Oldies But Goodies: Ghost Rider #2 (Mai 1950)

[FRENCH] Voici venir le Ghost Rider, le cavalier fantôme d’origine ! Mais attention ! Il ne s’agit pas d’un « motard fantôme » mais bien d’un cow-boy vêtu de blanc qui, à la base, n’était même pas publié par Marvel mais bien par un concurrent depuis longtemps disparu. Et pourtant ce justicier énigmatique finirait effectivement par avoir une progéniture inattendue chez l’éditeur de Spider-Man et des Fantastic Four…

Depuis que cette rubrique existe, je n’ai guère consacré de place à un genre autrefois très présent dans les comics américains, à savoir le Western. Voici l’occasion de rattraper cette lacune avec une histoire qui va nous entraîner à travers les époques, les personnages et les éditeurs… Au commencement il y avait Magazine Enterprises, une maison d’édition américaine qui, à la fin des années 40, connaissait quelques succès avec (entre autres) des titres mettant en scène des cow-boys, toute la gamme étant organisée autour de « Tim Holt », sorte de revue amirale qui reposait en fait sur la notoriété d’un acteur d’après-guerre. Le vrai Tim Holt était devenu très populaire en incarnant le rôle principal dans différents westerns. Un peu comme une BD intitulée « John Wayne » (d’ailleurs il y en avait effectivement une à la même époque), « Tim Holt » mettait en scène le héros comme s’il avait réellement vécu dans l’Ouest du dix-neuvième siècle tandis que divers personnages mineurs venaient combler le reste des pages. Ainsi, à partir de mai 1949 on vit arriver en seconde partie du comic-book de Tim Holt les aventures d’un certain « Calico Kid » alias Rex Fury, cow-boy somme toute assez générique qui affrontait tout « méchant » rencontré sur sa route. Le Calico Kid avait pour monture un cheval noir nommé Ebony et, s’il n’avait pas évolué par la suite, ne mériterait guère qu’on s’y intéresse aujourd’hui. Mais quelques semaines mois plus tard le responsable éditorial de Magazine Enterprises, Vin Sullivan, décida de capitaliser sur une chanson qui marchait beaucoup à l’époque, « Ghost Riders in The Sky » et d’en tirer l’idée d’un nouveau concept. Ce furent le scénariste Ray Krank et le dessinateur Dick Ayers qui se chargèrent de l’affaire (avec de temps à autre des couvertures signées par Frank Frazetta, excusez du peu…). Allez savoir pourquoi, plutôt que de se débarrasser du Calico Kid et de le remplacer le mois suivant par une création totalement nouvelle intitulée « Ghost Rider », auteurs et éditeur décidèrent de passer par un autre artifice.

Dans Tim Holt #11, Rex Fury est laissé pour mort par un de ses adversaires, le criminel Bart Lasher (ce dernier et sa bande se déguisent en indiens pour commettre leurs méfaits, de manière à ne pas être soupçonnés). Tirant parti du fait qu’on le croit décédé (et l’idée n’est pas totalement éloignée du Spirit de Will Eisner) Rex Fury revient sous l’apparence d’un cavalier encagoulé et vêtu de blanc (nommé, vous l’aurez compris, le Ghost Rider). L’idée, c’est que la doublure de sa cape est noire et que dans l’obscurité le héros peut retourner une partie de son costume. Il peut ainsi faire croire qu’une partie (ou la totalité) de son corps disparait en profitant de l’effet d’optique. Ses ennemis croient qu’il peut se rendre invisible et, plus traumatisant encore, qu’il est un cavalier sans tête ou inversement une tête décapitée flottant à hauteur de visage. En prime le Ghost Rider possède un fouet spécial, spécialement peint en noir qu’il utilise également dans la nuit : utilisé à bon escient, ce fouet donne l’impression à ses ennemis qu’en pointant le poing dans leur direction il peut agir sur eux même s’il se trouve à plusieurs mètres de distance. Pour les cow-boys qui l’affrontent, c’est un peu un Darth Vader en blanc, qui peut les étrangler sans les toucher (aucun de ces brigands ne réalise apparemment que c’est un fouet qui s’entoure autour de leur gorge). Comme un Batman albinos, le Ghost Rider jouait donc sur la superstition de ses adversaires, qui étaient convaincus d’être face à un vrai fantôme sans réaliser qu’aucun élément surnaturel n’était à l’œuvre. Le succès fut immédiat, au point que quelques mois plus tard Magazine Enterprises lancerait la série Ghost Rider (première du nom) dont le premier numéro est l’occasion d’affiner les origines du personnage masqué.

Dans cette version Bart Lasher tente effectivement de tuer le Marshall Rex Fury et son domestique asiatique Sing Song en les noyant dans un puits mais les auteurs rajoutent des scènes importantes : Rex échappe à la noyade (en sauvant au passage son domestique) en remontant dans une caverne qui communique avec le puits en question. La grosse différence c’est que dans cette caverne il est accueillit par un vrai fantôme, celui de Wild Bill Hickock. « C’est impossible ! Vous avez été abattu en 1876 par Jack McCall ! » s’exclame Rex. Bien vite Hickock explique que Rex n’est plus vraiment vivant, qu’il se trouve désormais à la frontière de la vie et de la mort et que c’est pour cela que le fantôme peut lui apparaître (rien ne sera dit au sujet de Sing Song, qui a subit la même épreuve que Rex mais qui, inconscient, n’est sans doute pas « à la frontière de la vie et de la mort ». Plus encore, Hickock explique que d’autres l’attendent également. Pat Garrett (celui qui a tué Billy The Kid), Kit Carson ou Calamity Jane… Les fantômes des principales figures historiques de l’Ouest attendent Rex non loin de là. Le problème est que le scénariste n’a pas totalement révisé sa copie… Vu le peu de technologie employées dans les histoires et même si l’histoire se déroule après 1876 (comme le prouve la référence à la mort de Hickock), les aventures de Rex Fury sont visiblement supposées se dérouler dans le courant du dix-huitième siècle, à l’époque de l’Ouest sauvage. Mais Calamity Jane n’est morte qu’en 1903 et Pat Garrett est décédé, lui, en 1908, donc dans les deux cas un peu trop tard pour apparaître de manière fantomatique à un cow-boy du dix-huitième, contemporain des conflits contre les indiens… Où alors ces fantômes, non content de défier les frontières de l’au-delà, ont également voyagé à travers l’espace-temps mais dans ce cas Rex Fury n’aurait pas manqué de s’étonner d’être en face de spectres de personnages célèbres qu’il savait pourtant être vivants à l’époque des événements. Surtout qu’une histoire plus tardive placera les exploits de Rex Fury aux alentours de 1875, soit un an avant la mort de Hickock. Bref si on considère 1875 comme étant un « marquage » valide, l’erreur historique est globale et aucun de ces fantômes n’est supposé être mort à la date concernée !

En sortant de la caverne, le spectre de Hickock et Rex passent devant deux pionniers bien vivants qui sont en train de s’entretuer. Hickock explique qu’il aimerait bien les séparer mais que dans son état (sans doute immatériel) il ne peut agir. C’est pour cela que Rex intéresse les fantômes. Lui a encore un pied dans le monde des vivants et peut intervenir. Très vite ils sont rejoints par Calamity Jane et les autres qui commencent à l’entraîner. Ainsi Rex est formé au tir par Wild Bill Hickock, le trappeur Kit Carson lui apprend les techniques des indiens pour se cacher dans la forêt… chaque spectre lui apprend une spécialité et Rex est ainsi formé par les plus grands tireurs de l’Ouest. En termes de test final il devra attraper un grand cheval blanc (par la suite nommé Spectre) qui sera sa nouvelle monture. Quand Rex quitte ses mentors, Wild Bill lui donne sa tenue blanche de héros masqué, donnant ainsi la touche finale au Ghost Rider qui galope ainsi se venger, abattre les hommes qui ont manqué de le tuer et au passage séparer les pionniers croisés plus tôt avec Hickock. Rex Fury et Sing Song se réveillent plus tard dans la caverne et le cow-boy est convaincu d’avoir rêvé… jusqu’à qu’il trouve à ses côtés le cheval blanc, Spectre, et qu’il comprenne que tout était vrai… Rex décide alors qu’il devra coudre un costume à l’image de celui que les fantômes lui avaient offert. On se demandera du coup ce qu’il est arrivé au premier costume entre le moment où Rex se venge et celui où il se réveille dans la caverne. Et puis pendant qu’on y est, on se demandera aussi, de toute manière, comment une bande de fantômes qui a choisi un « élu » parce qu’ils ne pouvaient pas interagir avec le monde matériel se sont débrouillés pour coudre le premier costume qui, à un certain niveau devait bien être « matériel »… En un sens peu importe puisqu’on ne reverra plus ces fantômes. Par la suite on ne reparlera plus vraiment de Rex comme se trouvant « à la frontière de la vie » et il aura plusieurs fois conscience de risquer sa vie. A partir du moment où il revient à lui, il est donc probable que Rex sort d’une sorte de coma ou tout au moins de torpeur qui lui permettait de voir les apparitions de Calamity Jane et des autres…

Et tout ça s’arrêterait ici si j’étais en train de rédiger pour vous un Oldies But Goodies sur Ghost Rider vol.1 #1. Mais ce n’est pas le cas. L’histoire qui nous intéresse se trouve au contraire dans le numéro suivant mais il était important, pour éviter toute confusion, que nous détaillons les origines et caractéristiques du personnage. Il ne vous aura pas échappé qu’avec sa cagoule blanche et sa cape, ce Ghost Rider avait un air de ressemblance avec les robes de cérémonies du Ku Klux Klan, l’organisation suprématiste blanche. La confusion possible entre le Ghost Rider et la nébuleuse raciste et xénophobe n’était sans doute pas du goût des auteurs et ils entreprirent de démontrer tout ce qui séparait Rex Fury du Klan à travers une histoire intitulée « La Mort porte un masque blanc ». Le texte d’introduction est à ce sujet assez explicite : « Il semble que le Ghost Rider n’est pas le seul à porter une cape blanche et un masque. D’autres ont enfilé la tenue blanche – des hommes de haine – et leur but n’est pas la justice mais le sang, la fureur et la mort soudaine ! ».

Suit ensuite une description des rapports entre pionniers à l’époque. Les nouveaux fermiers, surnommé les « nesters », attirés par la promesse de terres proposées par le gouvernement, se ruent sur des lopins jusqu’ici disponibles. A l’inverse, les meneurs de bétail, surnommés les « Cattlemen », convoitent les mêmes terrains pour y faire passer leurs bêtes. Et la situation est explosive, comme l’explique Rex Fury à son fidèle Sing Song. Pire : les Cattlemen se sont organisés en une armée d’extrémistes encagoulés, vêtu de blanc, qu’on appelle les Night Riders. Ce terme de Night Riders tombe fort à propos dans l’histoire puisqu’il était par ailleurs utilisé comme surnom dans certains états du Sud des USA pour décrire les expéditions nocturnes et masquées du Ku Klux Klan réel. De plus, plusieurs « Night Riders » du KKK s’employaient à faire croire aux communautés pourchassées qu’ils étaient des fantômes des soldats confédérés revenus pour se venger. Le ressort de la superstition  était finalement assez proche de celui du Ghost Rider, d’où la nécessité accrue de s’en démarquer…

Dans l’histoire, Rex Fury se dit que la meilleure manière de détruire les Night Riders est encore de les infiltrer. Après s’être présenté au leader des Cattlemen, Burke, Fury prétend détester les Nesters,  avoir envie de tuer tous les étrangers et vouloir joindre les Night Riders. Burke rétorque que c’est le genre de discours qu’il aime et que son interlocuteur pourra les rejoindre… s’il arrive à passer le test d’initiation. Plus tard, Rex est donc mené à la cachette des Night Riders, dans une caverne. Là, Rex croise bien sûr de nombreux fanatiques en robe blanche et Burke emmène la nouvelle recrue devant leur relique sacrée, un pistolet d’argent. Pendant qu’un acolyte masqué amène une caisse de balles à blanc, Burke explique que c’est cela le test. Le pistolet contient six balles dont seulement cinq sont « à blanc ». Rex doit prouver son courage en jouant à la roulette blanche. Rex n’a d’autre choix que de tenter sa chance. Il tire contre sa tempe… Ouf, c’est une balle à blanc. Il s’en sort indemne (encore que dans la réalité une balle à blanc, tirée à bout portant dans la tempe avec une arme de ce type n’est pas vraiment bon pour la santé).

A l’extérieur de la caverne, Sing Song assomme l’acolyte qui transportait la caisse. Le domestique attache l’homme inconscient et retourne à sa place dans le Q.G. des Night Rider en portant la tenue blanche… et la caisse de balles à blanc. Le gros plan sur la caisse est à ce titre ironique puisqu’on voit la main « jaune » (les conventions des comics de l’époque étant ce qu’elles étaient, les personnages asiatiques étaient représentés avec un teint orangé très caricatural) près de l’inscription « blanks ».  L’ironie, c’est que ce sont des balles à « blanc » qui vont servir à battre ces avatars du Klan, qui prêche la supériorité « blanche ». Une fois dans la place, Sing Song passe inaperçu et en profite pour remplacer toutes les munitions des armes  des Night Riders par des balles à blanc. On se doute déjà qu’un peu plus tard cela fera toute la différence…
Pendant ce temps les vrais Night Riders décident de mener une opération dans la nuit pour tuer des « nesters ». Rex est un peu surpris par cette précipitation mais il est vite rassuré par le personnage masqué qui se tient derrière lui. C’est Sing Song, qui lui explique le stratagème des balles à blanc (on notera que malgré son air caricatural Sing Song a visiblement mené à bien tout ce plan sans que ce soit d’abord une suggestion de son « maître », faisant preuve de bien plus d’intelligence et d’autonomie que la plupart des sidekicks « ethniques » des années 40/50). Sing Song glisse à Rex son ceinturon et sa propre arme (qu’on devine chargée normalement, elle) et le cow-boy a le temps de souffler à son serviteur de préparer une barque pour qu’elle puisse servir à la fuite des « Nesters » dans les proches marais.

Quelques instants plus tard une famille de « Nesters » voit arriver une horde d’individus encapuchonnés. Les Night Riders font le siège de leur ferme et, incognito parmi les agresseurs, Rex Fury se dit qu’il doit absolument faire quelque chose pour les sauver. Monté sur un cheval que lui ont donné les Riders, Rex regrette de ne pas chevaucher sa fidèle monture Specter (tellement « fidèle » que Rex ne souvient visiblement pas que le nom de son cheval habituel est Spectre et non pas Specter). Contournant la ferme, Rex arrive à attacher une des parois à son cheval et, en tirant, à faire s’effondre l’arrière de la ferme, créant ainsi une sorte d’issue de secours. Les Nesters sont bien sûr terrifiés de se retrouver face à un Night Rider mais Rex leur explique qu’il est un ami. Il s’enfuit avec eux jusqu’à la barque qu’à préparé pour eux Sing Song et tandis que les fermiers s’éloignent, Rex couvre leur fuite. Tout ça se déroule sous le feu des armes des Night Riders mais vous vous souviendrez que, grâce à Sing Song, ces derniers tirent à blanc sans en avoir conscience.

Quand les Night Riders rattrapent Rex ils sont furieux. Réalisant qu’il s’agit d’un espion, ils le rouent de coups et s’apprêtent  à l’abattre à l’orée du marais, dans une scène qui rappelle bien des films mettant en scène le KKK (mais le passage m’évoque aussi la manière qu’auront les EC Comics de représenter le Klan lors de scènes d’exécution sommaire). Ils forment donc un peloton de tir et mettent en joue Rex. Heureusement pour notre héros, les Night Riders n’ont toujours pas réalisés que leurs balles ne tuent personne. Ils laissent le corps de Rex sombrer dans l’eau, convaincus qu’ils l’ont assassiné. On pourrait dire que c’est là que les choses sérieuses commencent puisque rapidement Sing Song vient détacher son employeur, désormais libre d’exercer sa vengeance… Il est temps d’enfourcher Spectre (cette fois ci bien orthographié) et de porter le costume du Ghost Rider…

Les Night Riders, eux, ont décidé de se rabattre sur un autre campement de Nesters. Mais quand ils arrivent à destination, ils ont la désagréable surprise d’être attendus par le Ghost Rider. Pire, quand ils tentent de l’abattre (toujours avec leurs munitions truquées) le héros ne joue pas le jeu cette fois-ci. Il ne fait pas semblant de tomber mort mais reste debout. Les Night Riders sont alors convaincus d’être face à un vrai fantôme, d’autant que le Ghost Rider en rajoute avec une voix spectrale et des déclarations genre « Vos balles ne peuvent me faire de mal, vermines ! ». C’est la panique chez les Night Riders qui s’enfuient les uns après les autres. Le héros n’a qu’à les rattraper (Spectre est visiblement un bolide capable de dépasser n’importe quel autre cheval) et à leur donner une bonne correction. D’autant que ses balles à lui ne sont pas « à blanc ». Le Ghost Rider n’a ensuite plus qu’à livrer ses prisonniers aux Nestlers en leur expliquant que tous les meneurs de bétail ne sont pas comme les Night Riders et que maintenant que ceux-ci vont aller en prison, les fermiers seront bien accueillis. Et bien sûr, à la façon d’un Lucky Luke nocturne, le Ghost Rider s’éloigne seul, avec son cheval (Sing Song est sans doute rentré à pied entre deux cases, ne me demandez pas…), marquant la fin de l’épisode.

Mission accomplie : la différence entre le Ghost Rider de 1950 et les Night Riders du KKK est désormais manifeste. Enfin, à l’époque tout au moins… Car de la même manière que nous sommes passés par l’origine du héros avant de raconter l’épisode, il faut nous intéresser à ce qui s’est passé après pour prendre toute la mesure et l’ironie de cette histoire. D’abord le succès du Ghost Rider fut assez marqué pour relancer l’intérêt des cow-boys masqués. Il y avait bien sûr le précédent de Zorro, du Lone Ranger et quelques autres mais dans le début des années 50 les aventuriers masqués du Far-West se mirent à pulluler. Au point d’ailleurs que la revue de l’acteur Tim Holt (celle-là même où était apparue Rex Fury) fut reformulée : désormais Tim Holt serait un cavalier masqué sous le nom de Red Mask (curieuse situation qui faisait que l’éditeur avait pris la licence de l’acteur pour finalement mieux pouvoir le masquer). Le Ghost Rider, lui, fut la vedette d’environ 200 histoires (remettons dans le contexte : à l’époque un comic-book contenait trois ou quatre histoires, ce qui explique cette quantité apparente). Mais tout à l’heure je faisais référence à une certaine communauté d’ambiance avec les EC Comics… Et il est certain que plus on avançait dans le temps et plus le Ghost Rider luttait contre des adversaires étranges (des loup-garous, des monstres…). Dans le milieu des années 50, avec l’instauration du Comics Code et les soucis de distribution pour les revues qui ne respectaient pas, Magazine Enterprises préféra ranger le Ghost Rider dans les cartons et repasser à des cow-boys plus conventionnels (ce qui ne sauva cependant pas l’éditeur). La dernière apparition du Ghost Rider original en temps que tel fut publiée en novembre 1955. Soit quand même six années continues d’existence. Bien des membres originaux de la Justice Society n’ont pas eu une telle carrière dans les années 40…

Mais les comics n’en avaient pas terminés avec le Ghost Rider. D’abord, être exhaustif (mais aussi noter que d’emblée la trajectoire du héros allait se compliquer) notons que Rex Fury n’était  pas le seul Ghost Rider de la BD anglophone.  En Australie un autre éditeur – sans doute lui aussi inspiré par la chanson par laquelle tout avait commencé – lanca en 1951 son cow-boy masqué nommé le Ghost Rider. Là pour le coup aucun costume blanc n’était au menu. Ce cavalier fantôme là était une sorte de Lone Ranger avec un nom différent : Steve Jarrett  était un ancien sudiste qui errait dans les plaines des USA avec un masque de bal cachant le haut de son visage. D’emblée, il y avait donc deux Ghost Rider parallèles, publiés sur deux continents différents. Pour bien compliquer l’affaire, l’éditeur australien s’appelait Atlas, nom utilisé au même moment par la société américaine qui deviendrait Marvel.

Et justement, après la disparition de Magazine Enterprises le dessinateur Dick Ayers s’en était allé chercher du travail chez Marvel où, en parallèle des revues renaissantes de super-héros, Stan Lee supervisait également une gamme de titres orientés vers le Far-West. Magazine Enterprises n’étant plus là pour s’y opposer, Dick Ayers revendit l’idée du Ghost Rider à Marvel et en 1967, douze ans après sa disparition, le cavalier fantôme fut à nouveau la vedette d’une courte série portant son nom. Si le costume et le nom du personnage étaient rigoureusement identiques, son histoire personnelle était par contre très différente. On pourra épiloguer sur les raisons : peut-être qu’Ayers ne se souvenait pas des détails de la vie privée du héros. Où peut-être encore que Marvel, s’appuyant sur l’accord du dessinateur originel du personnage, préférait n’utiliser que le côté visuel de façon à ce que le scénarise des années 50, lui, ne puisse pas dire qu’on avait volé son histoire. Gary Friedrich et Roy Thomas furent chargés de coécrire un nouveau récit pour justifier l’existence du héros.

Le Ghost Rider publié en 1967 (considéré par Marvel comme étant le premier) s’appelait dans le civil Carter Slade. Il s’agissait d’un enseignant laissé pour mort par des agresseurs déguisés en indiens (on notera que cet élément persiste dans les deux origines) à qui un sorcier indien (ici aucune intervention de fantômes) offrait le fameux costume blanc, permettant comme pour Rex Fury de jouer des tours d’optique à ses adversaires. Ceux d’entre vous qui voudraient s’imaginer qu’il y a une sorte de continuité entre Rex Fury et Carter Slade pourraient avancer qu’après tout le sorcier indien a pu récupérer le costume le costume de Rex et l’offrir à Slade. Il n’en est rien. L’origine de Carter implique au contraire une météorite : Quelques années auparavant une étoile filante est passée dans le ciel et le Grand Manitou est apparu devant le sorcier (depuis connu sous le nom de Flaming Star), lui ordonnant de se rendre au point d’impact de la météorite, d’en récupérer la poussière lumineuse et d’en recouvrir une étoffe blanche, fabriquant ainsi une cape blanche brillante qu’il devrait confier à un grand héros qu’il rencontrerait par la suite. Quand Carter Slade est laissé pour mort, il est d’abord transporté au campement car les indiens pensent qu’il s’agit d’un cadavre, qu’ils pensent enterrer selon la coutume. Mais Carter, sortant d’une sorte de coma, revient à lui et le « miracle » sidère les indiens, qui pensent qu’il est revenu d’entre les morts. Flaming Star est alors convaincu qu’il s’agit du guerrier qu’on lui a promis. Il lui offre l’étoffe blanche avec laquelle Slade créera le costume du Ghost Rider. Il n’y a là aucune place chronologique où on pourrait glisser Rex Fury… Notons quand même au passage que Marvel n’a bizarrement jamais tenté de rapprochement scénaristique entre la météorite blanche à la base du costume du Ghost Rider, récupérée par un sorcier indien, et la météorite noire dans laquelle a été taillée l’épée du Black Knight, récupérée par le sorcier Merlin… Il y a aurait pourtant bien une histoire à créer là-dessous…

En termes de publication, l’aventure de Carter Slade est de courte durée. Son magazine ne survit pas à l’année de son lancement (il faut croire que le charme du costume n’opérait plus). On se dépêcha donc d’oublier ce Ghost Rider façon Marvel mais le nom avait quelque chose de captivant. Marvel l’utiliserait par la suite pour un personnage totalement différent mais plus connu, celui qui est devenu LE Ghost Rider de référence, à savoir le motard Johnny Blaze… On libéra d’abord la place en mettant en scène la mort de Carter Slade Western Gunfighters #7 (Janvier 1972). En août 1972, Roy Thomas et Gary Friedrich, ceux-là même qui avaient transposé le concept du cow-boy Ghost Rider dans l’univers Marvel, lançaient le motard fantôme homonyme, débutant d’une certaine manière une autre dynastie de personnages qu’il serait hors sujet d’abord ici, d’autant que les méandres du cavalier fantôme ne sont pas pour autant terminés. Le pupille de Carter Slade, Jamie Jacobs, lui succéderait brièvement en temps que Ghost Rider puis ce serait le tour du Marshall Lincoln Slade, frère de Carter (des années plus tard Lincoln deviendrait fou et violerait Mockingbird, l’épouse de Hawkeye à un moment où les West Coast Avengers voyageaient à travers le temps). Si vous comptez comme moi, après Rex puis l’australien, après Carter et Jamie, Lincoln est du coup le cinquième « Ghost Rider cow boy ». Encore que. On ne pouvait plus réellement parler de Ghost Rider…

Dans les années 70, Marvel se lança en effet dans une politique de réimpressions de titres. Partant du principe que la série de Carter Slade avait été lue par peu de gens, la maison d’édition la publia à nouveau entre 1974 et 1975. Mais comme le motard Ghost Rider paraissait toujours, les gens de Marvel décidèrent de rebaptiser le cow-boy. Tous les exploits de Carter Slade furent donc attribués au… Night Rider ! Désormais dans l’univers Marvel le Ghost Rider du Far-West et ses successeurs seraient connus sous le seul nom de Night Rider ! Or, après avoir discuté du Ghost Rider vol.1 #2 de 1950, il ne vous aura pas échappé que c’était une injustice totale. Non seulement les gens de Marvel avaient donné (probablement sans s’en rendre compte) au personnage le même nom que certaines escouades du KKK mais de plus il s’agissait de gens qu’il avait combattu dans sa version première ! C’est comme ci quelqu’un rebaptisait Batman en « Joker » ! Et ça sans même parler du problème politique… Pourtant personne chez Marvel ne sembla réaliser le problème et le Night Rider continua à porter ce nom pendant des années. En novembre 1980, le scénariste Michael Fleisher tenta un rapprochement entre les deux formules de Ghost Rider (le cow-boy et le motard). Dans Ghost Rider #50, le motard Johnny Blaze est propulsé à travers le temps et rencontre Carter Slade, rétroactivement appelée le Night Rider, alors en activité. Tous deux font alliance pour lutter contre divers adversaires. Rien dans le scénario ne laisse transparaître que les deux héros devraient porter le même nom. L’épisode marquera cependant assez les esprits pour qu’on lui fasse une sorte de suite.

Dans Ghost Rider #56, Hamilton Slade, descendant moderne de la lignée, trouve une tombe indienne qui contient le costume blanc. Possédé par l’esprit de ses ancêtres, il devient à son tour le Night Rider avec une différence de taille : cette fois-ci le nouveau personnage à des pouvoirs qui laissent une large place au surnaturel (on n’est plus dans l’effet d’optique), pouvant par exemple faire apparaître un cheval fantomatique à volonté. A l’époque aucun lien n’est fait entre Night Rider et les Esprits de la Vengeance auxquels appartient le motard Ghost Rider mais il est certain que c’est dans Ghost Rider #56 que nait la petite étincelle qui mènera à un rapprochement scénaristique entre les deux concepts. Quelque part dans les années 80, quand même, les scénaristes réaliseront que ce terme de Night Rider est aussi problématique et contradictoire que si on surnommait Captain America « Chemise Brune ». Avec l’élément nouveau qui fait Hamilton Slade est réellement « hanté », Marvel optera alors pour le nouveau nom de « Phantom Rider » et la plupart des mentions du Night Rider seront corrigées dans les réimpressions…  Non seulement le nouveau nom à l’avantage de faire remplacer Night par un synonyme de « Ghost » qui conserve le principe de « fantôme » mais qui plus est « Phantom Rider » fut aussi le titre d’un serial en 1936, dans lequel un homme faisait régner la loi dans une réserve indienne en adoptant l’identité d’un légendaire personnage (le Phantom Rider, vous vous en doutiez) mais, incroyable, ce film profita d’une nouvelle sortie en 1954, sous le titre nouveau… Ghost Riders of the West ! Et pour bien compliquer les choses, l’éditeur Centaur s’était inspiré du serial en 1940 pour publier, dans Wham Comics #1, les aventures d’un cow-boy masqué lui aussi appelé le Phantom Rider. C’est dire si rebaptiser le Night Rider en Phantom Rider était une sorte de retour de manivelle et de clin d’œil à deux autres « Ghost Rider de l’Ouest » ! Ce qui fait qu’à partir de ce moment il devient pratiquement impossible de compter les différents Ghost Riders, Night Riders et Phantom Riders sans s’embrouiller les pinceaux…

Revenons chez Marvel : dans la mini-série Blaze of Glory (projet impliquant la plupart des héros de l’Ouest de Marvel, dans une sorte de crossover à la sauce western) publiée en 2000, un autre personnage du dix-neuvième siècle prenait la suite de Carter Slade. Reno Jones, un cow-boy noir, se voyait offrir le costume blanc du Phantom Rider par un indien (Red Wolf) pour avoir l’avantage psychologique sur leurs adversaires. Un gang organisé autour de Tarantula (ancien adversaire de Carter Slade) qui était une branche du Ku-Klux-Klan nommée…. Les Night Riders. Trente ans après Rex Fury, Reno Jones devenait le septième porteur du costume blanc et affrontait à son tour les Night Riders, lavant un peu l’affront qui avait été fait à travers le nom porté dès les années 70 par cette lignée de héros de l’Ouest.

Et Rex Fury ? Bien que Marvel l’ait en partie laissé de côté, il n’avait totalement disparu de l’équation. Puisque le Ghost Rider originel, celui de 1950, appartenait désormais au domaine public américain, le petit éditeur AC Comics (spécialisé dans la reprise de personnages obscurs ou laissés pour compte) le récupéra et l’intégra dans son univers. Avec la seule différence que Marvel avait entretemps renouvelé la marque commerciale « Ghost Rider » à son nom. Du coup Rex Fury apparait bien dans son costume blanc de Ghost Rider, avec les gimmicks habituels, mais dans l’univers d’AC, il est rebaptisé le Haunted Horseman (le « Cavalier Hanté » en lieu et place du Cavalier Fantôme). Dans Femforce #28 (1990) des super-héros remontent le temps jusqu’à l’époque du « Far-West », indirectement pour sauver la vie du Haunted Horseman, qu’ils savent menacée. L’idée est qu’une héroïne moderne, Nightveil, possède la cape autrefois utilisée par Rex Fury et que si la version actuelle de la cape et celle du passé se touche, la réaction mystique causera la mort du Haunted Horseman. Quand on lui explique le problème, Rex proteste en avançant qu’il est « entre deux mondes » (référence directe à son origine et à cet étrange état qui lui permet de voir les fantômes). Mais l’inévitable se produit : les deux capes entrent en contact et le cow-boy meurt… avant de réapparaître immédiatement sous la forme d’un cavalier cette fois réellement fantôme… Dans l’univers AC, Rex Fury a également eu une fille. Dans Femforce #36 (1991),  les héroïnes du titre se rendent compte que le nom de jeune fille d’une de leur alliée, Elizabeth Bates (un personnage basé sur l’apparence de Betty Page, la pin-up des années 50), est en fait Fury. Cette cow-girl a voyagé à travers le temps et s’est installé dans le présent après avoir réalisé les bienfaits de l’égalité des sexes. Dans Femforce #36 on découvre également que le fantôme du Haunted Horseman existe toujours dans le présent. Devenu simplement le « Haunter »,  il vient en aide à la Femforce et fait preuve de pouvoirs qui ne sont pas sans rappeler le Spectre (le héros fantôme de la Justice Society, pas le cheval de Rex Fury)…

Ce n’est pas tout à fait tout (mais, courage, on approche de la fin). Comme nous l’avons vu, en 1980 Michael Fleisher a entrepris un rapprochement entre la légende des Ghost/Night/Phantom Rider et celle des Spirits of Vengeance. L’idée fut amplifiée par Garth Ennis puis par le film consacré à Johnny Blaze, entérinant l’idée que les « Phantom Rider » avaient toujours été des Esprits de la Vengeance  (c’est-à-dire, donc, liés aux pouvoirs utilisés plus tard par Johnny Blaze) qui s’ignoraient. Du coup plus récemment, à l’occasion de Secret Invasion, un descendant contemporain de Carter Slade, J.T. (dont le lien de parenté avec Hamilton Slade n’est pas net), a fait surface au sein des Secret Warriors formés par Nick Fury. J.T. est l’officialisation de la fusion entre les Ghost Riders de l’Ouest et les Ghost Riders motards : Bien que descendant du premier Phantom Rider, J.T. a des pouvoirs sur le feu similaires (mais inférieurs) à ceux de Johnny Blaze, d’où le nom de code « Hellfire ». Terminons (ouf !) par le fait que les Secret Warriors comptent également un autre descendant d’un Ghost Rider de l’Ouest : Nick Fury lui-même ! Car si Rex Fury n’est jamais vraiment apparu en tant que Ghost/Phantom Rider à l’intérieur de l’univers Marvel, les scénaristes ont trouvé intéressant de l’intégrer à la continuité d’une autre manière : Nick Fury, l’ancien directeur du S.H.I.E.L.D., est donc le petit-fils du cow-boy Rex Fury. Quand à savoir si cet élément jouera un rôle dans les aventures futures des Secret Warriors, compliquant encore plus l’histoire des Ghost Riders de l’Ouest, allez savoir… Mais il est certain que la tapisserie est déjà assez riche en connections…

[Xavier Fournier]
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