Oldies But Goodies: Flash Comics #16 (Avril 1941)

[FRENCH] Figure de la Justice Society of America, Hawkman est l’un des plus vieux héros encore en activité. C’est aussi l’un de ceux qui se sont directement spécialisés dans le seul fait de voler, à une époque où on prétendait encore que Superman ne faisait que bondir d’immeuble en immeuble. Mais le Hawkman du Golden Age n’est pas qu’un homme volant de plus…

Il aurait été trop simple de faire de Hawkman un énième inventeur découvrant un secret permettant de s’élever dans les airs. Ce qui fait la différence, chez lui, c’est bel et bien la notion de réincarnation. Pour ceux qui ne le connaitraient guère, survolons le bonhomme en quelques lignes : l’archéologue Carter Hall découvre qu’il est en fait la réincarnation d’un prince de l’Égypte antique, tout comme la femme qu’il vient de rencontrer (destinée à devenir Hawkgirl) était déjà sa dulcinée dans cette autre vie. Se souvenant du coup des secrets anciens, Hall recrée le métal Nth (tantôt qualifié de « énième métal » ou de « neuvième métal »), une substance qui permet de léviter dans les airs. Carter Hall devient alors le super-héros Hawkman, premier du nom, reconnaissable à ses grandes ailes artificielles qui lui donnent un faux air d’Icare masqué.

Soulignons au passage que ce ne sont pas les ailes qui permettent à Hawkman de voler. Elles tiennent lieu surtout de gouvernail aérien puisque le gros du métal spécial est caché dans la ceinture du héros. Le propre d’Hawkman, c’est bien sûr de voler mais il faut se méfier des apparences. Il ne se limite pas à cela sinon il se serait fait dépasser par bon nombre de ses collègues qui volent sans pour autant que ce soit leur seule spécialité. Green Lantern (Alan Scott), Doctor Fate, le Spectre et bien d’autres frères d’armes volent mais l’étendue de leurs pouvoirs est plus large. Pire, s’il s’agissait seulement de défier la gravité, Hawkman aurait un concurrent direct en la personne du Starman de l’Age d’Or, lui aussi membre de la Justice Society of America. Quand on gratte sous la surface, en effet, Hawkman et Starman sont deux super-héros qui ont en commun une même manière de contourner la gravité (Hawkman via son métal, Starman grâce à un bâtonnet spécial). Si Hawkman n’avait été qu’un inventeur volant de plus, les deux personnages se seraient fait de l’ombre et la comparaison n’aurait pas forcément été au bénéfice d’Hawkman puisque le bâton de Starman avait des applications plus offensives.

Il fallait donc distinguer Hawkman des autres héros et d’ailleurs pas seulement de ces derniers puisque le personnage affichait une certaine ressemblance visuelle avec les Hawkmen, terribles guerriers ailés extra-terrestres apparus comme des adversaires puis comme des alliés de Flash Gordon (Guy L’éclair). Les harnais ailés sont de part et d’autres identiques et comme si l’allusion n’était pas assez affirmée, le voisinage des noms enfonce le clou. C’était déjà bien assez proche des concepts vus dans le Flash Gordon d’Alex Raymond. Allez encore plus loin dans ce sens, cela aurait été vraiment risquer le procès. Il fallait donc également muscler le concept du Hawkman de DC pour l’éloigner de la Science-Fiction omniprésente dans le strip de Raymond.

On irait au contraire dans le sens de l’Histoire et du mysticisme : Cartel Hall (l’alter-ego civil d’Hawkman) est directement inspiré, lui, par un égyptologue ayant réellement existé, à savoir Howard Carter, le découvreur de la tombe de Toutankhamon en 1922. Diverses morts dans les rangs de l’équipe ayant exploré le tombeau lanceront l’idée qu’il existe une « malédiction des pharaons ». Un personnage d’archéologue associé à une rumeur de malédiction, Howard Carter semblait idéal pour devenir, après quelques modifications, l’identité secrète d’un super-héros. Mais il n’était sans doute pas le seul personnage contemporain qui pouvait remplir cette fonction. Pourquoi faire allusion à une découverte de 1922 pour servir de racine à un héros de 1940 (date de parution de Flash Comics #1, dans lequel Hawkman débute) ? C’est simple : né en mai 1874, le vrai Howard Carter est décédé en mars 1939, quelques mois avant que le scénariste Gardner Fox commence à réfléchir à son Hawkman. Les nécrologies d’Howard Carter fleurissaient dans la presse alors que Gardner Fox concevait un personnage qui allait devenir l’archéologue Carter Hall. En fait l’auteur s’était sans doute mieux documenté sur l’égyptologue plutôt que sur l’Égypte elle-même puisque le premier épisode comprend une belle bévue. Hawkman porte un masque à l’image du dieu-faucon, qu’on devrait logiquement rapprocher de Horus. Pourtant plusieurs fois dans le texte, on explique que ce costume le fait ressembler au dieu-faucon… Anubis ! L’erreur n’est peut-être pas le fruit du hasard puisque quand Howard Carter avait découvert le tombeau de Toutankhamon, l’une des choses qui avaient marqué l’imagination de la presse était un grand portail à l’image d’Anubis. D’où, sans doute, le « lapsus » du scénariste de la BD.

Mais ce n’est pas le premier épisode d’Hawkman qui nous intéresse aujourd’hui. Maintenant que nous avons étudié ses bases, il convient de nous tourner vers Flash Comics #16, environ un an et demi après ses débuts, qui allait discrètement muscler encore un peu le folklore d’Hawkman. Dans l’histoire initiale, la réincarnation était décrite comme « directe » : Le prince égyptien Khufu meurt il y quelques millénaires et renait au XXème sans qu’il soit fait référence à des vies intermédiaires. Au début, on n’insinuait pas que Khufu/Carter aurait vécu à travers tout un cycle de renaissances à travers les âges (notion qui pourtant allait être à la base du Hawkman de James Robinson et Geoff Johns à partir de 2002). Dans Flash Comics #16, la simplicité de la relation Khufu/Carter va soudain se complexifier…

L’épisode commence alors que Carter Hall rumine sa solitude. Sa chère Shiera est partie en Mongolie dans le cadre d’une expédition archéologique. Carter s’ennuie. Le temps lui paraît long et il en est réduit à écouter la radio pour s’occuper. Quand soudain un bulletin d’information lui apprend que l’expédition de Shiera a été attaquée par des bandits et que tous les membres sont considérés comme morts. Carter, consterné, apprend ainsi que sa fiancée est sans doute morte à l’autre bout du monde. La case dénote d’ailleurs une nouvelle fois d’une ressemblance marquée avec le Flash Gordon d’Alex Raymond (le blond Carter ressemble fortement à Flash). Il ne reste qu’une chose à faire : se rendre en Mongolie pour enquêter sur ce qui s’est passé…

Comme à son habitude, avant de partir à l’aventure Hawkman sélectionne une arme ancienne dans sa collection. Cette fois c’est une grande épée bleue. Puis le héros ailé s’élance à travers les océans (et on notera au passage que la vague qui symbolise l’océan doit énormément aux illustrations japonaises, le dessinateur du comic-book s’étant visiblement inspiré d’un livre). Ce survol de l’océan pose la question de savoir à quelle vitesse Hawkman peut voler puisqu’il traverse le globe à grande vitesse sans faire mine d’emmener la moindre provision, comme si le trajet se déroulait en un temps très court. Et pendant qu’il voyage, le narrateur entreprend de nous raconter ce qui est vraiment arrivé à l’expédition américaine, dans une partie qui sent bon les BD d’aventures épiques. Les brigands mongols sont montrés avec de nombreux détails, alors qu’ils préparent leur embuscade. Prise par surprise, Shiera a tenté de s’enfuir à cheval vers les collines mais a été rattrapée par ces excellents cavaliers que sont les mongols. Faîte prisonnière, la jeune femme a été emmenée avec le reste du butin…

Arrivé en Mongolie, Hawkman trouve l’endroit de l’embuscade sans trop de peine, en repérant les vautours qui planent au-dessus des cadavres (comme s’il n’y avait des vautours que dans ce seul endroit et pas dans le reste du pays). Se posant près des dépouilles, le héros jure de les venger. A partir de l’endroit, il peut suivre la piste des brigands jusqu’à la citadelle de Dravidia, capitale du peuple dravidien. La cité est composée de tours élancées, à mi-chemin entre le minaret, le château médiéval et le bloc de gratte-ciels. Hawkman entre (apparemment au hasard) dans un temple et y trouve… Shiera sur le point d’être sacrifiée. Bien sûr le héros s’interpose et dégaine son épée bleue, celle qu’il avait pris avant de quitter les U.S.A. Et là… C’est la stupéfaction chez les Dravidiens. L’épée bleue en question est une relique qu’il connaisse bien : c’est l’arme de leur dieu antique, Icaro. Ils ne peuvent affronter la personne qui la porte…

Hawkman questionne alors les habitants de la cité. Comment connaissent-ils cette épée ? Les autres lui répondent que c’est la lame de celui qui dirigea leur peuple quelques millénaires auparavant, un certain Icaro. Et là, Hawkman, qu’on a toujours connu comme étant la réincarnation d’un pharaon, commente: « Qui sait ? Peut-être que moi, le Hawkman, j’ai connu cette ville et ces gens il y a des siècles. J’ai été réincarné de nombreuses fois. ». Mine de rien c’est tout un volet de la mythologie d’Hawkman qui tombe en place : le fait qu’il n’a pas connu que deux vies mais toute une chaîne de réincarnations à travers l’Histoire. On peut donc imaginer que depuis des lustres Khufu/Icaro/Carter Hall s’est manifesté pratiquement une fois par génération…

Prompt à saisir l’avantage qu’il y a s’identifier comme le leader antique de Dravidia, Hawkman explique alors aux habitants de la cité que « C’est Shiera ! Celle qui est aimée par Icaro/Hawkman. Traitez la avec respect ! ». Mais tout le monde n’est pas l’admiration sans borne. Un espion déduit facilement que Daki, le chef contemporain de Dravidia, payera cher pour apprendre comment une partie de la ville traite cet étranger qu’est Hawkman. Sur le trône, Daki n’est bien sur pas vraiment enchanté d’apprendre l’existence d’un rival potentiel. Notons au passage que Daki est à nouveau un clin d’œilplus ou moins conscient à l’univers d’Alex Raymond puisqu’il ressemble énormément à Vultan, celui qui est le roi des Hawkmen dans le strip de Flash Gordon. Dès qu’il a vent de la nouvelle, Daki lance sa garde personnelle à la poursuite de celui qui prétend être Icaro. Pourtant le combat global entre les deux forces se réduit rapidement à un face-à-face musclé entre Daki et Hawkman. C’est ce dernier qui a le dessus mais il épargne son adversaire expliquant qu’il est venu en paix. Daki fait semblant de s’être rendu et promet un banquet dans la soirée… tout en ordonnant que Hawkman et Shiera soient assassinés pendant la fête qu’on leur prépare.

En fait, si Daki est bien l’homme qui dirige Dravidia dans les faits, ce n’est pas lui le vrai monarque de la cité. Le roi Targo est un vieillard bien plus sage, aux faux-airs de Charlemagne, qui explique en aparté au héros ailé qu’il n’a qu’un pouvoir théorique tandis que Daki est un chef de tribu qui s’est accaparé le contrôle de la cité. Alors que le banquet commence, Targo explique aussi à Shiera et Hawkman que les Dravidiens viennent à l’origine d’un endroit nommé Eden, qui a disparu sous les mers après une grande catastrophe (autrement dit, l’Eden des Dravidiens est l’Atlantide avec un autre nom). Cette esquisse d’origine du peuple est assez curieuse car elle représente une forme de distraction qui n’est pas utile à l’intrigue principale (à plus forte raison car on n’entendra plus parler de Dravidia après cet épisode). De toute façon la leçon d’histoire de Targo est vite interrompue par la tentative d’assassinat : un archer embusqué tire sur les deux occidentaux. Mais heureusement Hawkman a entendu la corde de l’arc se détendre, ce qui lui permet d’éviter la flèche.

Dégainant à nouveau l’épée bleue, Hawkman enjoint tous les Dravidiens à se joindre à lui et à se battre contre les hommes de Daki pour rendre le vrai pouvoir à Targo. Et très rapidement les forces de Daki sont battues. Mais, objecte Targo, rien ne sera réglé tant que Daki restera en vie, toujours prêt à frapper à nouveau… « Cela scelle l’arrêt de mort de Daki ! » s’exclame Hawkman, qui se lance à la poursuite du chef de tribu. Ce dernier meurt, frappé par l’épée bleue. Eh oui, déjà en ce temps-là Hawkman est vu comme un personnage un tantinet plus barbare que ses collègues masqués. Carter Hall est adepte d’une justice très « Ancien Testament » et c’est sans état d’âme qu’il se fait bourreau quand le besoin s’en fait sentir.

Très vite, on en passe par les remerciements de rigueur : Targo a retrouvé sa couronne grâce à Hawkman, qui refuse toute forme de récompense. Alors le roi se tourne vers Shiera et lui offre une broche royale (qu’elle ne refuse pas, elle, vous savez comment sont les femmes dans les comics : elles ne refusent jamais un bijou et tant pis si cela fait moins « noble » que l’altruisme d’Hawkman). L’affaire réglée, le couple d’occidentaux quitte Dravidia et retourne en Afrique. Là, Carter Hall peut se changer les idées en lisant… un bon vieux comic-book.

Dans cette référence à Icaro et à des vies précédentes qui ne seraient ni celle de Khufu ni celle de Carter, Flash Comics #16 trace le schéma du Hawkman revu par Robinson et Johns. Encore mieux: l’épisode insinue également que la collection d’armes anciennes de Carter Hall est en fait une sorte de reliquaire d’objets ayant appartenu aux vies précédentes du héros (et là aussi la référence sera assumée dans le Hawkman de 2002, pour peu qu’on connaisse ce modèle d’origine). Même la violence barbare du personnage (le côté « Conan le Barbare ailé » particulièrement souligné depuis la renaissance d’Hawkman dans JSA) est, elle aussi, déjà induite. Bref, Flash Comics #16 prend un personnage de pharaon réincarné en égyptologue et multiplie ses capacités d’ouvertures… Même s’il faut bien avouer que les auteurs de l’époque se dépêcheront d’oublier ces ajouts ou tout au moins de ne plus y faire référence pendant des lustres, laissant aux scénaristes modernes le soin de finir un travail de raffinage. Dans le même ordre d’idée, aucun flashback ne nous montrerait jamais la version  originale d’Icaro et on ne reparlerait plus de Dravidia. Mais le pays englouti d’Eden ? L’univers DC n’en avait pas fini avec cet endroit… mais ça c’est une autre histoire sur laquelle il nous faudra revenir dans un futur Oldies But Goodies.

[Xavier Fournier]
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