Oldies But Goodies: Man-Thing Vol.1 #22 (Oct. 1975)

[FRENCH] C’était le dernier épisode de la série. La triste réalité, c’est que les chiffres n’étaient pas suffisants pour continuer. Mais Steve Gerber décida de transformer cet ultime numéro eu quelque chose d’unique à l’époque : une lettre de démission envoyée à son éditeur (Len Wein), qui allait permettre à Gerber de briser les conventions et de tracer la voie pour des auteurs comme Grant Morrison.

Il est rare de voir le scénariste intégré à sa propre BD. Le plus souvent, quand ce genre d’événement se produit, il s’agit de Stan Lee ou d’un homologue qui joue les compteurs en introduction de l’histoire. Ou bien qui passe dans le fond, comme un figurant, à la manière de ce que Lee fait de nos jours dans les films inspirés par Marvel. En 1975, qu’un auteur qui n’était pas éditeur-en-chef s’amuse à ce petit jeu et apparaisse comme un protagoniste majeur dans l’intrigue, c’était quasiment du jamais vu chez Marvel. Et pourtant en ouvrant Man-Thing (« l’Homme-Chose ») #22, on découvre bien Steve Gerber assis au milieu des décombres de son appartement, en train d’écrire sa lettre de démission à son supérieur hiérarchique, Len Wein. En vérité, Man-Thing s’arrête pour ne pas avoir trouvé son public mais Gerber place les choses de manière différente. Dans cette lettre en images, il explique à son éditeur qu’il n’a rien inventé. Les trois ans d’histoires qu’il vient de produire pour le titre ne sont pas le simple résultat de son imagination. Non, elles sont réelles.

D’abord, il nous faut mettre les pendules de tout le monde à la même heure, au cas où certains d’entre vous ne connaîtraient de Marvel que les héros principaux mais pas un personnage comme Man-Thing (pourtant longtemps publié en France par Arédit-Artima, en particulier dans la revue de poche Eclipso). Man-Thing est une sorte de cousin Marvel du plus célèbre Swamp Thing (la Créature du Marais) de DC. Les deux sont apparus à peu près au même moment et ont beaucoup de choses en commun car ils sont tous les deux inspirés par un troisième monstre, The Heap, qui sévissait dans les années 40. Comme Swamp Thing (au moins dans les années 70), Man-Thing était à l’origine un savant testant une formule chimique dans les marais, qui a été brulé, projeté dans le marécage et a fusionné avec la flore. La différence majeure c’est que Swamp Thing avait beau être un monstre, il gardait son intelligence, sa personnalité et même la parole. Man-Thing, lui, est devenu un être muet au comportement mystérieux, proche de l’autisme. La créature ne réagit qu’en présence d’émotions fortes qui, selon les cas l’attirent ou la rendent furieuse (la peur, en particulier lui est désagréable). Au niveau du faciès Man-Thing se distingue aussi par deux yeux en forme de boule, séparé par une racine qui pend et qui, vu le nom du personnage (qui peut se comprendre comme « le machin de l’homme ») a toujours été source de parodie (à quoi pensait Marvel quand ils ont donné ce visage à leur création). Man-Thing peut aussi brûler les êtres qu’il touche sous certaines conditions… Et en prime Man-Thing est aussi le gardien muet d’un passage entre les dimensions qui se trouve dans les marais, passage d’où sont surgis beaucoup de ses amis ou ennemis.

Maintenant que tout le monde connait Man-Thing, revenons-en à Steve Gerber dans le contexte interne de cet épisode. L’auteur raconte alors comment, le jour où il a accepté d’écrire les aventures de l’Homme-Chose, il avait à peine raccroché qu’il était abordé par Dakimh. Ce dernier c’est un peu le sorcier principal dans la mythologie de Man-Thing, son Doctor Strange personnel en quelque sorte. Ayant appris que Gerber allait hériter de la série parce que tel était son destin, Dakimh vient lui raconter qu’un jour l’univers dépendra de lui (Gerber). Dakimh ne perd pas de temps. Il ordonne au scénariste de se mettre devant sa machine à écrire et… commence à dicter. Tous les épisodes de Man-Thing signés de la main de Gerber ont en fait été racontés par le puissant Dakimh. Gerber passe ainsi en revue les principaux moments de son run, comme la première apparition de Wundarr (l’extra-terrestre simplet) ou encore celle de Thog. De la même manière que Dakimh est un Doctor Strange de substitution pour Man-Thing, on peut envisager Thog comme étant un équivalent de Méphisto/Satan, vivant dans la dimension démoniaque nommée Sominus.

L’ennui, c’est que Dakimh est mort depuis quelques temps et que Thog, qui était jusque-là emprisonné, peut à nouveau menacer la Terre. Ces derniers mois l’essentiel de la série a été passé à raconter comment Man-Thing, monstre amorphe fait de boue et de végétation, a lutté presque involontairement contre le plan de Thog. Ce dernier est en train de construire une pyramide dont les briques sont faites d’émotions humaines. Quand la construction sera terminée, l’univers appartiendra à Thog. Heureusement pour nous la toute dernière boîte émotionnelle, la brique ultime dont Thog a besoin pour finir, lui a été volée et livrée par un inconnu chez… Steve Gerber. Il est bien placé pour connaître les événements de la série ces derniers temps et il reconnait immédiatement la boîte. Seulement d’une il est incapable de savoir quoi en faire (ce n’est pas lui le magicien) et les démons de Thog ne tardent pas arriver. Et comme il n’est jamais qu’un mortel de plus à éliminer, les démons l’aspirent dans la boîte mystique qu’ils convoitaient. Quelques cases plus tard, Thog en fait de même avec l’Homme-Chose. Gerber et la créature sont donc enfermés à l’intérieur de la brique et c’est la première fois que le scénariste est confronté au monstre dont il raconte les aventures depuis des années. Bientôt ils sont trois: le fantôme de Dakimh leur apparait. Le sorcier les informe alors que Thog a sous-estimé une chose: en les enfermant dans la boîte, il ne s’est pas rendu compte qu’il a en quelque sorte faussée. Elle contient désormais les émotions de Man-Thing et la raison de Gerber. Quand Thog arrive en haut de la pyramide et y dépose le dernier élément, l’édifice s’effondre et c’est tout l’univers qui explose en une seconde. Dans la confusion, Man-Thing, qui n’a pas d’intellect, est le seul à ne pas être déstabilisé : il s’empare de Thog en le prenant à la gorge. Et ainsi saisi par le monstre, Thog est pris de terreur. Seulement voilà : un des fondements de la série est que « tout ce qui connait la peur brûle au contact de l’Homme-Chose ». Thog est donc incinéré en un instant.

Problème réglé : Steve Gerber se réveille seul dans son appartement et commence à rédiger sa lettre de démission. Après avoir partagé ne serait-ce qu’un court moment la vie de l’Homme-Chose, il n’a pas le cœur à continuer. Ce serait trop lui en demander. Au delà du premier degré, la parabole est sans doute que Gerber a donné beaucoup de lui-même dans cette série et qu’il n’a plus la force de se battre pour la sauver. Dakimh et Man-Thing lui apparaissent une dernière fois et le remercient (l’Homme-Chose reste muet mais enfin sa présence parle pour lui) pour son aide, espérant le revoir un jour. L’épisode se termine sur les dernières lignes de la lettre de démission et la signature manuscrite de Gerber, sorte de version opposée du « Stan Lee Presents » que Marvel mettait en intro de toutes ses séries.

Bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’un auteur ou éditeur se mettait en scène dans sa propre BD. Dans le cadre de « Oldies But Goodies » nous vous avons déjà parlé de Flash #179 et de sa rencontre avec le monde réel. Mais peu d’auteurs avaient autant joué de la confrontation avec leurs personnages, cette rencontre Gerber/Man-Thing annonçait en quelque sorte la rencontre Morrison/Animal Man quelques années plus tard. Ni Steve Gerber ni Jim Mooney (qui dessinait cet épisode) ne sont plus de ce monde, disparus en début d’année 2008. Mais peut-être, d’une certaine manière, font-ils toujours partie du monde de Man-Thing… C’est sans doute un peu naïf à dire ou à écrire mais visiblement le scénariste ne l’entendait pas autrement en 1975. Et si une petite part des auteurs survit à travers leurs écrits, ce n’est qu’une raison de plus de ressortir ce genre de vieux épisodes pour les redécouvrir…

[Xavier Fournier]

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