Oldies But Goodies: Mystic Comics #5 (Mars 1941)

[FRENCH] Entre les Invaders ou des séries comme The Twelve, on serait tenté de croire que tous les héros Marvel des années 40 ont été réinjectés dans la continuité. Il reste cependant encore un grand nombre qui gravitent dans l’oubli. Si certains ont des pouvoirs ou des apparences un peu trop désuètes pour qu’on les prenne au sérieux de nos jours (encore que ça n’a pas empêché JMS de ramener le Blue Blade dans The Twelve), d’autres ont un fascinant parfum d’opportunité manquée et on se demande bien pourquoi, d’une manière ou d’une autre, ils n’ont pas été mentionnés depuis. Parmi ces derniers, le Moon Man est ce qu’on pourrait qualifier de « bon client » malgré son manque total d’identité ou d’origine…

La semaine dernière je vous parlais d’un personnage de roman qui avait très officiellement surface comme héros de comics chez DC (The Avenger). Cette fois, c’est l’inverse. Voici un héros de Marvel qui cache en fait des liens pas très officiels avec le monde des romans… C’est dans Mystic Comics, en mars 1941, que les lecteurs de Timely (premier nom de Marvel Comics) font la connaissance d’un nouveau justicier : Le Moon Man ! Sa silhouette se découpe dans la nuit tandis que le commentaire nous explique que ce héros vient à l’aide des oppressés « seulement les nuits de pleine lune » (sans doute que le reste du temps le héros n’a pas le même besoin de faire appliquer la justice ? Nous y reviendrons…) et qu’il est poursuivi aussi bien par la pègre que par la police. Il est reconnaissable à un costume jaune et noir, avec une cape jaune et un astre lunaire en guise de « logo » sur sa poitrine.

Mais qui est le Moon Man quand il n’a pas son masque ? Sans doute quelqu’un qui doit ressembler de très près à Bruce Wayne (l’alter-ego de Batman) car si on ne verra jamais le héros sans son masque, une des premières cases nous le montre en costume, en train de lire le journal dans son luxueux appartement. Moon Man bouillonne de rage après avoir découvert un article qui raconte comment 35 orphelins sont victimes d’une intoxication alimentaire à cause d’une nourriture de mauvaise qualité. Sans qu’on sache trop pourquoi, Moon Man déduit que « Boss McGool » et sa secrétaire, Nadia, trempent sans doute dans l’affaire. Sans perdre de temps Moon Man s’installe aux commandes de sa voiture (serait-ce une « Moon-Mobile » ?)…

Arrivé à l’appartement de Nadia La Sanne, Moon Man utilise « ses dons athlétiques hors du commun » (mais pourquoi sont-ils hors du commun ?) pour escalader la façade de l’immeuble. Quand il se présente à sa fenêtre, la jeune femme est tellement impressionnée qu’elle s’évanouit. « J’ai de la chance, l’information que je veux se trouve dans son sac » s’exclame Moon Man, qui repart aussitôt à sa voiture, puis à son immeuble.

La scène nous permet d’en savoir un peu plus sur le « standing » civil de Moon Man puisqu’il entre dans SON immeuble par une entrée secrète pour sa voiture et qu’enfin un ascenseur privé l’entraîne jusqu’à son appartement, au sommet du building. On en déduira que Moon Man est richissime. Après avoir trouvé dans le sac de Nadia une facture pour de la viande de basse qualité, Moon Man décide alors de rendre visite à l’orphelinat pour vérifier la qualité de la nourriture. Bon, marquons un temps d’arrêt pour remarquer l’illogisme de la démarche de Moon Man. Dès lors que l’affaire avait fait l’objet de la une des journaux, comment penser que la police n’aurait pas elle-même enquêtée et commencer par inspecter la cuisine du dit orphelinat ? Apparemment les policiers de la ville où habite Moon Man ne sont pas très malins. Ou bien ils reçoivent des pots de vin de la part de « Boss McGool », ce qui serait plus crédible et expliquerait au passage pourquoi Moon Man est pourchassé aussi bien par la pègre que par les forces de l’ordre, comme on nous l’expliquait dans la scène d’ouverture. Par chance pour Moon Man, les bandits ne sont pas plus malins que les enquêteurs puisqu’après le scandale de l’empoisonnement des enfants, ils n’ont apparemment pas songé à remplacer la viande dans le frigo. Il suffit d’un regard de Moon Man pour constater que la viande est périmée ! Le Moon Man passe alors par la chambre des enfants malades et jure qu’ils seront vengés…

A l’appartement de « Boss McGool », on a bien sûr entendu parler de la visite de Moon Man chez Nadia. Et Boss passe un savon à sa secrétaire, en lui expliquant qu’il l’a engagé parce qu’il pensait qu’elle était débrouillarde. L’autre proteste tout en avouant avoir été impressionnée par le héros masqué. « Boss McGool » crâne un peu en expliquant à sa complice que de toute manière le Moon Man n’osera jamais venir chez lui. Et bien sûr derrière lui le justicier est déjà là, au grand dam de Nadia. McGool appelle des hommes de main à l’aide mais rien n’y fait. Moon Man est de taille à leur tenir tête. Menaçant ensuite McGool avec un pistolet, Moon Man explique qu’il devrait sans doute lui tirer dessus mais qu’il préfère le livrer à la justice.

Le héros costumé repart, tout en se disant que le maillon faible de l’organisation de McGool c’est Nadia et qu’il suffit sans doute de repartir chez elle pour l’intimider (on ne saura donc pas ce que Moon Man espérait obtenir en venant chez McGool). Arrivé chez la jeune femme il a effectivement tôt fait de lui arracher une confession écrite… Ne reste qu’à coffrer et Moon Man repart donc dans l’autre sens vers chez McGool qui, ô surprise, a pris la poudre d’escampette. Mais heureusement pour Moon Man, dans la hâte le malfrat a laissé tombé les horaires de train sur le sol, après avoir pris le soin d’entourer celui qu’il compte prendre (on vous l’avait dit, ce ne sont pas des lumières les bandits, dans cette ville…).

Moon Man arrive à la gare pile au moment où le train démarre mais il arrive à monter à bord (après avoir souligné « qu’il faut absolument qu’il ait capturé McGool avant qu’il ne passe les limites de la ville). Visiblement Moon Man est assez célèbre pour que le contrôleur le reconnaisse et lui obéisse. Il le mène sans problème jusqu’à « Boss McGool ». Une bagarre éclate et Moon Man saute du train avec son prisonnier avant de le livrer à la police (qui, elle, ne s’aperçoit pas qu’il est le Moon Man).

De retour chez lui, le héros se plonge dans une nouvelle une de journal où l’on parle de l’emprisonnement de McGool. Le justicier conclue « J’imagine que ces enfants auront de la bonne nourriture à partir de maintenant ». On l’espère car ce sera en tout et pour tout la seule apparition publiée du Moon Man de l’Age d’Or et ce serait quand même trop bête si sa seule mission connue n’avait servie à rien… On le voit, Moon Man c’est avant tout un archétype en costume sans grand chose pour le « personnaliser » par rapport à la concurrence. C’est même d’une certaine manière les non-dits (ou les faits non-précisés) qui rendent le personnage intéressant. La première chose fascinante est cette particularité qui consiste à faire régner la justice seulement les soirs de pleine lune.

On serait tenté d’imaginer que Moon Man est peut-être victime d’un désordre de la personnalité qui fait qu’il n’est super-héros que lorsque ce stimulus lunaire se présente. Ou bien encore carrément de faire la connexion avec un héros Marvel plus moderne, Moon Knight, dont la force varie selon les phases de la Lune. De là à penser que le Moon Man de 1941 pourrait être une sorte de prédécesseur de Moon Knight, travaillant lui aussi pour Khonshu, le dieu égyptien de la justice. Même si dans l’histoire il n’y a aucun rapport entre Moon Man et l’Egypte, plusieurs indices encouragent cette théorie et notablement Moon Knight vol.3 #42, dans lequel on voit un Moon Knight d’un autre univers (Terre-42992) qui s’appelle Moon Man. Le gros problème restant lié à la couleur. Pour autant qu’on sache les couleurs de Khonshu sont le blanc, l’argent ou le noir. L’apparence du Moon Man de 1941 semble peu compatible avec la théorie « pro-Moon Knight »…

Une autre manière de lier Moon Man à l’univers Marvel serait peut-être d’en faire un… Kree. On se souviendra que les Kree (adversaires des Fantastic Four ou des Avengers) sont une race extra-terrestre qui a colonisé la Lune depuis des millions d’années, créant une « zone bleue » où l’air est respirable et une cité lunaire dont les ruines sont voisines de la citadelle du Gardien. Or, il se trouve que les uniformes militaires des Kree ont un design qui utilise systématiquement un corps céleste stylisé pour indiquer le grade. De là à voir dans le Moon Man une sorte d’éclaireur Kree, peut-être venu de la cité lunaire, il n’y a là aussi qu’un pas…

En fait le scénariste inconnu du Moon Man ne pouvait très certainement pas savoir que quelques décennies plus tard on créerait Moon Knight ou les Kree. Dans les années 40 il n’était pas rare qu’on lance un personnage sans établir son origine et qu’on y revienne seulement quelques mois plus tard. Ce fut par exemple le cas pour Batman. D’ailleurs il y a quand même une certaine forme d’inspiration batmanienne dans la manière qu’à Moon Man à apparaître dans le contour de la Lune. De manière bien plus pragmatique, je ne serais pas étonné d’apprendre que la création de Moon Man a sans doute quelque chose à voir avec le Black Marvel, autre héros de Timely/Marvel et donc le costume est « voisin » du personnage qui nous intéresse aujourd’hui. Puisque Black Marvel était lui aussi publié dans Mystic Comics, il serait très possible que cette histoire de Moon Man soit en fait un épisode Black Marvel redessiné ou modifié d’une manière quelconque pour combler le numéro. Comme il y avait déjà du Black Marvel ailleurs dans la même parution, on aurait alors un peu modifié le personnage pour laisser croire qu’il s’agissait d’un nouveau héros (la chose s’est vue chez d’autres personnages de Marvel/Timely). Le Moon Man serait peu détaillé parce que les auteurs auraient retiré tout ce qui faisait qu’on pouvait identifier le Black Marvel… D’où l’absence d’identité civile ou de signe distinctif…

Mais hasardons que le vrai nom de Moon Man était en fait… le policier Stephen Thatcher. Et, non, inutile de chercher dans les paragraphes précédents, nous n’avons jusqu’ici mentionné aucun Stephen Thatcher dans l’article, pas plus qu’il n’apparait dans l’histoire. Alors pourquoi vous proposer ce nom de manière en apparence aléatoire ? Parce que même en privilégiant la thèse (non prouvée) que Moon Man serait un Black Marvel redessiné, son nom et son totem ne doivent sans doute rien au hasard. Moon Man, en effet, n’était pas tout à fait un nom qui sortait de nulle part. Le pseudonyme avait été celui d’un justicier de roman policier entre juin 1933 et janvier 1937, publié dans le magazine Ten Detective Aces et considéré comme l’un des principaux prototypes de super-héros avant que ces derniers n’apparaissent dans les comics. Ce Moon Man de 1933 était en fait le policier Stephen Thatcher qui utilisait un alias masqué pour pouvoir s’attaquer aux criminels qui échappaient à la police. Et chose importante, ce Moon Man était pourchassé aussi bien par les criminels que par la police, situation qu’on nous décrit dès les premières lignes du Moon Man de Timely ! Le seul signe distinctif du Moon Man des romans qui ne soit pas repris par le Moon Man de Marvel c’est le casque assez caractéristique de Stephen Thatcher: un globe argenté totalement opaque, qui permet à celui qui le porte de voir sans être vu. Les gens de Timely n’auront sans doute pas osé allez si loin dans l’imitation mais le Moon Man de Mystic Comics a tout d’une adaptation pirate du personnage des romans. Oh, et pendant que nous y sommes… Le Moon Man des romans portait une grande cape sombre. Imaginez le avec son casque en forme de globe et vous avez quelque chose s’approchant de très très familier… Au point qu’il soit très difficile de croire que le Moon Man ne soit pas aussi et surtout l’inspiration visuelle de Mysterio, l’adversaire de Spider-Man et Daredevil. Comme quoi, vraiment, rien ne se perd jamais dans les comics… Sauf peut-être, ironiquement, le Moon Man de Timely qu’on n’a pas revu, lui, depuis 1941…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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