Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #58 (Sept. 1944)
8 septembre 2012[FRENCH] Black Widow (la « Veuve Noire ») est le nom d’une araignée qui dévore ses mâles après l’amour. Le pseudonyme idéal pour une mangeuse d’hommes. Aussi ne faut-il pas s’étonner si on retrouve ce nom à plusieurs années d’écart dans l’univers Marvel. Il y a bien sûr Natasha Romanova (la Black Widow moderne, propulsée à un nouveau degré de popularité par le film Avengers) mais aussi Claire Voyant (la première Black Widow de Marvel pendant le Golden Age, revue dans la série The Twelve, qui elle possède des pouvoirs mystiques). Peu de gens savent qu’entre les deux, en 1944, le même éditeur a utilisé une autre Black Widow…
Apparue en 1943, l’héroïne Miss America est un peu plus tardive que la plupart des héros du Golden Age de Timely/Marvel (la grosse période de création de personnages chez cet éditeur se concentrant vers 1939-1941). Au demeurant la situation est simple dans l’esprit de beaucoup de fans : Captain America était le plus gros succès de Marvel et il s’agissait de fournir une version féminine au héros. Sauf que cette hypothèse se heurte bien vite à une difficulté de taille. Miss America n’a guère en commun qu’une partie de son nom avec le fameux Captain. Son origine et ses pouvoirs n’ont rien à voir. Elle vole, possède une force herculéenne, une vision « à rayons x » et résiste aux balles. Au demeurant on se dit qu’elle ressemble plus à une Supergirl qu’à une version féminine de Captain America. Ce n’est que lorsqu’on s’intéresse à son créateur que la genèse du personnage se révèle vraiment. En 1943, la Miss America de Marvel est en effet lancée par le scénariste Otto Binder, lequel créerait en 1958 la Supergirl de DC. Il serait tentant d’en déduire que Miss America est simplement un prototype de Supergirl mais ce n’est pas vraiment le cas non plus.
La vérité, on la trouve en remontant un peu avant 1943. Dans Captain Marvel Adventures #18 (décembre 1942), Otto Binder avait créé Mary Marvel, la première version féminine majeure d’un héros en place. C’est à dire que même si elle avait été devancée par des personnages comme Hawkgirl, Mary était cependant la première à pouvoir évoluer dans des aventures autonomes, loin de son modèle masculin. A partir de là il n’est pas très difficile de comprendre les ressemblances de pouvoirs entre Miss America et Supergirl : Elles sont simplement toutes les deux inspirées du moule de Mary Marvel. D’ailleurs on peut même se demander si Timely/Marvel, éditeur de Marvel Mystery Comics, n’aurait pas aimé tout simplement baptiser l’héroïne Miss Marvel. Mais Fawcett avait un train d’avance sur les héros baptisés Marvel (Captain, Mary…) et la chose aurait sans doute été trop risquée. A plus forte raison en raison de l’implication d’Otto Binder dans les deux créations. A partir de là, l’idée de baptiser l’héroïne Miss America tient sans doute autant de la volonté de la raccorder à la licence principale de Timely qu’au souhait d’éviter tout problème avec Fawcett. Pour compliquer le tout, Quality Comics avait publié une héroïne nommée Miss America quelques années plus tôt. Mais elle avait fait un four et avait disparu sans laisser de trace. Si la Miss de Timely était présentée comme un dérivé de Captain America, lequel existait depuis plusieurs années, la situation était sans doute plus facile à faire avaler aux juristes, en cas de souci.
De fait, la Miss America de Binder serait un peu comme un îlot Fawcett à l’intérieur des revues Timely, avec une narration assez à part. Binder, par exemple, raconterait certaines aventures de Miss America sous la forme d’un « serial », un feuilleton courant sur plusieurs numéros et formant une saga globale (ce qui n’était pas la norme chez Timely alors qu’on pratiquait plus la chose du côté de Fawcett). Dans d’autres cas il s’agissait d’histoires courtes et autonomes, plus proches du format habituel de Timely… Si ce n’est que lorsqu’on est au courant de la filiation Mary Marvel/Miss America, on se rend compte que les aventures des deux personnages sont relativement interchangeables. Dans l’histoire, la grosse différence vient du fait que les pouvoirs de Miss America (alias Madeline Joyce) viennent d’une expérience scientifique tandis que ceux de Mary Marvel (Mary Batson) proviennent de la magie. Mais, si on y regarde bien, il y a certaines ressemblances. A commencer par le fait que Madeline reçoit ses pouvoirs après avoir été frappée par une foudre artificielle, là où Mary se transforme quand elle est frappée par un éclair ! Mais les rapprochement se poursuivent si on s’intéresse aux vies privées de Madeline et Marie. En octobre 1943, dans Wow Comics #18, Mary Marvel avait fait connaissance de son oncle Dundley (en fait un vieil homme solitaire qui prétendait être son oncle mais qui finalement était « adopté »). L’oncle Dundley, plus connu sous le nom d’Uncle Marvel, était également la création d’Otto Binder. Quelques semaines après la parution de Wow Comics #18 et les débuts de cet oncle, le même Otto Binder créé donc Miss America qui habite… chez son oncle Jim (ou James) Bennett. Ce dernier est moins bouffon que Dundley mais il y a clairement un lien. La structure familiale de Miss America est donc assez proche de ce qu’Otto Binder faisait par ailleurs chez Fawcett…
Timely pariait visiblement gros sur Miss America. Au point de la lancer d’abord brièvement dans deux épisodes de Marvel Mystery Comics puis d’enchaîner directement avec une revue à son nom. Mais il faut croire que les premières lectrices se montrèrent peu intéressées par le côté super-héroïque. Timely décida de continuer la revue Miss America en en faisant un magazine pour les filles. Tandis que l’héroïne, elle, serait vite renvoyée aux pages de Marvel Mystery Comics. Dans le #58, cela faisait déjà neuf numéros de suite (dix si on compte Miss America Comics #1 paru entretemps) que le public pouvait suivre les aventures de la Miss America de Binder…
L’histoire commence chez Jim Bennett, le tuteur de Madeline Joyce. Tous les deux passent une soirée tranquille. Ils sont en train de lire dans le salon quand ils écoutent un cri terrible qui provient de l’extérieur. Visiblement seule Maddie est assez curieuse pour aller voir. Comme ils sont citadins, ce n’est pas vers un jardin que Madeline se rue mais bien sur le balcon. Sur le toit de l’immeuble voisin, elle aperçoit alors un homme qui est en train de se faire agresser. Comme l’oncle Jim n’est pas au courant de la double identité de Madeline, la jeune femme est alors obligée d’utiliser une ruse digne de Peter Parker : Elle retourne au salon et prétexte un malaise, demandant à l’oncle Jim d’aller lui chercher un peu d’eau. Le tuteur se rue alors vers la cuisine… En fait sa nièce voulait seulement se retrouver seule dans la pièce afin d’enfiler son costume de Miss America. Scénaristiquement, bien sûr, cette astuce a un gros inconvénient : Ce n’est pas parce qu’elle a envoyé son oncle dans la pièce voisine que ceci la dispenserait de fournir des explications à son retour. Mais l’auteur s’intéresse peu à la question.
Rapidement, Miss America s’envole donc au secours de l’homme qu’elle a vu se faire attaquer… Sur le toit de l’autre immeuble, on nous montre maintenant mieux la scène. Un homme est en train de se faire attaquer par une brute, Slug, qui tente de le pousser dans le vide. Et l’agresseur obéit aux ordres d’une femme habillée comme une veuve : la Black Widow ! Comprenant la situation, Miss America se rue sur l’homme de main de « la Veuve Noire ». Mais dès qu’elle réalise que c’est une femme qui dirige les opérations, Miss America est sidérée : « Bonté divine ! Une femme ! Derrière cet horrible crime ? ». De son côté, Black Widow n’est pas impressionnée : « Oui ma chérie ! Et d’une femme à une autre, tu ferais mieux de ne pas t’en mêler, sinon… ». Mais pendant cette ébauche de discussion, le gros costaud est arrivé à faire basculer la victime dans le vide. Miss America voudrait bien coffrer la Veuve Noire et Slug mais elle n’a pas d’autre choix que de sauver d’abord le pauvre homme qu’on a poussé vers la mort. Heureusement, puisque Miss America peut voler, elle le rattrape assez facilement. Bien sûr les deux criminels en ont profité pour prendre la poudre d’escampette. Mais la super-héroïne tente d’en savoir plus en questionnant la victime : « Pourquoi est-ce que Black Widow a tenté de vous tuer ? ». L’homme bredouille qu’il n’en sait rien. Il a été tiré de son appartement et traîné jusqu’au toit. Finalement la seule information qu’il donne réellement, c’est son nom : John P. Otis…
Plus tard Miss America remonte sur le toit, désormais désert, pour y chercher des indices. Coup de chance, elle remarque alors qu’en s’enfuyant Black Widow a laissé tomber son sac. La ficelle peut semblent un peu grosse mais il faut rappeler que la plupart des épisodes de cette époque faisaient moins d’une dizaine de pages, ce qui laisse peu de place à la sophistication. Dans le sac, Miss America découvre un rasoir, ce qui la surprend. Mais il y a aussi un carnet de notes, dans lequel l’héroïne découvre tout simplement une liste de victimes potentielles. John P. Otis n’était que la première cible ! Black Widow compte tuer plusieurs autres personnes ! « Je ne sais toujours pas pourquoi la Veuve Noire en veut à ces hommes, mais au moins je connais mes victimes : Et la prochaine est un certain Raymond Wil ! Je vais voler jusqu’à chez lui ! ».
Mais, en arrivant chez Raymond Wil, Miss America tombe sur Black Widow et Slug déjà à l’œuvre. Cette fois, ils comptent visiblement pendre leur cible. Une nouvelle fois Miss America se précipite sur Slug et lui donne un violent coup de poing. Puis l’héroïne se tourne vers Black Widow. Et là… quelque chose de curieux sur le plan scénaristique se produit. La « Veuve Noire » fait remarquer à Miss America qu’elle ne peut pas frapper une femme ! Et, certes, c’est un argument « chevaleresque » qui tiendrait si Madeline Joyce était un homme. L’usage voudrait qu’un héros mâle ne s’abaisse pas à frapper une femme. Qui plus est à cette époque où l’égalité des sexes n’était même pas une vue de l’esprit. Ceci dit, Miss America est assurément une jeune femme. Et l’argument ne tient donc pas : Étant du même sexe que Black Widow, elle n’hésite pas à lui donner un coup mémorable. Néanmoins, pour frapper la veuve, elle a du tourner le dos à Slug, qui l’assomme en utilisant une chaise. Avant d’avoir pu se reprendre, Miss America est ligotée. « Je t’avais prévenu de ne pas interférer avec la Veuve Noire ! » s’écrie la criminelle. L’héroïne tente cependant d’en apprendre plus : « Espèce de crapule ! Pourquoi en voulez-vous à ces hommes ? ».
Mais la Veuve Noire n’est pas d’humeur à en dire plus. Black Widow et Slug abandonnent alors Miss America et Raymond Wil dans l’appartement… Mais non sans prendre soin de mettre le feu aux rideaux. Hilare, la criminelle lance à son adversaire : « Et tu n’en sauras jamais plus ! ». Si Miss America semble jouir d’une relative invulnérabilité, les épisodes précédents avaient établi qu’elle n’est pas à l’épreuve du feu. La perspective de brûler avec la maison n’est donc pas heureuse. Elle se retourne alors vers Raymond Wil : « Où est votre femme ? Pourquoi personne ne vient nous aider ? ». Wil explique qu’ils sont seuls dans la maison. Ils ne peuvent donc compter sur aucune aide extérieure. Heureusement un bout de bois enflammé tombe à proximité de Miss America. Elle peut donc faire bruler les liens qui bloquent ses mains. Libérée, elle s’envole en emportant Raymond Wil loin du danger. Puis, s’en perdre de temps, elle se lance à nouveau à la poursuite de cette mystérieuse Black Widow. D’autant plus facilement que Miss America possède toujours le carnet oublié et qu’elle sait donc à l’avance que la prochaine cible est un dénommé Paul Edgemont, qui habite en banlieue…
Il semble que Black Widow et Slug changent de méthode à chaque nouvelle tentative de meurtre. Après avoir essayé de jeter dans le vide leur première victime et voulu pendre la deuxième, ils sont sur le point de poignarder la troisième quand Miss America arrive sur les lieux, en traversant la fenêtre. Elle s’attaque à nouveau à Slug, qu’elle neutralise d’un coup de poing. Puis l’héroïne se tourne vers Black Widow : « Cette fois c’est à nouveau femme contre femme ! Et n’essaye pas de jouer à nouveau à la pleureuse ! ». Mais la Veuve Noire est bien plus forte qu’elle paraît l’être. C’est elle qui prend pas surprise Miss America, en donnant un coup violent. Miss America est étonnée : « Hmm ! Tu frappes aussi fort qu’un homme ! ».
Sans perdre de temps, Black Widow sort un revolver et reprend : « Je peux tirer comme un homme également ! ». La femme vêtue de noir fait mine de mettre en joue son adversaire. Mais cette fois l’effet de surprise ne joue plus. Miss America a donc le temps de se ruer sur la veuve et de l’envoyer dans le décor. Sauf que dans l’action une chose étonnante se produit : la perruque de Black Widow tombe et Miss America est bien obligée de se rendre compte que… la Veuve Noire est un homme ! Lequel n’est d’ailleurs pas très brave maintenant qu’il est désarmé. Il supplie l’héroïne d’arrêter de le frapper et promet qu’il va tout expliquer : Son but était de tuer tous ces hommes en faisant croire à des accidents (vu qu’ils ont failli poignarder leur troisième cible, on se demande bien ce que Black Widow et Slug peuvent considérer comme étant des accidents). L’idée était d’agir de manière à ce que les épouses des hommes concernés puissent hériter. Ce sont elles qui louaient les services de Black Widow. Autant de femmes qui détestaient leur mari ! Miss America comprend mieux pourquoi le tueur a adopté ce pseudonyme de « Veuve Noire »…
Le lendemain, au petit déjeuner, Madeline retrouve son oncle Jim. Celui-ci est en train de lire le journal et la salue tout en s’inquiétant de sa santé : « Tu te sens mieux ? Je me suis fais du souci quand je suis revenu avec l’eau et que j’ai découvert que tu étais parti te coucher ! Oh, à propos, Miss America a démasqué Black Widow ! Quelle fille ! ». James Bennett n’est donc pas vraiment une lumière. Inquiet de la santé de sa nièce, il n’aura pas plus insisté que ça. Et si Madeline avait fait un malaise dans sa chambre ? Et inversement on s’étonnera que le matin venu l’oncle Jim en soit à se féliciter de la capture de Black Widow… Alors que les tueurs n’ont commencé à frapper que cette même nuit et qu’il n’avait pas moyen de savoir qui était Black Widow auparavant. Néanmoins la conclusion vise à amener un ressort bien connu des lecteurs de comics du Golden Age. En s’émerveillant de l’efficacité de Miss America devant sa Madeline, Jim Bennett félicite donc sa nièce sans en avoir la moindre idée. L’héroïne, elle, se retourne vers le lecteur avec un regard complice…
En fin de compte la deuxième Black Widow de Marvel appartient donc au petit cercle des personnages travestis. A cet égard ce tueur a d’ailleurs un gros air de famille avec le Cat-Man de 1939 ou avec Madame Fatal, deux héros de l’Age d’Or qui avaient la particularité d’être des hommes se déguisant en femmes pour mieux surprendre les criminels. Il semble très probable que cette Black Widow soit au moins en partie inspiré par le film « Les Poupées du Diable » de Tod Browning (1936). Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où Miss America aurait à combattre ce type d’assassins. Dans Marvel Mystery Comics #69, la même héroïne allait pourchasser deux sœurs qui semblait être des tueuses. En fin d’aventure, Madeline allait découvrir que les deux sœurs étaient innocentes. En fait elles étaient victimes de leurs serviteurs (une gouvernante et un domestique) qui se déguisaient pour se faire passer pour elles. Une des « fausses sœurs » affrontées par Miss America était donc à nouveau un travesti !
Il faut croire que faire appel à l’auteur de Mary Marvel fut judicieux : Les aventures de Miss America furent publiées dans Marvel Mystery Comics (et à l’occasion dans d’autres revues de Marvel) jusqu’en 1948. De fait, Madeline Joyce a connu une carrière longue de cinq années, ce qui fait d’elle l’héroïne la plus durable de Timely/Marvel pendant tout le Golden Age, laissant loin derrière des personnages comme Blonde Phantom ou Golden Girl. Même sans tenir compte de son sexe, Miss America aura également connu beaucoup plus d’aventures que la plupart des héros costumés de la firme. Elle appartient du coup un peu au même club que les Captain America, Human Torch, Sub-Mariner, Whizzer, Angel et autres Patriot. Il n’est donc pas très étonnant qu’en 1946, au moment de concurrencer la Justice Society de DC, Marvel incorpora Miss America dans un super-groupe réunissant les stars de la maison: Le All-Winners Squad (duquel serait dérivé plus tard les Invaders). Cet « escadron des vainqueurs » n’eut qu’une carrière très courte (seulement deux aventures réellement publiées pendant tout le Golden Age) mais le deuxième épisode (All-Winners Comics #21, hiver 1946) permis de bouclier la boucle. Le scénariste de cette seconde mission n’était autre qu’Otto Binder, qui retrouvait donc au passage l’héroïne qu’il avait lancé quelques années plus tôt… Cette version masculine de Black Widow, par contre, n’a jamais fait reparler d’elle… ou de lui, comme vous préférez…
[Xavier Fournier]
J’ignorais qu’Otto Binder était à l’origine de Miss America. J’aime beaucoup ses aventures. Leurs tons tranches effectivement avec les autres productions Timely.
Un grand merci pour les OBG comme toujours !
(J’ai toujours trouvé amusant de constater que le comics Miss America évoluera progressivement vers un comics/magazine pour jeunes filles qui accueillera Patsy Walker pour la première fois avant qu’elle phagocyte le titre pour devenir elle-même une super-héroine des décennies plus tard.)
Je pense que l’apport de Binder à Marvel est méconnu, sans doute parce qu’on pense plus à lui comme un auteur Fawcett.
On n’a pas fini de parler de lui dans la rubrique, j’ai d’autres notes le concernant.
Pour Patsy Walker c’est bien possible qu’on l’évoque aussi à l’occasion.
Precieux eclairage,merci.