Oldies But Goodies: Human Torch Comics #38 (1954)

[FRENCH] Le Prince Namor, alias Sub-Mariner, est toujours un bon client pour ce qui est des histoires pittoresques du Golden Age. Ce court épisode, publié dans les pages de Human Torch Comics, n’échappe pas à la règle. D’une part le héros amphibien s’y découvre une race d’adversaires hauts en couleurs et de l’autre… Marvel fait alors un rapprochement étonnant avec la concurrence…

Au début des années 40, Marvel/Timely avait fait feu de tout bois, produisant des hordes de héros éphémères comme le Fiery Mask, le Falcon ou Dynaman. Quelques années plus tard, en 1954, ne restaient debout que les créations qui avaient su s’inscrire dans la durée, c’est à dire principalement Captain America, Human Torch et Sub-Mariner. Du coup, les uns apparaissaient en bouche-trou dans les magazines des autres en l’absence de seconds couteaux pour combler les sommaires. Ainsi donc bien que le comic-book étudié aujourd’hui soit « Human Torch Comics » on y trouve également Sub-Mariner dans des aventures solo, luttant contre les inquiétants Octopus-Men (ou les Hommes-Pieuvres si vous préférez), comme vous l’aura sans doute indiqué l’image de présentation. Il n’était pas rare que Bill Everett et Marvel fassent appel à des tels créatures dans les récits du Golden Age. L’idée générale était que Namor était le monarque d’un petit pays sous la surface de l’océan. Mais cette nation n’était pas unique. Elle avait une multitude de contrées voisines, peuplées par des races étranges sur lesquelles nous reviendrons sans doute un autre jour).

Mais ce ne sont pas les Hommes-Pieuvres qui ont attiré spécialement mon regard la première fois que j’ai parcouru cette histoire. En effet l’introduction du narrateur a une particularité étonnante. Le texte est tel que suit : « Une fois encore le Prince Namor, le Aquaman originel, se trouve impliqué dans un problème concernant les gens de la surface… Un problème qui ne le concerne pas, mais qu’il est pourtant la seule personne susceptible de le régler… ». Rassurez-vous, nous en viendrons vite à la nature du problème (lequel est, pour ne rien vous cacher, lié aux Octopus-Men) mais arrêtons nous un instant sur ces quelques lignes étonnantes. Certains d’entre vous n’aurons pas manquer d’apercevoir la particularité : Namor est tout bonnement désigné comme étant le « Aquaman originel ». Et c’est tout bonnement sidérant car si Namor était publié par Marvel, le héros réellement nommé Aquaman était lui édité par le concurrent DC Comics. Certes Aquaman était apparu après Sub-Mariner et il est certain que l’un découle pour une bonne partie de l’autre. Mais il est étonnant de voir un éditeur citer directement un héros d’une autre firme pour se positionner par rapport à lui. C’est un peu comme si, de nos jours, DC qualifiait Superman de « Sentry originel » ou de « Supreme originel ». En théorie, c’est même une impossibilité, le droit américain permettant la parodie mais sans doute pas une telle attaque en règle.

Mais la présence du mot Aquaman a sans doute un sens caché. Dans les années 50, le feuilleton télévisé Adventures of Superman avait la dragée haute et Marvel venait de ressusciter brièvement ses principaux super-héros dans l’espoir de les caser auprès d’un studio de production. Human Torch Comics #38 est d’ailleurs le dernier numéro des aventures de la Torche Humaine des origines, avant que Marvel ne baisse les bras et le renvoie dans les limbes. Tout au long de cette « renaissance » de Marvel dans les années 50, le mieux placé pour devenir une adaptation une adaptation télévisée fut Sub-Mariner et il semble même que les discussions aient réellement été engagées dans ce sens (l’anecdote est mentionnée entre autres dans le livre Stan Lee: Conversations), même si elles n’ont mené à rien. A ce stade, au moment où Marvel préparait sans le savoir ce qui serait le dernier numéro d’Human Torch Comics, cette mention d’Aquaman n’était sans doute pas là par hasard. Namor existait depuis 15 ans, Aquaman depuis 13… Si le scénariste/dessinateur Bill Everett avait voulu se plaindre d’avoir été imité, il aurait eu tout le loisir de le faire avant. Non, il parait plus probable qu’à travers cette mention l’auteur et l’éditeur revendiquaient la paternité d’un genre (le héros aquatique). Si d’aventures les producteurs de TV ou de cinéma avaient envie d’aller voir ailleurs (par exemple du côté de DC) pour faire un feuilleton sur un personnage aquatique, on leur rappelait ainsi qui était le modèle d’origine, qui avait la légitimité. Rien que cette définition de Namor comme le Aquaman originel vaudrait déjà le détour. Le reste de l’histoire vaut son pesant d’or…

Alors qu’il nage très profondément sous la surface de l’océan Atlantique, Sub-Mariner découvre soudainement qu’il se tient au dessus d’une faille très profonde. Et le héros ne peut s’empêcher de remarquer que des tunnels ont été creusés dans les parois. S’aventurant dans ces passages, le héros entre dans l’obscurité et se guide alors avec son odorat et il sent… des humains. Pourtant les créatures qui se jettent sur lui en le reconnaissant n’ont rien d’humains. Comme Namor le réalise, il s’agit d’hommes-pieuvres. Et même si le fond des mers a quelques habitants pittoresques, Sub-Mariner est le premier surpris de leur existence. Si les hommes-pieuvres le connaissent, lui n’a jamais entendu parler de telles créatures. Les Octopus-Men s’empare de l’atlantéen et ont tôt fait, avec leurs tentacules multiples, de le maîtriser. Par leur conversation (car oui ma bonne dame, un homme-pieuvre ça peut parler), on comprend qu’ils sont convaincus que Sub-Mariner a été envoyé par leurs ennemis pour les espionner. Envoyé par qui ? Par les gens de la surface, pardi ! Par les humains ! Le chef des hommes-pieuvres explique que chaque année ils sont de plus en plus dérangés par les tentatives des humains pour les éliminer (discours qui finalement n’est pas très éloigné de celui que Namor avait à ses débuts, en 1939). Mais ces créatures ont conçu un plan pour se venger. Elles ont creusé des tunnels sous le continent européen et déposé des explosifs surpuissants sous les principales cités afin de les détruire.

Même prisonnier, Namor est assez têtu pour s’écrier qu’il s’agit d’un bluff… D’ailleurs, prisonnier, il ne le reste pas longtemps. Utilisant sa force supérieure, il commence à rompre et à déchirer les tentacules de ses adversaires avant de s’enfuir. Bien sûr, son premier réflexe est d’aller prévenir les autorités de la capitale du pays le plus proche, sur la côte européenne. Seulement on ne peut pas dire qu’il soit accueillit avec une écoute attentive. Ses interlocuteurs ne croient absolument pas cette histoire de d’hommes-pieuvres, qu’ils considèrent comme une théorie fantaisiste. Le fait que le porteur de la nouvelle soit un Prince d’Atlantis, maître d’une race d’amphibien (en soi une preuve de l’existence d’une foule de créatures inconnues sous les mers) n’a pas l’air de les troubler. Jamais du genre à garder patience longtemps, Sub-Mariner s’éloigne en les insultant et en se disant qu’au moins il les a prévenu. Mais à peine sort-il du bâtiment que les destructions commencent. Dans tout le pays les explosions sont si violentes qu’on les compare à une éruption volcanique. Namor fulmine en disant que ça ne le concerne plus, qu’il a fait ce qu’il fallait en les prévenant…

Mais un soldat portant un képi et la moustache vient à sa rencontre. Le gouvernement vient de se réunir et demande son aide. Namor tempête. Il a offert son aide plus tôt et on s’est moqué de lui. Il n’aidera pas ! Mais le soldat insiste : En fait les gens continuent de ne pas croire à cette histoire d’Hommes-Pieuvres. Ce gouvernement européen non-identifié (encore que l’allure du soldat ressemble beaucoup à la caricature traditionnelle du français dans les comics) s’est mis en tête que ceux qui les attaquent ce sont… Des américains ! Seuls les américains disposeraient d’autant d’explosifs. Sub-Mariner est scandalisé ! Le ministre de la guerre doit être un ROUGE ! L’Amérique ne ferait jamais quelque chose comme ça ! Et il le prouvera ! Du coup, par la force des choses, Namor prend place à bord de la flotte européenne pour leur montrer l’endroit où se trouvent les créatures-pieuvres… Sur les ordres du héros les marins lâchent des bombes sous-marines et des explosions gigantesques se produisent sous la surface (C’est d’ailleurs ironique, à l’origine Sub-Mariner était entré en guerre contre l’humanité parce qu’elle avait bombardée sa capitale. Le voici qui mène les bombes sur une autre race…). Namor plonge au milieu du chaos en se disant « Ceci me tuera… ou me guérira d’intervenir dans les affaires des autres. Mais dans l’intérêt de l’humanité, je dois voir ce qui s’est produit là-dessous ».

Mais les bombes ont bien détruit la plus grande partie de la race des Octopus-Men. Il ne reste plus guère que deux survivants que Namor assomme et ramène à la surface, de manière à prouver la véracité de son histoire: « ça ne me fera rien de bien, mais ça aidera mes amis américains à sortir de cette mélasse ». Puis le héros surgit sur le pont d’un bateau où les marins, stupéfaits, comprennent que tout était vrai. Mais ça n’est pas fini pour autant.

Namor lance cette dernière tirade : « Pourquoi continuer de permettre à vous autres, stupides êtres terrestres de me faire tourner en bourrique ? Bien, j’en ai assez! Vous pouvez y aller et livrer vos propres combats entre vous ! J’en ai finis avec vous ! AU REVOIR !!! Et avec cette dernière case Namor ferme la porte au nez de l’Europe (on est bien loin du héros qui faisait partie des premiers à voler au secours de la France occupée). En fait, s’il n’y avait une question de date (la série parallèle Sub-Mariner Comics ne s’est arrêtée qu’en 1955) il serait même tentant de voir dans cet épisode une des raisons de la « rupture » entre Namor et le monde de la surface à la fin du Golden Age. Mais nous sommes en 1954 et le héros va continuer de croiser des « gens de la surface » dans sa propre série pendant encore plus d’un an. Disons, alors, que l’épisode ne fait qu’officialiser à partir de ce moment que Sub-Mariner ne se reconnaîtra plus que comme allié des USA (ce qui s’explique par le contexte de la guerre froide et la peur d’un communisme vu comme ambiant dans le reste du monde). On finira en se demandant s’il y a quelque part dans le zoo d’un pays européen, les derniers deux hommes-pieuvres (et allez savoir si ce n’est pas un couple, si la race n’est pas susceptible de se repeupler et de menacer l’Europe, cette fois sans intervention de Namor)… Ou si tout ça s’est terminé en beignets de calmar ?

[Xavier Fournier]
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