Dans les années 70 Jack Kirby a créé plusieurs séries chez DC, principalement regroupées autour de son Fourth World (les divers titres tournés vers les New Gods et Darkseid). Mais celle qui a duré le plus longtemps fut Kamandi. Le King y est resté pas moins d’une quarantaine de numéros. Pourtant après son départ l’éditeur n’arrêta pas la série. Bien souvent regardé avec dédain par les fans de Kirby, ces épisodes passés ont, il est vrai, le tort de ne pas avoir été créés par le maître. Mais quand on les ressort, on se rend compte que si le dessin a mal vieillit, les scénaristes qui ont suivi Kirby n’ont pas forcément fait un si mauvais travail que ça. Kamandi, dernier garçon intelligent lâché dans un monde où les animaux ont mutés et sont devenus humanoïdes (pensez « Le Planète des Singes » appliquée à toutes sortes de bestioles) y vit quand même quelques aventures dignes d’intérêt.
Dans le lot, il y a Kamandi #60, un épisode qui a la particularité de préparer le jeune héros à une destinée cosmique. Depuis plusieurs mois le personnage créé par Kirby s’était lancé dans une quête afin de savoir ce qui se cachait derrière un mur gigantesque. Dans le numéro précédent il avait reussit à forcer le cadenas de cette titanesque énigme. Les portes s’étaient ouvertes et… Kamandi avait été aspiré par le néant. Dans ce #60, initiallement prévu pour décembre 1978, le héros est confronté à une mystérieuse entité cosmique qui lui présente dans les grandes lignes le multivers DC. Elle explique à Kamandi qu’il y a d’autres terres et qu’il pourrait très bien « sauter » vers l’une d’entre elles. Kamandi y a en effet d’autres incarnations. Et on voit alors défiler les tenants de ce genre de saga: on nout montre comment sur une Terre la Justice Society s’est installée. On nous montre aussi une chaîne de Terres multiples… La voix lui donne le choix. Il pourrait abandonner son monde apocalyptique. En gros il pourrait abandonner son titre. Kamandi est presque séduit mais il se ravise. Après tout il se souvient d’avoir fait la promesse à son grand-père de sauver leur monde. Kamandi doit continuer sa dure vie…
Pourtant, il n’en a pas le loisir. L’épisode s’achève sur Kamandi prêt à retourner sur sa Terre mais intercepté par Brute et Globe, les deux « assistants » du Sandman de Kirby. Le concept (mieux exposé ensuite dans l’ultime Kamandi #61) est de démontrer que Kamandi a pour autre incarnation, sur Terre 1, le jeune Jed (le garçon pour lequel le Sandman de Kirby combattait les rêves, dans une autre série abandonnée). L’idée du scénariste (Jack C. Harris) était visiblement de lier les différentes séries créées par Kirby dans une relation similaire à ce que le romancier Michael Moorcock a fait avec sa saga du Champion Eternel: une suite de personnages qui ne sont qu’un seul, sans cesse réincarné.
Il n’est pas incohérent de penser que la mystérieuse voix qui guide Kamandi dans l’épisode #60 est celle du Monitor, l’un des protagonistes principaux de Crisis On Infinite Earths. Il avait un pouvoir lui permettant de traverser les dimensions et dès le début de Crisis, il ne manque d’ailleurs pas de convoquer Kamandi parmi les premiers combattants. Cet épisode non-paru avait l’avantage d’expliquer pourquoi: malgré son air de civil en short, Kamandi est l’un des rares héros a avoir été initié aux principes du Multivers. Encore mieux: Crisis s’achevait avec une réalité unifiée, avec un seul futur. A l’issue de cette saga DC s’en tenait au fait que le garçon supposé devenir Kamandi avait finalement été trouvé par une organisation interstellaire. Au lieu d’être Kamandi, le personnage devenait alors Tommy Tommorrow, un héros de SF. DC suivait donc la logique de Harris dans son numéro oublié. Non content d’être Kamandi mais aussi le Jed de Sandman, le jeune garçon trouvait le moyen d’être un troisième héros identifiable dans cette nouvelle réalité… Du coup Kamandi #60, produit sept ans avant Crisis, est un peu un signe annonciateur de changements à venir non seulement pour le petit blondinet mais aussi pour une partie de l’univers DC.
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