Oldies But Goodies: Human Torch Comics #4 (1941)

[FRENCH] Les lecteurs contemporains de Marvel connaissent le Patriot (alias Jeff Mace) principalement pour trois raisons: On l’a montré comme le leader de la Liberty Legion (l’autre groupe – en parallèle des Invaders – rétroactivement injecté dans les années 40 de Marvel). Puis on s’est servi de lui pour expliquer (toujours rétroactivement) l’existence continue de Captain America après la seconde guerre mondiale : plusieurs héros masqués ont pris la relève de Steve Rogers derrière le masque du fameux Captain et Jeff Mace fut ainsi le « troisième Cap » (actif sous le nom de Cap en gros pendant la période 1946-1950, ce qui en fait l’homme qui a porté le plus longtemps ce nom en dehors de Rogers). Enfin Jeff Mace est bien sûr l’inspiration du nom du Patriot moderne, qui est membre des Young Avengers. Pourtant bien souvent, quand on mentionne le premier Patriot, on fait une injustice flagrante. Sans doute pour gagner du temps et s’épargner des explications, le Marvel moderne se borne à expliquer que Jeffrey Mace était un admirateur de Captain America parmi tant d’autres, qui s’est mis en tête de devenir un héros patriotique après avoir lui les exploits de Cap dans la presse. La vraie origine du Patriot, telle que racontée dans Human Torch Comics #4 est à la fois un peu plus complexe (et plus intéressante) que le résumé « lapidaire » moderne.

Dès les années 30, les comic-books avaient été l’objet d’attaques de la part de collectifs « bien-pensants » qui prétendaient que les images criardes de la BD détournaient les enfants de la vraie lecture. Regarder un comic-book c’était selon eux désapprendre à lire… Très vite, les éditeurs de comics avaient donc trouvé un biais pour satisfaire à la fois ces opposants et l’administration américaine : glisser des nouvelles d’une ou deux pages à l’intérieur de leurs parutions, histoire d’avoir au moins un contenu « non-visuel » par numéro. Chez de nombreuses sociétés ce texte devint ce qu’il est convenu d’appeler « The Story Behind The Cover », qui racontait en gros quelles circonstances étaient à la base de la scène montrée sur la couverture. Nous aurons d’ailleurs sans doute l’occasion d’évoquer certaines « Stories Behind The Cover » dans des chapitres futurs de cette rubrique. Chez Timely/Marvel, en tout cas dans les premiers temps, on utilisait aussi ce genre d’astuces. Dans Human Torch Comics #4 (numéroté #3 par erreur sur la couverture) c’est une variante qu’on allait utiliser… Plutôt que de perdre un épisode de BD entier à raconter la genèse du Patriot, on allait passer par une nouvelle pour présenter le nouveau héros, bien qu’il ne soit même pas mentionné sur la couverture…

Le soin d’écrire l’origine du Patriot fut confié à Ray Gill (par ailleurs le frère de Joe Gill, futur co-créateur de Captain Atom et Peacemaker chez Charlton) tandis que le « frontispice » de l’histoire est illustré par Bill Everett (le créateur de Sub-Mariner). Ceci explique  peut-être le design si particulier du personnage (en short, avec les jambes nues). Encore qu’il convient de signaler que même quand Bill Everett n’était pas à la base d’un personnage Timely/Marvel, il n’était pas rare de voir l’influence indirecte de Namor opérer. On trouve donc de nombreux héros du « golden age » de Marvel avec un uniforme révélant des jambes nues (Captain Wonder, Citizen V…). Et Patriot, donc. L’effet est un peu incongru et quand Roy Thomas ramena le personnage dans les années 70 (au moment d’inventer la Liberty Legion) il décida de relooker le Patriot de manière rétroactive. C’est pourquoi le lecteur moderne est sans doute peu familier avec cette version « en slip »…

L’histoire du Patriot est racontée à la première personne, comme si elle était écrite par Jeff Mace en personne. Il explique que tout a commencé un an auparavant. Jeff Mace se présente comme un journaliste (travail plutôt répandu chez les super-héros, merci Clark Kent !) mais chose curieuse il explique qu’il n’est pas un rédacteur comme les autres : si vous ne connaissez pas sa signature c’est qu’il travaille en « nègre », écrivant des articles que d’autres signent. Cette curieuse complication de son travail sera assez vite oubliée dans ses aventures suivantes (on le présentera la plupart du temps comme un journaliste fameux et signant donc sans doute de son propre nom) mais en tout cas c’est comme ça qu’il se présente pour cette première fois.

Un an auparavant, donc, Jeff Mace était chargé de suivre les négociations autour d’une grève bloquant le bon fonctionnement d’un dépôt de munitions. Une grève qui avait de bonnes chances d’être causée par l’insidieuse « Cinquième Colonne » (surnom réel donné aux saboteurs nazis). Mace se trouvait dans l’avion qui emmenait les représentants du gouvernement qui allaient négocier pour mettre un terme à la grève.  L’ennui, c’est qu’à un moment les passagers réalisèrent qu’ils ne survolaient pas la région prévue mais au contraire étaient au dessus de l’océan. Pire : ils aperçoivent à l’extérieur les deux pilotes qui viennent de sauter en parachute, les abandonnant à leur triste sort. C’est un piège pour éliminer la délégation !

Bien sûr, il suffirait que quelqu’un se glisse aux commandes mais la panique est telle que tous les passagers se ruent vers la cabine de pilotage en même temps, se gênant les uns les autres. C’est alors que Jeff Mace a l’idée qui lui permettrait d’avoir un « avantage psychologique ». Il a avec lui un uniforme « patriotique » qui lui a déjà servi une fois pour faire la promotion du journal où il travaille. Peu de détails sont donnés sur ce journal (par la suite, dans ses aventures dessinées, il sera plutôt fait allusion à une agence de presse, ne correspondant donc pas à un journal en particulier. Disons que Jeff Mace a sans doute changé d’employeur entretemps…). Jeff Mace enfile donc son costume dans la confusion et tout l’avion est soudain médusé de réaliser qu’un super-héros patriotique se tient là, sans s’apercevoir de la disparition de Jeff Mace… Ce qui ne manque pas de sel puisque vous remarquerez sur le visuel que le costume « historique » du Patriot, contrairement à sa version « Liberty Legion », ne comporte… aucun masque.

Logiquement Jeff Mace devrait donc être très facilement reconnaissable mais sans doute qu’ici opère la même magie qui permet à Superman de ne pas être reconnu quand il porte des lunettes… D’ailleurs, bien qu’aucune explication ne soit donnée, Jeff Mace lui-même explique qu’il se sent différent, plus fort, quand il porte ce costume. Cette force supérieure lui permet d’enfoncer la porte du poste de pilotage là où les autres passagers échouaient jusqu’ici. Une fois dans l’habitacle, le Patriot peut bien sûr diriger l’avion et sauver la délégation. Mieux encore : toujours en costume, le Patriot débarque au dépôt de munitions où l’agitateur qui anime la grève est à l’évidence un agent de la « Cinquième Colonne », reconnaissable à son allure « étrangère ». Le Patriot lui décroche un coup de poing et, profitant de l’effet de surprise, permet aux officiels de prendre place sur l’estrade. La voix de la raison peut alors l’emporter et la grève est vite arrêtée, après la mise en place des négociations. Bien sûr, Jeff Mace est aux premières loges pour rédiger un article mais il explique lui-même qu’il préfère passer sous silence le rôle du Patriot dans le sauvetage de l’avion « parce qu’il y a déjà assez de malheurs dans les journaux sans en rajouter ». Ensuite, Jeff Mace conclue qu’il a continué à voir trop « d’activités étrangères » et qu’il est donc resté le Patriot pour mieux les contrecarrer.

C’est sans doute la modestie de Jeff Mace – préférant ne pas écrire lui-même sur les exploits du Patriot – qui explique que le lecteur n’apprenne qu’en 1941 l’existence d’un héros en activité depuis une année…  Comme Human Torch Comics #4 a été publié au printemps 1941, quelques semaines après Captain America Comics #1, ce « retour dans le temps »d’un an en arrière a la particularité de placer les débuts du Patriot AVANT ceux de Cap. Il n’est donc pas – en tout cas dans sa version historique – le simple « imitateur » auquel on le résume dans le Marvel moderne. Par ailleurs, le fait que le Patriot est d’abord – au moins sur le plan visuel – la mascotte d’un journal fait qu’on n’est pas très loin du principe du  Guardian tel qu’utilisé par Grant Morrison dans Seven Soldiers. Enfin ce rapport à l’information avec d’une part sa discrétion et d’autre part son emploi « au noir » fait de Jeff Mace un type de journaliste beaucoup plus complexe que les clones de Clark Kent qu’on pouvait voir à l’époque… Autant de nuances qu’hélas on a perdu avec le temps… Même si sa popularité ne fut pas similaire à celle de Captain America, Namor ou Human Torch, le Patriot fut la vedette de plusieurs dizaines d’aventures et – avec des personnages comme le Angel originel, le Whizzer, Miss America et le Destroyer, il forme un peu le « deuxième rang » des héros que Marvel a publié dans les années 40, en ce sens bien plus célèbre que les personnages récemment revenus dans la maxi-série « The Twelve »… Espérons qu’Ed Brubaker saura lui garder une petite place dans son prochain « Marvels Project » car la méconnaissance du Patriot sous sa forme initiale est, comme je le disais en introduction, une injustice…

[Xavier Fournier]

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