Oldies But Goodies: Eagle #2 (Sept. 1941)

[FRENCH] Bien avant Spider-Man, bien avant Spider-Woman, il y avait… la Spider-Queen (« reine des araignées »), apparue à une époque où les super héroïnes étaient encore rarissimes. Du côté des séries tournant autour des clones de Tarzan, elles étaient déjà multiples, apparues dans le sillage de « Sheena la reine de la jungle ». Mais en 1941 les héroïnes à superpouvoirs se faisaient encore désirer et on pouvait essentiellement les compter sur les doigts de la main. Amazona (parue chez Fiction House en 1940) n’avait été qu’une étincelle sans lendemain. Wonder Woman, qui ne viendrait qu’en décembre 1941. Phantom Lady, USA The Spirit of Old Glory ou Wildfire faisaient encore figure d’exceptions (avec de rares collègues sur lesquelles nous reviendrons un de ces jours dans le cadre de cette rubrique). Voilà pourquoi le sexe même de l’héroïne nommée Spider-Queen fait que le personnage est notable, l’inscrivant parmi la première génération des « mystery women ». Mais cette dame arachnide a quelques atouts  assez familiers pour qu’on ne l’oublie pas… Et ces atouts sont apparents dès la première page de son aventure originelle, paru dans les pages de Eagle #2, une publication de Fox Feature (Spider-Queen appartient donc à la base au même cheptel que Blue Beetle)…

« Sur la scène d’un audacieux braquage de banque plonge une étrange et mystérieuse figure vengeresse… la Spider-Queen !« . L’histoire est signée par une certaine « Elsa Lesau » mais il semble bien qu’Elsa Lesau n’ait jamais réellement existé et qu’il s’agisse d’un pseudonyme derrière lequel se cachaient un ou des plusieurs auteurs mâles (certaines sources reconnaissent des ressemblances avec le style des frères Louis et Arthur Cazeneuve mais l’information n’a pas de fondement officiel). Quand aux raisons qui pouvaient pousser des auteurs masculins à se faire passer pour une femme, elles peuvent être multiples. L’argument majeur étant que si c’est une femme qui est supposée produire ces pages, c’est un gain d’authenticité dans la représentation de l’héroïne et on ne risque pas de la traiter de sexisme. Par ailleurs à partir depuis avril 1941 une créatrice de BD, Tarpe Mills, connaissait un succès croissant avec un strip de presse nommé Black Fury puis Miss Fury. Mills jouerait sur sa propre image (elle était supposée être son propre modèle) pour promouvoir le strip et sans doute qu’au moment de lancer Spider-Queen auteurs et responsables éditoriaux se dirent qu’il était sans doute plus romanesque d’inventer une autre femme-artiste pour l’occasion. L’autre raison pourrait être que, dans une industrie essentiellement masculine, les auteurs assumaient mal de produire les aventures d’une héroïne et préféraient le faire sous une « identité secrète » pour éviter des moqueries de collègues. Dans tous les cas, ce pseudonyme montre bien qu’à l’époque il n’y avait pas que les super héroïnes qui se faisaient rares et que parmi les auteurs on était obligé de s’inventer des consoeurs fictives pour faire croire à une mixité qui n’était que très relative.

Mais revenons à Spider-Queen : Dès la première case on est dans le bain : une brune héroïne vêtue de bleu, de rouge et de jaune surgit sur devant la façade d’une banque, alors que les gangsters font mine de s’enfuir. Ce qui captera forcément l’attention du lecteur contemporain de comics, c’est que la dame en question utilise comme mode de locomotion un fil émis par ses poignets, arme et moyen de transport de nos jours bien connus pour être utilisé par un certain Spider-Man (allez, si, vous avez bien déjà du en entendre parler, non ? Spider-Man ?). Quelques observateurs nous diront sans doute qu’à ce stade on voit surtout une femme se balancer, les mains accrochées à un câble et que ça n’est pas très différent de la bat-corde utilisée régulièrement par Batman pour se déplacer d’immeuble en immeuble. Aucun « spider-lance-toile » à l’horizon ? Attendons d’abord que cette nouvelle héroïne règle son compte à la bande de malfrats.

Si la première case a l’air de placer Spider-Queen directement à côté des gangsters on s’aperçoit vite qu’elle n’a fait que les frôler et qu’elle s’est installée sur le toit de l’édifice. Un des criminels, qui l’a vu arriver, est comme immobilisé, retenu par quelque chose qui, au départ ne semble pas du tout clair. Il porte la main à sa gorge, comme étranglé par quelque chose d’indistinct, représenté par quelques traits. Dès qu’ils réalisent qu’ils sont attaqués par la Spider-Queen, qui est visiblement déjà une célébrité, les deux voleurs restants abandonnent leur complice. Arrive alors un policier en civil, Mike O’Bell, attiré par le bruit des coups de feu. D’en haut, la Spider-Queen constate « Au moins un policier semble être sur le coup aujourd’hui !« . Mike O’Bell, qui ne s’aperçoit pas que quelqu’un le surveille d’en haut, inspecte les corps sur le trottoir. Il comprend bien vite que les gangsters ont tué un garde de la banque mais reste perplexe devant le criminel resté mort : « Mais.. Ce type ne s’est pas fait tirer dessus ! Regardez ce filament ! Je parie que je sais qui a fait çà !« . Le filament en question ? C’est visiblement une énorme toile d’araignée. Pas une corde ou un filet. Quelque chose qui imite la structure d’une vraie toile d’arachnide. Quelque chose qui est en tout point identique à la toile de Spider-Man. On comprend donc mieux ce qui s’est passé dans la scène précédente. Du toit où elle se trouvait, Spider-Queen a jeté (par quel moyen ? Nous le verrons plus tard) quelque chose de semblable à la substance utilisée par le futur Spider-Man et s’en est servi non seulement pour piéger le criminel mais aussi pour l’étouffer.

Le policier Mike O’Bell a foncé au commissariat faire son rapport. Et bizarrement le chef de la police est furieux quand il apprend que la Spider-Queen a interrompu le hold-up. Puis il se reprend et récupère la seule pièce à conviction : la sacoche contenant le butin de l’attaque, qui était restée près du corps du gangster. Et, toujours curieusement, le chef demande à O’Bell si quelqu’un d’autre que lui est au courant qu’il a récupéré la sacoche. Et une fois qu’O’Bell l’a rassuré, le chef insiste pour que le secret soit gardé, pour des « raisons administratives ».

Dès que Mike O’Bell est parti, le chef rumine à voix haute : « Le jeune idiot ! C’est la seule fois où Spider-Queen n’arrivera pas à me piquer un butin ! Et si O’Bell dit quelque chose, ce sera sa parole contre la mienne !« . C’est donc évident : le chef de la police joue un double jeu et c’est lui le commanditaire du hold up. Il explique qu’il cachera l’argent dans son repaire dès le lendemain. Mais le problème avec ces génies du crime qui ruminent à voix haute c’est qu’ils ne font jamais attention et vérifient pas si quelqu’un ne les épie pas à la fenêtre. La Spider-Queen était là, perchée sur le rebord. Elle aussi elle rumine : « Oh mon mignon ! Ainsi c’est toi le chaînon manquant dans notre vague de crime ! Je vais garder un oeil sur toi ! » Sans soupçonner tout ce qui se passe, Mike O’Bell sort du commissariat en se posant deux questions. D’abord pourquoi le chef est-il furieux alors que Spider-Queen est de leur côté. Et ensuite… Qui est cette Spider-Queen ?

« Une question intéressante… Qui est au juste la Spider-Queen ? » commente le narrateur. Et les explications arrivent, après une case où on nous présente l’héroïne en pied, de manière à bien pouvoir détailler son costume. Deux ans plus tôt, Spider-Queen n’était que la « simple » Shannon Kane, assistante et épouse d’un éminent chimiste travaillant pour le gouvernement, un certain Harry Kane. Malheureusement des « ennemis du pays » avaient assassinés le Docteur Kane et s’étaient emparés de ses notes.

Faisons une petite pause au sujet du nom du mari défunt car il n’est pas tout à fait le fruit du hasard, en particulier si « Elsa Lesau » est bien un pseudonyme des frères Cazeneuve. « Harry Kane » est en effet un nom utilisé une ou deux fois dans d’autres séries du Golden Age car phonétiquement il sonne comme « Hurricane » (soit, en français « Ouragan »). Dans le cas qui nous intéresse, Harry Kane avait été établi quelques mois plus tôt comme l’alter ego civil du héros super-rapide Mercury/Hurricane chez Timely/Marvel comics. Dans Red Raven Comics #1, Louis Cazeneuve avait co-créé le héros volant Red Raven. Mais le même Raven Comics contenait les aventures de Hurricane utilisant le nom de « Harry Kane ». Les frères Cazeneuve ne pouvaient pas l’ignorer et dans le même temps « Harry Kane » sonne comme un nom prévu comme une utilisation spécifique, pour un personnage récurrent, là où « Sharon Kane » ne comporte aucun jeu de mot, aucune signification cachée. Mais Red Raven Comics s’était limité à un seul numéro, le propriétaire de Timely, Martin Goodman, préférant oublier la série pour profiter de sa numérotation et de ses autorisations postales pour lancer Human Torch Comics directement au #2, la plupart des héros publiés dans Red Raven disparaissant aussitôt dans les limbes. Il y a donc des raisons de se demander si Spider-Queen n’était pas à la base un projet que les auteurs (sans doute les Cazeneuve) n’avaient pas prévu de proposer à un autre éditeur (Timely) comme une sorte de continuation, une origine impliquant la mort d’un héros préexistant (comme ce qui a pu se faire par ailleurs pour le cas Comet/Hangman, où le meurtre du premier pousse le deuxième à devenir héros). Spider-Queen pourrait (il convient d’insister sur le conditionnel) avoir été pensé comme étant la veuve de Hurricane, soit pour paraître dans les numéros suivants de Red Raven (finalement jamais publiés) soit pour exister comme une sorte de continuation dans Human Torch Comics (mais qui alors aurait été refusée). Il y a une possibilité qu’à l’origine Spider-Queen soit passée à un cheveu de faire partie de l’univers Marvel des années 40…

Mais ce qui va vraiment intéresser les Marvelophiles, c’est ce qui se passe après la mort de Harry Kane. Pendant sa période de deuil, sa jeune veuve finit par classer ses vieux dossiers et par tomber sur la formule d’un « spider-web fluid ». Un fluide de toile d’araignée ! Au début Sharon trouve l’idée ridicule et ironise « Elle est bien bonne… Pas étonnant qu’Harry n’ait jamais trouvé une utilisation pour ça…« .

Mais très vite elle se reprend et va tester ce fluide en laboratoire, en le lançant avec ce qui semble être un pistolet à eau : « Quand il est lâché dans l’air, il devient un fin filament adhésif…« . Puis la femme tire dessus de toute ses forces et s’exclame : « Ma parole ! Ca colle comme de la glue… Et c’est assez résistant pour qu’on puisse s’y balancer !« . Un plan naît alors.

Sharon Kane décide que cette arme nouvelle va lui permettre de lutter contre ceux qui font leurs affaires à travers le crime. Sharon, qui n’est pas seulement une héritière mais a collaboré avec son mari, en sait au moins assez pour perfectionner l’invention. Elle met au point une paire de bracelets spéciaux (avec des recharges visibles) pour contenir et lancer le fluide à chaque fois que ce sera nécessaire. Autrement dit Sharon Kane invente des lance-toiles en tout point semblable à ceux de Peter Parker 21 ans avant la première apparition de Spider-Man !

Que plusieurs personnages inspirés par les araignées tissent une sorte de toile, quoi de plus logique ? D’ailleurs pendant le Golden Age d’autres personnages le feront, comme le Tarantula de DC. Mais la plupart du temps ils le feront en utilisant des pistolets lance-toiles… Dans le cas de la Spider Queen, il faut sans doute voir dans l’apparition de ces bracelets une tentative de féminiser au maximum le personnage. Plutôt que de lui confier un pseudo-revolver (arme sans doute vue comme trop masculine), on passe par quelque chose qui pourrait être considéré comme un bijou décoratif (le raisonnement sera d’ailleurs le même pour la plus tardive Wonder Woman, qui compte beaucoup sur ses bracelets). Difficile de croire que 21 ans plus tard Marvel aurait voulu s’inspirer de la Spider-Queen de Fox, sachant qu’elle n’a pas laissée beaucoup de trace et qu’il serait totalement faux de voir en elle un personnage ayant une quelconque dose de popularité. Mais Spider-Man est apparu en 1962, alors que Marvel était soumis au Comics Code, qui réglementait entre autres choses l’usage des armes à feu dans les comics. Nul doute que Stan Lee et Steve Ditko ont eux aussi cherché se passer d’un « pistolet lanceur de toile » qui aurait été problématique. Les bracelets lance-toiles de Spider-Man sont donc là eux aussi pour éviter de faire apparaître une arme à feu, un peu comme si la même solution avait été trouvée à 21 ans d’écart pour régler un même problème, survenu pour des raisons différentes.

Revenons à l’affaire du braquage de la banque. Le lendemain, en lisant la presse, Sharon Kane découvre que la version officielle raconte que le butin n’a jamais été retrouvé et qu’aucun suspect n’a été identifié. Alors qu’elle sait bien qu’un homme est resté sur le trottoir et que la sacoche était là ! Sharon se demande alors ce que peut en penser le jeune policier qui se trouvait là. En civil, elle s’arrange pour provoquer une rencontre avec Mike O’Bell d’autant plus facilement que le détective marche dans la rue en lisant son journal, sans regarder devant lui. O’Bell est lui aussi en train de découvrir la version de la presse et tombe des nues ! Il n’y comprend rien ! Il est donc convaincu d’être dans son tort quand il heurte une belle brune qui marchait dans le sens contraire. Il s’agit bien sûr de Sharon, qui fait mine d’être sonnée par le choc. Gentleman mais se sentant aussi un peu fautif, O’Bell offre alors de la raccompagner chez elle afin qu’elle reprenne ses esprits. Arrivés chez Sharon, la jeune femme insiste pour que Mike reste le temps de boire un café et s’éclipse dans la cuisine pour – en tout cas officiellement – préparer la boisson.

Laissé à lui-même, Mike O’Bell parle tout seul (ça doit être un critère de recrutement dans la police), totalement séduit par Sharon, qu’il trouve très attirante. Il est vite repris, cependant, par la Spider-Queen qui vient d’entrer par la fenêtre : « Que fais-tu à traîner ici alors que ton chef est au 47 de Bender Street, profitant du butin de l’attaque de cette banque ? ». Et avant de disparaître par là où elle est venue, Spider-Queen insiste : « Si tu ne me crois pas, vas-y… et tu pourrais prendre quelques témoins avec toi ! ». Mike se précipite à la fenêtre mais la femme masquée a déjà disparu. En fait elle a utilisé sa spider-toile pour négocier un demi-tour et rentrer par la fenêtre de l’étage du dessous et remonter l’escalier quatre à quatre. Tout ça n’est qu’un stratagème pour convaincre O’Bell que Sharon et la Spider-Queen sont deux personnes différentes (encore que Mike pourrait se demander comment l’héroïne savait où il prenait le café alors que lui-même n’en avait aucune idée quelques minutes plus tôt). L’air de rien, Sharon réapparaît donc en civil par une autre porte, avec son plateau à café, comme si elle était restée dans la cuisine tout ce temps. Malheureusement Mike doit rapidement prendre congé car « il a un autre rendez-vous ». Intérieurement, Sharon Kane ironise. Elle sait très bien où il va…

Au 47 de la Bender Street, le chef de la police arrive avec son magot et s’apprête à partager l’argent avec ses complices (ceux qui attaquaient la banque plus tôt). Mais ils sont interrompus par l’arrivée de Mike O’Bell, qui constate l’impensable : le cerveau de la bande est bien le chef de la police ! Mais les malfrats sont quatre et ils ont vite fait de maîtriser le jeune détective. Le chef l’assomme avec sa matraque et il semble bien que rien n’arrêtera la bande… jusqu’à ce qu’un des complices regarde par la fenêtre et s’aperçoive que la police, accompagnée d’un juge et d’un procureur, est là pour les arrêter. O’Bell a suivi les conseils de la Spider-Queen et s’est assuré d’être accompagné. Sentant que le vent tourne, le chef tente alors de s’enfuir par la porte arrière mais la Spider-Queen veille ! Cachée sur le toit du repaire, elle lance sa toile et englue les pieds du fuyard. O’Bell, revenu à lui, n’a plus qu’à plaquer le chef, immédiatement arrêté par les forces de l’ordre.

On remarquera que, comme pour l’attaque de la banque, la Spider-Queen ne s’engage pas dans un combat physique. Sa méthode est plutôt de s’installer sur les toits et de se comporter comme une sorte de sniper avec sa toile. Là où elle pourrait descendre arrêter elle-même le chef, elle préfère laisser ce soin à Mike O’Bell (et elle aurait sans doute pu arrêter les gangsters au début de l’épisode si elle était descendue les affronter de près). Elle n’entre pas en contact avec ses adversaires, ce qui est finalement logique car elle n’est qu’une laborantine et n’a pas fait mention de pratiquer le moindre sport. En un sens le fait qu’elle puisse se balancer de façon si experte au bout de sa toile est déjà en soi un exploit.

Spider-Queen n’affrontera surtout que des cambrioleurs et des voleurs de banque et pas vraiment des super-ennemis. Le seul qui pourrait se rapprocher d’un « super-villain » est un criminel qu’elle affronte dans Eagle #4, un individu surnommé « le Nez » (hum, dommage que ce dernier n’ait jamais affronté l’OEil). Assez bizarrement les auteurs ne reviendrons jamais vraiment sur les circonstances du meurtre de Harry Kane, l’affaire étant un peu traitée comme le meurtre des parents Wayne pendant les premières années : Sharon ne semble pas rechercher les coupables (ou ne le peut pas ?). De plus on ne sait pas ce qu’étaient les papiers volés lors du meurtre. Le « spider-fluid » ou une autre invention plus importante qui serait tombée dans le camp ennemi ? Il y avait là le potentiel pour un(e) adversaire utilisant les mêmes armes que l’héroïne mais le temps manquera à la série pour en explorer les détails…

La carrière effective de la Spider-Queen sera en effet de courte durée : elle ne totalise à cette époque que trois épisodes (malheureusement pour elle, la série Eagle s’arrête au #4 et elle est immédiatement  oubliée…). On la retrouvera cependant 52 ans plus tard dans une revue… Marvel ! Dans la mini-série Invaders de 1993 (dont les événements se déroulent en 1942), le scénariste Roy Thomas avait prévu d’opposer les Envahisseurs à une poignée de héros du Golden Age qui se seraient révélés être des sympathisants nazis au sein d’une équipe nommée Battle-Axis. L’idée de départ était que ces héros devenus nazis devaient être des personnages réellement publiés par Marvel dans les années 40 (et s’ils étaient devenus nazis, cela avait l’avantage d’expliquer pourquoi ils n’avaient connus que peu d’exploits). Mais pour des raisons compréhensible Marvel refusa l’idée que certains de ses héros, même oubliés, aient pu devenir pro-nazis. Roy Thomas modifia donc son idée de manière à remplacer les héros de Marvel/Timely qu’il avait prévu par des homologues récupérés parmi les super-héros de l’Age d’Or publiés par d’autres sociétés mais qui étaient depuis tombés dans le domaine publique.

Pour remplacer une héroïne qui devait à l’origine la Black Widow (celle dernièrement vue dans les Twelve) ou Silver Scorpion (finalement bien utilisée dans la mini-série en question mais comme alliée des héros), Thomas utilisa donc la Spider-Queen, la transformant en sympathisante du mouvement Nazi. Ce qui est doublement malheureux car dans l’épisode de 1941 on voit mal ce que pouvaient être les « ennemis du pays » mentionnés lors du meurtre en dehors d’agents allemands. La transformer d’un coup de baguette magique en pro-nazi est donc une négation du personnage de base. J’ai l’impression que lors de sa sélection Roy Thomas a cherché à utiliser des héros qui tuaient dans leurs aventures originelles, comme une preuve qu’il s’agissait déjà de personnages près à tomber du côté obscur. Mais si Spider-Queen tue bien un gangster, ce n’est pas avec une arme à feu et on pourrait argumenter que c’est le malfrat lui-même qui s’étrangle en se débattant trop dans la toile.

Dans le même temps des modifications de couleurs furent faites au costume. Roy Thomas ne disposant que de photocopies des épisodes originaux, elle fut colorisée de façon un peu aléatoire dans un costume rouge et jaune (sans trace du bleu originel). Certains détails biographiques changent aussi : dans ces épisodes qui se déroulent en 1942, Sharon Kane explique que son époux a été assassiné en 1941. Visiblement Roy Thomas est parti du principe que le meurtre s’était produit juste avant la parution d’Eagle #2, faisant abstraction du fait que cet épisode explique au contraire que l’héroïne est veuve depuis deux ans, soit 1939. Et pourtant, plus tard, dans Captain America #442 , dans une scène se passant de nos jours, l’uniforme de Spider-Queen (version jaune et rouge) est exposé lors d’une réunion d’anciens héros des années 40 (et on voit mal des vétérans exposer le costume d’une « collabo »..). D’une part il convient de noter que parmi les autres héros transformés en pro-nazis dans la mini-série Invaders il se trouvait le Doctor Death, alias le Doctor Nemesis qui a récemment refait surface en héros dans la série Uncanny X-Men. Une explication de ce côté-là n’est donc pas exclue. Mais de plus il serait possible d’exonérer Sharon Kane de ce passé nazi « trafiqué » en additionnant toutes les contradictions et les choses restées en suspens depuis les années 40.

Si des nazis ont effectivement assassiné Harry Kane en 1939 pour  lui voler le secret de son « spider-fluid » en 1939, il n’est pas incroyable de penser qu’en voyant apparaître une Spider-Queen brune quelques temps plus tard les saboteurs pouvaient tout à fait en déduire la véritable identité de l’héroïne. Par ailleurs, eux aussi en possession du même secret, ils pouvaient reproduire le même gadget et, en clair, créer leur propre Spider-Queen pour infiltrer les rangs des héros américains et se livrer à une sorte de guerre psychologique tout en ternissant la réputation d’une vraie héroïne. Ce qui expliquerait que l’imitatrice, tout en prétendant être Sharon Kane, fasse des erreurs biographiques sur sa propre vie. La supercherie aurait été découverte après la mini-série Invaders, ce qui expliquerait que les vétérans de l’âge d’or garde le souvenir de la vraie Spider-Queen et non pas de la copie pro-nazie.

Devenue un  personnage Marvel, Sharon Kane peut elle être considérée comme la veuve du Harry Kane qui était par ailleurs le héros Hurricane ? Non, car entre-temps Marvel a fusionné l’existence de plusieurs héros super-rapides du Golden Age pour expliquer que Hurricane ou Mercury n’avaient été que des alias utilisés par Makkari, un membre de la race immortelle des Éternels. On voit mal comment Sharon pourrait être la veuve d’un être immortel toujours en activité aujourd’hui. Ce qui laisserait trois solutions. La plus simple serait tout bêtement une question d’homonymie accidentelle (mais vus les clichés inhérents aux comics, le hasard est rarement de mise). Le deuxième consisterait à dire que le vrai Harry Kane ayant été tué en 1939, Makkari procède à une sorte de vol d’identité à partir de 1940 (peut-être d’ailleurs avec le soutien de la veuve dans une histoire qui resterait à écrire). La troisième, enfin, reviendrait à dire que Sharon Kane a bien été mariée à Makkari sans le savoir mais que, par la force des choses, les Éternels sont régulièrement obligés de mettre en scène leur propre mort afin d’éviter d’expliquer aux humains qu’ils ne vieillissent pas. Ou encore « Harry Kane » aurait été blessé par des Déviants, les ennemis héréditaires des Éternels, d’une façon trop spectaculaire pour que Makkari réapparaisse plus tard auprès de sa femme sans trahir l’existence de sa race. Bref, il existe bien des façons de raccorder à nouveau Spider-Queen à l’univers Marvel, à plus forte raison parce que le « branchement » a peut-être déjà failli se faire dans les années 40. Il y a cependant peu de chance qu’autant de ramifications soient un jour élucidées. Si Roy Thomas a pu importer chez Marvel cette héroïne créée chez Fox, c’est qu’elle est tombée dans le domaine public. Ce qui fait qu’en théorie tous les éditeurs pourraient aussi bien l’utiliser du jour au lendemain (par exemple c’est tout à fait le genre de personnage qu’on pourrait revoir un jour dans les Project Superpowers publiés par Dynamite). Et au printemps 2009 Spider-Queen a d’ailleurs fait l’objet d’une sorte de concours sur le site Whitechapel où Warren Ellis lui-même a encouragé les artistes à réinventer l’héroïne (cliquez ici et vous pourrez découvrir des diverses versions, y compris celle de Pia Guerra, la dessinatrice de Y the Last Man).  Il est évident que certains participants n’ont pas fait l’effort de s’intéresser au matériel d’origine et se sont contenté de faire une sorte de spider-woman monstrueuse mais certains dessins valent le détour comme  celles de Ryan Kelly (dessinateur de Local, Northlanders…) ou Adrian Rivero. Il y a donc peu de probabilité que Marvel mette beaucoup d’efforts à faire ressurgir un concept que la concurrence pourrait lui piquer. Cela dit le fait que Doctor Nemesis ou Amazing-Man (le Prince des Orphelins dans Immortal Iron Fist), aient refait surface dans des conditions similaires laisse une porte entrouverte… D’une manière où d’une autre, ce serait en tout cas rétablir une injustice que permettre à la Spider-Queen de se laver de cette sordide affaire de nazisme…

[Xavier Fournier]

(et au passage un grand merci à Ryan Kelly pour l’autorisation de reproduire ici sa version moderne de Spider-Queen 🙂 )

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