Oldies But Goodies: Mister Miracle #6 (Jan. 1972)

[FRENCH] Série liée au « Fourth World » et donc aux New Gods et aux Forever People, le Mister Miracle de Jack Kirby racontait les exploits d’un maître de l’évasion qui avait ceci de paradoxal. On voyait souvent ce super-Houdini s’entraîner, inventer des attractions… Mais Kirby ne le montrait jamais se produire en public. C’est qu’il lui manquait un imprésario. Et justement le « King » avait sa petite idée…

Ce n’est pas par une vision du dénommé Mister Miracle que commence cet épisode. Au contraire on observe deux personnages parfaitement inconnus auparavant (en tout cas sous cette forme). Dans une demeure ancienne et mal entretenue (si on regarde bien derrière on voit que les lustres sont de travers et couverts de toiles d’araignées) le duo a un air pathétique, caricatural, qui sent la misère. Ou tout au moins évoque une gloire fanée. Celui qui passe pour le domestique (un peu avec la même attitude obséquieuse que le futur Smithers du dessin animé les Simpson) explique alors à son patron que le Colonel Mockingbird a très certainement choisi une étrange manière de lui faire livrer sa pension hebdomadaire. Regardant sa montre, le visage sombre, l’autre, qui porte un peignoir, s’impatiente : « Au moins je n’ai pas à travailler pour l’avoir, idiot ! Mais j’aimerais mieux mettre la main sur tout l’argent qu’il a caché dans cette demeure avant de mourir ! ».

En fait, chaque semaine un peu d’argent est transféré via la bouche d’un buste. En écoutant un son caractéristique, l’homme en peignoir sait que l’argent est là. Il lui suffit d’ouvrir la mâchoire de la statue pour prendre une liasse de billet. On comprendra que le Colonel Mockingbird (« Oiseau Moqueur ») a arrangé les choses avant sa mort pour mettre en place une sorte de distributeur automatique. Pour ce qui est des raisons de ce choix, c’est une autre chose. L’important, pour l’instant, c’est que la somme remise va en diminuant, semaine après semaine. L’homme au peignoir, prénommé Funky, est frustré en le constatant une fois de plus. Il explique à son majordome, Houseroy, qu’à cette allure là il sera bientôt privé de fonds (et qu’ils seront arrivés au bout de l’héritage). Mais Houseroy, très admiratif de son patron, ne peut y croire : « Pas vous, maître ! Pas avec vos incroyables ressources ! ».

Le patron se reprend et part dans une tirade : « Par la puissance, la gloire et tout le pathos qu’est Funky Flashman, c’est vrai Houseroy ! C’est quand les gens modestes comme toi m’admirent que mon esprit s’élève ! ». Visiblement Houseroy n’a pas dans l’idée d’être un serviteur toute sa vie. Au contraire il espère profiter un jour de la réussite à venir de son employeur : « Quand vous irez vers de plus grandes choses, comme vous le méritez, et que vous m’aurez transmis cet endroit, je perpétuerais la chose, avec les critères qui vous sont chez ! ». Et le domestique se met à gratter le dos de Funky Flashman tandis que celui-ci de gratter un peu sur la droite. Non sans lui ordonner de ne pas vendre le mobilier avant qu’il soit parti. Signe que Flashman lui-même n’est pas très optimiste sur l’avenir de la demeure et espère bien en partir, échapper à la misère avant qu’il soit trop tard.

En ouvrant le journal, Houseroy explique qu’il vient de remarquer le nouveau client potentiel de Funky vient de donner un spectacle au profit des orphelins. Houseroy s’interroge : « J’espère qu’il ne vous décevra pas comme les autres ! ». Ce qui implique déjà que Flashman ne serait pas du genre à aider des gens dans le besoin. Pas impressionné, Funky rétorque dit qu’il s’en moque, qu’il va voir s’il peut l’utiliser et que si ca marche il compte bien en profiter. Le domestique est inquiet : quand même. Ce client pratique des tours risqués, tout ça pourrait se finir mal ! Mais Flashman n’en a rien à faire. Quand bien même l’homme dont ils parlent venait à se blesser ou à mourir, il suffirait de trouver un autre pigeon.

Mais pendant qu’il parle à Houseroy, Funky Flashman entame un étrange cérémonial. Cet homme chauve et imberbe s’installe et commence à mettre des postiches. D’abord une perruque puis une fausse barbe et des moustaches. Et c’est là que la parabole apparait avec toute sa force. Car Funky Flashman, avec sa barbe et ses cheveux… est le portrait craché de Stan Lee (en tout cas l’allure qu’il avait à l’époque, bien connue de tous les lecteurs de l’ancien Strange Bis Spécial Origines où on trouvait ce même visage sur la plupart des couvertures).

Funky Flashman est une parodie de Stan Lee, l’ancien partenaire de Jack Kirby du temps où celui-ci travaillait pour Marvel. Et Houseroy est une caricature de Roy Thomas qui, au début des années 70, est le bras droit de Stan Lee. Par extension on comprendra que le Colonel Mockingbird est Martin Goodman, le fondateur de Marvel Comics et que cette demeure en ruine est… la société Marvel elle-même (certains ont poussé le vice jusqu’à penser que la toile d’araignée est une allusion à Spider-Man mais ça me parait trop « subtile » dans un épisode ou, par ailleurs, Jack Kirby ne se gène pas pour dire ce qu’il a à dire). Houseroy dit alors à son employeur que son public l’adorera… tant qu’il ne fera pas trop de lapsus ! Car par moment, quand on devine le vrai Funky, ce n’est pas la même chose. Furieux, Flashman remet son serviteur en place. Ce n’est pas à lui de lui donner des conseils.

Vient alors le moment de nous présenter le « pigeon » dont il est question. Et – sans surprise vu le titre de la série – on découvre bien vite qu’il s’agit de Mister Miracle lui-même. De son vrai nom Scott Free, il est le fils de Highfather, le leader de New Genesis. Scott Free est donc l’un des New Gods mais, détenue pendant des années sur Apokolips (la planète dirigée Darkseid, ennemi de New Genesis et de tout ce qui vit), il s’est réfugié sur Terre. Là il a été recueilli par Thaddeus Brown, un maître de l’évasion qui se produisait sous le nom de Mister Miracle. Brown a rapidement trouvé la mort, assassiné par la pègre. Scott Free a donc adopté l’identité de Mister Miracle, vengé puis remplacé Brown, devenant à son tour un artiste de l’évasion en s’aidant de la technologie typique des Nouveaux Dieux (par exemple une boite-mère, accessoire versatile – l’équivalent d’un « tournevis sonique » – par ailleurs observé dans les séries-sœurs New Gods et Forever People). Pour la petite histoire l’idée d’un as de l’évasion aurait été inspirée par Kirby par sa rencontre avec Jim Steranko, lequel s’était produit dans ce genre de spectacles dans sa jeunesse. Mais pour êtes exhaustif il convient aussi de préciser que des années avant de croiser Steranko Kirby avait, avec l’aide de Joe Simon, lancé un éphémère héros cascadeur nommé Stuntman qui avait quelques points communs avec Mister Miracle. Comme dit plus tôt – et même si l’article lu par Houseroy implique que le héros se produit entre deux numéros – les épisodes de la série ne montraient jamais Scott Free en condition de spectacle mais le plus souvent en plein entrainement, avec l’aide de son ami, le nain Oberon.

Cette fois-ci Mister Miracle est enchaîné sur un fauteuil pourvu de réacteurs. La « chaise mobile » est un archétype qui n’est pas rare dans l’œuvre de Kirby. Bien sûr on pense tout de suite au fauteuil utilisé par Metron (personnage courant dans les pages des New Gods), ou encore à celle qui porte le difforme Modok (adversaire de Captain America). Mais Kirby en utilisait un siège à réacteur similaire dès Alarming Tales #1, en 1957. Ici, l’idée est que Mister Miracle doit se libérer de chaînes avant que les réacteurs le fassent s’écraser en bas d’une falaise. Oberon active le piège et tout semble tourner mal. La chaise fonce tout droit, dépasse la falaise et explose dans le ciel.

Oberon se précipite pour… ne trouver aucune trace de Mister Miracle. Désespéré il pense alors que le corps a été réduit en miettes. Oberon est convaincu qu’il est mort… si ce n’est que derrière lui Mister Miracle descend doucement, porté par un petit parachute. Non seulement il a échappé aux chaines mais aussi à l’explosion. Le propre d’Oberon étant – malgré tout ce qui est déjà arrivé dans les épisodes précédents – de souligner que son ami et partenaire exécute des choses tellement impossibles que même lui n’y croit pas. Mister Miracle s’excuse de l’avoir trompé en lui cachant le déroulement du show. Mais il voulait voir sa réaction. Et si même Oberon si laisse prendre, alors il ne doute pas que le public aussi appréciera. A ces mots, Oberon comprend que Scott veut monter une tournée. Le « nouveau dieu » le lui confirme. Il y a un intérêt tactique à se produire de façon mobile. Une tournée signifie qu’ils deviendront mobiles (et par extension une cible moins facile pour les forces d’Apokolips qui le poursuivent).

Mais Mister Miracle n’a pas que des ennemis. Depuis deux numéros il a été rejoint par Big Barda, une plantureuse guerrière (une sorte de Lady Sif avec plus de courbes). Si Oberon est le garant de la réalité dans la série, Big Barda représente l’autre extrême : les mondes de New Genesis et d’Apokolips et leur incapacité à comprendre l’existence terrestre (Mister Miracle incarnant un juste milieu). Big Barda n’a pas assisté à la séance d’entraînement. Elle est restée à la maison et reçoit un visiteur inattendu… Funky Flashman ! Devant lui elle s’étonne des armes terrestres, primitives sur Apokolips mais efficaces ici, tout en lorgnant sur un revolver qu’elle a trouvé dieu sait où et qu’elle brandit devant un Funky seulement à moitié rassuré. Avec toute sa gouaille et sa façon de répondre à côté, Flashman s’exclame : « Fais l’amour, pas la guerre; poulette ! Tu as plus de munitions qu’on peut en mettre dans ce revolver ! » (allusion au « coffre » de la belle brune).

Barda, constatant que l’homme est un goujat, lui dit que s’il est venu voir Scott Free il ferait mieux de concentrer ses pensées sur lui. Funky Flashman croit cependant que c’est du bluff : « Oh c’est bon ça, poulette ! C’est du bon dialogue façon « libération de la femme » tout en jouant à Bonnie Parker ! Un bon sketch ! Mais je ne peux pas t’employer ! Peut-être pourras-tu passer une audition pour moi plus tard, quand tu auras… plus de classe ! ». Autant dire que les étincelles fusent entre Barda et Funky. Au point que d’un seul coup elle en vient à se demander si un être si malfaisant ne débarquerait pas d’Apokolyps pour les manipuler. Dans sa rage, elle réduit en miettes le revolver qu’elle tenait dans la main… Avant de s’apercevoir à l’air terrifié de Funky qu’il ne peut qu’être humain. L’autre, venant de s’apercevoir de la force herculéenne de la femme, se rue pour lui serrer la main. A défaut de s’excuser, il tente de faire croire à de l’humour « Gulp ! Est-ce que tu as cru une minute que ton pote Funky te manquerait de respect ? ». Barda n’est pas dupe et réalise que c’est le fracas du pistolet qui l’a fait changé d’attitude. Faisant mine de lui rendre sa poignée, elle lui écrase dans la main. Lassée de Flashman, Barda décide alors de s’éclipser pour prendre un bain.

Un moment plus tard, Scott Free (en civil) et Oberon rentrent à la maison. Flashman reprend alors son attitude volubile, distribuant les compliments tout en se montrant condescendant. Par exemple quand il aperçoit Oberon, il le traite de « créature elfique », ce qui n’est pas franchement la meilleure manière de s’attirer la sympathie d’un nain. Surtout quand, sans les autres personnages le voient, Funky fait mine se donner un coup de pied dans le dos d’Oberon comme s’il s’agissait d’un ballon.

Heureusement pour Flashman, Scott Free ne fait pas attention à ça et se concentre seulement sur la discussion qu’ils doivent avoir. C’est que s’ils doivent lancer une tournée, Scott sait qu’il aura besoin d’un agent. Jack Kirby prend alors un plaisir certain à singer le phrasé des éditoriaux de Stan Lee. Funky Flashman s’exprime comme le grand ponte de Marvel. Lee/Flashman est montré comme un baratineur. Si bien que Scott fini par lâcher « Vous avez la manière de tourner les mots ! ». Funky Flashman se prétend pris d’une furieuse envie de travailler, de ressentir cet appel jusque dans son sang ! Travailler et être productif ! ». Au point que lorsqu’Oberon revient avec le café, Flashman lui donne l’ordre de se taire.

Pendant ce temps Barda prend un bain. Mais les circuits spéciaux de sa ceinture, laissée non loin de là, commencent à émettre les mêmes bruits qu’une boite-mère. Barda comprend que la machine a détecté l’approche d’un « rayon porteur » en provenance d’Apokolips. On est de nouveau sur le point de les attaquer. Et quand la machine se tait, Barda réalise que c’est parce que la menace vient d’arriver ici. Il y a un danger bien plus grand que le baratin de Flashman. Elle s’habille sans perdre de temps et se lance à la recherche de possibles attaquants. Mais dans un premier temps elle ne trouve rien et ses pensées reviennent vers Scott, toujours à fuir et réduit à embaucher un requin tel que Flashman. Ces pensées l’occupent assez pour qu’elle soit surprise par l’arrivée d’une femme hideuse à la peau jaune. Une femme que Barda connait bien : elle se nomme Mad Harriet. Cette dernière explique que toute son unité a été envoyée pour les tuer, Scott Free et elle. Barda n’en a pas fini d’en découdre avec Mad Harriet qu’elle est attaquée par une autre femme, Stompa, spécialisée dans des coups de pieds ravageurs. Mais avant que Barda ait pu réagir, les deux femmes disparaissent. Attirés par le bruit, Scott et Oberon font irruption dans la pièce. Barda explique alors qu’ils sont sous attaque. Et pas n’importe laquelle. Barda connait bien ces femmes car… elles font partie de son ancienne unité de combat, composée de femmes entraînées pour tuer, chacune avec un talent spécial. Et en plus elles peuvent apparaître et disparaître à volonté.

Barda conseille à Scott de ne pas s’en faire. Elle vient d’en mettre deux en déroute et il n’en reste que deux autres. Mais Mister Miracle a pris un coup au moral. Ils doivent continuer de se mouvoir. D’ailleurs il vient de passer un marché avec Flashman pour gérer la tournée. Même Scott ne s’y laisse pas prendre. Il sait bien que Flashman est un escroc. Mais ca devra faire l’affaire. Barda pense que c’est une erreur. S’il faut fuir, Flashman sera leur talent d’Achille. Il aime trop faire du bruit pour être discret. Pourtant le choix est fait. Le lendemain Mister Miracle (en uniforme) et Oberon retrouvent Funky Flashman sur un plateau de répétition. Mister Miracle est attaché en face d’une scie circulaire qui se dirige vers lui. Funky Flashman n’en croit pas ses yeux : « Par les annonciateurs de l’holocauste ! Il va vers cette lame ! Attaché ! Ce fou est en train de commettre un suicide ! ». Bien sur Oberon lui aussi est inquiet. Pour les raisons énoncées plus tôt il est rarement au courant du déroulement des tours de Scott.

Bien sûr, Mister Miracle survit au tour (ce serait ballot d’arrêter la série ainsi) et Funky/Stan Lee en rajoute en superlatifs, lui demande même de refaire le tour. Le héros explique alors qu’il a des variations de cette attraction et s’installe dans un autre piège qui a, cette fois, l’apparence d’un grand bocal. Le truc c’est que le couvercle contient une bombe à concussion qui sera projetée dans « l’aquarium » et que Miracle doit absolument s’en sortir avant. Le test est lancé, le piège explose… et Funky ne voit plus que de la fumée. Bien sûr, Mister Miracle n’est pas plus blessé que la première fois et émerge triomphant de la fumée.

Flashman est convaincu que Scott a l’étoffe d’une superstar (ce qui semble quand même antinomique avec le but de Scott, qui est de fuir. S’il devenait si célèbre, il serait une cible de choix pour les forces d’Apokolips). Finalement Funky comprend qu’il y a quelque chose d’anormal dans la manière d’échapper aux pièges mortels. Pour répondre à ses questions, Mister Miracle lui montre sa boite-mère (un peu le téléphone portable des New Gods) en expliquant que, si elle aide, elle ne fait pas tout. Scott continue en expliquant qu’on ne construit pas une boite-mère, qu’il fait s’en montrer digne. Flashman, n’ayant visiblement aucune idée de ce qu’on lui raconte, répond par « Bien sûr ! Bien sûr ! Tout le monde sait ça ! ».

C’est le moment que choisi une autre guerrière d’Apokolips, Lashina, pour essayer d’attaquer. Lashina, c’est une femme qui ressemble à Sif ou Barda, qui pourrait passer pour leur sœur, mais qui se distingue par un costume bardé de lanière. C’est un personnage carrément orienté bondage et cuir, une dominatrice à côté de qui Catwoman fait figure de jeune ingénue. Sortir une Lashina en 1972, alors que le Comics Code était encore en vigueur, n’est pas une mince affaire.

Lashina fait d’abord tomber un projecteur pour attirer Mister Miracle. Tapie dans un coin, elle attend pour l’attaquer avec une de ses lanières… Mais elle est surprise par derrière par… Barda ! Un combat s’engage et, au bout de quelques cases, voyant qu’elle n’arrive pas à prendre le dessus, Lashina s’éclipse et disparait comme ses consœurs précédentes. Mister Miracle se désespère que Big Barda ait du risquer sa vie pour lui : « Ca doit s’arrêter ! Je ne tolérerais pas que d’autres soient blessés à ma place ! Il est temps que je cesse de fuir ! Que je me défende là où je suis ! ». Mais Barda le prévient. Lashina n’est ni la dernière ni la pire du groupe. Il reste encore Burnadeth, la sœur de Desaad ! ». Mais Oberon s’interroge. Ces femmes semblent savoir à tout moment où ils se trouvent ! Comment font-elles ? Big Barda explique alors qu’elles ont calibré leur équipement pour capter les signaux des boites-mères, comme celle que Scott possède.

Sauf que… ce n’est plus Mister Miracle qui l’a. Il était si occupé à se débarrasser de Funky Flashman que l’agent… n’a pas eu le temps de lui rendre. Doutant visiblement que ce soit un « oubli » de la part de Flashman, Oberon ricane. Pendant ce temps, l’héritier du domaine Mockingbird est retourné à sa villa, se demandant quel est le potentiel de la boite-mère. Il demande alors à Houseroy ce que cet objet peut-être d’autre qu’une sorte de boite à sardine musicale. Pas spécialement troublé, Houseroy installe alors un magnétophone, expliquant qu’il est l’heure que le maître écoute à nouveau sa propre voix. Excité par la perspective, Funky jette la boite-mère dans un coin et s’en désintéresse.

C’est à ce moment que, guidées par les signaux de l’objet, les quatre guerrières d’Apokolips (Mad Harriet, Stompa, Lashina et Burnadeth) se matérialisent dans la pièce. Funky, leur tournant le dos, est tellement occupé à écouter sa voix qu’il ne remarque pas leur arrivée. C’est un Houseroy terrifié qui l’alerte.

Les quatre femmes sont plutôt furieuses (d’ailleurs ce sont des « Female Furies« , d’où le nom de leur unité). Elles déduisent que si la boite-mère se trouve en sa possession, Funky est forcément un ami de Scott Free et décident de le tuer, lui aussi. Et quand Burnadeth lance vers lui une sorte de fléchette mortelle, Flashman comprend que sa vie est en danger. Sans se démonter, il attrape Houseroy et le lance devant lui, comme une sorte de bouclier humain : « Ne t’inquiète pas noble guerrier ! Je sais que ta valeur fera pencher la balance en attendant que l’aide locale arrive ! ».

Flashman est un couard et est prêt à sacrifier le seul personnage qui lui soit réellement fidèle. Il profite de l’instant gagné pour sauter à travers la fenêtre et s’enfuir avant que la demeure soit détruite par une explosion. A sa manière, Funky Flashman est lui aussi un maître de l’évasion. Mais il regarde, désespéré, la villa qui flambe. Il qualifie même l’ensemble des flammes et de la fumée noire comme une « merveille de contraste ! ». Ce qui en anglais donne… « MARVEL of contrast ! ». Alors que sa perruque et sa barde sont tombées, Funky décide de prendre le large. Il aime bien Scott Free mais il déteste vraiment trop ses « amis ». Flashman se promet alors de réussir de nouvelles conquêtes…

Pendant ce temps Mister Miracle, Barda et Oberon sont de l’autre côté de la maison. Ils ont retrouvé Houseroy (dont on ne comprend pas très bien à l’image s’il est mort ou inconscient mais les héros parlent de l’avoir sauvé). Barda explique qu’ils sont arrivés à temps pour voir Flashman lancer son serviteur vers ces tueuses. Mister Miracle répond que Flashman en aurait sans doute fait de même avec lui s’il en avait eu l’occasion mais que ce n’est pas l’important.

Le principal c’est leur combat contre Apokolips. Scott se demande si, au lieu de fuir, ils ne devraient pas retourner le combat contre leur ennemi. Barda rétorque alors : « Je suis un soldat, Scott, je suis entrainée pour mourir. Mais toi tu es beau à l’intérieur !!! Ils ne t’ont jamais eut ! Et là ils te feraient des choses ! ». L’épisode s’achève cependant sur la résolution de Mister Miracle de combattre pour vivre…

Maintenant il convient de faire un point sur le contexte général de cet épisode et surtout l’angle exact qui défini l’utilisation de Funky Flashman, d’Houseroy et du Colonel Mockingbird. En 1972, parti depuis deux ans de Marvel, Kirby ne décolérait pas au sujet de son ancien employeur, c’est vrai. Mais au delà de certains traits explicites (la manière de Stan Lee/Funky d’exploiter et sacrifier les autres), Kirby ne faisait pas simplement le portrait de Marvel tel qu’il l’avait vécu. Si on y regarde bien, il ne montre un Stan Lee/Funky en train de s’en mettre plein les poches, un éditeur richissime à qui « profiterait le crime » .

Au contraire c’est un constat de ruine, un portrait de ce qu’il pensait du Marvel de l’époque. En 1972, le vrai « Colonel Mockingbird » n’était pas mort. Martin Goodman est décédé une vingtaine d’années plus tard. Mais il venait de vendre et de quitter Marvel après s’être rendu compte que les nouveaux propriétaires avaient débarqué son propre fils (furieux, les Goodman fonderaient plus tar l’éphémère Atlas Comics). Goodman n’était pas mort mais il était absent, s’était retiré, laissant derrière lui Stan Lee (plus exactement Lee n’avait pas suivi Goodman, préférant jouer la sécurité que la fidélité). Lee, à plusieurs reprises, avait été sauvé par ses liens familiaux avec Goodman.

Vu de l’extérieur, le fondateur de l’entreprise étant partie et la maison étant livrée à des propriétaires moins impliqués, Kirby avait des raisons de penser que le navire Marvel voguait vers sa perte. D’ailleurs cet épisode prophétique puisque, dans la scène d’ouverture, Kirby explique que lorsque Stan Lee se retirera Houseroy/Roy Thomas est prêt à tout pour prendre sa place. Fin 1972, Stan Lee se retira de l’éditorial (prenant de la hauteur dans l’organigramme) et Roy Thomas devint son successeur au poste d’éditeur-en-chef. Ce que Jack Kirby pose dans cet épisode est sans doute le reflet des rumeurs qui circulaient déjà dans le métier dès la fin 1971.

Caricaturer ainsi Stan Lee était particulièrement osé pour l’époque. Si Lee lui-même n’avait jamais de problème pour se glisser parmi les personnages secondaires d’une histoire, il faut bien comprendre qu’on  parle là d’un comic-book édité par DC, le concurrent direct. Marvel aurait pu montrer les dents. Il semble que ce ne soit pas le cas. D’ailleurs dans le courrier de numéro suivant, répondant à des lecteurs hilares qui ont compris l’allusion, Kirby semble promettre que Funky Flashman pourrait revenir dans des épisodes suivants. Hélas la série Mister Miracle sera suspendue au #18, avant que Kirby puisse mettre son projet à exécution. L’ironie est qu’après le départ de Kirby (retournant, comble de l’ironie, chez Marvel), d’autres auteurs continuèrent d’utiliser Funky Flashman (en particulier dans la série Secret Society of Super-Villains, qui réutilisa divers éléments liés au Fourth World de Kirby), qui prit une vie propre et devint une sorte de symbole d’un capitalisme couard. Plus largement, une bonne partie des histoires du Fourth World tournent autour du concept de manipulation, de corruption et de privation du libre arbitre. Un certain nombre de personnages néfastes sont capables de tromper les héros valeureux par des effets de voix (c’est le cas, par exemple, pour Glorious Godfrey dans Forever People #3 ou Mystivac dans Mister Miracle #12). A sa manière, Funky Flashman n’est qu’un « beau parleur » de plus.

Si le cas de Funky Flashman est bien connu des fans de Kirby, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Funky Flashman peut apparaître comme une caricature méchante (quelque chose d’assez atypique dans l’œuvre de Kirby, plutôt positif en général) mais c’est avant tout un bouffon inséré pour donner un sentiment de comédie (Kirby en ferait de même par ailleurs avec l’utilisation du comique Don Rickles dans les pages de Jimmy Olsen, un peu comme si un dessinateur français avait glissé Michel Leeb ou Vincent Lagaf dans une histoire). Peu de gens réalisent qu’il y a probablement un autre avatar, moins comique, de Stan Lee dans les séries liées au Fourth World. Depuis Superman’s Pal, Jimmy Olsen #133 (Octobre 1970) Kirby utilisait en effet un personnage nommé Morgan Edge qui était à la tête d’un empire multimédia (Galaxy Broadcasting System) et qui était en fait une façade légale pour Intergang et Darkseid. Si on regarde bien, Morgan Edge ressemble à Stan Lee avant qu’il porte la barbe et la moustache. Qui plus est Edge avait pour secrétaire une certaine Miss Conway (outre Roy Thomas, un autre des assistants que Stan Lee avait à l’époque était le scénariste Gerry Conway). Il y a donc probablement un peu de Marvel dans la représentation de Galaxy Broadcasting System. Après quelques mois, cependant, il apparut que le méchant Morgan Edge était un clone maléfique de l’authentique…

Il ne semble pas que Stan Lee ou Roy Thomas en aient particulièrement voulu à Jack Kirby pour ce pied-de-nez. Et inversement il serait sans doute trompeur de voir dans ce numéro une véritable rage contre Lee, puisque les deux hommes se rencontrèrent par la suite sans que ca tourne au pugilat. Au moins nominativement ils coproduiront en 1978 un album Silver Surfer (je précise au moins nominativement car on y sent beaucoup plus le style de Kirby que celui de Lee, les deux hommes n’écrivant pas le Surfer de la même manière). Par contre le fait d’avoir quitté Marvel et de se permettre de se moquer de Stan Lee et de Roy Thomas (et dans une mesure moindre de Gerry Conway) fut moins apprécié par certains lecteurs et auteurs secondaires de Marvel, ce qui explique sans doute qu’à son retour chez Marvel, Kirby ne fut pas forcément accueilli à bras ouverts par certains. Pour eux, il avait un peu « craché dans la soupe ». On pourrait leur objecter que dans les années 60 Jack Kirby, le co-créateur des Fantastic Four, des Avengers ou des X-Men, avait largement contribué à inventer la recette de la soupe en question mais c’est un autre débat. Pour ce qui nous intéresse ici, le fait est que Jack Kirby, sur le moyen terme, a sans doute été mis à l’amende par certains pour l’invention de Funky Flashman et certaines autres piques.

Beaucoup de proches de Kirby ont fait le rapprochement entre Big Barda et Rosalind Kirby, l’épouse du King. Non pas que « Roz » Kirby était une walkyrie dépassant son mari d’une ou deux têtes. Mais les deux femmes ont un caractère bien forgé et il semble que, bien souvent, ce soit Roz qui ait protégé Jack, où tout au moins l’ai ramené dans une certaine forme de réalisme. Le King, idéaliste, était trop « gentil » pour évoluer dans l’industrie des comics sans se faire avoir, au besoin à plusieurs reprises. Sur son blog l’ex-éditeur-en-chef de Marvel Jim Shooter raconte d’ailleurs une anecdote qui va dans ce sens. En 1986, pour fêter les 25 du Marvel Universe moderne, Shooter avait pris soin d’inviter le couple Kirby, malgré le fait que le King ne travaillait plus pour la société et que diverses sources de désaccord avaient déjà été confiées à des avocats. Stan Lee et Jack Kirby s’y rencontrèrent de manière fortuite. Lee proposa alors de remettre de nouveau le couvert et de collaborer ensemble sur une nouvelle histoire. Tel que Shooter le raconte, Jack Kirby avait commencé de dire que lui aussi aimerait ça… avant d’être interrompu par sa femme qui lui intima l’ordre de se taire et l’entraina. On ne peut qu’être mitigé devant cette perspective. Elle semble indiquer qu’il aurait suffit de quelques minutes de discussion de plus pour que Stan Lee et Jack Kirby s’associent une nouvelle fois pour un projet commun (pas forcément chez Marvel). En même temps, Kirby s’était quand même fait avoir déjà trois fois (peu après la création de Captain America, puis à son second départ de Marvel et enfin à la fin des 70’s) par la famille Goodman/Lee.

Est-ce vraiment un mal si, cette fois, Funky Flashman ne mit pas à nouveau le grappin sur Mister Miracle parce que, cette fois, Big Barda s’est interposée ? Nous n’en serons jamais certains…

[Xavier Fournier]
Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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