Oldies But Goodies: Fighting 5 #40 (Nov. 1966)

[FRENCH] En général on dit de lui qu’il a été le « modèle » du Comedian dans Watchmen. Il est vrai que le Peacemaker est, de toute l’écurie des héros masqués de Charlton, celui qui a le plus tendance à utiliser des armes. D’ailleurs on a tendance à s’en souvenir une version guerrière de Batman, entassant fusils et avions dans sa cache secrète. Mais si on reprend les épisodes d’origine, le Peacemaker c’est autre chose que cette définition un tantinet réductrice. Rencontre avec un homme « qui aime tellement la paix… qu’il est prêt à se battre pour elle ! »

En dehors de Captain Atom, qui avait été créé avant que Dick Giordano ne devienne la tête pensante de Charlton Comics, on garde souvent  de la gamme des « Action Heroes » (terme qui définissait les personnages de la firme sans utiliser le nom de « super-héros », co-détenu par Marvel et DC) le souvenir d’une bande de héros costumés, certes, mais qui le plus souvent n’avaient pas de réels super-pouvoirs. Le Blue Beetle des années 60 (Ted Kord) n’avait pas la puissance de son prédécesseur et basait ses méthodes sur la technologie. Thunderbolt, Judomaster ou même The Question étaient essentiellement de bons bagarreurs adeptes des arts martiaux. Il était évident que Giordano se méfiait des pouvoirs trop spectaculaires, jugés peu crédibles.

Et puis, dans la même période, il y avait aussi le Peacemaker (le « faiseur de paix »), personnage qui utilisait des ressources militaires clandestines pour faire la guerre aux dictateurs et aux terroristes. Je vous disais en introduction qu’il a été le modèle du Comedian de Watchmen mais soulignons au passage que plusieurs historiens des comics voient lui aussi une sorte de prédécesseur de certains aspects du Punisher (avec cette faculté surréaliste, lointainement venue de Batman, qui consiste à remplir comme par magie des hangars entiers d’équipements paramilitaire). Seulement… Seulement, ça c’est le souvenir, « l’image d’Épinal », qu’on garde de lui. Le Peacemaker, c’est à la fois tout ça et… autre chose…

Le personnage fait sa première apparition en novembre 1966, en seconde partie d’un épisode de la série Fighting 5 (une unité spéciale et internationale luttant contre le crime organisé et diverses menaces à travers le monde, pour résumer, disons que les Fighting 5 sont un peu les G.I. Joe avant l’heure de Charlton Comics). Le Peacemaker semble être une extension logique du magazine dans lequel il a débuté. Il est en quelque sorte un autre stade d’évolution de ces héros militaires. Si ce n’est qu’au lieu d’être une unité spéciale, il est à lui seul une sorte de super-soldat. Pas forcément au sens où on l’entend généralement dans les comics (c’est à dire que ce n’est pas un guerrier qui a été « génétiquement modifié » comme le Shield ou Captain America), mais j’y reviendrais.

La page d’introduction de cette première histoire nous présente rapidement deux vignettes: dans celle de gauche, le Peacemaker est en train de marcher et la légende nous explique qu’il s’agît « d’un homme qui déteste la guerre, la violence et l’affreux gâchis de vies humaines dans des conflits insensés entre les nations. Un homme qui aime la paix… tellement qu’il est prêt à se battre pour elle ! ». Cette description deviendra son leitmotiv et sera – à un ou deux mots près – régulièrement répétée en début de ses aventures. A droite, dans la seconde vignette, on nous présente l’homme dans son alter-ego civil, un diplomate aux tempes grisonnantes, chargé d’intervenir à Genève lors d’une conférence sur les armements. Déjà, une remarque : Ce choix de Genève est relativement atypique à l’heure où – entre la guerre froide avec l’Est et la guerre effective au Vietnam – les USA se voyaient sans doute encore plus qu’aujourd’hui comme les « gendarmes du monde ». La plupart du temps, dans les comics, tout se passait en Amérique ou, à défaut, visait le pays. C’est à dire que la majorité des éditeurs se seraient sans doute contentés de montrer la même conférence dans l’enceinte de l’ONU, à New York. Le choix de Genève dénote déjà d’un souci d’internationaliser la série plus qu’on en avait l’habitude à l’époque.

Alors qu’il prend son avion pour Genève, Christopher Smith pense aux guerres qui se déroulent en Amérique du Sud. Elles sont provoquées par des facteurs extérieurs mais Smith ne sait pas par qui. Il est par contre certain qu’aucune des grandes puissances (comprenez les USA et l’URSS) n’entretient la tension dans cette région du monde. Pendant le voyage, il réfléchit au fait que les pays concernés (sans doute pauvres) devraient être occupés à acheter des outils au lieu de dépenser leur budget dans des tanks et des bombardiers. Il pense qu’un certain Bork, trafiquant d’armes, a vendu des armes aux deux pays en question. D’ailleurs, dès l’atterrissage sa secrétaire le lui confirme alors qu’ils montent dans la même voiture.

C’est bien Emil Bork qui fait monter la tension. Mais ni Smith ni son assistante ne se doutent que l’homme dont ils parlent les surveille au même instant à l’aide de jumelles. Il s’agit d’un traquenard. Bork ordonne à ses hommes de tirer et la voiture de Smith est criblée de balles explosives. A l’intérieur, les occupants sont sonnés. Tout ça en fait a été monté afin que les hommes de Bork mettent la main sur les documents importants que transporte Smith. Mais ils vont être quitte pour une mauvaise surprise car quand ils forcent l’attaché-case, celui-ci émet un gaz mortel et les hommes s’écroulent (sans doute morts). Smith et la secrétaire (Miss Blair) reprennent leurs esprits au moment où Bork (qui s’était tenu à l’écart) s’enfuit en voiture. Cette scène, mine de rien, nous en dit déjà un peu sur Christopher Smith. Ce n’est sans doute pas n’importe quel diplomate qui piégerait sa mallette de façon si dangereuse…

Le lendemain, lors d’une réception chez l’ambassadeur (non, aucun chocolat n’est mentionné) Smith est confronté à Bork qui est intouchable puisque rien ne peut-être prouvé. Pire, Bork est même l’un des conseillers de la conférence pour la paix pour laquelle Smith a fait le déplacement. Visiblement Bork jouit d’une totale impunité et les méthodes habituelles ne peuvent rien contre lui…

Christopher Smith n’en revient pas que les autres diplomates accordent leur confiance à Bork. Plus tard, Smith médite dans sa maison dans les Alpes, dans une ambiance qui n’est pas rappeler la scène des origines de Batman, quand Bruce Wayne se cherche un nom de super-héros. Comme Wayne, Smith est habillé avec une sorte de peignoir, près de la fenêtre. Mais aucune chauve-souris ne surgit pour lui donner l’inspiration. Finalement Smith comprend qu’aucun moyen diplomatique ne peut arrêter Bork et qu’il lui faut donc se résoudre à une extrémité qu’il avait juré de ne jamais utiliser. Il descend au sous-sol, où derrière une porte blindée se cache un arsenal énorme, regroupant les armes les plus mortelles inventées par l’homme. Des armes que Christopher Smith connait bien puisque c’est lui qui les a inventé. Là, l’origine semble emprunter plutôt à celle de Tony Stark et Iron Man. Mais si Smith a un passé de fabriquant d’armes, comment et pourquoi est-il devenu un diplomate prônant la paix ? Et à qui aurait-il juré de ne jamais utiliser ces armes ? Cette version première de l’origine ne vient pas l’expliquer (plus tard, quand les héros Charlton seront repris par DC, on « rajoutera » à l’origine de Smith qu’il est en fait le fils d’un criminel de guerre nazi et qu’il n’a pas toute sa tête, « hanté » par le fantôme de son père). Dans sa « cave à armes », Smith se dit une fois encore que si rien n’est fait, Bork continuera de propager la guerre… Et qu’il faut répondre à la violence par la violence, même si cela représente le contraire des idéaux de Smith…

Le héros commence alors à se changer derrière un pare-vue. Il décide à contre-cœur d’assumer le rôle du Peacemaker, un personnage reconnaissable à son énorme casque rond (qui lui donne, il faut bien le dire, un faux-air de cuvette des toilettes). Rapidement, on comprend que les « armes » du Peacemaker ne sont pas simplement des fusils révolutionnaires, non. A peine changé, le personnage explique à voix haute qu’il va utiliser son « jetpack » pour rejoindre Bork. Le jetpack, comme nous le dit la voix-off, permet au Peacemaker de voler presque sans limites. On n’est déjà plus tout vraiment dans le registre d’un Comedian ou d’un Punisher… Mais comme nous sommes en 1966 il n’est pas très difficile de voir dans ce « jetpack » l’influence des films de James Bond. Le film Thunderball, dans lequel Sean Connery utilise un appareil similaire, est sorti en décembre 1965.  Fighting 5 #40, étant antidaté comme de coutume, il a dû sortir à la fin de l’été 1966 et la conception du Peacemaker a du se faire aux alentours du printemps, à une époque où les films avaient une vie en salles plus longue que de nos jours. Ce gadget nous montre donc que les créateurs du Peacemaker (le scénariste Joe Gill et le dessinateur Pat Boyette) avaient l’agent 007 en tête. Leur héros était en quelque sorte une sorte d’agent secret masqué et freelance, pourvu des mêmes ressources technologiques. D’autant que le jetpack n’est pas le seul gadget spécial utilisé par le Peacemaker. Alors qu’il approche des installations de Bork, le héros se sert de son casque si particulier. Car son apparence « hypertrophiée » s’explique par le fait que l’accessoire a aussi quelques utilités… Comme la capacité de capter les fréquences radios (en 1966, bien avant l’invention du téléphone portable, avouez que c’est pratique).

Grâce à cette « écoute radio », le Peacemaker n’a aucun mal a repérer Bork. Quand il se pose, les malfaiteurs – qui ont reçu l’ordre de faire feu à vue – ne s’encombrent pas des questions sur l’inconnu volant. Ils lui tirent dessus mais pensent d’abord l’avoir manqué. En effet le Peacemaker n’a pas l’air d’avoir été blessé. Mais c’est tout simplement que son costume est en fait une sorte de gilet pare-balles qui le rend imperméable aux armes de petit calibre. Christopher Smith peut donc tranquillement commencer à rosser les gangsters… Jusqu’à ce que l’un d’entre eux le mette en joue avec un bazooka. Là, difficile de savoir si le costume de Peacemaker tiendrait le coup. Sans doute que non. Sommé de s’identifier, le Peacemaker se présente et explique qu’il est le pire ennemi des gens comme eux. Déclaration à laquelle l’homme au bazooka répond de manière pas du tout mature « Je répéterais au maître ce que tu as dis » (ça fait quand même un petit peu « je vais le dire à maman », même si l’idée est sans doute que ce sont les derniers mots du héros et qu’il faudra donc les répéter pour lui). Menacé par le bazooka, Peacemaker utilise alors une autre capacité de son casque : le laser. Le front de ce heaume est en effet capable d’émettre sur commande un puissant laser qui fait fondre l’arme de son adversaire. Se sentant menacé, le malfrat supplie et avoue que son maître, Bork, est en train de s’enfuir dans un jet. Utilisant son propre jetpack, Peacemaker s’envole vite à sa poursuite. Bork lance sur lui un missile mais grâce à son laser frontal, le projectile est détruit. Peacemaker est cependant malmené par l’onde de choc et son jetpack s’éteint en plein ciel. Le héros tombe donc comme une pierre, l’épisode s’achevant sur ce cliffhanger et sur Bork s’éloignant dans son avion. « Est-ce la fin du Peacemaker ? » demande le narrateur. Bien sûr que non.

Dans le numéro suivant le héros arriverait à redémarrer son jetpack à quelques mètres du sol. Et il finirait par coincer Bork qui trouverait la mort dans l’explosion de son propre avion. Ces jours-ci le Peacemaker est un personnage périphérique (une sorte de mentor du Blue Beetle moderne) mais les gadgets tels que le jetpack ou le heaume ont disparus, les auteurs modernes préférant voir en lui le dur-à-cuire typique et porteur de flingues…

En définitive, le Peacemaker dans sa version originelle est moins porté sur les armes traditionnelles que ses successeurs, le Comedian et le Punisher. Et si j’écrivais tout à l’heure que le Peacemaker était une sorte de super-soldat c’est que, quand on reprend dans l’ordre tous ses gadgets, on s’aperçoit que le scénariste Joe Gill s’est ingénié à contourner les ambitions réalistes de la gamme « Action Heroes ». Son Peacemaker n’a pas de super-pouvoirs à proprement parler (en tant que tels, ils auraient été jugés ridicules par le management) mais il a des ersatz de pouvoirs. Chacun de ces gadgets reconstitue en fait le modèle de… Superman. Il peut voler grâce à son jetpack. Son costume le rend indestructible (ou en tout cas difficilement destructible). Son heaume et sa capacité de capter les ondes radio remplace  d’une certaine manière la super-ouïe de Superman et enfin le « laser frontal » se substitue à la vision calorifique du héros kryptonien. Malgré les apparences, le Peacemaker est, parmi la gamme « Action Heroes », celui qui ressemble le plus à Superman. Ou tout au moins, le Peacemaker, c’est une sorte de « Superman en kit » qui singe les pouvoirs de l’autre via la technologie. En fait le Peacemaker de Charlton c’est un peu le Batman de Dark Knight quand il met une armure qui lui permet de tenir tête à Superman. Loin de l’image qu’on en garde, le Peacemaker est donc un personnage capable de se substituer ou de tenir tête au Surhomme. S’il avait été adapté de manière relativement fidèle dans Watchmen, le Comedian n’aurait pas été qu’un simple commando masqué mais un inventeur capable de s’améliorer de façon artificielle mais efficace… Et il aurait survécu à la chute qui ouvre Watchmen grâce à son jetpack ! Même sans le rapport à Watchmen, le Peacemaker sous sa formule de départ (c’est à dire sans le degré de névrose qu’on lui a rajouté en en faisant un fils de nazi lors de son arrivée chez DC Comics) est un personnage bien plus intéressant et bien plus compétent que les incarnations qu’on nous a donné depuis. Mais c’est peut-être aussi parce que son propriétaire actuel, DC, a déjà un Superman et un Batman…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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