Oldies But Goodies: Exciting Comics #1 (Avril 1940)

[FRENCH] Quand le Système Solaire est menacé par un mystérieux Space Emperor, vers qui l’humanité peut-elle se tourner ? Vers le Major Mars et son puissant allié robotique, bien sûr ! Ces héros futuristes firent une éphémère apparition dans Exciting Comics #1, en 1940… Pourtant il y a de bonnes chances que le Major Mars rappelle bien des choses aux trentenaires ou aux « quadra » qui liront ces lignes. Mais peut-être… peut-être qu’il faut savoir voir au delà des noms…

Direction un univers plein de science-fiction. Ni plus ni moins que le Système Solaire en 3964, quand le fait de se déplacer entre les planètes est devenu un acte presque banal et que la race humaine n’est plus qu’une grande nation, dirigée par un unique Président de la Terre. L’époque semble parfaite, débarrassée de nombreux problèmes de notre société actuelle. Pourtant il reste un certain nombre de situations dans lesquelles il n’y a qu’une solution… Faire appel au Major Mars, véritable « sorcier de la science ». Né sur la Lune, Major Mars est un « comité de vigilance à lui tout seul » qui consacre sa vie à maintenir la paix entre les planètes. Enfin pas véritablement « tout seul » puisque, pour l’aider dans sa tâche, il a inventé le robot Crag, un géant de métal au cerveau synthétique…

L’action commence dans le bureau du Président de la planète Terre, quelque part dans la capitale du monde (qui se trouve être New York City). Son assistant l’informe l’élu qu’un croiseur de l’espace vient de se poser et le Président s’en réjouit. Le vaisseau amène l’agent secret Sperling, dont on attend le rapport avec impatience. Mais soudainement une créature inhumaine, simiesque, s’introduit dans la pièce. L’assistant manque de tirer sur ce monstre singulier mais le président l’en empêche. Il pense que le monstre n’est autre que l’agent Sperling. Trop tard. La créature s’écroule à leurs pieds, confirmant dans son dernier râle qu’elle est bien Sperling… « Le Space Emperor, sur Jupiter… Il a fait ça !« . Le président se retourne vers son assistant et explique « Je l’ai reconnu… Il a quitté la Terre comme un homme et le voici qui y revient comme une bête !« . Or, la mission de Sperling était justement d’aller voir de plus près si, comme la rumeur le prétendait, quelque chose était sur le point d’exterminer les colonies sur Jupiter. Avec un espion transformé en monstre méconnaissable, le doute n’est plus de mise…

Le Président est désespéré. L’affaire n’est plus conventionnelle. Il ne reste plus qu’une solution : « Nous avons besoin de Major Mars ! Appelez-le en utilisant le projecteur du Pole Nord ! Lui seul peut nous aider !« . Du pôle s’élève alors deux grands signaux lumineux (un peu comme le faisceau d’un phare géant) qui traverse l’espace. Il s’agit d’une sorte de « bat-signal » cosmique : la lumière est d’une taille suffisante pour être vue de la Lune (là où réside Major Mars… contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire). Sans doute qu’en 3964 on a renoncé aux émissions de radio ou à des choses « primitives » de ce genre pour se tourner vers cette solution beaucoup moins pratique. Mais enfin, à l’évidence, cela fonctionne. Le vaisseau spatial du Major Mars traverse bientôt la stratosphère… Rapidement le héros et son robot se présentent dans le bureau présidentiel : « Vous m’avez appelé, Sir. Crag, mon assistant, et moi-même sommes prêts à remplir notre devoir« .

Le Président leur fait alors lire le dernier rapport de l’agent Sperling : « J‘essaie de revenir sur Terre pour faire mon rapport mais je suis en train de me transformer en bête. Tous les hommes de la Terre présents sur Jupiter sont frappés par une étrange épidémie. Mon esprit se dissipe… Je pense comme une bête… Maintenant… Je…« . Puis la phrase s’arrête net. Immédiatement le Major Mars et Crag redécollent. Cette fois ils prennent la direction de Jupiter où ils comptent bien découvrir ce qui change les hommes en monstres. Mais le voyage ne se passe pas comme prévu. Très vite ils sont rattrapés par un autre véhicule. Un vaisseau de combat noir qui commence à leur tirer dessus à coup de lasers. Mars ordonne alors à Crag d’utiliser les rayons au Proton pour les défendre. Le robot étant visiblement un tireur hors pair, il a vite fait de riposter et de toucher le vaisseau noir. Leur adversaire s’écrase sur le sol de Jupiter (oui, je sais, vous et moi savons bien que Jupiter est une planète gazeuse mais personne n’avait prévenu l’auteur) et les deux héros se lancent à sa poursuite. Ils se posent près de lui, dans un paysage dévasté qui n’a absolument rien de « gazeux ». Mieux : le Major Mars ne se contente pas de marcher à la surface de la planète : il en respire l’atmosphère sans le moindre problème ! Mais comment pénétrer dans le vaisseau ennemi ? Facile : les doigts de Crag sont amovibles et peuvent être remplacés par divers accessoires. Dans le cas présent, il installe au bout de ses mains avec des mini-perçeuses qui s’attaquent au blindage du vaisseau.

Le pilote et un complice sont rapidement extirpés de la carlingue. Mars ordonne à Crag de livrer un des prisonniers à la police et d’attendre de nouveaux ordres. Puis le Major se concentre sur le seul captif qui lui reste. Au début il apparaît inflexible. L’homme explique que même si personne ne connaît la vraie identité du Space Emperor les Joviens (les habitants de Jupiter) l’admirent tous. Il refusera de collaborer ! Enfin au moins jusqu’à la case suivante, quand le Major Mars promet de l’abattre comme un chien s’il ne revient pas à de meilleurs sentiments. Finalement l’homme se dit que c’est peut-être une bonne idée de ne pas se laisser tuer et consent quand même à guider Mars jusqu’au château du Space Emperor. Il se fait même complice : le héros lui ordonne de faire semblant de l’avoir capturé. Finalement l’astuce leur permet d’arriver sans encombre jusqu’à la salle du trône du Space Emperor où ce dernier, sadique, est en train de faire fouetter un homme. Le faux vainqueur, devenu malgré lui agent double à la solde du Major Mars, se prosterne alors devant son monarque en lui annonçant l’identité de ce nouveau prisonnier. Mais s’il s’attendait à des louanges, c’est rappé : drapé dans une grande tunique noire, le Space Emperor est furieux. « Il est trop dangereux ! Tu aurais du le tuer sur le champ ! Rectifions cela tout de suite ! ». Mais Mars ne se laisse pas faire. Au contraire il saute sur le Space Emperor pour le capturer. Mais à sa grande surprise son bras travers le tyran comme s’il s’agissait d’une simple ombre. L’adversaire est effectivement intangible et il disparaît en traversant un mur, non sans avoir promis de régler un autre jour ses comptes avec Mars…

Après cet rapide combat et faute d’une autre piste, le Major Mars va prendre contact avec Jon Jilson, le gouverneur de la colonie terrestre sur Jupiter. Jilson, accompagné de son vice-gouverneur, ne cache pas qu’il est heureux d’avoir de l’aide et confie le major aux bons soins de sa fille, Joan, qui doit le guider jusqu’à l’endroit où sont gardés les autres hommes qui ont régressé à l’état de bête. Joan Jilson est une jolie brune qui se promène dans un bikini bleu propre aux nymphettes des récits de science-fiction de l’époque. Mais une fois qu’ils sont dans la prison où croupissent les monstres, quelque chose d’imprévu se passe. Quelqu’un les enferme à l’intérieur de l’édifice, tout en s’arrangeant pour les cellules des hommes singes s’ouvrent ! Seuls, enfermés et entourés de monstres, Mars et Joan sont dans de sales draps !

Si le pistolet laser de Mars arrive à tenir en respect certaines des « bêtes humaines » il est vite évident que le nombre finira par l’emporter. Le héros demande à Joan de tenir son arme pendant que lui contacte Crag grâce à la mini-télévision qu’il porte au bras.

Rapidement le robot répond à l’appel à l’aide de son créateur. Il remplace les perceuses qu’il avait au bout des doigts par des chalumeau. Avec des flammes incandescentes qui lui sortent des mains, une fois arrivé devant le mur de la prison Crag a tôt fait de pratiquer une ouverture par laquelle Mars et Joan ont tôt fait de s’évader. Les monstres, tenus en respect par l’imposant Crag, ne peuvent les suivre. Mais très vite il apparaît que Joan ne compte pas participer au reste de l’aventure : « Je suis responsable de l’hôpital dans les mines de radium et doit y reprendre mon service » explique la fille du gouverneur. On en déduira que le bikini et la cape sont la tenue habituelle d’une infirmière du quatrième millénaire…

Major Mars lui souhaite bonne chance. Lui aussi a du travail qui l’attend. Son vaisseau contient un laboratoire complet et, à l’intérieur, il peut étudier de plus près le procédé qui transforme les hommes en bêtes. « Cela doit être du à une réaction du thymus. Je vais tester et créer un sérum de guérison qui pourra être injecté via une seringue hypodermique ! ». Mais cela ne résout qu’une partie de l’enquête. Il faut aussi en savoir plus sur ce mystérieux Space Emperor : « La police planétaire doit en savoir plus. Je vais aller voir leur commandant ». Alors qu’il approche du commissariat planétaire, le Major Mars est entouré de Joviens, qu’on voit pour la première fois dans le récit. Il s’agit de petites créatures vertes. Rapidement la discussion entre le commandant de la police et le Major va nous faire comprendre que nous sommes dans une sorte de parabole de la colonisation. Les Terriens sont les colons tandis que les Joviens sont les colonisés. Et ce fonctionnement est en train d’être remis en cause, comme l’explique le policier : « Les Joviens deviennent de plus en plus nerveux. Ils préparent quelque chose ! Nous suspectons qu’ils se servent des mines de radium comme d’une base d’opération ! ». Et pour un immense limier comme le Major Mars, cela ne peut dire qu’une chose : « On dirait bien que c’est l’œuvre du Space Emperor ! ».

Immédiatement le Major Mars se rend aux mines de radium, où les Joviens travaillent sous la supervision de terriens. L’histoire montre clairement qu’elle a été écrite quand la colonisation « classique » était encore à l’œuvre et qu’elle était jugée naturelle par les occidentaux. Aucune explication de la révolte des Joviens n’est réellement donnée. Le Major Mars ne s’intéresse pas à leur point de vue. Alors que si on s’en tient à cette présentation des mines de radium il apparaît bien que les Joviens sont pour ainsi dire réduits en esclavage et on comprendra donc mieux qu’ils n’apprécient pas vraiment la situation. Arrivé aux mines, le Major Mars se comporte bizarrement et commence à « zapper » les sentinelles humaines pour mieux pouvoir s’introduire dans les cavernes. Peut-être ces sentinelles sont-elles des complices des Joviens mais rien dans l’histoire ne nous le dit à ce point et l’agressivité de Mars envers elles reste sans justification à ce point. En progressant dans les mines, Mars ne tarde pas à tomber sur un rassemblement massif de Joviens, armés de fusils lasers : « une violation de toutes les lois planétaires ! ». Caché derrière un rocher, le Major Mars n’est pas franchement réjouit par la scène « Avec ces armes ils vont se rebeller et repousser la colonie terrestre dans l’espace ! ».

A ce moment, le Major Mars surprend une sentinelle humaine en train d’informer (sans doute par radio) le Space Emperor que toutes les troupes sont armées. Bon, ça va. Le Major Mars avait donc raison de tirer sur les gardes humains en arrivant près de la mine (bien qu’on ne saura jamais pourquoi et comment il a pu le deviner). Mars saute sur l’homme et le force à parler. Mais les raisons des humains pour se plier aux ordres du Space Emperor deviennent plus compréhensible : « Nous sommes forcés d’obéir au Space Emperor ou il nous changera en singes ! Il possède la ceinture magique des Anciens, une super-race qui vivait sur Jupiter il y a des lustres de cela. Cette ceinture lui donne des pouvoirs surhumains ! ». Avant d’attacher l’homme dans un coin, le Major Mars lui arrache un dernier renseignement : personne ne sait qui est le Space Emperor mais il tiendra un « meeting » devant les Joviens ce soir, dans la Vallée Sacrée !

La nuit venue, le Major Mars est caché quelque part dans la vallée en question, attendant l’arrivée du Space Emperor. Mais quand la silhouette lugubre sort de son propre vaisseau spatial, une surprise attend notre héros. Le Space Emperor a pris une otage : la belle Joan est prisonnière ! C’en est trop pour Mars, qui utilise alors une ressource dont il n’avait pas fait preuve depuis le début du récit : Il peut se rendre invisible à volonté pendant une courte période : « Cela ne durera pas longtemps mais je dois sauver Joan avant que l’effet s’estompe ».

Le héros se glisse à côté de l’humaine pour la libérer de ses chaînes et la rassure en lui expliquant que, même si elle ne peut le voir, il est bien là pour la protéger. Mais l’invisibilité du Major Mars est de courte durée. Il redevient déjà visible alors qu’il est là, à côté de Joan, encerclé par des Joviens qui se précipitent aussitôt sur cet « espion terrestre » qui vient d’apparaître devant eux. Le Space Emperor est triomphant : « Et maintenant, Major, une fois que tu seras mort je ne pourrais échouer ! ». Brave même dans ces conditions, Mars le toise : « Je ne suis pas encore mort ! ».

Qu’à cela ne tienne. C’est quelque chose qui peut être réglé très vite. Les joviens emmènent Mars et Joan jusqu’au château du Space Emperor (celui qu’on a vu plus tôt dans l’épisode). Là, les deux humains sont enfermés dans une pièce dont l’entrée est rapidement scellée. Mars se lamente « Si seulement je pouvais appeler Crag ! Mais ils m’ont pris ma télévision portable ! ». Le pire reste pourtant à venir. S’ils ont scellés Joan et le Major dans la pièce, ce n’est pas simplement pour qu’ils manquent d’air au bout d’un moment. Un panneau s’ouvre, laissant entre un des monstres simiesques. Cette fois ils sont coincés et Joan panique : « Tu ne peux le combattre, il est trop fort ! ». Un combat perdu d’avance ? Oui mais cela ne suffit pas à faire reculer le Major Mars. Un corps à corps s’instaure (entre Mars et le monstre, pas entre Mars et Joan !) et il semble bien que le héros ait le dessous. Heureusement Mars avait gardé un tour en réserve : il avait sur lui la seringue hypodermique qui contient le remède à cette étrange mutation (ne me demandez pas pourquoi les Joviens, qui ont pensé à lui retirer son bracelet-télévision, ne l’ont pas fouillé entièrement de manière à lui retirer également la seringue). Il arrive à piquer le monstre qui, en quelques instants, redevient humain. C’est l’homme qui avait aidé Mars à pénétrer dans le château un peu plus tôt : « Je me souviens de m’être lentement transformé en bête. C’était horrible ! L’Emperor a découvert les secrets des Anciens. Ils le rendent tout-puissant ! ». Mais de sa période « monstrueuse » l’homme garde quelques souvenirs : « Son Q.G. est dans une caverne en dessous de la Montagne du Feu. Il m’a trouvé là et transformé en singe ! ».

Le Major Mars, Joan et l’homme s’enfuient à travers le conduit qui a amené le monstre dans leur cellule. Hors écran, Ils sont rejoints par Crag. Ce dernier et Mars s’envolent bientôt à bord d’un vaisseau qui n’est pas le leur (pour ne pas être reconnu), se dirigeant vers la Montagne du Feu, identifiée comme « un autre accident de la nature sur Jupiter ». Il s’agit effectivement d’une grande montagne plantée au milieu d’un lac de lave. Un lac si chaud qu’il faut même le survoler à pleine vitesse de peur que les parois du vaisseau se mettent à fondre ! A l’intérieur de la montagne les héros ne tardent à tomber sur le véhicule du Space Emperor… Que le Major Mars sabote à coups de lasers « Il ne pourra pas s’échapper cette fois-ci ! ». Mais alors que l’aventurier continue d’explorer le Q.G. de son adversaire, Crag le prévient que quelqu’un s’est emparé de leur propre fusée (visiblement les antivols ou les codes numériques n’existent pas au 4ème millénaire et les gens peuvent s’emparer de n’importe quel vaisseau comme s’il s’agissait d’une vulgaire deux chevaux). Le Space Emperor s’en va donc en laissant Mars et Crag prisonniers de la Montagne du Feu. A leur attention il s’écrie : « J’étais invisible quand je vous suis passé devant. Sans vaisseau vous ne pourrez quitter la caverne ! La fumée de la lave est empoisonnée ! ». On comprendra donc que le Space Emperor peut lui aussi se rendre invisible, comme le Major Mars, et que tous les deux utilisent peut-être une seule et même technologie. Mars et Crag ne sont pas seulement coincés dans la caverne… Ils courent un risque encore plus immédiat : avant de partir le Space Emperor a inversé le courant de la lave, qui s’écoule maintenant à l’intérieur de la caverne.

C’est là qu’un curieux défaut de logique va s’abattre sur l’histoire. Major Mars a bien un plan pour s’échapper mais vous allez voir qu’il est incohérent. Le héros dit à son robot : « Tu n’as pas de poumons. Je vais te rendre invisible pour que la chaleur ne te fasse pas fondre ! ». Et, comme « porté » par l’invisibilité, l’être mécanique s’élève au dessus de la lave et des flammes. Que Crag n’ait pas de poumons, c’est bien pratique pour échapper aux vapeurs empoisonnées, c’est certain. Mais que le fait d’être invisible empêche le métal de fondre est d’une logique beaucoup plus… discutable (c’est le moins qu’on puisse dire). En fait l’invisibilité utilisée par le Major Mars est sans doute semblable à celle d’Invisible Girl dans les Fantastic Four, elle s’accompagne sûrement d’un champ de force protecteur… Mais il aurait mieux valu que le scénariste le dise quelque part. Le but de la manœuvre est de transporter Crag jusque de l’autre côté de la lave pour aller chercher leur vrai vaisseau (celui avec lequel ils sont venus sur Jupiter, pas le véhicule banalisé qu’ils ont utilisé pour venir dans cette montagne). Crag revient donc à bord du vaisseau et désintègre une partie de la montagne de manière à laisser une sorte de puit dans lequel Mars peut s’envoler grâce à sa ceinture anti-gravité. Vous remarquerez que toutes les aptitudes du Major Mars apparaissent dans l’histoire avec la grâce d’un cheveu sur la soupe, le scénariste ne prenant jamais la peine de mentionner au préalable leur existence. Et si vraiment Mars avait une ceinture anti-gravité sur lui, est-ce que la chose n’aurait pas été utile dans deux ou trois scènes précédentes (par exemple pour échapper aux Joviens dans la Vallée Sacrée).

Une fois le sauvetage effectué, le Major Mars retourne jusqu’à la colonie terrestre. Là, Joan le prévient que le Space Emperor et une armée de Joviens sont en train de marcher vers les Terriens. Le soulèvement tant craint est là ! Utilisant leurs ceintures à gravité, Mars et Crag s’élancent à la rencontre des forces ennemis. « Il va raser la colonie terrestre ! » s’exclame le Major Mars. « Pas si je lui met la main dessus en premier, Maître » rétorque Crag, capable de parler comme une sorte de boxeur revanchard et pas forcément comme une froide machine. Mais en fait l’issue de la bataille ne dépend pas de Crag. Profitant du fait qu’il peut voler, le Major Mars tombe comme s’il était un oiseau de proie sur le Space Emperor et lui arrache sa propre ceinture, celle qui vient des Anciens. Du coup, le Space Emperor est privé de ses superpouvoirs (en particulier l’intangibilité et sans doute l’invisibilité). Qu’à cela ne tienne : Le Space Emperor cachait un pistolet laser dans sa manche et compte bien l’utiliser contre Mars. Peine perdue : Mars arrive à le sonner d’un coup de poing. Mais reste l’armée jovienne, fidèle à son leader : « L’Emperor n’est pas mortel ! Il fait partie des Anciens ! Mort aux hommes de la Terre ! ».

« Attendez ! ». Le Major Mars arrache alors la cagoule du Space Emperor, leur révélant qu’il s’agit… d’un humain ! Le Space Emperor est en fait Kells, le vice-gouverneur de la colonie qu’on avait entrevu au début de l’histoire. Les Joviens réalisent qu’ils ont été manipulés et la révolte capote immédiatement. Plus tard, le Major Mars rejoint la belle Joan pour faire le point avec elle. Kells, l’ex-Space Emperor, est en prison et les cavernes des Anciens, dans la Montagne de Feu, ont été détruites par la lave.

Jupiter connaît à nouveau la paix. Bien sûr le Major Mars ne s’est pas intéressé un seul instant au sort des Joviens et aux conditions de travail dans les mines. Et encore moins au fait que les Terriens n’ont rien à faire sur cette planète qui n’est pas la leur et qu’ils exploitent sans l’accord des autochtones. Cela ne fait décidément pas partie des considérations « politiquement correctes » de l’époque. Après une brève étreinte, le Major Mars explique qu’il doit retourner sur la Lune en attendant le prochain signal lumineux (vous vous souvenez ? Celui qui est émis depuis le pôle), promesse de futures aventures… En fait, la carrière du Major Mars n’irait guère plus loin. On ne le reverrait plus… En tout cas pas dans les comic-books et pas sous ce nom. Ailleurs ? Ah! Ailleurs c’est une autre histoire. Ou plutôt non : c’est la même histoire mais avec un héros différent…

Les fans des émissions de télé des années 80 auront sans doute réalisé où je voulais en venir en écoutant que le robot s’appelait Crag ou encore que le criminel de l’histoire était surnommé Space Emperor (en Français « L’Empereur de l’Espace »). Le Major Mars est en effet nul autre que… le Capitaine Flam ! Ou plutôt, si on se réfère au nom américain d’origine, le Captain Future… A l’issue de la première convention mondiale de Science-Fiction, qui se tenait à New York en 1939, Mort Weisinger (futur responsable éditorial de Superman mais aussi créateur de Green Arrow et d’Aquaman), qui travaillait alors chez l’éditeur Better Publications, eut l’idée de lancer un héros littéraire futuriste qui viserait le public adolescent. Il n’avait guère, dit-on, que le nom (Mister Future ou déjà Captain Future selon les sources) et confia au romancier Edmond Hamilton la tâche de donner forme à ce personnage. Captain Future est en fait Curt Newton (alors que dans la BD le Major Mars n’a jamais d’identité civile particulière), un aventurier du futur accompagné par une bande d’amis surnommés les Futuremen : le robot Crag (identique en tous points à celui que nous venons de voir), Simon Wright (un cerveau humaine privé de corps, préservé dans une boîte bardée d’électronique) et Otho (un androïde verdâtre). Avec Curt, les Futuremen sont pratiquement un prototype d’équipe de super-héros, une sorte de Vengeurs des Étoiles pour lesquels il n’est pas très dur de trouver des homologues dans le monde des comics. Par exemple le cerveau désincarné, Simon Wright, est sans doute à la base du Eternal Brain (un personnage similaire publié par Timely en 1940 dans Red Raven Comics et réutilisé dans Marvel : The Lost Generation). De même on peut faire quelques rapprochements entre Crag, le robot multifonctions et le Robotman du Golden Age. Quand au premier adversaire de Captain Future et de ses Futuremen, il s’agissait du…. Space Emperor qui tentait de soulever la race jovienne contre les humains. Bien plus tard, à la fin des années 70, le Captain Future fera l’objet d’un dessin animé japonais (lequel, en France sera traduit sous le titre Capitaine Flam) dont l’histoire initiale reposait sur l’affrontement entre Curt Newton et « l’Empereur de l’Espace ». Un jour d’ailleurs il faudra d’ailleurs qu’on m’explique pourquoi le générique VF prétendait que le héros n’était « pas de notre galaxie » puisqu’aussi bien dans les romans que dans le dessin animé il était bien d’ascendance terrestre…

Tout ça est bien gentil me direz-vous mais n’explique pas comment dès1940 le Captain Future originel pu apparaître sous le nom de Major Mars dans Exciting Comics #1. Bien sûr, le premier réflexe est de penser qu’il s’agit d’une adaptation clandestine (le changement de nom s’expliquerait alors comme une tentative de cacher l’identité du modèle). Mais non : Le pulp de Captain Future et Exciting Comics appartenaient à un seul éditeur (Better Publications publiait aussi bien des livres que des BD). Pourquoi, dans ces conditions, craindre d’adapter le héros sous son nom d’origine ? D’autant que dans une autre de ses revues Better allait publier les aventures d’un super-héros qui n’avait rien à voir mais qui s’appelait, lui, Captain Future… La seule raison logique est que l’éditeur ait voulu brouiller les cartes envers les auteurs (probablement Hamilton). On l’a vu tout à l’heure, le vrai Captain Future était le fruit d’une idée de Mort Weisinger, perfectionnée par un collègue nommé Leo Margulies et détaillée par la suite par le scénariste Edmond Hamilton. Il est fort possible que l’idée de dissocier le personnage de son nom pour en faire deux concepts sous forme de BD était une manière d’éviter toute réaction de la part du scénariste. En gros Better pouvait profiter du nom de Captain Future avec un personnage qui n’avait rien à voir avec les écrits d’Hamilton (pour lequel il ne pouvait demander de royautés) et par ailleurs de Curt Newton mais sous un nom qui le dissimulait pour les mêmes raisons.

Captain Future devint donc Major Mars tandis qu’on éliminait certains Futuremen pour rendre l’histoire plus facilement résumable en quelques pages. Ne restait donc plus que Crag, sous son nom d’origine. Le Space Emperor non plus n’avait pas changé de pseudonyme… Et il y avait bien une Joan dans les aventures de Captain Future…

On notera que le nom « Major Mars » ne vient pas totalement de nulle part et qu’il découle d’une certaine logique. Dans le pulp consacré au Captain Future le courrier des lecteurs était animé par un personnage nommé le « Sergeant Saturn »… Toute aussi étrange est le peu de longévité de Major Mars dans les comics. Dès le numéro suivant il avait disparu des pages d’Exciting, remplacé finalement par un strip nommé les Space Rovers (comme par hasard dessiné par le même artiste que Major Mars, Max Plaisted), dans lequel le héros principal a cependant un certain air de famille avec le Major. La carrière de Captain Future dans les romans, elle, durerait des décennies (même s’il y eu quelques interruptions), y compris dans de nombreux pastiches, mais sans jamais repasser véritablement par la case « comics ».

En 2010, cependant, l’éditeur Moonstone a fait part de son intention de publier des BD consacrées à Captain Future et à ses Futuremen. L’état d’esprit régnant dans ses aventures littéraires étant tellement semblable à celui des comic-books, on ne peut que se demander pourquoi il aura fallu attendre 70 ans pour que Curt Newton arrive, sous son vrai nom, sur ce support. Le paradoxe ? Comme le Major Mars est resté tout ce temps sans être utilisé et que Better n’a pas trouvé bon de le protéger, ce personnage là est, lui, tombé dans le domaine public américain (tandis que son robot, Crag, ne l’est sans doute pas). De là à ce qu’un autre éditeur ramène un jour Mars pour concurrencer Captain Future…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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