La raison est sans doute simple. En étudiant les personnages que lançait la Timely à l’époque, il paraît clair que Martin Goodman était plus que satisfait des résultats du premier Human Torch (un homme artificiel capable de s’enflammer) dans Marvel Mystery Comics et qu’il demandait aux studios de lui fournir un autre succès du même genre… Ou bien les studios, ayant remarqué que Goodman appréciait Human Torch, se contentaient de lui proposer des personnages du même ordre. De ce fait en l’espace de quelques semaines on notera que Timely publiera les aventures du Fiery Mask (le « Masque Enflammé ») mais aussi deux des résidents de Mystic dont nous venons de parler : Le Blue Blaze (possédé par une flamme bleue) et Dynamic Man (qui ne devait rien au feu mais était, à un autre niveau, un être artificiel semblable à Human Torch). Tous ces personnages ne se ressemblaient pas forcément les uns les autres mais on sent qu’on avait pris comme point de départ la Torche Humaine des origines et qu’on était parti dans des directions différentes. Sur le plan visuel Flexo (qu’on découvre dès la première page intérieure de Mystic Comics) n’avait absolument aucun air de ressemblance avec Human Torch. C’était un personnage entièrement rouge qui n’avait rien d’humain (dessiné de façon atypique avec un peu d’embonpoint)… mais qui était lui aussi un homoncule créé par la science.
Un soir les frères Williams reçoivent donc un appel leur indiquant qu’ils peuvent passer récupérer le radium vers 22 heures. Ils se présentent donc à la clinique, où un interne nommé Beezle leur remet un stock de radium équivalent à un demi-million de dollars. « Beezle » étant une variation du verbe « Bezzle » (« piller », « gâcher »), on comprendra que les auteurs font peu d’efforts pour nous cacher que le personnage est louche. Joel et Joshua signent une décharge et s’éloignent. Le premier explique alors à voix haute que le radium vaut cher et qu’il est rare. Ils travaillent justement pour essayer de créer quelque chose de plus pratique qui le remplacerait… Mais cette vision humaniste est vite interrompue par l’arrivée d’une jeune femme brune, vêtue de rouge, qui leur demande de l’aide. Elle leur explique que son père est devenu fou, qu’il a un couteau et qu’il s’apprête à tuer la mère de l’inconnue. N’écoutant que leur courage, les deux frères Williams se précipitent derrière la femme en rouge pour essayer d’empêcher ce meurtre…
Sauf que lorsqu’ils arrivent dans l’appartement, un homme les attend avec un revolver. C’est Beezle ! Il s’agissait d’un piège. Sous la menace Joel et Joshua sont forcés de livrer le radium à l’inconnu et à sa complice. Rapidement les frères Williams sont attachés. Joel proteste : « Mais vous ne pourrez pas le vendre ! Ca n’a aucune valeur pour vous ! ». Le malfrat explique qu’il ne va pas le vendre mais le remette à son chef, un professeur qui en a besoin pour terminer une machine qui émet un « rayon de la mort ». Et c’est grâce à cette arme qu’il deviendra riche. Beezle explique qu’il est couvert puisqu’il a une décharge prouvant que ce sont les Williams qui ont prit le radium. Personne ne le soupçonnera. On pourra se demander pourquoi la bande se contente d’attacher les deux savants plutôt que de les éliminer mais l’interne explique « Je reviendrais vous voir plus tard ! Le Professeur aime se débarrasser de ses victimes d’une manière étrange et scientifique ! Ne vous sentez pas trop seuls ! ». Beezle et la femme s’éclipsent alors pour remettre le radium à leur chef. En fait les Williams n’attendaient que çà : être laissés à eux-mêmes dans la pièce. Comme ils sont attachés dos à dos, Josh plonge la main dans la poche de Joel jusqu’à ce qu’il en sorte la télécommande (qui ressemble à une sorte de mélange entre un interrupteur électrique et un joystick). C’est la première fois qu’ils vont tenter de diriger Flexo depuis une si grande distance. Mais ce n’est pas tout à fait comme s’ils avaient le choix.
Libérés, les deux frères sont satisfaits de leur création… Flexo est encore mieux que ce qu’ils pensaient ! Ce qui laisse à penser que ça ne fait pas longtemps que l’être artificiel a été mis en service. Mais ils sont vite interrompus puisqu’ils entendent Beezle entrer à nouveau dans la maison. Bien sûr Flexo lui saute dessus et le neutralise. Les frères Williams veulent alors le forcer à rendre le radium… Mais l’interne explique qu’il l’a déjà remis à son chef : « Je ne vais pas parler ! Vous allez vous faire avoir ! J’ai trois potes qui attendent à l’extérieur ! » Qu’à cela ne tienne, Joel décide de leur envoyer Flexo.
Sauf que bien sûr il reste à régler le sort du Professeur, leur chef. Joshua, Joel et Flexo foncent à leur laboratoire, récupèrent un détecteur de radium et embarquent à bord d’un petit avion pour survoler les environs. Ils ont tôt fait de repérer l’endroit où se trouve le radium et se présentent bientôt au repère du méchant de service… qui n’est pas sans défense. Deux robots irradiants de l’électricité montent la garde. Mais l’électricité peut-elle quelque chose contre Flexo, qui est recouvert par la force des choses d’une matière isolante ? Bien sûr que non. En quelques instants la création des Williams a tôt fait de réduire en pièces les robots du professeur. Une autre ligne de défense consiste à faire tomber une lourde grille pour barrer le passage. Mais là aussi Flexo fait la différence. Il n’a même pas besoin de soulever la grille. Il lui suffit de déformer son corps et s’introduire à l’intérieur en passent entre les barreaux.
Joel actionne à ce moment-là, via la télécommande, un gadget de Flexo qui libère une partie du gaz. Et que les mauvais esprits se rassurent, le gaz sort par la poitrine de l’humanoïde, pas par une autre partie de « l’anatomie » de Flexo. Le gaz secret peut visiblement être utilisé comme un lacrymogène ou un soporifique (ce n’est pas très clair). La bande étant hors d’état de nuire, Joel et Joshua n’ont plus qu’à aller récupérer le radium tandis que Flexo détruit le prototype du « rayon de la mort ». Cette aventure touche alors à sa fin et il ne reste plus qu’à prévenir la police. Joel et Josh n’étant pas des super-héros à proprement parler et n’ayant pas à protéger une identité secrète, on ne sait d’ailleurs pas trop pourquoi ils ne l’ont pas fait avant et pourquoi ils ont mené l’enquête sans aide. Ce n’est visiblement pas pour un souci de discrétion ou une volonté de cacher l’existence de Flexo puisque dans un autre épisode des enfants reconnaissent « le fameux robot » (dans l’épisode original ce terme de robot est évité cependant, sans doute parce Flexo a beau être artificiel, il n’est pas pour autant mécanique).
Dans Mystic Comics #2 on découvrira qu’il est capable de tournoyer sur lui-même et de créer ainsi à volonté un tourbillon (faisant de Flexo un lointain ancêtre du deuxième Red Tornado de DC Comics). Dans son ultime aventure (Mystic Comics #4), Flexo ira lutter contre les forces de Teutonia, un pays visiblement calqué sur l’Allemagne nazie. Puis les épisodes s’arrêteront au moment où Martin Goodman réorganise le fonctionnement de son entreprise avec des auteurs en interne, ne gardant que les rares personnages qui ont fait leur preuve et se débarrassant des autres (sans doute peu soucieux d’avoir à négocier avec ses packagers pour conserver des personnages peu populaires).
Flexo frappe par son côté muet. C’est le personnage qui fait tout dans l’histoire et en même temps les auteurs l’ont privé de toute capacité d’exprimer des émotions (ce qui contribue à lui donner un charme étrange). On ne peut pas soupçonner Will Harr d’avoir voulu éviter d’écrire des dialogues. Harr venait de créer un autre héros pour Marvel, le Laughing Mask (une sorte de Punisher de l’Age d’Or, qu’on a depuis revue dans la série The Twelve) et dès 1937 il avait écrit des scénarios de films pour les Three Stooges, un trio comique de l’époque. Ce n’est pas trois lignes de dialogues de plus qui allaient le faire reculer. Le non-comportement de Flexo doit sans doute quelque chose aux deux inspirations majeures du personnage. La plus manifeste c’est que Flexo the Rubber Man a un certain degré de ressemblance avec Bozo The Iron Man (déjà, rien que la formulation de noms) un robot dont nous avons déjà parlé dans cette chronique. Bozo The Iron Man était apparu dans Smash Comics #1 (août 1939), chez l’éditeur Quality. C’était un « homme de fer » et il n’avait rien de caoutchouteux mais il répondait aux ordres de Hugh Hazzard sans jamais marquer la moindre émotion. Que Will Harr se soit au moins en partie inspiré de Bozo pour créer le comportement (mais pas les pouvoirs) de Flexo est donc plus que probable.
Même s’ils ne sont pas faits de la même matière, Flexo et Bozo ont également un certain degré de ressemblance physique. Mais là, la raison est toute autre : ils ont tout simplement un ancêtre commun qui va nous éclairer sur la genèse du héros paru dans Mystic Comics #1. Flexo et Bozo descendent en effet tous les deux… de Bibendum, le Bonhomme Michelin ! (pour être honnête l’Homme de Fer Bozo est aussi sans doute considérablement inspiré d’Elektro, une attraction de foire présentée lors de l’Exposition Universelle qui se tenait aux USA à la même époque). Au demeurant la chose peut paraître improbable. Quel rapport la mascotte d’un producteur français de pneus pourrait-elle avoir avec deux pseudo-robots lancés en 1939 et 1940 aux USA ? Mais poser la question, c’est méconnaître la popularité internationale des pneus Michelin (et du personnage de Bibendum) dès le début du 20ème siècle. Bibendum a été créé en France en 1898 pour incarner la marque. A partir de là les affiches représentant ce personnage fait de pneus sont devenus très populaires et le « Bonhomme Michelin » est devenu une icone à part entière, avec tout un merchandising le représentant. Au point
Bon vivant, Bibendum va aussi serrer obstinément un cigare entre ses dents pendant un bon moment de sa vie (ce qui lui donne, vue sa silhouette, une ressemblance tout à fait accidentelle avec la Chose des Fantastic Four). Comme les pneus, Bibendum va donc s’exporter à travers le monde et, pour ce qui nous intéresse plus particulièrement, aux USA où il sera connu sous le nom du « Michelin Man ». Bozo The Iron Man a beau être composé de métal, sa corpulence générale et la composition de ses bras (comme s’ils étaient faits de petits pneus) laisse peu de place au doute. C’est là même chose pour Flexo The Rubber Man dès la première page où il apparait, son torse semblant fait de différents pneus rouges. On aura vite compris d’où est venue l’idée d’un « homme en caoutchouc » qui renferme un gaz… Flexo est essentiellement une chambre à air. Et donc lui-même un pneu ! Toute la question étant de savoir si Will Harr a inventé Flexo en regardant une affiche Michelin ou s’il a créé son histoire de manière autonome. Auquel cas c’est le dessinateur Jack Binder qui aurait réalisé que le personnage lui faisait penser au « Michelin Man » et qui aurait cultivé cette ressemblance. Au demeurant on serait quand même tenté de penser à un effort concerté. Dans la plupart des publicités le représentant, Bibendum est un être muet qui s’exprime surtout par le geste ou la situation dans laquelle il se trouve (les affiches de publicité n’étant pas spécialement l’endroit où on va lancer des dialogues). De ce fait Bozo et Flexo ont gardé le côté « peu causant » de leur prédécesseur.
[Xavier Fournier]
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