Oldies But Goodies: Marvel Mystery Comics #63 (1945)

[FRENCH] Dans la chronique précédente, on a pu voir que Timely/Marvel Comics a parfois poussé le bouchon assez loin en termes de mimétisme avec DC Comics, allant jusqu’à provoquer une rencontre entre Captain America et une Catwoman identique à celle que Batman pouvait combattre à la même époque. Un petit coup en douce, ni vu ni connu ? Une nouvelle enquête de l’Angel du Golden Age va au contraire nous montrer à quel point la chose n’avait rien d’un accident et tient plutôt d’une pratique généralisée… Et à quel point !

Nous sommes en avril 1945 (soit un mois à peine après la publication de Captain America Comics #45, dans lequel le Captain en question avait finalement croisé une « vraie » Catwoman) quand paraît Marvel Mystery Comics #63. Angel (le justicier moustachu que nous avons déjà plusieurs fois mentionné dans le cadre d’Oldies But Goodies) y affronte « une nouvelle créature féroce qui fait ses débuts dans le crime ! Douée d’une force étonnante, d’une incroyable agilité et férocement rusée, elle se mesure au Angel dans… l’Horreur de Catwoman ! (« Horror of the Catwoman« ). Oui, encore une et cette-ci lancée quelques semaines après que son homonyme ait affronté Captain America. La Catwoman (nom écrit en un seul mot, là où celle de Cap ménageait un espace entre « Cat » et « Woman« ) qui s’oppose à Angel dans cette histoire apparaît dès la première page : une femme habillée dans une combinaison de cuir noir, avec de fausses oreilles pointues sur la cagoule.

En dehors du fait que son visage n’est pas masqué, cette Catwoman est relativement identique à Miss Fury et à Cat’s Paw, autre criminelle déjà affrontée par Angel en 1941. Il serait même tentant de penser que Cat’s Paw et cette Catwoman ne sont qu’une seule et même personne (qui aurait tout au plus modifié sa cagoule entre-temps) mais l’histoire ne donne pas ce loisir puisque dès les premières lignes on nous parle bien de quelqu’un qui fait ses débuts dans le crime. Et les pages suivantes vont nous montrer qu’Angel et Catwoman ne semblent pas se (re)connaître…

Une nuit, Angel se promène dans le quartier des bijoutiers quand il écoute des détonations. Quelqu’un vient de tirer plusieurs coups de feu et le héros arrive à déterminer que ces bruits viennent de la seule fenêtre allumée dans toute la rue. Angel ne perd pas de temps. Il ne sacrifie même pas au cérémonial qui veut qu’un super-héros enfile toujours son costume avant de foncer vers l’action. C’est en costume de ville qu’il arrive au sixième étage et fait irruption dans un bureau, surprenant une femme dans une combinaison noire en train de dérober le contenu d’un coffre fort.

Elle est armée d’un revolver et menace le héros (d’ailleurs puisqu’il est resté en civil, elle n’a pas de raison de soupçonner qu’il s’agit d’autre chose que d’un simple curieux. Visiblement elle a déjà tué un homme (qui gît sur le sol) pour arriver à ses fins. Mais l’héroïsme d’Angel ne se mesure pas au port d’un costume coloré. Sans se laisser impressionner, il prend de vitesse la criminelle et lui saute dessus en criant « espèce de femelle chat meurtrière ! » (en anglais « You murderous she-cat !« ). La femme lui tire alors dessus en s’exclamant « Okay l’ami, tu l’auras voulu !« . Heureusement Catwoman a mal visé et Angel arrive à s’emparer du revolver de la femme. Se sentant en position d’infériorité la criminelle s’avoue vaincue en utilisant un vocable qui va vous paraître familier pour peu que vous ayez lu avec attention les chroniques précédentes : « Okay ! I know when I’m licked ! » (autrement dit « Okay, je sais quand je suis battue !« ). Mais nous y reviendrons plus en détail un peu plus tard. En fait, Catwoman a seulement fait semblant de se rendre pour mieux surprendre Angel. Elle lui donne un double coup de pied en plein visage et profite de la confusion pour s’échapper vers le toit. Quand le héros pense l’avoir rattrapé, alors qu’elle se tient prêt du vide, la femme-chat n’hésite pas à sauter dans le vide. Mais elle n’est pas vraiment inconsciente. Elle s’est rattrapée à un support mural de drapeau (un « flagpole »), pour mieux s’introduire dans un appartement, quelques étages plus bas.

Observant comment elle a fait, Angel s’élance à sa poursuite en s’accrochant au même support. Malheureusement pour lui, elle a le temps de se glisser dans l’ascenseur avant lui. Angel n’a plus qu’à descendre les escaliers quatre à quatre en espérant la rattraper. Mais malheureusement, arrivé au niveau du sol, il heurte un passant, ce qui l’empêche de rattraper sa proie… Arrivé à ce stade je pourrais continuer de faire semblant en espérant que vous n’avez rien remarqué, histoire de me ménager une belle conclusion théâtrale mais avec la multiplication des indices, la plupart d’entre vous auront sans doute déjà « tiqué » en lisant les paragraphes précédents. C’est normal.

Le scénario de cette aventure d’Angel est… le même que celui déjà observé dans Captain America Comics #45. Non seulement dans les deux cas la criminelle s’appelle Catwoman mais le découpage et les dialogues sont majoritairement similaires, parfois même identiques ! Dans l’épisode déjà vu, Captain America et Bucky se promènent dans la rue quand ils écoutent des coups de feu venant d’un étage élevé. Dans leur cas c’est le dixième, ici c’est le sixième mais tout le fonctionnement est identique (mis à part qu’Angel ne dispose pas d’un sidekick ou d’un bouclier à l’épreuve des balles). Quand il surprend sa Catwoman, Angel s’écrie « You murderous she-cat !« , qui est mot pour mot la phrase utilisée par Captain America un mois plus tôt. Comme l’autre Catwoman, celle d’Angel s’exclame « Okay, you asked for it ! » en lui tirant dessus. Là aussi on est dans le « mot pour mot ». Enfin, quand Catwoman fait mine de se rendre, elle dit « I know when I’m licked !« . Nous avons déjà vu que c’est une phrase qui remonte à Batman #1 et à la première capture de Selina Kyle (la Catwoman de DC) par l’homme chauve-souris. Mais qu’on ne s’y trompe pas : La Catwoman d’Angel n’est pas une énième réincarnation de Selina. C’est la copie d’une copie. Tous ses actes sont calqués sur ceux de la Cat Woman vue dans Captain America Comics #45. Seuls demeurent quelques changements cosmétiques. Par exemple pour s’enfuir, Cat Woman mordait Captain America tandis qu’ici Catwoman frappe Angel à coups de pieds. Mais la finalité est la même. Dans les deux cas les femmes s’échappent vers le toit de l’immeuble, semblent plonger vers une mort certaine et se rattrapent à un « flagpole » avant que le héros décide de les suivre par la même voie.

A partir de là, c’est donc sans surprise qu’on constate qu’Angel suit les mêmes méthodes que Cap et Bucky un mois plus tôt. Le héros trouve que l’intervention du passant est tombée un peu trop à pic. Il décide donc de le prendre en filature et s’agrippe à la voiture qui emmène l’homme, convaincu que c’est un complice de Catwoman. Il surprend ainsi la criminelle alors qu’elle était sur le point de partager le butin avec le reste de sa bande. Rapidement, une bagarre éclate. Mais Angel est de taille à résister aux hommes de Catwoman. Ce qui fait qu’elle tente de le poignarder par derrière (exactement ce que Cat Woman avait fait un mois plus tôt). La défense aussi est identique aux événements de Captain America Comics #45: Angel lance un des gangsters, qui est frappé à sa place par le poignard. Déroutée, Catwoman tente alors de s’enfuir en voiture mais le héros saute sur le toit de l’automobile. Consciente qu’elle ne lui échappera pas, Catwoman enrage : « Tu ne me prendras pas vivante ! » et elle fait sortir le véhicule de la voie, provoquant un accident qui lui coûte la vie. C’est exactement la même chose que dans l’épisode de Captain America. A ceci près que dans ce cas-là, il reste une case en « bonus » dans laquelle la police découvre le gang inconscient ainsi que le cadavre de la jeune femme, qu’Angel a pris soin de déposer au repaire de la bande (alors que dans le cas de Captain America il n’inspectait pas de près le corps de la criminelle).

Au demeurant le scénario d’Angel n’est qu’une pale copie de celui de Captain America. Insistons pourtant sur le « au demeurant » car en raison des délais de bouclage assez chaotiques de l’époque rien ne dit, après tout, que l’épisode original n’est pas celui d’Angel, qui aurait été produit avant celui de Captain America. Dans tous les cas il est évident que les deux épisodes n’ont qu’un seul scénariste… et un seul scénario. On n’est pas dans le cas où un dessinateur aurait regardé par dessus l’épaule d’un collègue et se serait vaguement inspiré de ce que l’autre faisait. Plusieurs phrases et terminologies sont strictement les mêmes ! Pourquoi produire deux épisodes avec une seule histoire ? A priori il n’y a pas de raison logique. Ou disons plutôt qu’il est déjà arrivé qu’un scénariste du Golden Age s’inspire d’une histoire créée quelques mois ou quelques années plus tôt pour faire un remake. Mais en général l’auteur prend au moins la peine de changer quelques lieux et quelques noms de personnages. La seule « grande » différence, finalement, c’est que le dessinateur de Marvel Mystery Comics #63, Jimmy Thompson (qui illustrait aussi à l’époque les aventures de Robotman chez DC), s’est donné la peine d’inventer un costume distinctif pour sa Catwoman. Un costume qui, comme on l’a dit, lorgne énormément sur ceux de Miss Fury et de Cat’s Paw mais qui a l’avantage, à l’époque, d’être très différent de l’apparence des Catwoman (women ?) affrontées par Batman et Captain America.

Si la Catwoman d’Angel avait cambriolé une banque, n’avait pas usé des mêmes phrases et s’était donné la mort d’une autre manière (disons qu’au lieu de s’enfuir en voiture elle aurait utilisé un bateau et se serait noyée), on aurait pu lire une trame très proche sans forcément le réaliser aussi facilement. Dans le cas présent, le scénariste ne s’est pas donné la peine de se cacher. Peut-être, finalement, parce qu’il agissait de bonne foi et n’avait rien à cacher. Il est possible (et c’est l’explication la plus simple) qu’un auteur ait livré un script et que le responsable éditorial l’ai confié à deux reprises à des artistes différents sans s’en rendre compte, simplement parce que c’était la feuille en haut de la pile. Il est également très possible qu’une des deux histoires ait été dans un premier temps refusée et que le scénariste ait décidé de la réincarner, la transformant en une aventure d’un autre héros de la firme… Sans se douter que la version première allait finalement trouver grâce aux yeux de l’éditeur et être publiée. Une autre alternative serait que le scénariste aurait de manière consciente décidé d’arnaquer l’éditeur en lui refilant deux fois la même histoire. Cela reste dans le domaine du possible mais c’est peu probable. S’il s’agissait d’une tromperie organisée, le coupable aurait quand même pris la peine de changer quelques phrases ou même le pseudonyme de la criminelle (qui aurait aussi bien pu s’appeler Killer Kitten, Crime Cat ou porter encore une demi-douzaine d’autres noms moins évocateurs). Encore qu’il existe des traces d’une hésitation. Vers la fin de l’épiosde d’Angel, la criminelle est soudainement orthographiée en deux mots (Cat Woman) puis dans l’avant-dernière case elle est identifiée comme étant… Cat Girl ! A ce stade de ressemblance « Copycat » aurait pu être un choix possible !

Cette Catwoman qui est la copie d’un Catwoman copiant elle-même la Catwoman de DC est un peu le pompon dans la lignée des pseudo-Catwomen publiée par Marvel dans les années 40. Et comme ses « soeurs », elle a la particularité de porter la combinaison noire « féline » associée plus tard avec Selina Kyle. A se demander d’ailleurs si la version plus tardive, post-1946, de la Catwoman de DC, n’a pas été copieusement inspirée par les essais de Marvel en la matière (ce qui serait vraiment un comble dans cette affaire « d’emprunts » multiples mais il semble bien qu’il y ait du vrai là dessous). Néanmoins, en raison de son nom (désormais bien protégé par DC), il y a peu de chances que Marvel s’amuserait à ramener la Catwoman affrontée par Angel, même si l’éditeur pouvait se targuer d’une certaine antériorité sur le costume.

En termes de continuité, la Catwoman ennemie d’Angel interpelle bien sûr. Comment deux criminelles aux méthodes si similaires et portant le même nom (à défaut d’être habillées de la même manière) pourraient avoir fait le même casse et trouvé la mort de la même manière à un mois de distance ? Plus largement on notera que les quatre « femmes-chats » de Marvel (Cat’s Paw, Leopard Woman et les deux Catwoman) semblent à chaque fois se sacrifier à la fin du combat. Après tout le dicton populaire veut que les chats aient neuf vies. On pourrait imaginer que les quatre femmes sont en fait liées par une seule entité qui aurait pris possession de leur corps et sacrifierait ses pions à chaque fois qu’elle est sur le point d’être capturée. Ainsi Cat’s Paw plonge du haut d’une haute tour vers des sables mouvants, Leopard Woman saute dans un gouffre et les deux Catwoman se suicident au volant de leur voiture. Ce qui ferait de toutes ces femmes (dont certaines semblaient inexplicablement posséder une force ou une agilité surhumaine) une seule super-ennemie féline qui pourrait aussi bien s’appeler Cat’s Paw, She-Cat, Leopard Woman… sans poser plus de problème entre Marvel et DC. Pour peu que quelqu’un chez Marvel s’intéresse à ramener toutes ces criminelles pour en faire une seule, ce serait une manière relativement élégante de sortir d’une histoire de copies et de piratages d’idées. Un vrai sac de noeuds dans lequel… une chatte ne reconnaîtrait pas ses petits !

[Xavier Fournier]

PS: La semaine prochaine, autre chose que des félines criminelles, pour changer. Non pas que j’ai épuisé la liste mais nous y reviendrons à une date future…

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