Oldies But Goodies: Military Comics #6 (Jan. 1942)

12 février 2011 Non Par Comic Box

[FRENCH] La problématique d’un « super-héros à la française » n’est pas nouvelle. Dans Military Comics, en posant, en forme de titre, la question « Who is Monsieur X ? », le scénariste/dessinateur Al McWilliams s’y intéresse déjà. La France est alors occupée, oppressée… Et le moment est propice pour qu’un mystérieux patriote masqué prenne les choses en main. Le Super-Résistant de « Papy fait de la Résistance » peut aller se rhabiller : Voici un super-héros français qui faisait réellement de la résistance en 1942.

Military Comics, publié par les éditions Quality, était le berceau original des aventures du célèbre aviateur Blackhawk. Mais le titre fonctionnait plus largement selon une formule très définie qui promettait de s’intéresser à toutes les branches militaires. Armée de terre, marine et aviation apparaissaient toutes dans la revue, au début dans des parties clairement identifiées. Au moins en théorie, avant que Quality ne cède à son tour à la mode des super-héros et y lance quelques personnages qu’on ne pouvait décemment pas résumer à des corps d’armées. Difficile de classer dans ce système le Blue Tracer (l’inventeur d’un irréel véhicule tout terrain à la fois volant, roulant, plongeant…) ou, encore plus dur, la surpuissante Miss America (capable de transformer n’importe quoi selon sa volonté, comme le plus tardif Firestorm).

Il y avait aussi, dans Military Comics, une rubrique régulière intitulée « Secret War News« , qui, sous la houlette de l’auteur Al McWilliams, se consacrait à décrire à l’audience américaine les exploits d’une guerre qui ne l’a concernait pas encore (daté de janvier 1942, l’épisode qui nous intéresse aujourd’hui a sans doute été publié vers novembre 1941, quelques semaines avant que le Japon attaque les USA). « Secret War News » ajoutait encore à la désorganisation du modèle affiché par Military Comics puisqu’Al McWilliams y abordait d’un numéro à l’autre des thèmes qui dépendaient du déroulement de la guerre.

Dans Military Comics #6, quand McWilliams débute ses Secret War News par la question « Who is Monsieur X ?« , en la tournant comme une première page de journal, il indique d’emblée, avec la petite touche du « Monsieur » (plutôt qu’un « Mister X ») qu’il y a un petit parfum français dans l’histoire du mois. Des français, depuis 1940, les comics n’en manquaient pas. Mais le plus souvent ils apparaissaient comme des résistants de second plan (souvent prénommés « Pierre », « Henri » ou « François »), sacrifiables au bout de quelques cases de manière à ce que le héros (principalement américain) puisse décider de les venger. Mais là, les choses sont différentes et le sous-titre nous en dit déjà plus : « l’homme-mystère attaque un bateau prison nazi et libère 100 anglais !« . Les « hommes-mystères » (ou Mystery Men en anglais) étaient, dans le début des années 40, essentiellement le nom qu’on donnait aux super-héros avant que cette appellation ne s’impose. Monsieur X, présenté comme un homme-mystère est donc, dans ces quelques lignes défini comme un super-héros au nom français, combattant les nazis. La page suivante nous en dit plus, sans pour autant nous montrer ce personnage. A travers un texte de présentation, Al McWilliams laisse transparaître sa francophilie : « Le crépuscule, Calais, France… Les navires de guerre nazis traversent les eaux de ce qui fut un port français et fier. Dans le soleil couchant se détache la silhouette d’un navire rouillé. Mais ce n’est pas, un bateau ordinaire, c’est un navire de terreur et de mort… Un bateau-prison des nazis ! Soudain le silence est rompu ! Une pore claque et une sentinelle sursaute !« .

Deux allemands descendent du navire jusqu’au quai, l’un s’adressant à son supérieur : « Vous voyez Général, il n’y a aucun risque d’évasion de ce navire… Ces cochons d’anglais vont rester ici jusqu’à ce qu’ils pourrissent !« . Le général en question rétorque : « J’ezpère que vous avez raison, Schteig, mais zil il y hut des éfasions dernièreument… Peut-être ezze encore ze Monsieur X !!!« . Mais Schteig est dubitatif. Il a entendu parler de ce Monsieur X et il doute que cet homme existe. Le général, lui, est d’un avis très différent. Pour lui, l’existence de ce personnage ne fait pas de doute et c’est de plus quelqu’un de très rusé. Il ordonne à son subalterne de ne pas sous-estimer cet adversaire. Schteig prend congé du général en maugréant qu’en admettant que Monsieur X existe ses agents de la Gestapo sauront l’attraper. Pourtant… pourtant quand Schteig rentre à son bureau, il découvre qu’on y a tracé un grand « X » noir : « Himmel !! Monsieur X ! Il est venu ici ! Dans mon bureau !« . Monsieur X fait donc visiblement partie de ces héros qui narguent les nazis en laissant sur leur sigle dans des endroits en théorie impossible à atteindre. Dans la même veine, chez Timely/Marvel, on verra aussi le Citizen V du Golden Age, qui se livrait à la même pratique avec la lettre « V » (plus tardivement « V », dans V For Vendetta, en fera de même… mais on peut trouver un ancêtre commun à tous ces résistants masqués en la personne de Zorro, qui signait d’un Z…). Monsieur X a même laissé sa carte à Schteig, le prévenant qu’il compte bien libérer les anglais prisonnier du navire, le soir-même, à minuit pile ! Immédiatement, Schteig ordonne qu’on double la garde et qu’on tire à vue sur ce Monsieur X (ce qui supposerait, bien sûr, que les allemands sachent à quoi ressemble le personnage).

Or, comme on l’a vu, l’histoire a commencé au crépuscule. La libération promise par Monsieur X doit donc intervenir tout au plus d’ici quelques heures. La tension monte donc à bord du bateau-prison. D’autant que les prisonniers anglais ne cessent de protester en tapant contre les parois. Un des gardes, rendu fou par le bruit, décide donc d’aller intimider les Anglais. En prenant un à parti, il lui arrache le petit bout de bois qui lui servait sans doute à faire du vacarme. Et les deux gardes s’éloignent, sans se rendre compte qu’ils portent tous les deux un grand X noir dans le dos. La marque de Monsieur X ! L’homme-mystère est donc déjà dans le secteur ! A minuit pile, les gardes fanfaronnent. Pas de Monsieur X en vue ! Il s’est dégonflé ! Il ne viendra sans doute pas ! Mais alors qu’ils s’auto-congratulent, une grenade rebondit sur le pont du navire. L’explosion balaye quelques nazis et bientôt c’est l’alerte générale. Monsieur X est là ! Il doit se trouver juste en bas, sur le quai ! Une patrouille commence à inspecter les abords mais ne trouve qu’une vieille femme encapuchonnée, se promenant avec un panier de fleurs à la main.

Devant les questions pressantes des nazis, elle leur avoue avoir aperçu un homme qui s’enfuyait dans une rue voisine. Aussitôt, les allemands jubilent. La rue en question est une impasse ! Ils vont enfin le coincer… Mais à peine ont-ils quittés la vieille femme qu’elle commence à farfouiller dans son panier, en sortant… une mitraillette. « Monsieur X » serait-il une vénérable grand-mère se faisant passer pour un homme ? Non, c’est tout le contraire ! Le résistant masqué est visiblement un maître du déguisement. Débarrassé de sa capuche, il se révèle sous son aspect réel : un homme dans la force de l’âge, avec des cheveux noirs et un masque « domino »… Les cases suivantes nous montreront par ailleurs que X porte la moustache, attribut sans doute associé aux Français dans l’esprit d’Al McWilliams. Ce qui fait qu’entre le masque, la moustache et l’usage d’armes à feu Monsieur X a de faux airs du Comedian, un des personnages de Watchmen. Pour le costume, on fait simple. L’homme porte une veste et un pantalon vert kaki, ainsi qu’un pull noir.

Sa mitraillette à la main, il interpelle les nazis qui se sont engagés dans la rue, sans réaliser que c’étaient eux qui entraient dans un piège sans issue : « Vous cherchez quelqu’un, gentlemen ?« . Immédiatement les soldats occupants sont abattus d’une rafale de la mitraillette, l’exécution étant martelée d’un cri rageur de Monsieur X : « Mourrez ! Pour que la France puisse vivre ! » Visiblement le reste de l’équipage connait un sort similaire car une demi-heure plus tard, au siège local de la Gestapo, on prévient le Commandant Schteig que Monsieur X vient de voler le navire prison, qu’il a tué tous les gardes et que ce sont les prisonniers qui dirigent le bateau, le menant vers le large. Schteig est furieux ! Comment peut-on avoir laissé un seul homme faire ça ? Schteig se console cependant en se disant qu’il reste les patrouilles maritimes et les champs de mines. Les insurgés ne pourront pas les dépasser !

Sauf… sauf qu’avant d’aller libérer le navire, le dénommé Monsieur X a pris la précaution d’aller lui-même retirer les mines bloquant le passage. Et quand un navire nazi les croise et fait mine d’approcher pour les inspecter, Monsieur X singe l’accent allemand et joue les vexés en expliquant qu’ils sont un bateau prison en route vers la Norvège. La patrouille maritime, pas encore au courant de l’évasion, n’y voit que du feu, prend Monsieur X pour le capitaine et s’éloigne en s’excusant. Monsieur X et les anglais libérés ont juste le temps de se féliciter… avant d’entendre un message radio ordonnant d’arrêter leur navire. La patrouille allemande a elle aussi visiblement reçu le message et se place devant la prison détournée, de manière à lui barrer le passage. Qu’à cela ne tienne. Monsieur X y va au culot. Le bateau ennemi est plus petit que le leur… Il ordonne donc qu’on avance à pleine puissance… Et l’embarcation nazie est détruite, réduite en morceaux. Les ex-prisonniers anglais sont aux anges mais Monsieur X est plus prudent. La flotte nazie ne se résume pas à un seul navire. D’ailleurs bien vite plusieurs bâtiments allemands se lancent à leur poursuite, avec un destroyer à leur tête. La petite armada est prête à tout pour enrayer l’évasion massive, même à couler le bateau-prison s’il le faut. Bientôt, l’ennemi ouvre le feu… et les prisonniers en sont réduit à répondre avec les seules armes à bord et en particulier un petit canon sur le pont.

Mais ils doutent que la riposte ait un quelconque effet. Heureusement pour eux, ils sont au milieu de la Manche et sont finalement remarqué par un avion de la R.A.F., intrigué de voir un navire nazi attaqué par d’autres allemands. Dans le doute, les aviateurs préviennent par radio leur hiérarchie et décident de s’en prendre aux attaquants. Ils commencent à bombarder les bateaux allemands. Malheureusement, si l’avion arrive à détruire ou mettre en fuite les navires les plus petits, le destroyer allemand est trop massif pour craindre la menace. Il manœuvre pour s’approcher et écraser le bateau-prison. Jusqu’au moment où le destroyer est lui-même frappé par une énorme explosion. Pourtant l’avion s’en est allé, s’étonnent Monsieur X et les anglais… Mais pas avant qu’un croiseur britannique se soit approché, arrivant à la rescousse. Bientôt, la chose dégénère en bataille navale et cette fois les nazis n’ont pas le dessus. Bientôt le destroyer, en flammes, est coulé…

Une fois la bataille terminée, les militaires anglais montent à bord du bateau-prison mais informent le courageux Monsieur X qu’il lui faut les accompagner jusqu’en Angleterre. Il n’y a pas d’autre alternative, un retour en France semblant impossible dans l’immédiat. Mais Monsieur X est une forte tête : « Je suis désolé mais c’est impossible ! Il me reste du travail à faire dans ma France adorée ». Malgré les protestations des anglais, Monsieur X plonge par dessus le pont et disparaît dans les eaux. Le capitaine anglais est consterné : « Il a disparu ! Quel dommage alors que la France a bien besoin d’hommes comme lui… ».  Rapidement la nouvelle franchit la Manche dans l’autre sens et un quotidien de l’époque, le Petit Journal, fait son titre sur la disparition de Monsieur X dans les eaux, après avoir libéré 100 hommes à lui seul. A Calais, le Commandant Schteig jubile en parcourant l’article : « Ainsi ce crétin est mort ! Bien ! Nous n’aurons plus de problème avec lui ! ». Et il se rend d’un pas léger jusqu’au bureau de la Gestapo, sans se rendre compte que ses subalternes lui rendent son bonjour de manière terrifié. La dernière case de l’histoire voit Schteig découvrir un énorme X noir tracé sur son bureau. Monsieur X a encore frappé !

A la question « Qui est Monsieur X ? »,  Al McWilliams n’aura finalement pas répondu, sa conclusion laissant la place à plusieurs hypothèses. Néanmoins il faut avant tout prendre en compte un facteur qui a son importance : Les Secret War News de McWilliams n’étaient pas présentées comme étant des fictions mais des faits réels. La première page porte d’ailleurs la mention « Rapporté exclusivement par notre top correspondant ». On peut rire de la promesse : il est clair que Quality Comics n’envoyait pas McWilliams sur les théâtres de guerre pour témoigner des faits. Pourtant plusieurs autres segments des Secret War News citent visiblement des personnes et des lieux réels, faisant allusion à des faits de guerre s’étant réellement déroulés. McWilliams ne faisait pas réellement le voyage à chaque fois qu’il fallait raconter une nouvelle histoire mais tout semble démontrer qu’il s’inspirait des manchettes des journaux de l’époque. De là à dire que Monsieur X est un personnage ayant réellement existé, il y aurait sans doute un trop grand pas. Il est certain que des résistants ont pu se définir comme Monsieur X dans les années 40 (d’ailleurs pas forcément à Calais) mais c’était un terme générique, pas un alias revendiqué comme tel. Et aucun Monsieur X de l’époque ne s’est sans doute promené avec un masque noir de carnaval. Sans doute que le Monsieur X de McWilliams est une sorte de pot-pourri entre différents articles que l’auteur aura alors pu lire sur la Résistance française. Monsieur X, sous la forme montrée par McWilliams, n’existait pas… Mais il avait sans doute une base réelle (quand à savoir si cette base était ténue ou pas…).

Cette base « réaliste » ou tout au moins crédible fait qu’on peut écarter d’emblée l’hypothèse la plus criarde qui voudrait que Monsieur X soit une sorte de guerrier immortel ou de super-soldat français qui ne craignait pas les eaux. A partir de ce moment, deux théories restent. Soit Monsieur X est un excellent athlète et traverser la Manche à la nage ne lui pas peur (c’est après tout, totalement possible, d’autres l’ont fait). Soit « Monsieur X » est une sorte d’alias collectif, d’autres résistants prenant la relève pour remplacer le guerrier tombé (un peu à la façon de V For Vendetta). Auquel cas le Monsieur X qui saute du bateau savait qu’il n’avait aucune chance de survivre mais se serait sacrifié pour entretenir le « mythe » qu’il représentait. Mais sachant que Monsieur X travaille visiblement seul pour libérer 100 prisonniers, on n’a pas l’impression qu’il fonctionne au sein d’un réseau coordonné. On ne reverrait malheureusement pas Monsieur X pour nous donner plus d’explication. Les Secret War News changeaient de sujet dans chaque nouveau numéro. Par la force des choses l’auteur, le mois suivant, était donc déjà passé à d’autres faits de guerre. Et Monsieur X en resterait officiellement à ce seul épisode. Les paris restent donc ouverts quand à savoir « Qui était Monsieur X ». Par une sorte d’ironie du sort, Al McWilliams serait appelé sous les drapeaux en 1942 et y resterait jusqu’en 1945 (avant de reprendre une carrière dans les comics), l’auteur des Secret War News devenant de fait un soldat qui aurait pu apparaître dans la rubrique. Monsieur X, résistant masqué à mi-chemin entre le Comedian, le  Unknow Soldier et « V », n’a pas refait surface (au propre comme au figuré) et est aujourd’hui un personnage du domaine public américain (à ne pas confondre avec le domaine public français, qui n’est pas le même). Traditionnellement les personnages anciennement édités par Quality sont plutôt réapparus chez AC Comics ou, plus souvent, chez DC Comics, en particulier au sein des Freedom Fighters. Si Monsieur X (ou un successeur moderne) devait réapparaître, la série moderne Freedom Fighters actuellement écrite par Jimmy Palmiotti et Justin Gray semblerait donc l’habitat le plus logique. Reste, bien sûr, à savoir si les auteurs ont besoin d’un vétéran français masqué… Mais on a déjà vu des choses plus bizarres se produire !

[Xavier Fournier]