Oldies But Goodies: Fight Comics #15 (Oct. 1941)
20 avril 2013[FRENCH] Après l’apparition de Superman et après le succès de Captain America, les autres éditeurs de comics avaient une voie toute tracée pour produire des surhommes patriotiques. Fiction House allait même faire d’une pierre deux coups en mélangeant les deux hérons et en créant… Super-American !
Automne 1941. L’Amérique n’est toujours pas entrée dans la seconde guerre mondiale. Mais cela lui pend au nez. Au point qu’en début d’année les héros de bandes-dessinées s’attaquant (plus ou moins directement) au nazisme se sont multipliés. Dès le premier trimestre 1941 Captain America osait déjà casser la figure à Hitler sur la couverture de son premier numéro. Si, au regard de l’Histoire, la chose se justifie tout à fait, notons qu’en 1941 la situation était plus complexe. Il s’agissait de taper sur le leader d’un pays qui, officiellement, n’était pas en guère avec les USA. Le signal envoyé par Captain America Comics #1 était fort et il allait être repris par de nombreux imitateurs. Ainsi le 15ème numéro de Fight Comics (publié chez Fiction House) cache mal ses origines. On y découvre un nouveau super-héros, Super-American. Et comme si le nom n’était pas déjà en lui-même un aveu d’une fusion entre deux héros majeurs de l’époque, la couverture se charge pratiquement d’officialiser la chose. Le dénommé Super-American y donne un violent coup de poing à un dictateur moustachu habillé en kaki. Fiction House n’a pas tout à fait le même courage que Timely/Marvel Comics quelques mois plus tôt : la croix gammée a été remplacée par un logo voisin mais différent. Ce qui fait que stricto-senso le dictateur en question n’est pas Hitler. Mais la caricature est évidente, transparente. Tout le monde reconnaît Hitler mais en même temps, si quelqu’un trouvait à redire (le mouvement bundiste, favorable à l’Allemagne, est encore légal), l’éditeur pourrait nier.
A l’intérieur, sur la première page de l’histoire, la même scène est rejouée sous un autre angle. Super-American donne une nouvelle fois un coup de poing au dictateur en kaki, vu de plus près. Au cas où notre lecteur de 1941 n’aurait pas compris l’allusion, un sous-titre proclame d’ailleurs « Un homme seul contre les chiens fous de l’Europe ». On n’est donc assurément pas dans une république fictive d’Amérique-du-Sud ou dans une contrée imaginaire située on ne sait où. Qui plus est la scénographie même de cette seconde image (le héros patriotique tapant sur le crypto-nazi, tandis qu’au premier plan un innocent est sur le point d’être torturé) est calquée sur le modèle des couvertures de Timely/Marvel.
Et pour autant la présente chronique ne va pas passer son temps à jouer au jeu des neuf erreurs entre le modèle (Captain America) et son imitateur. Car malgré cette mise-en-bouche Super-American a quelques caractéristiques propres, esquissées dès cette première page à travers les propos du narrateur : « Le voici enfin ! Le symbole vivant de l’esprit combattant américain… Super-American, venu du futur pour sauver l’Amérique de la tyrannie ! ». Car, oui, Super-American ne vient pas d’une autre planète. Il vient du futur !
L’action débute pourtant bien dans le « présent » de 1941. Et au cas où le lecteur ignorerait ce qui se passe dans le reste du monde quelques vignettes nous montrent que l’Europe est ravagée par la guerre mais qu’en plus les dictateurs envoient partout leurs agents de destruction. Puis on nous montre un train qui explose et qui n’est sans doute plus en Europe : « Même en Amérique des traîtres totalitaires détruisent et tuent pour leurs maîtres assoiffés de pouvoir ». Mais pendant ce temps-là, celui qu’on nous présente comme l’inventeur vedette de l’Amérique, Allan Bruce, travaille sur un projet en apparence absolument pas lié aux évènements du monde. Le docteur Bruce a mis au point le Chronopticon, une sorte de fenêtre qui sert à communiquer avec d’autres époques. Grace à cette machine, Bruce découvre dans le futur une « étonnante race d’américains du futur ».
Le savant est fou de joie : « Gloire ! C’est un rêve de patriote qui se réalise ! Si seulement ils pouvaient venir dans l’Amérique actuelle, les pouvoirs de la paix, de l’honneur et de la liberté seraient surs de l’emporter. Et comme le Chronopticon permet une communication entre les deux époques, Bruce franchit le pas. Il implore les hommes du futur d’aider l’Amérique contemporaine… Et là on peut prendre deux secondes pour mesurer à quel point le savant n’est pas fortiche en logique. Car si ce qu’il trouve en regardant le futur ce sont des super-américains patriotes, il devrait réaliser immédiatement que son pays est assuré de l’emporter !
Et que croyez-vous que les américains du futur répondent à sa demande ? Que c’est impossible ? Que cela créerait un paradoxe temporel qui pourrait remettre en question leur propre existence ? Mais non, voyons ! Ce sont de bons américains ! Ces surhommes du futur permettent alors à Bruce rencontrer, via la vitre du Chronopticon, leur président. Ce dernier l’accueille en ces mois : « Comment puis-vous aider, mon ami du vingtième siècle ? ». Vu que le président du futur n’est pas au courant de la requête de Bruce, cela implique qu’on ne lui a pas expliqué les choses plus que ça, pourtant il semble capable de voir au premier coup d’œil que l’homme vient du vingtième siècle (sans doute parce qu’il ne s’agit pas d’un surhomme et qu’il ressemble, de son point de vue, à un primitif). Là, Bruce explique la situation : « L’Amérique est en grand péril ! Des dictateurs européens menacent notre démocratie ! Pouvez-vous nous envoyer une armée ? ». Le président réfléchit « C’est vrai ! Nos livres d’Histoire nous disent qu’il y a eu des problèmes à l’époque. Nous ne pouvons vous envoyer une armée mais je sais l’homme qu’il vous faut ! ». Le président du futur s’adresse alors à un de ses compatriotes, lui expliquant qu’il s’agit d’une mission dangereuse, dans un monde très différent de la démocratie américaine telle qu’ils la connaissent. L’homme accepte cependant, enfile un costume bariolé et se dirige vers une machine à voyager dans le temps. En 1941, Allan Bruce voit alors se matérialiser devant lui… Super-American !
En fait, si on regarde bien le récit on se rend compte qu’il ne précise pas formellement si Super-American était déjà un super-héros dans le futur (avant qu’on l’expédie au vingtième siècle) ou s’il est devenu tout spécialement pour cette mission. Et Allan Bruce est trop content de recevoir de l’aide pour penser à poser des questions. Il prend alors le héros dans ses bras et s’aperçoit de la dureté de ses muscles : « Vous devez être fait d’acier vivant ! ». Mais leur rencontre est interrompue par un flash radio. On y apprend que des émeutes ont éclaté à Washington et que la cinquième colonne (comprenez : les sympathisants de la puissance étrangère) se dirigent vers le Capitole ! Autant de traitres que Super-American se promet d’écraser. Il se rend alors « à la vitesse de la lumière » (mais on ne sait pas trop si c’est en courant ou bien en volant) vers le Capitole. Perché sur le toit du bâtiment, il s’adresse alors à la foule inquiète. Il ordonne aux américains de s’unir, de manière à ce qu’ensemble ils puissent balayer ces chiens totalitaires. Il faut croire que Super-American a, entre autres superpouvoirs, un talent inné pour la persuasion car la foule, en voyant débarquer cet homme costumé, ne doute pas un instant de sa valeur. Au contraire, on l’applaudit, on lui donne raison. Un homme lève même le doigt vers lui et s’exclame « C’est celui que nous attendions ! ». Bref, un vrai Messie. Mais un passant doute, quand même… Si l’homme costumé est si fort, pourquoi n’arrête t’il pas les meurtriers ? Au coin de la rue ils sont en train d’exécuter les sénateurs américains !
Et effectivement il n’en fallait pas plus pour que Super-American intervienne. Il se précipite sur le peloton d’exécution et commence à les rouer de coups puis force les soldats à révéler où se trouve leur officier. Au QG des traitres, un homme arrive et informe son supérieur qu’ils ont échoué : un être étrange est en train de les écraser ! Le leader est furieux. « Échoué ? Porc stupide ! Tu vas mourir pour ça ! Un être étrange, hein ? Laissez-moi mettre la main dessus… Je le réduirais en morceaux ! ». Mais les vantardises du chef sonnent comme un pétard mouillé quelques secondes plus tard, quand Super-American passe à travers le mur de la pièce et lui botte le derrière. Le héros a vite fait de venir à bout du traître mais celui-ci, en tombant à terre, a le temps d’une dernière manigance. L’homme actionne un levier et dit « Bon ! Et bien tu ne peux pas arrêter ça ! Le barrage du Maryland va être réduit en pièces ! ». Super-American s’envole alors, promettant d’empêcher ça… tout en assurant son adversaire qu’il s’occupera de lui plus tard. Ce passage est le premier où nous pouvons réellement jauger la puissance surhumaine du héros. Dans les pages précédentes on avait tout au plus parlé de se rendre « à la vitesse de la lumière » au Capitole mais il aurait pu s’agit de propos au figuré. Plus tard, quand Super-American saute sur le peloton d’exécution, il le fait d’une telle manière qu’il est difficile de savoir si nous sommes face à un athlète parfait (du même type que Captain America) ou s’il a réellement des superpouvoirs. La scène avec le leader, où le héros brise le mur puis s’envole, règle la question. Nous sommes bien face à un émule de Superman.
Super-American arrive devant le barrage alors que celui a commencé à craquer et qu’une importante quantité d’eau s’échappe. Mais utilisant sa force, le héros a vite fait de boucher le trou dans la paroi avec d’imposants rochets. Les habitants du secteur l’entourent pour le remercier… Mais Super-American les coupe. L’armée fasciste est en train de diffuser un message via des haut-parleurs : « Washington est sous notre domination. Notre chef suprême, Tyrannus, est à la Maison Blanche ! L’unité M a reçu l’ordre de détruire Millville ! » (Millville est situé dans le Maryland et il s’agit, à l’évidence de l’endroit où le héros se trouve). Mais bien sûr Super-American n’est pas du tout décidé à les laisser faire. Il se précipite sur l’armée ennemie, retournant les blindés comme s’il s’agissait de ballons gonflables : « J’ai vu des photos de ces engins dans nos anciens films historiques ! ». La destruction de Millville évitée, Super-American s’élance alors à nouveau vers Washington… Se promettant de rendre une visite à Tyrannus !
Au même moment le Congrès américain a été réuni de force. Sous la menace des armes les officiels sont obligés de voter pour donner les pleins pouvoirs au chef Tyrannus. Mais Super-American fait irruption dans l’édifice, déclarant la méthode comme…inconstitutionnelle (c’est le moins qu’on puisse dire !). Les soldats qui menaçaient les élus retournent alors leurs mitrailleuses vers le surhomme, ne réalisant pas le pouvoir de ce dernier. Pas impressionné par les balles, auxquelles il est insensible, Super-American utilise sa force pour tordre le métal d’un parapet et précipiter ses adversaires dans le vide. Désarmés, les fascistes n’ont plus de moyen de menacer les membres du Congrès et n’ont pas la supériorité numérique. Super-American explique alors aux hommes libérés qu’il les laisse régler leurs comptes avec leurs tortionnaires… Tandis que lui a encore du travail qui l’attend. En effet, il reste encore à arrêter le leader et à libérer le Président, retenu à la Maison Blanche.
Tyrannus s’est en effet installé dans le bureau ovale. Informé du fiasco, il décide de tenter le tout pour le tout. Avec une radio il ordonne à ses forces de continuer à envahir l’Amérique et de détruire New York. Visiblement Tyrannus n’a pas capté le problème posé par Super-American et n’est même pas conscient qu’il se dirige vers lui. A ce moment le héros enfonce la porte d’entrée, assomme les hommes de main de Tyrannus et le force à dire où est retenu le Président. Bien obligé de parler, Tyrannus tente un dernier coup de poker et désigne une porte… derrière laquelle se cachent en fait des comparses armés (le fait que Super-American résiste aux balles ne semble vraiment pas pénétrer leur esprit). Le héros a donc vite fait de déjouer le piège, tout en s’écriant « Les américains n’aiment qu’on leur tende une embuscade ! ». Enfin, il peut libérer le Président. Mais Tyrannus a profité de la diversion pour s’enfuir et menacer New York. Bientôt les fascistes tentent une ultime attaque en organisant un parachutage de leurs forces, tandis que des blindés entrent dans la ville… Super-American commence par neutraliser les parachutistes puis provoque le démaillage d’un train juste devant les tanks, de manière à ce que ces derniers ne puissent pas entrer dans la ville. Quand les bombardiers de Tyrannus survolent l’endroit et tentent de détruire New York, Super-American se contente d’attraper les bombes au vol et de les relancer… sur les tanks de Tyrannus. Enfin, la véritable armée américaine se reprend et intervient tandis que Super-American donne la morale finale de l’histoire : « Personne ne peut conquérir l’Amérique si nous nous serrons les coudes ! L’unité fait la force de la démocratie ! ».
Super-American est un personnage potentiellement très intéressant, peut-être encore plus puissant que Superman (à plus forte raison puisque DC Comics découvrira plus tard un talon d’Achille à son personnage, la Kryptonite). L’ennui c’est qu’étant indestructible et rapide, sans le moindre point faible en vue, le suspens est du coup totalement anéanti par la seule présence du personnage. D’ailleurs on sent que le scénariste peine à trouver des situations qui représentent un défi pour lui et opte pour un système de courses. Super-American se rend d’un endroit à un autre pour apprendre finalement qu’on a besoin de lui ailleurs.
Le véritable intérêt du héros réside en sa nature. Le fait de venir du futur. Mais là, on comprend vite que pour le scénariste il s’agit seulement de justifier l’existence d’un « Super Américain » et que l’aspect « voyageur temporel » l’intéresse peu. D’abord si les gens du futur ont une machine à voyager dans le temps et sont disposés à l’utiliser sans craindre les paradoxes, si de plus à l’évidence leurs livres d’histoire ont gardé la trace du conflit, alors on peut se demander pourquoi ils attendent qu’un savant du XX° siècle les contacte pour demander de l’aide. Une autre question est également totalement éclipsée. Ces hommes du futur savent si la guerre a été gagnée et dans quel délai… et le scientifique ne pense visiblement pas à leur demander. Enfin le sauveur du futur, Super-American, manque totalement d’ambition dans l’utilisation du voyage temporel. Il pourrait par exemple arriver non pas en 1941 mais en 1940 histoire d’arrêter Tyrannus avant son attaque (oui, bien sûr, ça nuirait au suspens général mais le scénario ne justifie pas qu’il laisse de côté cette solution). Les auteurs manquent aussi d’ambition, enfin, parce qu’ils n’assument pas le fait que les méchants soient des nazis. Les signes nazis sont déformés, déguisé et Tyrannus est une sorte d’ersatz… Alors que Captain America, lui, avait enfoncé la porte depuis des mois.
Dans le numéro suivant (Fight Comics #16) Super-American continuerait donc de combattre les forces de Tyrannus… Avant que l’éditeur Fiction House se décide à franchir le pas dans Fight Comics #17 (février 1942), c’est à dire sans doute quelques temps avant l’attaque de Pearl Harbor. C’est seulement à ce moment-là que Super-American se décide à lutter contre des nazis dûment identifiés comme tels. L’homme du futur avait tout pour être un de ces super-patriotes qui n’avaient pas attendu l’attaque pour anticiper le danger. En lieu et place, la mollesse de l’éditeur fera qu’il sera noyé dans le torrent de l’Histoire. Peut-être que l’éditeur avait été déçu par le résultat… Ou peut-être (et c’est plus probable qu’un DC Comics aura montré les dents. Mais en avril 1942 (Fight Comics #18), Fiction House décidera finalement de ranger le Super-American au placard. Tombé, depuis, dans le domaine public, le héros n’a donc connu que quatre aventures effectives et il faudra attendre 2008 pour le voir apparaître à nouveau dans la série Project Superpowers chez Dynamite. Au côté d’autres héros patriotiques comme American Eagle, Man of War, Flag, et Liberator, Super-American fait alors partie d’un cercle de héros qui suivent aveuglément les ordres du président des USA (ce qui est logique vu l’épisode initial de Super-American en 1941) même quand ses motivations sont discutables. Cet état des choses fera que Super-American s’opposera aux héros de Project Superpowers en général et à Black Terror en particulier. Si en 1941 on pouvait comprendre (en raison du manque de complexité des histoires) que le personnage n’utilise pas son côté « visiteur du futur », les histoires publiées par Dynamite n’ont pas spécialement tiré parti de cet angle. Le Super-American semble donc destiné à rester un patriote qui, bien que venant de l’avenir, n’est pas capable d’anticiper les évènements de son pays…
[Xavier Fournier]
Le symbole sur sa poitrine rappelle aussi le Shield 😉
Il y a un peu de ça mais l’intention était bien plus probablement d’évoquer l’insigne du poitrail de Superman en ne gardant que vaguement le contour (parce qu’avec un S au centre, là pour le coup ca aurait été donner le bâton pour se faire battre 😉 )
Concernant le coté voyage dans le temps, il est dommage que ce n’est pas été exploité par les scénaristes.
Parce que là, du coup, on peut imaginer n’importe quoi. Selon la théorie du voyage dans le temps sur laquelle on s’appuie, il y a paradoxe temporel ou pas…
Oui, très précisément. Il y aurait un coup à jouer avec ces américains du futur qui, à l’évidence n’ont pas attendu l’appel du savant pour inventer leur machine temporelle. Ca donne une étrange impression que les Super-Americains sont en mesure de manipuler l’histoire du pays. Et puis il ne faut pas oublier que les pro-nazis du Bund étaient américains, tandis que les Super-Americains eux-mêmes ressemblent au fantasme aryen des nazis. Si on devait rebooter Super-American de nos jours (je veux dire hors Dynamite, comme une série autonome), ce serait intéressant que le savant réalise après coup que les Super-Americains sont peut-être plus les descendants de Tyrannus que de l’Amérique qu’on connaît…