Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #22 (1941)

[FRENCH] Si, dans les années 40, les principales vedettes de la Marvel (telles que Captain America, Sub-Mariner ou Human Torch) étaient occupées à combattre les nazis et les japonais, la Vision du Golden Age préférait repousser les puissances occultes. Clairement à part dans ce que les deux auteurs produisaient à l’époque, Vision était sans doute d’une soupape pour ses créateurs, Joe Simon et Jack Kirby, qui pouvaient ainsi s’échapper de la géopolitique ambiante pour explorer des aventures gorgées de monstres et de sorciers en tous genres… La Vision allait là où les autres héros Marvel n’allaient pas… Ou, tout au moins, là où ses collègues n’allaient pas encore. Une curieuse succession de hasards va en effet le placer dans un contexte très familier…

L’histoire qui nous intéresse aujourd’hui commence en haute mer, non loin du continent glacé de l’Antarctique. Une grande trainée de fumée noire s’étire au dessus des eaux et ne tarde pas à recouvrir un navire d’exploration, l’Olympus. Mais le bateau ne ressort jamais de l’épaisse masse de brouillard sombre. Bientôt la presse américaine se fait l’écho de cette étraneg disparition. Pire : comme l’Olympus n’a pas laissé de trace, les recherches sont bientôt abandonnées. Enfin… abandonnées par les autorités mais pas par tout le monde puisque Vision, l’aventurier mystique venu d’une dimension faîte de fumée et apparu l’année précédente dans Marvel Mystery Comics #13 (novembre 1940). Normalement Vision, alias Aarkus, ne peut se matérialiser que là où il y a de la fumée (encore que dans les épisodes récents cette limitation semble avoir disparu, Vision se téléportant là où il le veut, en générant sa propre fumée verte autour de lui). Mais les vapeurs qui flottent au dessus du sol glacé de l’Antarctique sont suffisantes pour que Vision puisse apparaître là où il le voulait. Quant à savoir pourquoi le personnage s’occupe de quelque chose d’aussi « banal » que la disparition d’un bateau, il révèle vite que ses sens aiguisés « détectent le Mal et la terreur qui se cachent dans ce pays glacial« . Mais ses réflexions à voix haute sont vite interrompues par l’apparition soudaine d’un personnage écarlate, qui se matérialise non sans rappeller les méthodes habituelles de Vision. Lui aussi surgit d’un épais panache de fumée : « Tu as raison, Vision ! Je suis cette présence maléfique !« . D’habitude Vision est plutôt celui qui surprend de simples mortels ou praticiens occultes aux pouvoirs limités. Mais le nouvel arrivant est d’un autre calibre : « Oui, je te connais Vision. Je connais tous les mystères du temps et de l’espace. Je suis Khor le Sorcier Noir !« .

En fait de « noir« , Khor est surtout rouge et l’implantation de ses cheveux (longs mais avec un front très dégarni) nous fait penser à un autre personnage. Khor a en effet une grande ressemblance avec Mephisto, une version du Diable dans l’univers Marvel contemporain.

Khor serait-il pour autant le Mephisto du Golden Age ? Pas vraiment, l’air de famille est sans doute fortuit et nous verrons un peu plus loin que le Sorcier Noir a des affiliations beaucoup plus marquantes. Même si ce n’est pas Mephisto, Khor est cependant une menace à prendre au sérieux, capable de tenir tête à Vision.

Qui plus est, Khor ne manque pas d’expliquer que, oui, il sait où sont les survivants de l’Olympus mais que la quête du héros est sans issue : il ne les retrouvera jamais vivants ! Devant la vantardise de Khor, Vision perd son sang-froid (ce qui n’est pas si courant, la plupart du temps Aarkus affiche plutôt le caractère d’un mystique distant) et se rue vers ce nouvel adversaire. Mais Khor le terrasse alors d’un éclair. Vision tombe, inconscient…

 

Quand il revient à lui, Aarkus n’est plus du tout dans un paysage de glace. Au contraire il se trouve dans une ambiance chaude et tropicale, au beau milieu d’une jungle. Et même si cet aspect n’est pas véritablement mis en avant, on voit distinctement un petit ptérodactyle dans un coin de la case. Vision se trouve dans un secteur luxuriant, quelque part dans l’Antarctique, où les reptiles du Jurassique existent encore ! Autant dire qu’avec le recul le lecteur contemporain ne peut qu’associer cet endroit avec la Savage Land chère au Ka-Zar moderne, jungle elle aussi située dans l’Antarctique et peuplée de reptiles géants. Il existe un épisode antérieur (Marvel Mystery Comics #18, en avril 1941) publié par le même éditeur dans lequel le Ka-Zar du Golden Age s’aventure dans une terre des dinosaures mais l’emplacement exact n’est pas clairement défini (et il s’agit probablement de l’Afrique, pas de l’Antarctique). Pour l’aventure du Ka-Zar on ne peut être sur de rien mais de ce fait Marvel Mystery Comics #22 ressemble bien à la première apparition officieuse de la Savage Land dans un comic-book de Marvel. Cette aventure de la Vision originelle tout comme l’épisode des X-Men dans lequel le Ka-Zar moderne et la Savage Land « officielle » font leur apparition sont tous les deux dessinés par Jack Kirby. Il serait sans doute tentant d’en déduire qu’à deux décennies de distance l’artiste a eu une influence et permis de reproduire à peu de choses près le même concept. Ce ne sont certes pas les exemples d’une « Kirbysphère » cohérente qui manquent dans ces Oldies But Goodies. Mais dans le cas présent le procédé est tout autre et il faut sans doute se reporter une nouvelle fois à des influences communes. Plus qu’une volonté de Stan Lee et Jack Kirby de reproduire, en 1965, le décor d’une aventure du Vision de 1941 il est bien plus probable que dans les deux cas il faut y voir la trace du « The Land That Time Forgot » d’Edgar Rice Burroughs. En ce qui concerne l’épisode de Vision, la filiation est d’autant plus flagrante que dans les deux cas il est question de disparitions maritimes entraînant l’arrivée de marins dans un secteur de l’Antarctique peuplé de dinosaures. On ne peut pas non plus résumer le fait que Vision se promène dans la Savage Land dès 1941 à la seule présence de Kirby parce que, on le verra d’ici quelques lignes, il n’est pas le seul à avoir apporté sa contribution au flot de coïncidences qui font de cette histoire du Golden Age une véritable mine en termes de liens avec la continuité moderne.

Ranimé, Vision est vite à nouveau confronté à Khor le Sorcier, qui lui souhaite la bienvenue dans ce qu’il appelle « The Land Where Time Stands Still » (« le Pays où le Temps est immobile »), ce qui, vue la ressemblance des termes, est là aussi une manière d’assumer une certaine ressemblance avec « The Land That Time Forgot« . Khor décrit l’endroit en quelques mots : « Oui, Vision. Il n’y a pas de chose ressemblant au temps dans ce secteur de l’Antartique protégé par les vapeurs. Rien ne vieillit ici. Toute chose vivante ici reste comme elle est tandis que le reste de la Terre disparait« . Au demeurant, on pourrait se dire que la description de Khor ne colle pas vraiment avec ce qu’on sait de la Savage Land où, s’il est vrai que les dinosaures ainsi que quelques hommes des cavernes existent encore, ce n’est pas parce qu’ils sont immortels mais bien parce qu’ils ont continué de se reproduire et de mourir, génération après génération, pendant des millions d’années.

Si ce n’est qu’il existe précisément une région de la Savage Land où les choses se passent comme celà. Et là, la situation ne doit rien à Kirby. C’est le scénariste/dessinateur John Byrne qui, dans X-Men: The Hidden Years #7, établi qu’il y a bien un secteur où une certain type de lave volcanique rend immortels les êtres vivants. Encore une coincïdence qui vient renforcer l’idée que Vision se retrouve dans un coin très précis de la « Terre Sauvage« . Après avoir annoncé à Vision qu’il le garderait lui aussi prisonnier, Khor prend enfin la peine de se présenter dans les formes. Lui-même est un sorcier à la longévité exemplaire puisqu’il a été banni de France en l’an 1245 pour avoir osé y pratiquer la magie noire. Et Khor dit avoir vécu dans la Savage Land depuis… Khor explique alors son plan à Vision. Se sentant relativement seul, il a appris comment attirer des victimes vers lui, en utilisant le « brouillard noir ». Le héros réalise alors que son adversaire compte bien amener à lui bien d’autres captifs. Ce que confirme Khor. Puisqu’il a été obligé de s’exiler ici, il se vengera en attirant un maximum de gens de l’extérieur. Il repeuplera l’endroit avec des humains « modernes » et deviendra leur roi. Quand, enfin, Vision demande ce qu’il est advenu de l’équipage de l’Olympus, Khor lui montre alors que les hommes ont été réduit en esclavage et sont obligés de travailler comme des forçats (comme fait exprès, les épisodes de X-Men Hidden Years par Byrne établissent eux aussi que l’esclavage était courant dans la zone « immortelle » de la Savage Land). La scène ne fait pas vraiment sauter de joie le héros, qui avance vers Khor avec l’intention d’en découdre. Mais le sorcier le fige une nouvelle fois avec un de ses éclairs. Paralysé comme une statue, Vision est à la merci de son ennemi.

Khor annonce alors qu’il maintenant donner une véritable démonstration de sa puissance magique. Invoquant le pouvoir des diables, des sorcières et des gobelins, le mage français arrive à réduire la taille de Vision, toujours immobile, qui se retrouve piégé à la taille d’une figurine. Khor le pose d’ailleurs sur une étagère comme un trophée témoignant de sa victoire. Puis il s’en va en ricanant. Mais dans un coin de la pièce un chaudron chauffe au milieu des flammes. Soit Khor est en train de préparer un sortilège dont il a le secret, soit il est l’heure de la soupe… Le contenu arrive bientôt à ébullition et… de la vapeur s’en échappe. Or, toute forme de fumée, de brouillard ou de vapeur est connectée à Vision. A l’image du contact de l’eau, qui rend plus fort des personnages amphibies comme Sub-Mariner ou Aquaman, la présence de vapeur renforce les pouvoirs de Vision. Ragaillardi, il retrouve sa liberté de mouvement et commence à reprendre sa taille normale. A l’extérieur, Khor est occupé à fouetter ses esclaves et bien évidemment Vision ne manque pas de s’interposer : il saute sur le sorcier et commence à lui donner coup de poing sur coup de poing.

D’habitude Vision fait plutôt étalage de pouvoirs surnaturels pour piéger le menu fretin et il est intéressant de noter qu’en face d’un adversaire qui a déjà eu le dessus deux fois, le héros s’en remet seulement à ses poings, comme un simple bagarreur de rue. Tout comme il est notable que Khor avait réussit par deux fois à figer Vision d’un simple geste de la main, lançant des éclairs paralysants. Cette fois il n’en est rien. Peut-être que Khor est simplement pris par surprise. Ou que le fait que Vision l’attaque sur le simple plan physique l’empêche d’user de sa magie. Enfin c’est peut-être tout simplement la fumée du chaudron qui a rechargé Vision au-delà de ce que Khor peut affronter… Bientôt, le héros donne un ultime coup à son adversaire, coup dont la force est suffisante pour repousser Khor au loin, dans la bouche d’un proche volcan. Khor disparaît en hurlant dans la lave. Vision se retourne alors vers l’équipage de l’Olympus en leur annonçant qu’ils peuvent enfin quitter cette « terre maudite » à bord de leur bateau, qui est demeuré intact. Utilisant la fumée d’un volcan voisin (celui dans lequel Khor a disparu ?), Vision se dématérialise alors vers une autre destination, annonçant qu’il reste encore beaucoup d’autres personnes attaquées par le Mal, qu’il lui faut aider…

En aurait-on pour autant terminé avec Khor ? Une chose est sure, on ne l’a pas revu de tout le Golden Age ni même à l’ère moderne (en dehors d’un numéro de 1999 réimprimant cette histoire). Il est cependant certain que ce n’est pas le seul personnage à avoir plongé vers une mort apparente au sein d’un volcan de la Savage Land et d’autres s’en sont remis. Alors pourquoi pas lui ? D’autant que nous n’en avons pas terminé avec les ramifications de son existence. Car des européens qui auraient voyagé jusqu’en Antarctique au treizième siècle, qui pratiqueraient la magie noire et se caractériseraient par une couleur écarlate, on peut se dire que ça ne se trouve pas vraiment sous le sabot d’un cheval. Sauf… sauf que l’univers Marvel moderne donne aussi un écho à cet élément de l’histoire. Dans Ka-Zar the Savage #11 (Février 1982, écrit par Bruce Jones), le monarque actuel de la Terre Sauvage fait la connaissance du terrible Belasco, un sorcier italien né au treizième siècle et adversaire du poète Dante Alighieri, qui est venu à cette époque s’installer dans la Savage Land pour essayer d’y créer une nouvelle race de démons. Réanimé à l’ère moderne, Belasco a tenté de reprendre son plan (qui impliquait de sacrifier Shanna, l’épouse de Ka-Zar) utilisant un mélange de sorcellerie et science volée aux Atlantes (qui ont laissé des robots et des installations en Savage Land avant leur disparition). Depuis, Belasco est devenu un adversaire à part entière des X-Men, tortionnaire de la soeur de Colossus). Mais surtout Belasco apparaît la plupart du temps habillé de rouge. Autant dire que l’histoire de Belasco ressemble énormément à celle de Khor. Tous deux sont nés à la même époque, pratique les mêmes arts occultes, sont venus vivre en Savage Land. Au point qu’il n’est pas très difficile de voir qu’on pourrait aisément lier leurs deux parcours.

Certaines sources de Marvel placent le voyage de Belasco vers la Terre Sauvage en 1380 et, partant du principe que Khor dit avoir été banni de France en 1245, on pourrait croire qu’il s’agit de deux voyages différents dont les dates ne concordent pas (auquel cas Belasco aurait suivi la piste de Khor en se rendant dans l’Antarctique ?). Mais d’une part Khor dit qu’il a quitté la France en 1245, pas qu’il est arrivé en Savage Land cette année-là. Et surtout la date de 1380 donnée pour Belasco ne peut qu’être fausse. Dante Alighieri est mort en 1321 et ne pouvait décemment pas poursuivre Belasco en 1380. Qui plus est, les épisodes de la série Ka-Zar the Savage expliquent que Dante aurait poursuivit Belasco en Terre Sauvage puis serait revenu en Europe pour écrire son chef-d’œuvre, la Divine Comédie, qui serait en fait (dans le contexte de Marvel) un compte-rendu codé de ses aventures dans l’Antarctique. Or, Alighieri n’a commencé à écrire sa Comédie qu’en 1306. A partir de là l’année 1380 parait doublement suspecte et invalide. Le voyage de Belasco n’a pu se dérouler qu’avant 1306. Il ne parait pas incroyable de penser que pour monter son expédition Belasco aurait pu s’entourer de quelques « collègues » nécromanciens animés par les mêmes motivations, y compris Khor qui se serait d’abord réfugié en Italie après avoir été chassé de France.

D’autant que le « journal de Dante » dans Ka-Zar The Savage spécifie que Belasco a réussit à fuir son emprisonnement en Italie après avoir été libéré par des « familiers ensorceleurs ». Khor serait arrivé dans l’Antarctique tout simplement dans le même bateau que Belasco et, après l’échec de ce dernier (à la suite d’un combat contre Dante, le sorcier italien s’est retrouvé figé pendant des siècles [1]), le français aurait survécut, libre de se livrer à des activités maléfiques. Une variante de cette théorie pourrait être que Khor, plus vieux, est bien venu en Savage Land avant Belasco mais qu’il était en quelque sorte le mentor de Belasco, celui qui lui a appris la magie et que c’est par lui que l’italien a appris l’existence de l’endroit. Bien sûr c’est de l’extrapolation pure. Mais elle ne demande pas un effort surhumain d’imagination vu tous les autres points de concordance… D’autant que les ressemblances se poursuivent. Dans Ka-Zar The Savage #12, au terme de la première saga de Belasco, le sorcier italien tombe, couvert de flammes, dans une crevasse, dans des circonstances qui, finalement, ne sont pas sans rappeler la scène ou Khor disparaît dans un volcan.

On ne peut décemment pas penser que le scénariste Bruce Jones ait voulu s’inspirer de Khor pour sa saga. A l’époque les recherches sur le Golden Age étaient fastidieuses et aucun auteur ne se donnerait tant de mal pour faire référence à une vieille histoire des années 40 sans aller jusqu’au bout et citer le personnage originel. Si Bruce Jones avait eu connaissance de Khor, il n’aurait pas eu besoin de créer Belasco.

Pour les mêmes raisons, je ne pense pas que John Byrne, dans ses X-Men Hidden Years, au moment de créer sa région « immortelle » de la Savage Land, soit allé puiser dans une histoire du Vision du Golden Age. Le cas échéant il n’aurait pas manqué d’officialiser le lien. Sinon ce serait se donner beaucoup de mal pour pas grand-chose. Nous sommes incontestablement en face d’un empilement d’histoires produites par des scénaristes qui ne s’étaient pourtant pas donné le mot mais qui en arrive quand même, à travers les décennies à former (quand bien même par accident) une somme totalement cohérente. D’autant qu’aux noms de Joe Simon, Jack Kirby, Stan Lee, Bruce Jones et John Byrne il convient d’ajouter encore un autre nom.

En effet, les numéros #1 et 2 de Ka-Zar : Lord of the Hidden Jungle (autrement dit Ka-Zar volume 2, publiés en 1974) établissent qu’il existe dans la Savage Land une longue lignée de mages surnommés les « Sorciers Rouges » (aucun lien avec la Sorcière Rouge, leur nom en anglais est « Red Wizard », en égard à leur accoutrement, c’est-à-dire des robes et des manteaux écarlates) qui remonte à près de 20000 avant JC.

 

Dans ce scénario signé Gary Friedrich, les Sorciers Rouges sont liés au culte de Garokk (autre adversaire de Ka-Zar et des X-Men) et procèdent à des sacrifices pour que leur dieu « empêche que le froid envahisse la contrée ». Les différents Sorciers Rouges à travers les âges (le titre se transmet de fils en fils) viennent donc s’ajouter à Khor et Belasco dans le genre « nécromanciens habitant la Savage Land » mais on serait tenté de dire qu’après tout, dans un support où la quadrichromie fait la loi, les chances statistiques qu’un sorcier soit rouge ou noir sont relativement élevées. Dès lors qu’il y a un sorcier et qu’il vit en Terre Sauvage, on ne peut s’arrêter à l’usage de la couleur rouge comme facteur déterminant pour établir une filiation. Enfin normalement. Car les similitudes continuent. Dans Ka-Zar : Lord of the Hidden Jungle #1 et 2, le héros est confronté à Malgato, le sorcier rouge moderne (et donc descendant des autres). Ou en tout cas celui qui se prétend le sorcier rouge moderne car bien vite Friedrich souligne que le nom « Malgato » est espagnol. Comment quelqu’un dont la famille serait établie en Savage Land depuis 22000 ans pourrait porter un nom espagnol ? Malgato ne souhaite rien d’autre que sacrifier Ka-Zar et une autre femme qu’il a sélectionner et fait amener de l’Afrique : Shanna la Diablesse (C’est en fait à cause de Malgato que Shanna vient pour la première fois en Terre Sauvage et qu’elle y rencontre Ka-Zar pour la première fois, les choses menant bien plus tard à leur mariage). Tout comme le plus tardif Belasco, ce « sorcier rouge » veut donc sacrifier Shanna (chose d’autant plus bizarre qu’elle vivait à des milliers de kilomètres et ne risquait pas de gêner ses plans). Niveau pouvoirs, par contre, l’homme fait plus penser à Khor, se révélant capable d’émettre comme lui des flammes ou de la fumée à partir de ses doigt. Et tout, comme Belasco, Malgato va s’avérer utiliser quelque chose qui tient au moins en partie (sinon au total) de la science. La plupart des dinosaures qui lui obéissent sont en fait des robots (on peut les lier aux machines atlantes, animatroniques, évoquées plus tard par Bruce Jones) et au moins une portion de ses pouvoirs ne viennent pas de la magie native de la Savage Land. Car Malgato a menti. Il n’est pas un Sorcier Rouge pratiquant le culte de Garokk mais un imposteur servant ses propres buts, qui utilisait d’un stratagème pour pouvoir sacrifier les deux héros. Après sa défaite, quand Ka-Zar et Shanna tentent de le rattraper, ils ne trouvent sur le sol qu’une tunique rouge et un masque, l’identité de Malgato ayant visiblement été fausse. Même son vrai visage reste inconnu et on n’en saura jamais plus sur le personnage. Sans doute européen, avec une connaissance mystique et scientifique et tentant de sacrifier Shanna ? Malgato semble lui aussi très cohérent avec Belasco et, par extension, avec Khor. De là à croire qu’il y a toute une confrérie de sorciers européens « écarlates » qui a débarqué en compagnie de Belasco… Ou encore que Malgato est un alter ego utilisé par Khor ou Belasco pour s’attaquer une première fois à Shanna…

Il y a sans doute là un crossover qui s’ignore mais ce qu’il faut réellement retenir de cette histoire (ou de ces histoires, en l’occurrence) c’est qu’il faut se méfier de voir en tout ce qu’on pourrait qualifier de « dessein intelligent » (terme normalement utilisé pour décrire une théorie pseudo-scientifique qui s’approche des thèses créationnistes). Il est tentant de voir en toute ressemblance appuyée une intention délibérée de placer un clin d’œil, un pastiche ou un hommage. Et dans certains cas, il est évident que le lien existe. Par exemple quand il s’agit d’auteurs revenant explorer le même thème plusieurs fois dans leur carrière et arrivant à des résultats voisins (nous l’avons déjà vu dans certains autres chapitres, la chose est en particulier apparente dans divers connections délibérées dans les œuvres de Jack Kirby, Alan Moore ou Grant Morrison). Il y a aussi des situations, comme c’est le cas ici, où les choses s’assemblent de manière purement aléatoire et où les points communs en viennent à raconter une histoire globale qui dépasse la volonté propre de l’auteur. Une hyper-continuité accidentelle, en partie générée par le fait que l’inconscient collectif a tendance parfois à retomber sur les mêmes clichés (le sorcier immortel, portant une tenue rouge) ou à s’inspirer des mêmes classiques (l’île de Caprona qu’Edgar Rice Burroughs a positionné dans l’Antarctique et peuplé de dinosaures dès 1918 dans The Land That Time Forgot, en prenant la peine d’expliquer que son nom provenait d’un explorateur italien en 1721). Une fois que vous avez décidé de faire un hommage à Edgar Rice Burroughs avec une histoire de dinosaures de l’Antarctique, alors que vous êtes un scénariste travaillant pour Marvel, vous vous placez d’emblée dans la logique de la Savage Land, même si celle-ci ne sera créée que quelques années plus tard. Et une fois que vous placez l’action dans cet endroit, les risques statistiques d’y trouver un sorcier immortel avec une prédilection pour les sacrifices, le feu et la couleur rouge ne sont pas aussi astronomiques qu’on pourrait le croire. S’il faut bien un scénariste pour écrire l’histoire, il y aussi des cas où, à force d’influences communes, l’histoire s’impose à son auteur, où même à plusieurs auteurs à travers les décennies !

[Xavier Fournier]

[1] Dans la maxi-série Universe X, il est dit que le vrai Belasco n’a pas été « figé » mais a au contraire trouvé la mort au treizième siècle lors de ce combat. Le Belasco démoniaque vu par la suite serait en fait Nightcrawler (Diablo), le mutant téléporteur membre des X-Men, qui aurait été projeté à travers le temps et, transformé, aurait perdu tout sens de son identité réelle. Encore qu’Universe X se déroule dans une réalité alternative et que toutes les explications qui s’y trouvent ne sont pas forcément à prendre pour argent comptant. Mais même dans cette option, ceci ne changerait rien au parcours du « vrai » Belasco du XIII° siècle et aux rapprochements à faire avec Khor.

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