Oldies But Goodies: Miss Fury (6 avril 1941)

[FRENCH] La première super héroïne de Marvel a disposer de son propre titre, Miss Fury, n’était pas vraiment une production maison. Création de Tarpe Mills, cette femme-chat allait néanmoins passer par la case Marvel mais également inspirer un nombre effarant de concepts que les comics utilisent (« pillent » ?) encore de nos jours, aussi bien chez Marvel que DC. Miaou ?

La scénariste/dessinatrice Tarpe Mills (voir notre précédente chronique) adorait les chats. Ils étaient non seulement ses animaux de compagnie favoris mais également une source d’inspiration régulière. Ainsi, en 1939, elle avait déjà inventé le premier Cat Man des comics. En 1941, Tarpe Mills avait quitté le cadre des comics sous forme de fascicules pour œuvrer dans les strips de presse. Au moment de lancer une nouvelle création, c’est à nouveau vers les chats qu’elle se tourna pour y trouver une base de départ. Et après un homme-chat, Mills inventa une héroïne féline. Miss Fury débuta dans la presse le 6 avril 1941 et, le succès aidant, les éditions Timely/Marvel négocièrent la licence à partir de l’automne 1942 et publièrent sous forme de comics des réimpressions du strip. De ce fait, on serait tenté de dire que Marvel avait trouvé sa Catwoman. Vêtue de noir, avec un masque reconnaissable à ses deux « oreilles de chat », Miss Fury ressemble effectivement tout à fait à la célèbre adversaire de Batman. Et, au demeurant, les chiffres tendraient à nous confirmer que le personnage de Tarpe Mills n’est qu’une copie de la femme-chat de DC Comics… Après tout Catwoman avait bel et bien fait ses débuts dans Batman #1 (1940), ce qui lui donne donc une antériorité indéniable. Sauf…

Sauf que dans Batman #1, comme nous avons pu le voir au terme de la chronique précédente, Catwoman (Selina Kyle) n’est qu’une simple cambrioleuse qui se fait passer pour une vieille femme (d’ailleurs inspirée en bonne partie par le Cat Man de Tarpe Mills). Au début Selina Kyle n’est pas une « aventurière costumée » et elle ne porte très certainement pas la fameuse cagoule qu’on lui connaît de nos jours. Quelques mois plus tard elle prendra l’habitude de porter un masque de chat, c’est vrai. Mais il s’agit d’une sorte de tête géante de chat (un peu comme le maquillage de la Bête version Jean Cocteau). Catwoman, qui n’est pas un personnage très populaire dans les premières années de sa vie, ne va ébaucher son allure classique (avec la cagoule) qu’à partir de Batman #35 (1946). Ainsi, si on refait le processus, Selina Kyle a été inspirée par une première création de Tarpe Mills (Cat Man) mais même si Miss Fury est apparue après les débuts officiels e Catwoman, il semble certain que c’est cette dernière qui a copié son costume « iconique » sur celui de Miss Fury et pas le contraire… Rien que ça vaudrait déjà qu’on s’intéresse de très près aux aventures de l’héroïne de Tarpe Mills. Mais Miss Fury n’a pas fait qu’inspirer le look définitif de Catwoman…

Tout commence alors qu’une jeune femme de la haute société new-yorkaise, Marla Drake se prépare pour une soirée costumée. Elle s’est déguisée en courtisane mais apprend par un coup de téléphone d’une amie qu’une rivale a prévu exactement le même déguisement pour la soirée. Porter la même robe qu’une autre à la soirée ? Pas question. Furieuse, Marla commence à déchirer sa robe, ce qui révèle une partie de ses dessous. Tarpe Mills prenait toujours un malin plaisir à représenter ses héroïnes avec un petit côté « gravure de mode », d’où un certain souci du détail dans la représentation de ces vêtements.

Arrive Francine, la domestique française (plus tard il dans la série il sera expliqué en toutes lettres que c’est une réfugiée qui a fuit l’Occupation) de Marla, qui découvre la scène, surprise. Sa maîtresse lui explique qu’elle n’a plus rien à porter pour la soirée. Et pour cette jeune bourgeoise, c’est la catastrophe. Elle n’a aucune solution de rechange, jusqu’à ce que Francine lui propose de porter la peau de léopard noir l’oncle de Marla lui a offert. La proposition surprend Marla : « Quoi ? Elle a été portée par un sorcier en Afrique, comme tenue de cérémonie ! ». Mais Francine insiste, en lui expliquant que du coup le déguisement serait très « distingué » (en Français dans le texte). Marla se laisse convaincre et sort bientôt de chez elle en portant une tenue noire avec un masque très « félin ». Devant l’immeuble, elle demande au portier, Cappy, si sa voiture est prête. L’homme est surpris par la tenue : « Wow! Si je n’avais pas entendu votre voix, Miss Marla, je ne vous aurais jamais reconnu ! ».

Bientôt, Marla est en route, au volant de sa voiture, et décide de mettre la radio pour avoir un peu de compagnie. On entend vaguement un bulletin d’information qui parle d’un tueur en fuite mais la jeune femme n’y prête pas attention. Elle se concentre sur la route désespérement vide qu’elle a emprunté et qui est en fait un raccourci. Il fait nuit, la route traverse les bois et Marla manque de peu de rentrer dans une autre voiture, garée en travers de la voie. Marla freine à temps mais un homme surgit, revolver à la main. Marla se dit qu’il doit s’agir du tueur en fuite dont elle a entendu parler. Ne voyant pas que l’automobile est conduite par une femme, l’homme s’écrie « Okay mon pote… sors de là ! ». Mais il ne s’attendait pas vraiment à trouver une femme-chat à l’intérieur. Qui plus est la peau de léopard portée par Marla reste équipée des griffes de l’animal, qui pointent sur le dessus des mains de la jeune femme. Profitant de l’effet de surprise elle griffe donc l’inconnu. Puis dans la bagarre, elle donne aussi un violent coup de pied à l’homme (le dessin n’est pas très explicite mais on a toutes les raisons de penser que les pieds du costume aussi portent des griffes de léopard). L’homme tombe, sa tête heurte le pare-choc de la voiture et il sombre dans l’inconscience. En l’inspectant, Marla découvre sur lui une plaque. Contrairement à ce qu’elle pensait, ce n’est pas un tueur mais un détective de police ! Réalisant sa méprise, elle se précipite vers sa voiture pour aller chercher un docteur…

Mais dans son véhicule elle découvre un autre homme, installé au siège du conducteur. C’est lui, le vrai tueur en fuite ! Killer Dawnson ! Mais ayant vu comment la jeune femme a neutralisé le détective Carey, il se méprend sur ses intentions. Il croit qu’elle est du côté de la pègre. Dawnson s’apprête à tirer sur Carey, toujours inconscient, mais la femme-chat l’en dissuade : « Ne sois pas idiot ! Son crâne est sans doute fracturé de toute manière. Viens, je vais t’aider à fuir dans ma voiture. S’il revient à lui, il sera quand même le dindon de la farce ! ». Dawson est vite convaincu : « Ouais ! Quelle rigolade ! Une jolie dame le tabasse puis aide Killer Dawson a s’échapper ! Okay soeurette, on monte dans ta voiture… mais c’est moi qui conduis ! ». A l’intérieur, sans poser son masque, Marla fait mine de se remaquiller et sort du fond de teint en faisant mine de discuter avec Dawson : « Quel est mon but ? Et pourquoi ce costume ? Ca ne te rend pas curieux ? ». En fait la discussion ne fait qu’attirer l’attention de Dawson sur les courbes de la jeune femme : « Dis ! T’es un chouette petit lot, soeurette… Et t’as un joli châssis. Rapproches toi, bébé ! ».

En fait Marla ne demandait que ça, elle se penche vers Dawson et lui souffle en plein visage son fond de teint. L’homme est aveuglé, perd le contrôle de la situation… Et Marla n’a aucune peine à se baisser pour actionner le frein à main de la voiture. Si elle s’accroche, Dawson part la tête la première et s’assomme (décidément Marla aime bien plonger les hommes dans l’inconscience) . Elle fait marche arrière, dépose Dawson à côté du détective Carey et les ligote ensemble. Puis Marla, toujours en costume, fonce prévenir le plus proche docteur. Sans décliner son identité elle explique où sont les deux blessés, insistant sur le fait que l’un d’eux est Killer Dawnson. Puis malgré l’insistance du docteur, Marla s’enfuit dans la nuit. De retour à son immeuble, elle ordonne à son portier, Cappy, de ne dire à personne qu’elle portait ce costume ce soir- là. Très vite dans la série il apparaît en effet que le portier Cappy (plutôt baraqué) ainsi que la domestique Francine sont dans la confidence de la double identité de Marla. Après tout ces deux-là étaient bien placés pour savoir que la femme-chat qui circulait en voiture ce soir-là était leur employeur. Le lendemain, d’ailleurs, Francine réveille Marla en la rassurant. Dans le journal, personne ne fait mention de son intervention. En fait le détective Carey s’est attribué tout le mérite de l’arrestation.

Malheureusement, la joie des deux femmes est de courte durée, dans la rubrique mondaine, un chroniqueur explique au contraire qu’une « Vénus en noir » a été capable de neutraliser aussi bien le policier que le tueur. Ce deuxième article explique qu’en privé Carey est furieux et ne prendra pas de repos tant qu’il n’aura pas découvert qui est la « Black Fury ». Il nous faut en effet souligner qu’à l’intérieur de la série l’héroïne est d’abord appelée Black Fury, Miss Fury étant au début le titre de la série. Par la suite les choses se confondront un peu et on verra le surnom Miss Fury utilisé quelques fois dans les pages intérieures. Mais au début les personnages ne la désignent que sous le nom de Black Fury. D’autres éléments du strip sont introduits dans le journal que lisent Francine et Marla, comme la nomination d’un dénommé James Dana comme procureur dans la semaine ou encore des rumeurs sur l’origine louche de la fortune soudaine d’une certaine baronne Erica Von Kampf…

On l’a vu, l’origine de Black Fury/Miss Fury est essentiellement fortuite. L’héroïne tombe par hasard sur ce gangster en fuite et profite de l’effet de surprise pour régler l’affaire avant de rentrer elle. D’ailleurs il convient de noter les similitudes énormes entre cette origine et celle de la bien plus tardive Batgirl (Barbara Gordon) dans Detective Comics #359 (janvier 1967). Comme Marla Drake, Barbara Gordon se déguise (en Batgirl) pour les besoins d’un bal masqué (jusque là rien d’anormal, c’était une astuce assez répandue pendant le Golden Age pour expliquer le costume exubérant de différent héros). Comme Marla, Barbara prend sa voiture mais est arrêtée dans les bois par un événement imprévu (dans le cas de Batgirl il s’agit du bandit Killer Moth qui tente d’enlever Bruce Wayne). Comme Marla, Barbara profite de l’effet de surprise pour s’improviser. Et d’ailleurs à y regarder de plus près, on verra que Batgirl ne porte pas à proprement parler une version féminisée du costume de Batman (qui est gros) mais bien, sous la cape, une combinaison noire… comme celle de Black Fury/Miss Fury ! En plus d’un impact assez conséquent sur l’apparence de Catwoman, la création de Tarpe Mills est également le « squelette » sur lequel on a construit l’origine de Batgirl.

On revient dans l’histoire où on découvre Erica Von Kampf, une jolie blonde furieuse de lire dans le journal qu’on s’intéresse à sa fortune. Car, vous l’aurez compris à son nom peu subtil, Erica Von KAMPF est une espionne travaillant pour les nazis. De peur d’être découverte, Erica se dit qu’elle va prendre des vacances au Mexique mais qu’avant il lui faut régler quelques affaires, en particulier rendre visite à un certain Miguel Rico. Dans le même temps, Marla Drake reçoit la visite de Grace Dana, l’épouse du futur procureur, avec qui elle est visiblement amie. Grace lui apprend qu’elle est victime d’un maître chanteur qui a fabriqué de fausses lettres (mais crédibles) qui pourraient entacher sa réputation et celle de son mari. Le nom du maître chanteur ? Miguel Rico, l’homme que mentionnait plus tôt la Baronne Von Kampf. Marla propose alors d’avancer l’argent pour payer le maître chanteur.

Pendant ce temps, Erica Von Kampf est prévenue de l’arrivée d’un visiteur. Qui n’est pas Rico mais bien Bruno Beitz, archétype du nazi chauve portant le monocle. C’est l’un des supérieurs de la baronne est il est furieux. Il vient de lire lui aussi le journal et comprend que le train de vie de la jeune femme est en train d’attirer l’attention sur leur réseau. Dans sa rage, il la gifle avec violence et la secoue. En fait le propre d’Erica Von Kampf dans la série sera d’en prendre régulièrement plein la figure. D’un côté on est un peu dans le sadisme coquin proche des aventures de la Sweet Gwendoline de John Willie, de l’autre il y a aussi une pincée de Garth Ennis (enfin, de ce qui serait passé pour du Garth Ennis en 1941), à savoir que les criminels, dans la série Miss Fury, sont les principales victimes de leur conduite, un peu à la manière d’Herr Starr dans le Preacher d’Ennis. Non pas qu’il faille penser qu’Ennis aurait été piocher dans une vieille série des années 40 mais il y a une communauté de logique à ce niveau là. Ainsi Erica Von Kampf sera régulièrement rouée de coups par ses alliés et, dans un épisode plus tardif, elle sera marquée au fer rouge, comme du bétail, d’une croix gammée sur le front (heureusement pour elle, Erica porte une grande mèche qui lui permet de cacher le symbole nazi). Bruno Beitz ne sera pas épargné non plus puisque quelques chapitres plus loin il est victime d’une bombe qu’il a lui-même posé, qui lui arrache un bras. Là, maltraitée par Bruno, Erica explique qu’elle aura bientôt les renseignements qu’il veut. Beitz veut en effet savoir le détail des bateaux qui vont transporter de l’aide vers l’Europe. Erica rétorque qu’à travers un ami, Miguel Rico, elle a la main mise sur une femme influente et qu’elle aura les informations demandées. L’implication est que Von Kampf et Rico ont ainsi tout un réseau de victimes qu’ils font chanter pour avoir de l’argent ou des renseignements.

Chez Marla Drake, l’héroïne est arrivée à convaincre Grace Dana de la laisser aller l’accompagner pour rencontre Rico. Quand le maître chanteur rencontre la beauté brune il n’a plus d’yeux que pour elle et cherche à obtenir un rendez-vous galant. Grace, dans un coin, s’en veut d’avoir présentée Marla à un homme tel que Rico. Marla accepte un rendez-vous pour le soir même. Pendant ce temps, chez la Baronne, Bruno menace clairement Erica en lui disant qu’elle sait très bien ce qui attend ceux qui échouent et les traîtres. Il a peur qu’elle ait révélé leur plan à Miguel. Heureusement pour elle, ce n’est pas le cas (Rico n’a pas conscience de travailler pour les nazis). Erica a cependant une obligation de résultat. Elle fonce chez Miguel pour lui mettre la pression et, quand celui-ci demande à être plus payé, elle n’hésite pas à le menacer avec un pistolet. Mais elle ne l’impressionne pas. Rico prétend qu’il est trop prudent pour se promener avec les renseignements désirés sur lui et que si elle l’abat, elle n’aura jamais ce qu’elle voulait. Bredouille, Erica est obligée de faire mine de partir. En fait elle se cache, en attendant de voir où Miguel range ses secrets. L’homme, lui, se prépare pour son rendez-vous avec Marla, sans se douter qu’il est victime d’un stratagème. Dès qu’il part de chez lui pour se rendre chez Marla Drake, Black Fury arrête sa voiture devant chez Rico. En lui donnant un rendez-vous à un autre endroit de la ville, elle s’est assurée qu’il ne serait pas chez lui à cette heure-là. Et elle est bien décidée à en profiter pour récupérer les fausses lettres de Grace (ce qui, soit dit en passant, est idiot car s’il s’agit vraiment de fausses lettres alors Rico pourrait aussi facilement créer de nouveaux faux documents).

Entre-temps, Erica est entrée chez Rico pour elle aussi chercher les documents dont elle a besoin. Elle est donc à l’intérieur quand elle voit une forme noire s’introduire par la fenêtre . Erica était penchée sur le coffre qu’elle venait d’ouvrir mais n’a pas d’autre choix que de retourner se cacher. Quand Black Fury arrive dans la pièce, elle s’étonne de trouver le coffre fort ouvert et se demande… « Est-ce que Rico peut être assez stupide pour l’avoir laissé ouvert ? ». Et, cachée, l’espionne nazie réalise que cette femme en noir ne peut qu’être la fameuse Black Fury : « Les choses se compliquent ! ». Les choses se compliquent d’autant plus qu’au même moment Miguel se rend compte qu’il a oublié son portefeuille chez lui et fait immédiatement demi-tour. Quand il arrive devant la maison, il est surpris de voir la lumière allumée et tombe sur Black Fury en train de s’emparer des lettres tant convoitées. Miguel et la femme en noir luttent tous les deux mais cette fois l’effet de surprise n’est plus le même. En tout cas il ne joue plus pour Marla. D’autant que Miguel sort un revolver et s’apprête à la tuer. Mais au moment où il va tirer Erica, toujours cachée dans un placard, y voit une occasion de se débarrasser de ce partenaire trop gourmant. Elle tire en même temps que lui, Black Fury n’écoutant qu’une seule détonation. Miguel, touché, s’écroule. Et Erica profite de la confusion pour partir. Elle a visiblement eut le temps de s’emparer des plannings qu’exige Bruno. Elle s’en va, en espérant que la police mettra le meurtre sur le dos de l’énigmatique Black Fury. Dehors, Erica aperçoit sa voiture, celle de Miguel et enfin une troisième qui n’était pas là quand elle est arrivée. La Baronne en déduit fort justement que c’est celle de Miss Fury (« Miss Fury » étant écrit en toutes lettres, c’est la première fois dans la série qu’on lui donne cet alias). Erica utilise donc une bouteille cassée pour crever les pneus, espérant que cela retardera assez l’héroïne pour qu’elle soit coincée par la police : « Quand Bruno écoutera tout ça, il va mourir de rire ! Ha ! Qu’est-ce que je disais ! J’entends déjà les sirènes de police ! ».

En fait, malgré toutes les précautions d’Erica, tout ne se passe pas comme prévu. D’abord Rico n’est pas mort mais seulement gravement blessé. Puis Miss Fury a réussi à s’enfuir et à faire démarrer sa voiture (roulant tant bien que mal malgré l’état des pneus) juste avant l’arrivée des policiers. Pour une raison étrange, la police, qui n’a aucune raison de penser que Black Fury était là avant eux, s’en tient cependant à une version assez similaire à ce que pensait Erica : pour eux, Black Fury devait être en train de cambrioler Rico quand il est arrivé et elle lui a tiré dessus. Mais quand le détective Carey se penche sur Rico, le blessé a le temps de murmurer « Baronne… ». Et là le détective réfléchit intensément : « Hum ! Baronne ? Est que c’est une sorte de surnom dans la pègre ? Je le découvrirais bientôt ! ». En ville, Miss Fury a un problème immédiat. Elle ne peut pas approcher de chez elle avec une voiture en si mauvais état. Les gens la remarqueraient et déduiraient que le véhicule de Miss Fury et celui de Marla ne font qu’un. Elle est donc obligé de se garer à quelques rues de là, tentant de regagner son appartement à pied, sans se faire remarquer. Elle cache son costume de Miss Fury sous un capuchon et un manteau mais elle heurte un passant par accident et celui-ci reconnaît le costume. Il se met à crier « Police ! ». Marla est obligée de le griffer pour échapper à son étreinte. Mais elle se sait repérée et ne peut pas continuer plus loin. Elle se glisse dans un immeuble pris au hasard, dans l’idée de passer d’un toit à l’autre. Mais en passant devant la fenêtre d’un appartement elle aperçoit une robe et des chaussures. Tout ce dont elle aurait besoin pour pouvoir passer pour une « civil »…

En fait, le hasard a voulu (ah quel taquin ce hasard !) que Miss Fury s’introduise chez Erica Von Kampf. Alors que Marla est en sous-vêtements, elle prend la précaution de cacher son costume de Miss Fury dans la terre d’un pot de fleur. « Je ne veux plus jamais le voir ! Jamais ! Et cela semble être l’endroit parfait pour l’enterrer ! ». Mais alors qu’elle est en train d’enfiler la robe, Erica fait irruption, un revolver à la main. Sans réaliser que la jeune femme brune est Miss Fury, elle croît être confrontée à une « simple » cambrioleuse. S’engage alors un combat entre les deux femmes en nuisette. Mais Marla, après avoir offert un œil au beurre noir à la Baronne, arrive à prendre le dessus. Elle attache alors la blonde espionne (là aussi on se croirait dans la BD bondage Sweet) en lui promettant de ne prendre que quelques vêtements et de ne pas lui faire de mal. Marla n’a en effet jamais rencontré la Baronne et ne se doute pas qu’elle est la cause de ses maux. Mais intérieurement la Baronne ricane. On vient de sonner. Bruno, qu’elle attendait pour lui remettre les documents, doit être dans l’ascenseur à l’instant même ! Marla, habillée dans les vêtements d’Erica, se veut rassurante : « Je prends aussi votre sac, que j’ai vidé. Et je vous renverrais le tout, ainsi vous verrez que je n’étais pas là pour vous voler : ». Mais là, la Baronne défaille. Son sac ? Mais elle a caché les documents secrets, ceux que veut Bruno, dans la doublure de ce sac !

Arrivé devant la porte, Bruno en a marre d’attendre. Personne ne vient lui ouvrir. Il se dit que la Baronne tente de gagner du temps. Qu’importe il a un double des clefs. Mais au moment où il va entrer, la porte s’ouvre enfin… Furieux, Bruno saute sur la jeune femme qui en sort avec précipitation et la projette au sol, convaincu qu’il s’agit de la complice qu’il tabasse régulièrement. Quand la femme se retourne, Bruno se rend compte qu’il s’agit en fait d’une brune et que ce n’est absolument pas Erica. Il bredouille alors une excuse en expliquant qu’il voulait juste faire une blague à sa vieille copine, la Baronne. Avec galanterie, il remet la jeune femme sur pied, l’escorte jusqu’à l’ascenseur en n’oubliant pas de lui tendre son sac. Cinq minutes plus tard, Bruno est chez Erica et… découvre qu’elle vient d’être volée et qu’en prime les plans qu’il voulait étaient dans le sac… qu’il a lui-même ramassé et rendu à la voleuse sans savoir ce qu’il faisait ! Furieux, Bruno en vient à se frapper la tête contre les murs…

Au réveil, Marla découvre dans les journaux que Black Fury est accusée d’avoir tirée sur Rico. Elle est catastrophée : « Si cette blonde porte plainte pour le vol de ces vêtements, le détective Carey en déduira que je suis Black Fury ! ». Mais la fidèle Francine est plus rassurante : « J’ai des raisons de penser qu’elle ne déclarera pas le vol, mademoiselle. Après avoir posté les lettres à madame Dana, j’ai fouillé les vêtements pour y chercher l’identité du propriétaire et je suis tombée sur des documents très intéressants cousus dans la doublure de son sac… […] En tant que réfugiée je suis bien entendu très soucieuse des ravitaillements envoyés vers le front et, si je ne fais pas d’erreur mademoiselle, ces documents contiennent les dates de départ des convois… alors que tout cela n’a jamais été rendu révélé au public ! ». Francine et Marla comprennent que la blonde trafique quelque chose de pas du tout honnête : « Bon sang ! Pas étonnant qu’elle ait tenté de me pousser du haut de sa terrasse ! ». Francine conseille alors à Marla de poster elle-même les documents au détective Carey. Mais Marla à un autre souci maintenant qu’elle sait que la blonde est si dangereuse : « Hum… Et si jamais elle trouvait la peau de léopard dans ce pot de fleur ? Je la récupérerais d’une manière ou d’une autre. De toute façon j’aurais bien envie d’un autre match… ».

Pour accélérer un peu les choses, passons par-dessus quelques autres manigances de Bruno et Erica pour aller directement à la scène où Carey va interroger Rico lors de sa convalescence à l’hôpital. Entre-temps Carey a reçu les vêtements de la Baronne et les documents (bien qu’il ne sache pas à qui tout ça appartient). Il a déduit, également, que Rico est au centre d’un réseau de chantage. Mais le blessé ne veut pas parler. Alors le détective lui montre les vêtements pour savoir s’il les reconnaît. Rico ne reconnaît rien. En tout cas pas devant Carey. Mais il a tout de suite compris qu’il s’agissait de la tenue de la Baronne. Furieux, Rico s’enfuit le soir même de l’hôpital et, arrivé devant chez Erica, se hisse jusqu’à la terrasse (le même chemin qu’avait utilisé Miss Fury avant lui). Mais Rico est faible. Et il y a des chiens de garde, que Bruno avait laissé là. Rico tombe à la renverse sur le vase, qui se casse. Après que le gangster ait abattu les chiens, il découvre le costume noir. Erica vient de rentrer et Rico, l’arme à la main, la menace. Il est convaincu, après avoir découvert le costume, qu’Erica est en fait Black Fury elle-même : « Quelle riche idée de mettre un déguisement pour me cambrioler… […] Et maintenant, Miss Black Fury, aboules l’oseille ! ». Erica n’a bien sur aucune idée de ce qu’il raconte : « Miguel ! Je ne comprends pas ! Je ne suis pas Black Fury ! ». Non seulement Rico lui vole son argent et ses bijoux mais il la matraque aussi au passage. Vous étiez prévenus : Erica en prend toujours plein la figure dans cette série.

Pendant ce temps Marla Drake complote avec son portier, Cappy (qui est le seul, avec Francine, à connaître son secret) pour pouvoir récupérer sa peau de léopard. Coup de chance il se trouve que Cappy connaît le portier de l’immeuble d’Erica. L’idée est de se servir de Perry Purr (le chat de Marla) comme d’un prétexte. Perry Purr, basé sur un chat réel du même nom qui appartenait vraiment à Tarpe Mills (et qui lui avait déjà servi de modèle pour le chat blanc du Cat Man de 1939, Cat Man et Miss Fury ayant de se fait un chat totalement identique). Bruno et la Baronne sont chez cette dernière, en train de discuter, quand ils entendent le chien grogner. Inquiets d’une possible nouvelle intrusion, ils sont sur leur garde jusqu’à ce que le chat Perry Purr fasse son irruption dans la pièce. Bruno, en entendant quelqu’un qui appelle le chat, comprend tout. Il a la présence d’esprit de s’emparer d’une fourrure blanche appartenant à Erica et de la jeter (la fourrure, pas Erica) au chien. Enragé, celui-ci se jette sur la boule de poil. Quand Cappy montre le bout de son nez, faisant mine de chercher Perry Purr, Bruno lui désigne le chien en train de déchiqueter la boule blanche et prétend que le chat est mort. Pourquoi mentir sur le sort du chat ? Parce que Bruno désire cacher une explosif dans la fourrure du vrai chat, pour mieux pouvoir se débarrasser d’un de ses adversaires. Quelques chapitres plus loin, c’est d’ailleurs cet explosif, enlevé au chat et balancé au hasard par un autre personnage, qui atterrira dans la voiture de Bruno et lui coûtera son bras (comme quoi, il y a une justice). Cette idée d’utiliser le chat blanc comme une arme indirecte est elle aussi raccord avec ce que le Cat Man de 1939 faisait déjà en empoisonnant les griffes son chat. Cappy n’ayant pu récupérer le costume noir, il sera récupéré par un autre malfrat qui s’en servira pour se faire passer pour Black Fury et commettre des meurtres sous son nom. Là aussi, un homme qui prend une identité de femme, cela nous ramène aux méthodes du Cat Man de 1939…

L’imposteur apportera dans son sillage un autre élément important dans la série. En se faisant passer pour Black Fury, le criminel s’attire la confiance d’un certain professeur Novak, inventeur d’une matière très dangereuse, l’Acrothorium, qui a la particularité de dissoudre tout métal. L’Acrothorium, en période de guerre, pourrait servir à détruire en quelques instants l’armée adverse et Novak ne veut que son invention tombe entre de mauvaises mains. Mal joué : le faux Black Fury assassine Novak et lui vole son stock d’Acrothorium, bien décidé à (mal) s’en servir. Heureusement Francine a cousu un duplicata du costume à Marla, qui s’en servira pour redevenir la vraie Black Fury et affronter l’imposteur… qui bien entendu est nul autre que Rico, toujours convaincu que la vraie Black Fury est la baronne. Finalement Rico sera battu et sera livré au commissariat. Mais c’est surtout le sort de Marla après la bataille qui est intéressant car il évoque les « hard luck heroes » façon Peter Parker. Marla, blessée, se terre avec un bras cassé et son costume (le duplicata) en lambeaux. Du coup elle passe la nuit hors de chez elle alors que son fiancé, le beau Gary, était venu lui demander sa main. Quand Cappy, parti à sa recherche, la retrouve, il la transporte d’urgence chez elle pour qu’elle se repose. Et Gary arrive, plein de questions. Où donc était la femme qu’il aime ? Marla ne peut lui répondre sans révéler qu’elle est Black Fury et son silence va se glisser entre eux comme un fossé, mettant fin aux plans de mariage. Détruit, Gary préfère partir pour Rio de Janeiro… où il tombe par hasard sur la Baronne Van Kampf, qui voit en ce touriste américain une proie facile. Elle a fuit les USA pour éviter les autorités, mais si elle revenait comme femme mariée, sous un nouveau nom, elle éviterait ainsi les soupçons. Elle se met en tête de séduire l’infortuné pour essayer de l’épouser.

En Amérique, une étrange situation s’installe. Marla est folle de douleur. D’abord physiquement, à cause des graves conséquences de son combat. Mais aussi moralement, puisqu’elle a perdu l’homme de sa vie. Elle passe ses journées au lit, à délirer, en espérant le retour de Gary. Un jour que le détective Carey passe lui rendre visite pour lui demander quelques explications, l’infirmière engagée spécialement pour soigner Marla s’embrouille. Elle confond les noms de Gary Hale et de Carey et croit être face au fiancée de la patiente. Et comme un pare à vent est tendu devant le lit de Marla et qu’on lui dit que son fiancé est venu lui rendre visite, Marla se laisse embrasser la main en croyant qu’il s’agit de Gary et, ainsi dupée, commence à se sentir mieux. Carey, un peu victime des événements, joue le jeu et on sent qu’il n’est pas insensible au charme de Marla. Quand il sort de la chambre, il trouve Francine en train de gifler l’infirmière. La française vient de comprendre la méprise. Elle est furieuse, d’autant plus qu’elle a peur que Marla, pensant parler à Gary, ait révélé à Carey qu’elle est Black Fury. Heureusement, il n’en est rien. Sa convalescence passée, Marla prendra la route de Rio pour essayer de retrouver Gary. Francine, qui a retrouvé par hasard la vraie peau de léopard lors d’une visite chez le détective Carey, a glissé le costume de Black Fury dans les affaires de Marla sans lui en parler, au cas où… En fait les aventures de Miss Fury/Black Fury sont interminables et vont de rebondissement en rebondissement sans forcément correspondre à un format « en épisodes ». On est plus proche du rythme d’un gros roman graphique. Et ce rythme ne sera pas sans poser de problème quand Miss Fury sera adaptée en comic-book…

A l’époque Miss America, Namora ou Blonde Phantom étaient bien loin de posséder leur propre série. La plupart d’entre elles n’auraient une revue à leur nom que vers la fin des années 40 et quand bien même ces titres ne dureraient que deux ou trois numéros. Le strip de Miss Fury, lui, fut publié entre 1941 et 1952 tandis que sa version « Marvel » dura huit numéros (parus entre 1942 et 1946). Ce qui, comme mentionné plus tôt, fait de Miss Fury la première à avoir sa propre série chez Marvel. Et, même si la longévité de cette femme-chat n’a rien à voir avec celle de Wonder Woman, il n’en reste pas moins que sa durée de vie fut considérable comparée au tout-venant des héroïnes du Golden Age et à celle des aventurières masquées de Timely. Le format atypique de la série (et le fait que Tarpe Mills s’intéressait autant à la vie privée de Marla Drake ou aux frasques « bondages » de Bruno et d’Erica) fait qu’il y a parfois de véritables couloirs d’une soixantaines de pages entre deux fois où on voit la peau du léopard. A plus forte raison parce que dans l’histoire Marla Drake elle-même deviendra de plus anxieuse de la porter, convaincue qu’elle porte malchance.

Dans un passage plus tardif, elle médite et nous donne d’ailleurs encore plus de détail sur la provenance de cette peau: « Je n’ai connu rien d’autre que le malheur depuis que mon oncle m’a laissé cette peau de léopard noir ! C’était une tenue cérémoniale de sorcier et c’était considéré comme un symbole de justice par cette tribu ! Ils pensaient qu’elle avait des pouvoirs étranges et pouvait accomplir des miracles… mais souvent avec un prix à payer ! ». Encore plus tard, Marla découvre que les nazis sont en Amérique du Sud. Elle comprend aussi que Francine a glissé la tenue du léopard dans ses affaires et redevient, un peu à son corps défendant, Miss Fury pour les arrêter. Et alors qu’elle enfile à nouveau le costume, elle pense : « Quand mon oncle m’a laissé ceci, il m’a dit que c’était une tenue cérémoniale de sorcier et qu’elle possédait d’étranges pouvoirs qui permettaient au porteur d’accomplir toute mission qu’il ou elle s’était fixé… ». Encore plus tard, Marla apprendra que la vraie nature de la peau de léopard est que pour toute bonne action ou acte de chance qu’elle génère, deux actes de malchances se produiront. Miss Fury arrivera finalement à repousser gangsters et nazis en utilisant l’Acrothorium pour dissoudre tout le métal de l’armée clandestine qui s’apprêtait à prendre le pouvoir. Plus de tank, plus de mitraillettes, plus de balles…

Et ceci nous amène à un autre rapprochement qu’un certain nombre d’entre vous (plus spécialement lecteurs des comics Marvel) n’aurons pas manqué de faire. Cette histoire de peau de léopard noir, venue d’Afrique où elle servait de « robe de cérémonie » semble étrangement compatible avec le folklore du Black Panther de Marvel, apparu à partir de Fantastic Four #52 (1966). Car si le prince T’Challa (Black Panther) n’a physiquement aucune ressemblance avec Marla Drake, il est le monarque d’une nation où, génération après génération, chaque nouveau héros national est le représentant du Dieu Panthère et porte à ce titre une tenue évoquant la Panthère Noire. Si l’aspect « générationnel » semble plutôt inspiré par le Phantom, Miss Fury portait une peau semblable près d’un quart de siècle avant ! De là à dire que Black Panther est directement inspiré par Miss Fury… Il est plus difficile de trancher. Car il est évident que statistiquement l’idée d’une peau venue de la jungle a plus de chance d’être celle d’un fauve que d’un babouin ou d’un éléphant. Regardez la plupart des seigneurs de la jungle et vous verrez qu’en général leur pagne est plutôt supposé être une peau de lion ou de tigre.

Bien sûr, même en se concentrant sur les fauves, cela laisse encore de la marge. A vingt-cinq ans de distance, Tarpe Mills et Jack Kirby ont tous les deux utilisé de la même manière l’imagerie de la panthère noire et on serait tenté de penser qu’un plus un égal deux. Mais quand même, il faut noter que dans les récits de jungle les panthères noires n’avaient rien de rare et qu’on en retrouve disséminés dans de nombreux comics. En particulier, il était assez courant que les comics consacrés à Sheena, la Reine de la Jungle, la montrent en train de combattre une panthère noire. La couverture de Jumbo Comics #103 (1947) la montre d’ailleurs en train d’affronter un solide guerrier africain vêtu d’une peau de panthère noire qui, lui aussi, est furieusement compatible avec les éléments utilisés par Miss Fury ou Black Panther (hélas la couverture de Jumbo Comics #103 ne correspond à aucune histoire à l’intérieur et nous ne serons jamais réellement fixé sur l’identité de Sheena). Tout ça pour dire que deux personnages qui utilisent, à plusieurs décennies d’écart, l’imagerie de la panthère noire pour évoquer l’Afrique mystérieuse ne sont pas forcément liés directement. Les rapprochements sont moins évidents que pour Catwoman ou Batgirl… Mais il reste encore un élément qui laisse pensif. Car Black Panther est non seulement un africain porteur (à la base) d’une peau de panthère noire rituelle. Il est aussi le gardien d’un minerai fictif, le Vibranium, qu’on ne trouve que dans deux endroits au monde : La Savage Land (la « Terre Sauvage » de Ka-Zar) et le Wakanda (le pays africain fictif de T’Challa). Deux formes de Vibranium sont connues : une absorbe le son pour le transformer en énergie. L’autre a pour effet de dissoudre tout métal, au point qu’on le surnomme tout simplement « l’Anti-Métal ». Et là on se rapproche singulièrement d’une description correspondant à l’Acrothorium inventé au cours des aventures de Miss Fury ! Un hasard qui vient s’ajouter à d’autres ou la trace d’une influence effective entre Miss Fury et Black Panther ? Il est vraiment difficile de trancher. Ce qui est certain, c’est que les deux personnages pourraient sans le moindre effort exister dans le même univers et s’inscrire dans une même chronologie. L’oncle de Marla Drake aurait tout aussi bien récupérer la peau de léopard noir au Wakanda…

Le fait est cependant que Miss Fury n’est pas légalement un personnage relevant de l’univers Marvel. Là-dessus, les fans du Golden Age ont d’ailleurs des opinions divergentes. Certains partent du principe que ses aventures publiées ne comptent pas puisqu’il s’agissait de réimpressions. D’autres tiennent cependant à la rattacher à Marvel même si, pendant les années quarante, il n’y eut pas vraiment de crossover (on verra une autre fois que les choses, forcément, sont un peu plus compliquées que ça). Ce que la plupart des chroniqueurs taisent cependant, par ignorance ou par volonté d’affirmer une relation exclusive avec Timely/Marvel, c’est que le personnage fut réimprimé par au moins un autre éditeur pendant le Golden Age. Après la fin de la série Miss Fury chez Timely, les reprints reprirent à partir de 1949 chez Avon Comics.

Cette fois Marla Drake n’avait pas son propre titre : les épisodes étaient publiés en « back-up » dans le comic book du Saint (Simon Templar). Les épisodes du Saint eux aussi étaient des réimpressions de strip de presse et l’arrivée de Miss Fury dans la revue était sans doute le fait d’un accord global avec un même agent. Mais ce retour fut bref. De toute manière il est certain que le support premier de Miss Fury restait le strip de presse, où elle toucha une large audience jusqu’en 1952. La période plus tardive de la série, après la seconde guerre mondiale, vit Miss Fury se découvrir d’autres ennemis que les nazis, comme le gangster Whiffy, un criminel travesti qui aimait se faire passer pour une femme (une nouvelle fois, avec l’imposteur Black Fury et le Cat Man de 1939 on retrouve ce thème cher à Tarpe Mills). Il serait aussi question d’êtres étranges capables de vivre plusieurs siècles grâce à un élixir de jouvence…

Mais en 1952, tout ça s’arrêta. Par la suite elle fut mentionné une ou deux fois dans des parodies du célèbre magazine MAD et son aura continua de briller. Bien sûr à travers l’apparence de Catwoman mais aussi par d’autres intermédiaires.

Par exemple au moment de réinventer l’apparence de la Black Widow dans Amazing Spider-Man #86 (1970), John Romita Senior ne fait pas mystère du fait qu’il s’est inspiré de la combinaison de Black Fury/Miss Fury (voir son interview dans Comic Box HS #3 « Légendes des Comics » où il l’explique lui-même). En 1972, Marvel lança une nouvelle nommée The Cat (Greer Nelson, qui deviendrait plus tard Tigra) dont le costume évoque, bien sûr, considérablement celui de Catwoman. Mais une certaine forme de filiation avec Miss Fury est également notable.

Quid, donc, des relations réelles de Miss Fury avec l’univers Marvel ? Tarpe Mills est morte en 1988 sans, apparemment, laisser d’ayant droit. En tout cas depuis les comics se sont comportés (un peu abusivement à mon avis) comme si le personnage était tombé dans le domaine public. Ce qui a permis à différents éditeurs de réimprimer les épisodes d’origines. Plus novateur, Malibu a publié au début des années 90 une mini série sur une nouvelle Miss Fury, Marlène Drake, qui était supposée être la petite-fille de l’original. Exposée à des produits chimiques, Marlène possédait une endurance et une force surhumaine. Elle combattait sa tante (qui se trouvait par ailleurs être la fille d’Erica Von Kampf) qui voulait salir la réputation familiale en utilisant un costume similaire pour commettre des crimes sous le nom de Black Fury. Malibu ayant depuis été racheté par Marvel, on aurait pu s’attendre à voir Marlène Drake ou un personnage similaire refaire surface chez l’éditeur de Spider-Man mais globalement la société a fait peu usage des anciens héros de Malibu (les contrats, trop favorables aux auteurs, rendent l’éditeur peu enclin à utiliser les personnages. Et dans le cas de Miss Fury, il existe de plus ce flou au niveau des ayant droits de Tarpe Mills). Pas d’absorption via Malibu, donc…

Mais quelques petites touches sont venues réinjecter Miss Fury dans la chronologie Marvel. Dans Agents of Atlas vol.1 #3 (2006), on a droit à un épisode qui montre comment l’agent Jimmy Woo a composé le casting des « Agents of Atlas » dans les années 50. On le voit en train d’examiner différents dossiers de membres possibles et, parmi eux, on aperçoit un document portant le nom de Miss Fury. En 2008, l’héroïne a fait l’objet de deux mentions plus appuyées. Dans la scène d’ouverture de The Twelve #1, elle apparaît parmi les héros américains impliqués dans la chute de Berlin, en 1945. C’est la première fois que Marla Drake apparaît dans la même case que des super-héros Marvel et, en un sens, l’officialisation de son rapport avec l’univers Marvel (après tout, dans la scène d’Agents of Atlas il pourrait s’agir d’un homonyme ou d’une remplaçante). Mais Marvel n’y a été qu’à petit pas, pas vraiment à l’aise avec l’origine « extérieure » du personnage. Pour preuve une autre mention de Miss Fury en 2008 : Dans un premier preview du sketchbook d’Alex Ross en prévision d’Avengers/Invaders, on voyait un groupe de personnages du Golden Age, parmi lesquels Miss Fury. En fait l’image décrivait les Avengers, obligés de se faire passer pour des héros des années 40 lors d’un voyage dans le temps. Si on en croit ce crayonné, Spider-Woman était supposée se faire passer pour Miss Fury. Mais entre-temps l’identité de l’héroïne fut changée et dans la version finale Spider-Woman se fit passer pour une autre super-héroine de Timely, le Silver Scorpion. Alex Ross, par ailleurs, n’a pas fait usage de Miss Fury dans son Project Superpowers qui réunit cependant de nombreux héros du Golden Age. Il semble que Marvel soit prêt à faire des mentions occasionnelles du personnage mais n’ose pas faire d’utilisation « frontale » de Miss Fury…

Sans Miss Fury, nous n’aurions pas connu (ou en tout cas pas dans l’état) la version classique de Catwoman, l’origine de Batgirl, peut-être également celle de Black Panther. John Romita n’aurait pas redesigné le costume de Black Widow. Il n’est pas certain que Marvel aurait donné la même allure à The Cat, dont une autre version est active de nos jours sous le nom d’Hellcat. Cela vaut bien, à défaut de l’utiliser pleinement, de lui faire de temps à autres quelques clins d’œil de reconnaissance… Miss Fury reste autrement de nos jours un monument méconnu. Sans doute parce que cela fait bien l’affaire de DC Comics d’imposer Catwoman comme « femme-chat » incontournable tandis que Marvel n’ose pas vraiment se lancer sur le sujet. De ce fait il est assez courant que des lecteurs pensent que Miss Fury n’est qu’une pâle copie de Catwoman. Rien ne saurait être plus faux…

[Xavier Fournier]

A noter aussi qu’une nouvelle réédition des aventures de Miss Fury (centrée sur la période 1944-1949) sort en juillet prochain (2011) chez IDW.

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