autres occasions que certains super-héros ont quand même de belles « casseroles » pour ce qui est de leurs costumes occasionnels (à l’occasion allez revoir Namor le Sub-Mariner avec son masque de pseudo-cochon). Mais les deux tendances se rejoignent sur la couverture de Detective Comics #275, qui est tout simplement l’une des images les plus « kitsch » (dessinée par Sheldon Moldoff) que nous donnera Batman dans les années 60. Son uniforme traditionnel, gris et bleu, a en effet été remplacé par un curieux effet zébré. Le personnage irradie une sorte d’énergie tandis que Robin, jusqu’alors fidèle compagnon d’aventure, est visiblement terrifié et implore la foule de reculer puisque Batman (ou plutôt Zebra Batman) est devenu une menace… au look pour le moins particulier.
En 1960, le mouvement « Pop Art », venu du Royaume-Uni, s’implante aux USA depuis quelques années à peine. Difficile d’être formel quand au fait que cette influence aurait pu être le moteur de l’idée du scénariste Bill Finger dans cette histoire. Mais il est certain que d’emblée Detective Comics #275 débute en mettant un certain accent sur l’atmosphère artistique et culturelle. En effet, alors que Batman et Robin sont (comme tous les soirs sans doute) en train de patrouiller dans les rues de Gotham City, ils tombent sur un gang en train de cambrioler le Gotham Art Museum. Et Batman ne manque pas de remarquer qu’un des malfaiteurs porte « une sorte de costume avec des bandes bizarres et brillantes ». C’est bien entendu le chef du gang. En arrivant devant les portes d’acier du musée, l’homme « raillé » appuie sur les boutons de sa ceinture et émet des rayons surpuissants qui détruisent les panneaux. « Okay les gars, maintenant allons nous emparer de certains de ces tableaux sans prix ».
Médusés, Batman et Robin ont assisté à la scène tout en restant assis dans leur voiture, la Batmobile, mais ils ont tôt fait de suivre la bande à l’intérieur du musée et d’engager le combat. Et dans un premier temps tout se passe très bien puisque Robin dit même à son mentor que c’est comme si les malfrats étaient déjà capturés. Mais le jeune héros a compté sans le chef de leurs adversaires, qui actionne sa ceinture. Les rayons répulsifs qu’il émet projettent une statue sur Batman, ce qui permet de couvrir la fuite de la bande. Une poursuite de voitures s’engage alors mais à nouveau, en tendant la main par la vitre arrière de son véhicule, l’homme aux bandes luminescentes trouve une parade. Ses ondes magnétiques renversent un château d’eau sur la route. Batman perd le contrôle de la voiture, qui va se ficher dans le bas-côté. « Nous n’attraperons jamais ce personnage bariolé maintenant ! Mais qui est-il et que veulent dire ces bandes ? » s’exclame Robin. Plus calme, Batman préconise d’aller à la pêche aux informations au QG de la police.
Mais en fait les infos désirées ne viendront pas du commissariat. En tournant la page on tombe sur des manchettes de journaux qui titrent sur le cambriolage. C’est Zebra-Man qui a pillé le musée d’art ! Ceci dit les hommes de main de Zebra-Man eux-mêmes n’en savent guère plus sur les pouvoirs de leur bienfaiteur. Aussi, dans leur repaire secret, l’un d’entre eux l’interroge. Zebra-Man rétorque que toute forme d’énergie se propage selon des lignes de force et qu’il a réussit à domestiquer ces lignes à travers une machine de son invention. Pas plus tard qu’hier il a utilisé pour la première fois l’engin, qui a la capacité d’envoyer des lignes de force à travers son costume, lui donnant cette bizarre apparence zébrée. Mais Zebra-Man précise que s’il n’avait pas d’abord réglé le bouton de contrôle de sa ceinture sur « neutre », toutes les choses dans la pièce seraient repoussées car sans les commandes de cette ceinture, la force est trop puissante pour être maîtrisée.
Entretemps, si les journaux ont eu le temps de faire leurs gros titres sur le cambriolage du musée, Batman et Robin, eux, sont toujours au commissariat (ça s’appelle une ellipse de temps mal maitrisée). Batman a noté une chose : en se battant contre l’un des hommes de Zebra-Man, il a remarqué qu’il avait une mèche de cheveux gris très caractéristique. Le commissaire Gordon reconnaît alors une description qui ne peut correspondre qu’à un malfrat en ville, un certain Jo-Jo Forbes. Lancé sur la piste de Jo-Jo, les deux justiciers masqués ont tôt fait de se retrouver sur le port de Gotham, où on les informe que le gangster a été vu un peu plus tôt en train d’acheter un bateau, le Dauphin. Et comme Batman, quand même, n’est pas le meilleur détective du monde pour rien, il déduit aussitôt « Le Zebra-Man a du demander à Jo-Jo de l’acheter en vue de leur prochain crime ! ». Et la décision est prise de surveiller le littoral environnant à bord du Batplane…
Au large, l’équipage d’un navire qui s’apprête à récupérer la cargaison d’une épave naufragée voit arriver le Dauphin. A bord, utilisant ses pouvoirs magnétiques, Zebra-Man a vite fait d’attirer l’épave vers la surface, en vue de voler la réserve d’or que le bateau coulé transportait. Au passage ce n’est pas une mauvaise idée mais si Zebra-Man avait été juste un poil plus intelligent il aurait exécuté ce genre dans les eaux internationales, là où personne n’aurait pu rien lui dire. Là, il aurait pu faire fortune en renflouant des bateaux et en réclamant tout à fait légalement ce qui lui était du. Au lieu de ça il fait ça à quelques encablures de Gotham, ce qui fait de lui un voleur… Batman est donc toit à fait dans son droit de lui sauter dessus en s’élançant du Batplane (sauf si le dit-Batplane était déjà équipé d’une capacité de vol géo-stationnaire, le saut est à lui seul un véritable exploit). Mais le combat est de courte durée puisque Zebra-Man utilise ses ondes répulsives pour projeter le héros à la mer. Vite recueilli par Robin (qui pilote le Batplane), Batman n’est pourtant pas au bout de ses peines. Zebra-Man utilise son magnétisme pour projeter sur leur avion l’épave qu’il vient de remonter, un peu comme un missile de fortune. Touché, le Batplane s’abîme en mer et flotte piteusement en attendant les secours. Zebra-Man, lui, s’en va tranquillement à bord du Dauphin tout en remorquant l’épave qu’il convoitait.
Plus tard le Dauphin est retrouvé, désert. Bien sûr le bateau n’était plus d’aucune utilité au gang. Mais Batman, en inspectant le navire, découvre des empreintes de pas et de la boue très caractéristique qui lui permet de déduire que la cachette des gangsters ne peut se trouver que dans un endroit où l’on trouve cette boue rare. Grâce à la boue, Batman et Robin découvrent donc sans difficulté le repaire de leurs adversaires, dans une bâtisse à l’écart de la ville. Ils font irruption dans le laboratoire de Zebra-Man alors que celui-ci travaille sur sa machine et, dans la confusion, Robin actionne un levier qui en déclenche le rayonnement. Batman est alors baigné par la lueur et bientôt couvert à son tour de « lignes de force ». Sauf que lui n’a pas la ceinture de Zebra-Man qui permet de maîtriser les impulsions. Tout autour de Batman est projeté au loin. La machine est détruite. Pire : comme Zebra-Man a pris le soin de changer la polarité de son costume, les deux « hommes zèbres » se repoussent comme deux aimants. Zebra-Man s’enfuit avec ses hommes en se félicitant : avec la machine démolie, Batman n’a aucune manière d’inverser sa condition et dans son état actuel il ne peut ni les approcher, ni les toucher… Pour Batman & Robin, c’est la consternation. Le « Zebra-Batman » détruit ou repousse tout ce dont il approche. Tant qu’il n’aura pas de ceinture de contrôle, il sera une menace pour tous ceux qui l’entourent. Bouleversé, Robin ne peut que se demander ce qui se passera s’ils ne mettent pas la main sur une telle ceinture.
Batman visionne déjà qu’il ne pourrait plus se nourrir puisqu’il repousserait en arrière tout repas. Pire: il ne peut redevenir Bruce Wayne car les bandes zébrées auraient vite fait de révéler son identité secrète. Il ne pourrait pas non plus patrouiller en tant que Batman dans les rues puisque sa seule présence sèmerait le chaos dans la ville. Pour ne pas mettre en danger Robin, Batman s’enfuit alors en demandant à son jeune apprenti de terminer l’enquête que lui-même ne peut poursuivre. Ne pouvant pas non plus monter dans une voiture (il la détruirait), le Zebra-Batman solitaire erre alors sur les routes…. Jusqu’au moment où, en passant à côté d’une casse de voitures, il sent sa main attirée par l’énorme électro-aimant qui sert à déplacer les automobiles… Batman a peut-être une solution. Il fait alors demi-tour et va retrouver Robin, qui de son coté a bien avancé. Il a fouillé la baraque abandonnée de Zebra-Man et a trouvé une ébauche de plan. Avec ça, ils savent où la bande s’apprête à frapper.
Une heure plus tard, Zebra-Man et ses sbires attaquent effectivement la Gotham Storage Company, dont l’entrepôt contient un stock important de fourrures de valeur (on notera que Zebra-Man ne s’attaque jamais au même marché, s’intéressant d’abord aux peinture d’un musée, puis à une épave et enfin à des fourrures). Batman les attend à l’extérieur mais ça ne fait pas peur au super-villain convaincu que leurs deux corps font se repousser sous l’effet des lignes de force. Mais à sa grande surprise ils sont au contraire magnétiquement attirés l’un vers l’autre. Batman lui décoche un coup de poing et s’empare de sa ceinture de contrôle qui lui permet de réguler ses ondes. Le héros utilise donc les pouvoirs du super-criminel pour rapidement venir à bout de toute la bande puis, enfin, peut se servir de la ceinture pour reprendre une apparence normale, « non-zébrée ».
Zebra-Man, redevenu lui aussi un homme normal voudrait quand même savoir pourquoi et comment d’un seul coup ils ont cessé de se repousser l’un et l’autre. Pour Batman, c’est le grand moment de l’explication finale. En passant à côté de l’électro-aimant qui l’attirait, il a compris qu’il lui fallait trouver un moyen d’inverser la polarité, sachant que deux aimants opposés s’attirent. Sachant que Zebra-Man allait cambrioler cet endroit, Batman a pris soin de charger magnétiquement une plaque d’égout sur laquelle est passé le criminel, ce qui a eu pour effet de changer sa polarité et réglant au passage le problème du héros. Plus tard, rendant visite à Zebra-Man en prison, Batman et Robin rient ensemble : le criminel a de nouveau des rayures… mais elles viennent cette fois-ci de l’ombre des barreaux projetée sur sa tenue blanche. L’humiliation fut apparemment suffisante pour que ce criminel-là, à la différence de beaucoup d’ennemis de Batman, ne revienne pas pour réclamer une revanche illusoire. Par contre son apparence assez particulière est restée dans l’esprit de certains lecteurs devenus par la suite scénaristes. 27 ans plus tard, un autre Zebra-Man, utilisant la même technologie, a fait surface dans les pages de la série Batman & The Outsiders. Il s’agissait cette fois d’un agent de Kobra qui reste détenteur à ce jour du nom et de l’apparence. Il arrive qu’on le revoit dans de vagues scènes de groupes mais ce successeur n’a guère d’envergure et est surtout un mercenaire au service des autres. En un sens c’est dommage car avec l’allure psychédélique du personnage on serait curieux de voir ce qu’il donnerait s’il était dessiné par certains artistes actuels.. Globalement l’épisode paru dans Detective Comics #275 vaut ce qu’il vaut (c’est à dire que ce n’est jamais qu’une aventure lambda de Batman, sachant que Bill Finger en a écrit d’autres plus inspirées) mais il nous a donné une des couvertures les plus baroques et mémorable des sixties. Et Batman s’efforce depuis d’oublier ce mauvais pas vestimentaire !
[Xavier Fournier]
Wah!L’éditeur DC des 50’s et 60’s dans toute sa splendeur!C’est une des raisons pour laquelle j’ai parfois du mal à (re)lire mes vieux Artima et surtout Sagédition car pour ce genre d’histoires,j’ai l’impression que Superman et Batman tenaient le ponpon…mais je me trompe peut-être!
Une question:cet épisode existe-t-il en français?c’est la première fois que j’en entends parler!
CYRIL
L’excellent http://www.comicsvf.com ne le répertorie pas ( http://www.comicsvf.com/us/638.php ) ceci dit il est difficile d’être formel entre Sagédition, Interpresse et Arédit-Artima qui ont publié des choses de manière anarchique et le plus souvent pas dans l’ordre.
Superman et Batman tenaient le pompom parce qu’ils étaient – avec Wonder Woman – les derniers survivants de l’âge d’or, par opposition à Flash, Green Lantern et quelques autres qui, créés à la fin des années 50, étaient forcément plus « modernes » à l’époque. Mais comme nous avons pu le voir (ou comme nous le verrons) dans cette rubrique, il y en a d’autres qui ont quelques « casseroles »…
« Superman et Batman tenaient le pompom parce qu’ils étaient – avec Wonder Woman – les derniers survivants de l’âge d’or, par opposition à Flash, Green Lantern et quelques autres qui, créés à la fin des années 50, étaient forcément plus “modernes” à l’époque. » C’est vrai que j’avais jamais pensé à ça.Il est tout de même dommage que ce genre d’histoires pittoresques aient continué jusque dans les 80’s pour Superman:il y avait un tel décalage(et un tel manque d’interactivité) avec le reste du DC universe…certains épisodes sont incompréhensibles tellement ils sont tirés par les cheveux quand vient le moment de la « résolution du problème »(où alors,je suis trop bête!!lol!),du moins jusqu’à l’arrivée de Marv Wolfman sur Action comics(Superman géant)…mais c’est un autre sujet!Aujourd’hui,c’est (zebra)Batman la vedette!!
CYRIL
Oui, très exactement. Le profil de Superman s’est en quelque sorte figé dans les années 50 dans une sorte de complexité guindée qui appelle souvent une réponse toute aussi guindée (cela dit il faut bien voir que c’est en gros l’incarnation que Grant Morrison utilise dans All-Star Superman et il y a fait des merveilles). Batman lui a eu plus de chance parce qu’il est passé dans les mains de gens comme Carmine Infantino, Neal Adams, Denny O’Neil qui l’ont d’une certaine manière « déniaisé » à la fin des années 60.
Finalement,le véritable atout de Superman était l’excellent(et trop oublié à mon goût!)Curt Swan!!!
(on s’éloigne de plus en plus de Batman,là!!!!)
CYRIL
« en vue de voler la réserve d’eau que le bateau coulé transportait. »
C’est vrai qu’au prix de l’eau…
🙂 🙂 🙂
Batman transformé en danger public me fait un peu penser à Unus l’intouchable, surtout après que The Beast ait amplifié son pouvoir dans sa première apparition…
Je ne vois pas de quoi tu veux parles 😉 Thanks.