Oldies But Goodies: Marvel Comics #1 (2)
5 septembre 2009[FRENCH] A la faveur des hommages organisés pour le 70ème anniversaire de Marvel (et en particulier dans la minisérie The Marvels Project), les lecteurs contemporain ont l’occasion de (re)faire connaissance avec l’Angel originel. Un personnage qui n’a rien à voir avec le mutant homonyme des X-Men. Non, cet Angel-là est bien plus ancien et qui, sous ses airs d’un Errol Flynn qui aurait décidé de devenir super-héros, cache finalement une véritable cartographie de la pègre new-yorkaise dont les retombées sont aujourd’hui encore valides dans l’univers Marvel moderne.
Ces jours-ci, c’est loin d’être une superstar. Mais peu importe le critère que vous choisirez : D’une manière ou d’une autre, The Angel, un justicier moustachu et brutal lancé en 1939 fait partie du trio de tête des personnages Marvel en ce temps-là. En un sens c’est même le premier vrai héros de la firme tant Human Torch et Sub-Mariner sont plutôt, dans les premiers temps, des créatures ambivalentes (même si Torch est moins remonté que Sub-Mariner contre l’humanité, il passe une bonne partie de son premier épisode à mettre le feu de manière involontaire à New York). The Angel, lui, est un héros international qui est au contraire très conscient de son rôle et réellement mu par altruisme. Sorte de patchwork fait d’influences diverses, l’Angel de 1939 est un héros urbain façon Batman/Daredevil, utilisant un code couleur proche de Superman (tenue bleu avec une cape rouge et un logo jaune sur la poitrine), le tout dans une ambiance que n’aurait pas renié le fameux héros des Pulps, le Shadow. Autre caractéristique : cet Angel porte une moustache, attribut qui, dans les comics de l’époque, était souvent donné aux seuls magiciens (dans le sillage de Mandrake). Enfin, ce nom d’Angel et sa fonction de pseudo-détective international doivent sans doute beaucoup à Simon Templar, « le Saint », personnage littéraire créé dans les années 20 par Leslie Charteris…
The Angel est donc moins original qu’un Human Torch ou qu’un Sub-Mariner, c’est avant tout un cocktail d’éléments vus ailleurs mais l’oubli relatif dont il a été victime ces dernières décennies est injustifié. Car il a une importance historique, le bonhomme : Selon la manière que vous avez de compter, The Angel est le deuxième ou troisième super-héros lancé par la firme Timely. En fait le héros amphibie Sub-Mariner était apparu le premier au début de l’année 1939 dans une revue titrée Motion Pictures Funnies Weekly, publiée par un studio nommé Funnies Inc. Motion Pictures Funnies Weekly ayant été une aventure sans lendemain, Funnies Inc . se concentra sur une activité de packageur pour d’autres éditeurs. Ce même studio produisit alors Marvel Comics #1 pour un éditeur qui n’était pas encore habitué à la création de BD et Bill Everett y emporta sa création en la publiant à nouveau comme troisième histoire de Marvel Comics #1, la revue qui allait lancer l’univers Marvel. En fait toute la revue a été conçue clé en main chez Funnies Inc. comme le prouve la taille systématique des cases (qui reste généralement la même malgré les changements de dessinateurs). En gros, Marvel Comics est un numéro #2 de Motion Pictures Funnies Weekly qui ne dit pas son nom. Comme nous l’avons vu par ailleurs, la première histoire de ce Marvel Comics correspondait à la première apparition de l’androïde Human Torch. En deuxième position ? Un autre héros nommé mystérieux grillait la politesse : l’Angel originel. Voilà pourquoi si vous vous basez sur l’ordre d’apparition dans le sommaire de Marvel Comics, Angel est le deuxième héros Marvel de l’histoire, précédé seulement par Human Torch. Mais si vous prenez en compte l’apparition « hors Marvel » de Sub-Mariner est relégué à la troisième place, ce qui reste encore une position historique assez confortable. Mais dans l’histoire, c’est encore une autre paire de manches puisqu’on insinue ni plus ni moins dans la première histoire qu’il est actif depuis un moment…
Chose assez peu caractéristique, quand la première histoire de l’Angel débute, on ne nous le montre pas. Il n’est pas représenté à côté du logo et l’auteur, Paul Gustavson, ne cherche apparemment pas à imposer l’image de sa création. Non, il commence plutôt par la description d’une ville sans nom (par la suite il deviendra évident qu’il s’agit de New York) en proie à une vague de crimes sans précédent, comme l’explique le narrateur : « Du bout de leur pistolet, un groupe de racketteurs connu en tant que les « Six Big Men » ont pris le contrôle d’une cité entière, frappant partout à quelques moments d’intervalle ». Et c’est vrai que la plupart des cases de cette première page montre les gangsters en train de menacer, de frapper, de tuer ou d’incendier. Ce ne sont clairement pas des enfants de cœur et personne ne peut leur résister. Aussi un collectif de citoyens finit par demander audience au maire. Ils sont furieux du manque de résistance de la ville. Ce dont le maire convient… Mais il leur propose d’écouter la version de l’histoire telle que vue par le commissaire : ses policiers ont procédé à 200 arrestations de suspects… mais aucun témoin n’a voulu les identifier. Pire : les gangsters sont assez nombreux pour se servir d’alibi les uns aux autres. La police n’a donc aucun motif solide pour les arrêter. Impuissant, le commissaire conclut qu’il ne peut rien faire s’il n’a pas la confiance des gens. Sans aucune autre option, les citoyens inquiets informent donc le maire qu’ils vont prendre les choses en main. Quand l’un d’entre eux propose une autre option… Il demande : « Quelqu’un parmi vous a déjà entendu parler du Angel ? ». Aussitôt le commissaire répond énergiquement « Si vous pensez à embaucher l’Angel pour nettoyer ce foutoir, vous allez trop loin ! Il n’a aucune limite ».
Mine de rien les premières informations commencent à tomber sur ce mystérieux héros. La réaction du commissaire induit deux choses. Premièrement il est possible d’embaucher l’Angel, comme s’il s’agissait d’une sorte de détective privé ou de « héros professionnel » à louer, préfigurant bien avant l’heure des personnages comme Power Man. Deuxièmement les propos du policier impliquent déjà une certaine férocité de l’Angel, des méthodes violentes impossibles à cadrer… Sans se démonter, l’homme qui a proposé de recourir à l’Angel explique que justement c’est ce qu’il leur faut : pas de procès ou de formalités légales, les Six Big Men seront tout simplement balayés ! Et l’homme de conclure « Je vais partir immédiatement pour Paris où l’Angel était… ». Il est interrompu par une pierre projetée à travers la vitre. Une pierre qui porte un message : la liste des Six Big Men, avec leurs noms, ainsi que la mention d’un « Big Boss » qui les chapote tous. Et la liste est signée d’un logo en forme de silhouette d’ange. L’Angel est déjà dans la ville et il est déjà à l’œuvre… On reviendra un instant sur les propos du citoyen qui voulait contacter le héros : L’Angel était à Paris ? Cette information elle aussi est lourde de sens. D’abord, en 1939, il apparait donc que l’Angel a déjà une réputation internationale des deux côtés de l’Atlantique et qu’il ne s’agit pas d’un bleu qui viendrait de débuter (la minisérie Marvels confirmera cela en montrant que l’Angel était déjà actif avant les débuts du Human Torch mais le plus récent Marvels Project suit une chronologie inverse). Ensuite on peut se demander si le héros était simplement parti à Paris pour une simple mission (mais auquel cas les citoyens se seraient contentés d’attendre son retour) ou si il était basé à Paris au moins semi-régulièrement…
Il est surtout possible que l’allusion indirecte à la France fasse référence à l’actualité du moment. Paru à l’automne 1939, Marvel Comics #1 a été conçu dans l’été de la même année. Or, pendant tout le mois d’août la France commence à mobiliser ses forces pour faire pression sur l’Allemagne. Le 3 septembre 1939 la France fait partie des nations qui déclarent la guerre au régime nazi suite à l’invasion de la Pologne. A partir de ce moment-là, il semble plus que probable que les exploits français du Angel sont liés aux premières manœuvres militaires de la France dans le cadre de la seconde guerre mondiale, comme si, à la différence de Joe Simon et Jack Kirby sur Captain America quelques temps plus tard, l’auteur du Angel n’avait pas osé mentionner la guerre. A priori l’épisode a été conçu avant le 3 septembre et Paul Gustavson écrivait son histoire alors que la France n’était pas encore officiellement en guerre mais qu’elle y allait à grand pas et que les journaux américains commentaient quotidiennement l’évolution des événements. D’où, sans doute, la vraie raison de ce non dit. Quand Gustavson travaillait sur l’épisode, il n’avait aucun moyen d’être sur qu’il y aurait réellement conflit ou pas la semaine après qu’il ait envoyé ses pages chez l’imprimeur. D’où cette mention nébuleuse d’exploits parisiens. Si finalement il n’y avait pas eu guerre, le lecteur aurait pu s’imaginer que c’était grâce à l’intervention de l’Angel. Dans le cas contraire, l’Angel serait d’office le premier super-héros Marvel ayant participé à la seconde guerre mondiale. Et on sait, finalement, dans quel sens est allé l’Histoire. Allez, demandons-nous même si l’auteur n’a pas songé à un moment à faire du Angel un héros qui serait carrément Français, ce qui expliquerait ces moustaches (assez peu utilisées dans les comics comme je l’écrivais plus tôt). Les moustaches, on ne les utilisait qu’en deux occasions, pour représenter les magiciens et… les français caricaturaux (André dans les Blackhawks, par exemple…). Clairement, ce n’est pas l’histoire personnelle de l’Angel telle qu’elle sera révélée plus tard. Il sera établi dans des épisodes ultérieurs qu’il se nomme Tom Halloway [1] et qu’il est le très américain fils d’un directeur de prison. Mais quoi qu’il en soit cette scène est la toute première mention de Paris (et même d’un lieu situé en dehors de l’Amérique) dans un comic-book Marvel.
Revenons donc au fil central de notre histoire. Les citoyens, réunis autour du maire et du commissaire de la ville, ont donc pris connaissance de la liste des sept noms (les Six Big Men et leur Big Boss jusque-là inconnu). Le policier se retourne vers l’homme qui suggérait de faire appel à l’Angel et lui dit « Bien… Vous avez ce que vous vouliez, Docteur Lang, sauf que l’Angel est déjà en avance sur vous ». En son fort intérieur, ce Docteur Lang (homonyme du créateur de la seconde génération de Sentinelles dans la série Uncanny X-Men, libre à vous d’y voir son grand-père…) rumine : il ne s’attendait pas à ce que l’Angel ajoute une septième personne à la liste, le Big Boss… Mais en dehors de cela le plan de Lang fonctionne bien… Et l’Angel ne devinera jamais qui est le Big Boss… Car en fait visiblement Lang est bien ce parrain qui chapote toute la pègre de la ville. Sa proposition d’aller lui-même chercher Angel en France était sans doute simplement une couverture pour détourner les soupçons…
Quelques jours plus tard, l’un des Six Big Men, Gus Ronson, en charge du racket des restaurants, est libéré après avoir été déclaré non-coupable par un jury corrompu. Ronson ironise devant le commissaire mais celui-ci lui rétorque que Ronson est en haut de la liste de l’Angel. Le gangster ironise encore plus, jusqu’à un coup de vent lui arrache son chapeau et qu’une ombre forme la silhouette d’un ange sur l’immeuble en face. Car l’Angel a d’une certaine manière son propre bat-signal (ironiquement Batman n’en a pas encore à cette époque) : il a la possibilité (ou une astuce technologique, ce n’est jamais réellement tranché) de projeter son ombre en guise de marque, prévenant les criminels qu’il est sur leurs traces pour mieux les effrayer. Et ça marche particulièrement bien avec Ronson qui, terrifié, prend ses jambes à son coup. Ronson monte dans sa voiture pour prendre la fuite. Mais il ne sait pas qu’avant son arrivée un inconnu vêtu de rouge et de bleu (vous l’aurez compris, c’est l’Angel) s’est caché sur la banquette arrière du véhicule sans que Ronson ait pu le voir. Quelques instants plus tard Ronson est étranglé par son agresseur tandis que l’Angel commente « tu n’étais que le premier de la liste, passons à ton ami Mike Malone). La police découvrira plus tard la voiture de Ronson, garée devant le commissariat, avec le cadavre à la place du conducteur et un mot de l’Angel. D’emblée, ce premier « exploit » chroniqué nous démontre que le héros n’est pas, contrairement à ce que pourrait laisser croire son pseudonyme, un enfant de chœur. Il n’a pas d’hésitation quand il s’agit de faire justice lui-même, quitte à être à la fois le juge et l’exécuteur… L’Angel, c’est un peu comme un Punisher qui n’aurait pas forcément besoin d’armes à feu (encore qu’il s’en serve à l’occasion et The Marvels Project explique d’ailleurs d’où viennent ses armes) ou comme un Rorschach (le justicier forcené de Watchmen) qui serait plus propre sur lui.
La pègre est vite décimée dans les cases suivantes que je vais vous épargner ici de façon à ne pas être trop répétitif. Les uns après les autres les cinq Big Men restants tombent les uns après les autres, tués par l’Angel. Il jette même purement et simplement un de ses adversaires par la fenêtre en le prenant pour un simple homme de paille. C’est une note laissée par une jeune femme mystérieuse qui l’informe qu’il vient de tuer le troisième Big Man mais que le quatrième l’attend et qu’il faut mieux se méfier. Angel tente de rattraper la bienfaitrice inconnue mais elle prend la fuite. N’empêche… il n’est pas dupe et comprend qu’on essaye de le manipuler et que, sans doute, quelqu’un a des raisons d’espérer qu’il détruise les Big Men… Chez le quatrième Big Man, Angel est en effet attendu par une horde d’hommes de main. Ca ne lui fait pas peur et il se jette dans la mêlée, venant à bout de nombreux gangsters. Hélas ils sont trop pour qu’il puisse tous les surveiller et un de ses agresseurs l’assomme par derrière (un incident similaire se produira dans Daredevil #66, en décembre 2004, dans lequel un flashback nous montre l’Angel maîtrisé d’une manière similaire mais en 1946).
A la merci de ses ennemis, l’Angel est plaqué contre un mur dans une ambiance de peloton d’exécution. Le Big Man local lui explique qu’il compte le couper en morceaux à coups de mitraillette. Mais le gangster est interrompu par l’arrivée d’une femme : celle qui avait laissé un mot à l’Angel. Elle est prénommée Lil et est visiblement hiérarchiquement au dessus du Big Man car elle lui ordonne de retarder l’exécution et de la faire dans un autre lieu. Un autre Big Man, celui qui est spécialisé dans la corruption politique, attend dehors dans une voiture. L’idée est que tous les Big Men restants emmènent l’Angel en dehors de la ville, dans les bois, pour le tuer. Arrivé là-bas, l’Angel est attaché à un arbre avant l’exécution mais Lil le détache de manière discrète en lui expliquant qu’après, c’est à lui de jouer. Dans la cohue le Big Man #4 et le #5 sont tués. Ne reste guère que le sixième, qui n’était pas présent mais que l’Angel retrouve vite à son bureau : c’est un peu le comptable du syndicat du crime et il allait procéder à un dépôt d’argent salle à leur banque. Bien sûr, l’Angel lui témoigne de sa plus franche affection en lui cognant la tête contre les briques d’un montant de cheminée. C’en est fini des Six Big Men mais il y a encore le Big Boss. Restant seul pour inspecter les notes du comptable, l’Angel découvre que le sixième Big Man était supposé verser l’argent à la banque avant une certaine heure de manière afin que le Big Boss passe derrière lui pour le retirer (l’opération ayant eu pour effet de «blanchir » l’argent).
Il suffit donc au héros de se poster en dehors de la banque à l’heure dite pour attendre le fameux « Big Boss ». Il ne tarde pas à le voir arriver au bras de Lil, la jeune femme qui a tenté de le manipuler. Et il le reconnait d’emblée : le Big Boss, c’est le Docteur Lang ! Dans la salle des coffres, Lang trouve son coffre-fort vide et comprend que son complice n’est pas passé poser l’argent comme prévu. Mais derrière Lil et lui se tient l’Angel, les acculant dans cette pièce. L’homme tient un pistolet dans chaque main, leur expliquant que soit ils racontent leur histoire à la police, soit c’est lui qui le fera (insinuant de fait qu’il n’aura aucune hésitation à se débarrasser d’eux). Et nous ne verront pas la suite puisque la dernière case montre le seul Angel en train de nous expliquer le pot aux roses. Les deux autres ? Après avoir vu l’Angel décimer le reste du gang sans état d’âme, il serait très étonnant qu’il n’ait pas « refroidit » les deux derniers coupables, même si l’auteur préfère ne pas montrer le carnage. L’Angel explique donc qu’il y avait un pacte entre les Six Big Men et le Big Boss de déposer à la banque le bénéfice de toute l’année afin de le partager équitablement. Lang voulait qu’on le débarrasse des Six Big Men car dans ce cas il n’aurait pas eu à partager…
Cette histoire ne nous en dit finalement pas beaucoup sur l’Angel, à part sa réputation « transatlantique » et son goût pour assassiner ses adversaires. Il faudra attendre Marvel Mystery Comics #17 et 18 pour apprendre qu’il a été formé par un mystérieux Docteur Lin, spécialisé dans l’occultisme. Mais on n’écoutera plus parler du Docteur Lin par la suite puisqu’il est tué dès le #18. Ce n’est que dans Marvel Mystery Comics #20 qu’une courte nouvelle nous apprendra qu’Angel est avant tout le fils d’un directeur de prison. Le petit Tom Halloway avait, à force de voir des criminels, un instinct inné pour savoir qui était innocent et qui ne l’était pas. Un jour, le jeune Tom et son ami Bob Soler découvrent à l’extérieur de la prison un homme qui a été attaqué alors qu’il se rendait au pénitencier pour empêcher une exécution. L’homme qui doit être électrocuté ce soir-là est en fait innocent. Mais l’homme qui amenait l’ordre d’annuler l’exécution n’arrivera jamais à temps. Tom sabota alors la ligne à haute tension qui amenait l’électricité à la prison, donnant le temps nécessaire pour sauver le condamné. Ayant réussit à sauver un des prisonniers de l’électrocution, tous les occupants des cellules le prendront en sympathie, le surnommant « Angel » et lui apprenant tout ce qu’il sait. Mais cette origine respirant la franche camaraderie avec des prisonniers ne colle pas avec la férocité dont fera preuve plus tard le Angel, devenu adulte, envers les criminels qu’il croise (un bon ressort dramatique aurait été que le Angel affronte la bande d’un des gangsters qui l’ont formé mais je ne crois pas que les auteurs aient suivis cette route). Autre chose étonnante : l’histoire de Marvel Mystery Comics #20 est racontée par un Bob Soler déjà vieux à l’époque et le texte ne manque pas de s’étonner que l’ami d’enfance soit si vieux (ce qui placerait les événements de la prison au dix-neuvième siècle) alors que l’Angel soit toujours dans la force de l’âge. Et l’histoire conclue que l’Angel a sans doute le pouvoir de ne jamais vieillir ! Mais ce curieux pouvoir, pas totalement expliqué, ne sera plus vraiment mentionné par la suite…
Avec environ une centaine d’histoires à son actif pendant les années 40, le Angel fait partie du second rang des héros Marvel en termes de popularité. C’est-à-dire qu’une fois passé les stars que sont Captain America, Human Torch et Sub-Mariner, l’Angel vient juste après (à peu près au même rang que le Destroyer et le Patriot). Quelques mois après son apparition on décidera de lui donner plus de pouvoirs : dans un épisode il découvre et utilise la cape du dieu Mercure, qui lui permet de voler. Là où les choses se compliquent c’est que la cape est verte et qu’Angel porte une cape verte dans ce seul épisode, retrouvant son costume normal dans l’épisode suivant. Par la suite il usera de son nouveau pouvoir de vol seulement quand les scénaristes y penseront mais jamais avec la cape verte (à croire que Angel la porte sous son costume). Autre facteur de complication : en 1941, Martin Goodman, le propriétaire de Timely Comics, publiera un roman pulp intitulé The Angel Detective. Mais n’allez pas croire pour autant qu’il s’agisse de Halloway. Il est fort probable que chez Goodman la main droite ignorait ce que faisait la main gauche car si l’éditeur avait réellement pensé que son super-héros avait un potentiel, il lui aurait donné d’abord un comic-book à son nom. Non, il y a une homonymie à l’œuvre. L’Angel Detective n’a pas les mêmes méthodes, pas le même costume et pas le même nom. Il s’agit d’un détective nommé Gabriel Wilde, surnommé Angel à cause de son prénom (l’archange Gabriel) qui porte un masque blanc et qui fait régner la justice avec l’aide d’un sidekick indien surnommé Totem. A ma connaissance Gabriel Wilde n’a jamais été mentionné dans la continuité Marvel…
Le Angel/Tom Halloway, lui, ne sera mentionné que quelques fois après les années 40 mais ses apparitions compliqueront souvent son histoire (il sera le fondateur des sinistres Scourges, toujours avec le même penchant sanguinaire, on apprendra qu’il a été tour à tour membre du All-Winners Squad et du V-Battalion) et surtout pour expliquer un malentendu entre diverses histoires (dans la série Captain America on le voyait en richissime retraité tandis que dans Cloak & Dagger on nous expliquait qu’il était devenu clochard) on inventa une histoire de frères jumeaux. Angel/ Tom Halloway se serait fait remplacer à l’occasion par son frère Simon (clin d’œil à Simon Templar, le Saint, modèle du Angel). Tom est devenu riche et patron de l’organisation des « Scourges », organisation qui assassine les criminels. Simon, sera vu plusieurs fois dans la série Incredible Hulk, utilisant toujours le nom d’Angel, avant de trouver la mort dans Captain America #442. L’histoire des deux jumeaux Halloway sera réutilisée très récemment comme élément de base de la minisérie X-Men : Noir, qui se déroule dans un univers alternatif.
Mais il y a une autre chose digne d’intérêt dans le premier épisode de l’Angel de 1939 et qui concerne non pas au héros mais à ses adversaires. L’histoire nous dépeint un New York où la pègre est partagée entre six « Big Men » et un Big Boss, sorte de lointain précurseur du Kingpin. Sans doute par pur hasard, « Big Man » est un terme que Stan Lee et Steve Ditko utiliseront des années plus tard dans Amazing Spider-Man #10 (mars 1963) pour baptiser un grand chef de la pègre qui, comme le Docteur Lang de 1939 joue en fait un double jeu. Le Big Man de 1963 est en fait le journaliste Frederic Foswell qui se sert des informations qu’il récolte pour diriger son cartel. En 1975 (Marvel Team-Up #40) la fille de Foswell tentera de prendre la relève (en se déguisant sous un costume rembourré mais trouvera la mort rapidement). C’est sans doute en s’inspirant en partie du Big Man d’Amazing Spider-Man #10 que Brian Michael Bendis entreprendra de dresser l’histoire de la pègre de New York entre 1946 et l’époque actuelle dans l’arc « Golden Age » (Daredevil #66-70). Son idée est qu’il y a eu un précurseur au Kingpin (Wilson Fisk) qui aurait été avant lui le chef de la pègre sur New York et qui se serait appelé… le Big Man. Sauf qu’il ne s’agit pas de Frederic Foswell mais d’un autre personnage, Alexander Bont. Bendis décrit son Big Man comme ayant été actif sous ce titre entre 1946 et les débuts de Daredevil (c’est ce héros, encore ne costume jaune, qui coffre Bont, libérant de fait la voie pour la montée au pouvoir du Kingpin). Seulement Daredevil est apparu après Amazing Spider-Man #10, ce qui sous-entend donc que les règnes des deux Big Men (celui affronté par Spider-Man et l’autre, battu par Daredevil) se seraient chevauchés. Au demeurant on serait tenté de dire qu’il s’agit d’une erreur chronologique. Et pourtant l’histoire de 1939 d’Angel ouvre encore une autre possibilité tout en s’enracinant dans la continuité. Le système des Six Big Men aurait perduré après la guerre et Alexander Bont serait l’un de ceux qui auraient remplacé les adversaires d’Angel. A son arrivée, Foswell aurait occupé un des six autres fauteuils. Et le système des Big Men aurait été aboli lors de la prise de pouvoir du Kingpin, arrivant ainsi à réussir des décennies plus tard le coup imaginé par le Docteur Lang : laisser les super-héros s’occuper des Big Men pour ne laisser à leur place qu’un seul « roi » à la pègre new-yorkaise… D’ailleurs dans le premier épisode de l’arc Golden Age, Bendis lui-même utilisait Angel en personnage secondaire. La boucle était bouclée bien que sans doute peu de personnes faisaient le rapprochement avec Marvel Comics #1.
[Xavier Fournier]
[1] Notons aussi que Paul Gustavson, le créateur du Angel, s’en ira par la suite produire chez Quality Comics les aventures d’un personnage au nom familier : Tom Hallaway, « alias The Spider ». Certes ce n’est pas HallOway, mais c’est assez proche pour qu’on voit que l’auteur avait certaines « marottes »… Dans ce premier épisode de The Angel, cependant, l’identité de Tom Halloway n’est pas encore mentionnée. C’est un personnage qui n’a pas de vie civile connue et qui est donc plus proche de certains héros de pulps que des super-héros traditionnels (encore qu’on remarquera finalement que dans Marvel Comics #1, les personnages montrés n’ont pas de double-identité. Torch et Namor sont eux aussi « eux-mêmes » à plein temps, même si cela changera parfois dans les mois suivants.
Je ne connaissais l’Angel que de réputation (et bien sûr à travers l’affaire Scourge et ses rencontres avec Cap ou US Agent) et je m’aperçois qu’en fait, il utillisait dès le début des méthodes ultra-violentes, proches de celles que les Scourges utilliseront plus tard.
Du coup, je comprends mal que son « revirement » ait souvent été présenté par Marvel comme une surprise, ni comment le All-Winner Squad a pu acceuillir quelqu’un d’aussi violent…Autre question : pourquoi la police semble-t-elle connaître et tolérer l’existence d’Angel, alors que quelques années plus tard le Punisher (tout aussi expéditif ) sera poursuivi par les forces de l’ordre ?
En fait, le truc, c’est que dans les années 40 les personnages Marvel étaient dans l’ensemble plus violents que de nos jours. Par exemple dans ce même Marvel Comics #1, Human Torch provoque indirectement la mort d’un gangster sans le moindre état d’âme. Sub-Mariner, lui, tue des plongeurs et provoque le naufrage d’un navire qui ne lui a rien fait. Les trois premiers super-héros Marvel tuent des gens dès le départ… Et de même Captain America n’était pas traumatisé quand il lui arrivait de tuer des adversaires… Après, quelques temps plus tard, l’Angel s’est spécialisé dans des menaces souvent surnaturelles (vampires, zombies, loup-garous…) ce qui fait que l’effet meurtrier s’est un peu estompé (ca ne donne pas la même impression quand le héros étrange à mains nues un gangster que lorsqu’il tue un vampire). Donc l’image du Angel qui s’est fixée est plutôt ce profil plus tardif. Moi aussi, quand ils l’avaient ressortis pour justifier l’existence des Scourges, j’avais été surpris qu’ils en fassent « un héros qui avait mal tourné » alors qu’en fait quand on se replonge dans le matériel d’origine c’est assez raccord. Pour la police de l’époque, elle avait aussi un homme-torche qui errait dans les rues et un homme-poisson qui menaçait de noyer New-York sous un tsunami. On comprendra qu’elle avait d’autres chats à fouetter 😉
Il y a aussi d’autres aspects de ce Angel sur lesquels je reviendrais une autre fois…
« Pour la police de l’époque, elle avait aussi un homme-torche qui errait dans les rues et un homme-poisson qui menaçait de noyer New-York sous un tsunami. On comprendra qu’elle avait d’autres chats à fouetter « .
Certes, mais cela devrait être encore plus vrai aujourd’hui : avec des gens comme le Dr Octopus, le Lézard ou Firebrand en liberté (plus les criminels ordinaires), la police ne devrait pas avoir le temps de courir derrière Frank Castle. D’une manière un peu cynique, on peut même penser qu’ils seraient heureux que le Punisher leur réduise un peu la tâche…
Pour ce qui est de Simon, le frère jumeau de Tom, ne peut-on imaginer que ce soit lui qui ai rejoint le All-Winners Squad (ce qui expliquerait le relatif changement d’attitude du héros et serait raccord avec ce qu’on a pu voir dans X-Men : Noir ?)
Alors là , chapeau ! Firebrand….. ! Je croyais etre le seul a me souvenir de lui 😉
Baron Rouge : L’argument est certes valable mais pourquoi se demander le comment/pourquoi de la présence du Angel dans le All-Winners Squad alors que dans le même temps le cas de Namor était encore plus épineux (ennemi de l’humanité et tout ça…). Et puis, une fois encore, Captain America n’était guère plus zen à l’époque. Disons que – comme pour les combattants des maquis en d’autres lieux/époques – ces temps troublés imposaient un autre comportement… et peut-être que la police de New York de 1939 était du coup plus compréhensive.