Oldies But Goodies: Journey Into Unknown Worlds #37 (1955)

[FRENCH] Alors qu’on fête le cinquantième anniversaire des X-Men il serait bon de se souvenir d’un mutant de Marvel qui les a devancés de plusieurs années : Créé en 1955, le mystérieux Peter King pourrait sans doute en apprendre à Charles Xavier en termes de télépathie. Et comme, fort injustement, tout le monde ne connait pas forcément ce « mâle alpha » de la race mutante qui non seulement anticipe les X-Men mais aussi, vous allez voir, Watchmen ! Allez hop, en route pour « des mondes inconnus », comme nous le promet le titre de cette série.

L’Histoire des mutants de Marvel ne commence pas avec X-Men #1 en 1963, loin s’en faut. Certes, rétroactivement, l’éditeur a cru bon de raccrocher les wagons au succès de ces personnages en faisant que des personnages comme Namor le Sub-Mariner ou Toro The Flaming Kid sont aujourd’hui considérés comme des mutants, tandis que ce n’était pas l’intention d’origine de leurs créateurs (Namor était un hybride avant tout tandis que Toro n’avait pas vraiment d’explication). Je l’avais déjà abordé dans d’autres chroniques mais comme certains esprits chagrins qui n’auront pas lu ces chroniques pourraient se dire « hé mais… » soulignons le à nouveau : Namor et Toro n’étaient pas vraiment des mutants et le sont devenus après coup.

Pour ce qui est des proto-mutants de Marvel (c’est à dire de surhommes qui précèdent les X-Men et qui assument leur côté mutant) on doit plutôt se tourner vers la période 1956-1962 pour rencontrer par exemple « The Man With The Atomic Brain » (Journey Into Mystery #52, mai 1959) ou « The Man In The Sky! » (Amazing Adult Fantasy #14, 1962) qui ont tout de X-Men avant l’heure. Enfin disons plutôt *qu’en général* il faut se tourner vers la période 1956-1962. Car il existe un personnage qui les précède… Un certain Peter King, héros d’un récit paru dans Journey Into Unknown Worlds #37, numéro à ma connaissance jamais réimprimé depuis et plutôt rare (ce qui explique qu’il soit très peu référencé)…

« Man Alone » (le titre de l’histoire, a été utilisé pour plusieurs autres épisodes de l’époque, ce qui fait sans doute que certains pensent – à tort – qu’il s’agît d’une réimpression d’autre chose) commence pourtant avec un personnage tout à fait normal. Fred Barrows est journaliste et recherche un nouveau sujet qui pourrait faire sensation. Seulement… il n’a pas l’inspiration. Son épouse (ou sa compagne, ce n’est pas vraiment clair) lui suggère alors d’écrire sur l’agitation qui secoue divers endroits du globe… Peut-être qu’on pourrait leur trouver un sens, une signification commune ? Mais Fred en doute : « No, il me faut quelque chose qui sorte des sentiers battus. Ces incidents dont tu parle sont isolés, ils ne forment pas une structure, ils ne représentent pas un dessein cohérent… » Et puis finalement Fred Barrows a une idée… Peter King ! Il va écrire sur Peter King ! Sa compagne est surprise : « Je t’ai déjà entendu parler de lui mais qui est-il ? Et en quoi peut-il fournir un sujet d’article à la une ? ». Fred explique : « Nous avons fait nos études ensemble et il dirige une énorme usine d’aéronautique expérimentale. La rumeur dit qu’il est en train de faire construire un vaisseau spatial. Ca c’est un sujet de reportage à la une, pas vrai ? ». La femme en face de lui cache mal ses doutes : « Je suppose que oui… Si c’est vrai et s’il accepte de t’en parler ! ».

Reconnaissant que Peter King a toujours été un type solitaire, Fred Barrows décide néanmoins de suivre son intuition. D’un seul coup il n’y tient plus. Il brûle de parler à King. Inutile d’attendre après tout… Il brave la pluie et s’installe au volant de sa voiture, prenant la route de l’usine de King. En route, il se remémore son ami : « Il était brillant et charmant mais en même temps un de ces types qui semblent toujours rester seul. Je me demande comment il est maintenant ? ». Et comme, une fois arrivé devant l’usine, il pleut encore, c’est en courant que Fred se précipite dans les bureaux de la firme de King. En reprenant son souffle il commence à expliquer qu’il aimerait voir… Mais il n’a pas le temps de finir sa phrase que la secrétaire lui dit « Oui Mr. Barrows, Monsieur King vous attend déjà ! ». Fred est pour le moins surpris. Comment peut-elle connaître son nom et comment King pouvait-il savoir qu’il viendrait le voir ? Fred lui-même ne le savait pas il y a moins d’une heure !

Fred pénètre dans le bureau et remarque tout de suite que Peter King ne semble pas du tout avoir vieilli, alors qu’ils ne se sont pas vus depuis dix ans. Habillé comme l’homme d’affaires qu’il est, en costume cravate, Peter a la classe. Il l’invite à s’asseoir : « Installe-toi, Fred ! Content que tu as répondu à mon appel ! ». Là, Barrows ne sait plus quoi dire. Comment ça ? Quel appel ? Peter King explique : « J’ai envoyé cette pensée dans ton esprit ! En fait tu vois je suis télépathe. J’ai besoin de ton aide, Fred, et je dois me confier à toi ! ». Barrows promet d’aider son ami de jeunesse mais, enfin c’est trop fort, demande des explications sur cette histoire de télépathie. King raconte alors : « Depuis que je suis enfant, je possède des pouvoirs que les autres gens n’ont pas. Mais j’ai été assez malin, même à l’époque, pour prendre soin de le cacher, car l’humanité détruit parfois ceux qu’elle ne comprend pas où qui lui font peur… Je suis un surhomme, Fred. Le prochain pas en avant de l’homme ! Peut-être qu’il y en a d’autres comme moi à travers le monde, je ne le sais pas. Mais je possède des pouvoirs bien au delà de la compréhension de l’homme contemporain ! ».

La déclaration a de quoi surprendre, semble incroyable. Mais Barrows se souvient alors de certaines choses à propos de King pendant sa jeunesse. Des choses qui s’expliquent maintenant. Et puis après tout le journaliste se dit qu’on a déjà connu d’autres « super-êtres » dans le passé, Comme Léonard de Vinci, Vespucci, Lao Tseu… Fred décide de croire son ami. Peter s’en réjouit mais continue ses explications : « Maintenant écoutes bien… A travers le monde en ce moment il y a une vague de protestations, d’émeutes, de grèves, de guerres… Il y a une raison à ça et je la connais ! Cela vient d’une suggestion télépathique qui vient de l’espace lointain et qui pénètre l’esprit des hommes ! Ca vient d’une sinistre forme de vie étrangère qui veut forcer l’homme à s’autodétruire de manière à ce qu’elle puisse occuper la planète après lui ! »

Fred se lève, émettant quand même un petit doute (parce que quand même, l’existence d’un mutant et d’une vie extra-terrestre en deux minutes de discussion c’est un peu gros à avaler sans prendre des précautions) : « Si ce que tu dis est vrai, qu’est-ce qu’on peut y faire et comment moi, un type ordinaire, je pourrais t’aider ? Peter reprend : « Seule la concentration des esprits de toute l’humanité, travaillant ensemble, pourrait repousser l’attaque ! Mais personne ne croira que ce je dis est vrai ! Mais, oui, ça peut être fait et toi et moi pouvons y changer quelque chose ! Viens avec moi ! ». Guidant Fred dans un tunnel secret, Peter explique que s’il a fait appel à lui c’est parce qu’il est journaliste. Le tunnel en question mène jusqu’à un hangar où Fred découvre… une fusée spatiale rouge. Peter raconte alors que parmi ses différents pouvoirs il y a la possibilité de mouvoir par la pensée les objets inanimés.

Comme l’explication vient un peu comme un cheveu sur la soupe, on en déduira que cette fusée a été construite pour être propulsée par le pouvoir de King. « Je vais piloter ce vaisseau dans l’espace et lancer des bombes C sur des portions inhabitées du monde ! Toi, tu écriras des articles expliquant que c’est un vaisseau extra-terrestre qui attaque et tu demanderas aux gens de concentrer leur force mentale pour repousser les envahisseurs dans l’espace ! ». Des « bombes C », ce sont des bombes au cobalt et la chose est dite de manière tout à fait innocente mais dans l’argot anglais contemporain une « C-Bomb » a un sens tout à fait différent. De nos jours quand on largue une « C-Bomb » dans une conversation, c’est qu’on vient de prononcer le mot « sperme », un peu l’équivalent du mot « bite » en termes de vulgarité. Bien sûr Peter King parle de larguer de vraies bombes au cobalt mais l’interprétation moderne, qui le ferait imiter une invasion extra-terrestre en larguant des gros mots est croustillante… Les deux compères se mettent d’accord puis Peter King décolle aux commandes de sa fusée. Fred quitte alors l’usine en se disant que lorsqu’il cherchait un sujet d’article il n’imaginait pas tomber sur quelque chose d’aussi gigantesque… « Pouvons-nous faire que tous les hommes concentrent leur énergie mentale dans la même direction ? Et si nous y arrivons est-ce que cela repoussera vraiment l’ennemi ? ».

Le temps que Fred arrive à la rédaction, la supercherie est déjà en marche. L’information circule déjà qu’un vaisseau (celui de Peter, donc, mais les gens ne savent pas) vient d’être repéré par les radars de l’armée. Le rédacteur-en-chef décide donc de mettre tous ses journalistes sur le coup. Et puis les bombes C se mettent à tomber sur des endroits déserts. Fred suit un militaire qui observe de lui un champignon atomique et qui est convaincu de l’attaque : « Des coins inoccupés ! Mais ça vient probablement du fait que ces aliens ne connaissent notre atmosphère ! Et nous ne pouvons pas les combattre. Aucun de nos vaisseaux ne peut monter si haut ! ».

Alors Fred peut commencer à écrire ses articles, dénonçant la prochaine invasion extra-terrestre. Dans le ciel, Peter King continue son bombardement et s’arrange pour qu’il y ait une bombe par pays dans le monde (ce qui ne doit pas être pratique non seulement en termes de capacité de transport des bombes dans le vaisseau mais aussi parce qu’on imagine mal ce que donnerait une bombe au cobalt lancée dans un « endroit désert » d’un pays comme Monaco). On nous montre alors que les disputes entre les hommes, entre les pays, se figent. Sans doute sous l’effet des articles de Fred, les hommes tournent alors leur visage vers le ciel et concentrent leurs pensées (ceci dit, si vous êtes de l’autre côté du globe par rapport à la menace et que vous regardez le ciel, vous tournez la tête du mauvais côté). L’humanité est unie contre un ennemi commun et la résistance psychique qui s’en dégage arrive à vaincre la suggestion télépathique venue de l’espace lointain… dont seuls Fred et Peter savent qu’elle existe.

Plus tard, c’est terminé. La Terre n’est plus sous l’influence néfaste. Les bombardements au cobalt ont stoppé net. Mais Peter King n’est pas revenu et Fred reste seul avec son secret : « Je me demande s’il s’est aventuré dans l’espace à la recherche de nouveaux mondes… Ou peut-être que la chose là-haut a réalisé qu’il était à la base de sa défaite et s’est vengée sur lui… Ou bien peut-être qu’il est revenu sur Terre secrètement pour adopter une nouvelle identité maintenant qu’un humain connait son secret ! Comme je l’envie ! ».

Et puis finalement la compagne de Fred entre dans la pièce et il se reprend. Mais non il n’envie pas Peter King ! Il est au contraire désolé pour lui, lui qui sera toujours un être seul, à l’écart de l’humanité ! Du coup Fred Barrows se dit qu’il est finalement bien content de n’être qu’un humain normal ! Et fermez le rideau !

Dans l’état, Peter King fait un peu penser à Captain Comet, héros de DC Comics lancé au début des années 50 avec l’explication qu’il était un homme en avance sur son temps, sur l’évolution. Captain Comet (Adam Blake) finissait par détecter une menace extra-terrestre et, aux commandes de sa propre fusée, fonçait pour l’intercepter dans l’espace. Mais bien qu’il y ait des points communs, Captain Comet était plus super-héroïque là où, avec King, on est plus dans le registre d’une histoire de science-fiction… D’autant plus qu’il y a des ressemblances (sans doute accidentelles, je vois mal comment cet épisode rare pourrait vraiment avoir eut de l’influence sur le long terme) avec un autre récit. Voyons, cet homme d’affaires qui amène la paix sur Terre en montant de toute pièce une invasion extra-terrestre factice, il ne vous fait pas penser à quelqu’un ? C’est une version moins meurtrière de l’Ozymandias de Watchmen. Là, la différence majeure c’est que le scénario est à tiroir. Dans Watchmen, il n’y a pas d’invasion, il faut l’inventer totalement. Dans Journey Into Unknown Worlds #37, Peter King est incapable de prouver l’existence tangible de l’invasion invisible et doit en inventer une autre pour que l’humanité prenne conscience du danger. A moins, bien sûr, d’imaginer que King ait menti en toute connaissance de cause à Fred, pour mieux le motiver, et qu’il n’y ait aucun méchant télépathe alien, que le plan du mutant terrien ait été depuis le début de supprimer la guerre au moins quelques temps…

On n’a pas revu Peter King depuis Journey Into Unknown Worlds #37 et c’est bien dommage car l’idée d’un mutant télépathe/télékinésiste au moins aussi puissant qu’un Charles Xavier (et sans doute qu’une Jean Grey hors-mode Phoenix), en costard cravate et pilotant sa propre fusée pilotée par la pensée a quelque chose d’assez puissant. En plus la première scène où on le voit nous montre d’emblée qu’il ne vieillit pas. Le fait que l’histoire se passe en 1955 ne l’empêcherait donc pas de revenir dans la continuité moderne. Voilà un « meneur » qu’on aurait bien vu intégrer (et sans doute diriger) une sorte de génération secrète de mutants précédant les X-Men modernes (quelque chose qui aurait plus de gueule que les First X-Men récemment publiés par Marvel). Ou (mais cette autre idée n’exclue pas la première) peut-être faut-il imaginer que lui aussi est parti sur l’île qui réunit tous les « hommes avec des cerveaux atomiques » (Journey Into Mystery #52). A défaut, il aurait sans doute fait un excellent formateur pour un jeune Charles Xavier. D’autant… d’autant que cette histoire préfigure également une aventure des X-Men…

Avance rapide jusqu’en février 1970 et X-Men (vol.1) #65, par Denny O’Neil et Neal Adams. C’est l’épisode où les jeunes mutants retrouvent Charles Xavier après des années où il a fait croire à sa mort, de manière à mieux se préparer à une attaque d’origine extra-terrestre. Les hideux Z’Nox sont sur le point d’envahir la planète mais le Professeur Xavier a préparé la contre-attaque. Il expédie ses X-Men dans l’espace pour en découvre avec l’adversaire puis… Il canalise la force mentale de toute l’humanité pour repousser dans l’espace les Z’Nox ! La compatibilité accidentelle des deux histoires est donc assez effarante. Enfin… accidentelle, c’est même à se poser des questions car quand Havok accueille les X-Men originaux pour les prévenir de l’attaque des Z’Nox, une des premières choses qu’il leur dit c’est que les dégâts causés par l’approche de la planète des Z’Nox sont bien plus puissants que ceux causés par… une bombe au Cobalt…

Dans l’épisode, Charles Xavier explique à ses élèves qu’il a appris par hasard l’existence des Z’Nox en tournant son scanner télépathique vers l’espace mais on peut vraiment se demander pourquoi le Professeur X, qui n’a plus fait usage d’un tel scanner depuis, a tourné l’engin vers le ciel s’il ne savait pas qu’il y avait quelque chose à y rechercher. Dans l’état, en tout cas, les expériences vécues par Peter King et Charles Xavier dans ces deux épisodes ont beaucoup en commun… De quoi donner des idées. Une autre connexion possible est de lier Peter King non pas aux mutants habituels mais aux « proto-mutants » introduits par Brian Wood vers la fin du troisième volume de X-Men (en 2012). On croise ainsi le surpuissant Mr. Sheppard, qui a un air de famille avec King et pourrait donc être issu de la même génération de « pré-mutants ». Enfin bon, ce ne sont pas les liens qui manquent, loin s’en faut. Bon allez dîtes, Marvel, s’il vous plait, vous nous le ramenez quand le véritable premier mutant majeur de votre univers ?

[Xavier Fournier]

Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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