Oldies But Goodies: National Comics #1 (juil. 1940)
6 juin 2009[FRENCH] Son nom évoque plus ou moins une version masculine de Wonder Woman tandis que son uniforme fait penser à celui de Bucky (fidèle compagnon de Captain America). Seulement voilà, ne vous y trompez pas : Wonder Boy est apparu chez Quality Comics (l’éditeur originel de Plastic Man, Spirit ou de Blackhawk) pendant l’été 1940, soit environ neuf mois avant Bucky et deux ans avant Wonder Woman). Si copie il y avait, elle serait alors intervenue dans l’autre sens. Non, en fait Wonder Boy est bien le double d’un autre héros mais il préfigure beaucoup des choses, et pas vraiment en termes de héros patriotiques.
« Des profondeurs de l’espace extérieur s’en vient le garçon le plus fort que notre planète ait jamais vu, Wonder Boy, investi de la force de milliers d’hommes ». Dans le ciel on peut voir un météore incandescent, tandis que les scientifiques américains étudient sa trajectoire et préviennent la population de se préparer à l’impact imminent. L’objet céleste va frapper la Terre. La nouvelle se diffuse dans le monde et provoque des réactions même… en Mongolie où on interprète ce signe dans le ciel d’une bien curieuse manière. Le général de l’armée mongole consulte un prêtre pour savoir s’il s’agit d’un présage pour que l’armée du pays se mette en marche. Quel raisonnement particulier que d’interpréter une possible catastrophe de ce type comme d’un signe de conquête… Pourquoi nous montrer précisément la Mongolie ? Nous y reviendrons plus tard… Finalement le météore s’écrase en plein centre de Chicago, dans une terrible explosion. Le narrateur commente « Beaucoup de gens sont tués mais des décombres une petite silhouette émerge » (au passage il est assez rare que l’arrivée d’un nouveau héros provoque des morts par sa simple présence, la plupart des autres auraient sans doute trouvé un moyen de se poser à l’écart, dans un champ par exemple, comme on l’a vu ailleurs). La petite silhouette en question c’est, vous l’aurez compris, le jeune Wonder Boy qui nous intéresse présentement. Wonder Boy arrive d’une autre planète, Viro, et il explique aux passants qu’elle a été détruite après être entrée en collision avec une étoile et qu’il est donc le dernier survivant de son monde. Comme les gens ne croient pas à son histoire, ils pensent que le garçon a sans doute perdu ses parents dans la catastrophe et que, traumatisé, il s’est sans doute inventé une histoire extraordinaire. On le confie donc sans tarder aux bons d’un orphelinat… Là-bas, il ne se fait aucun ami et reste donc à rêver d’aventures car il est simplement trop costaud pour jouer avec les enfants de son âge sans leur faire mal.
Pendant le temps qu’il a fallu pour que le météore s’écrase, que Wonder Boy soit recueilli et placé dans une institution, le grand prêtre mongol a réfléchit. Il rend alors son verdict : l’étoile filante (le moyen par lequel Wonder Boy est arrivé sur Terre) est bien un signe des dieux qu’il faut lancer une invasion de l’Europe de l’Ouest. On pourrait penser que les clichés racistes de l’époque et la peur du « péril jaune » sont à l’œuvre. Car en fin de compte quelle menace pourrait bien représenter l’armée mongole au XX° siècle, alors que la population du pays (femmes et enfants compris) ne s’élève qu’à 5 millions d’habitants ? Et est-ce que les Mongols n’auraient pas des régions un peu plus proches de chez eux plutôt que de lancer une conquête du monde en commençant par l’Europe, et de l’Ouest en plus ? Mais sous le couvert de nous parler de « Mongolie », les auteurs font sans doute plutôt une analgie avec les « Huns » au sens populaire de l’époque. Depuis la première guerre mondiale et quelques premiers posters de propagande, les américains avaient en effet pris l’habitude de surnommer les allemands des « huns » en référence à leur appétit de conquête. Malgré les apparences, au lieu de « Mongols » cet épisode fait allusion aux « huns » et donc aux nazis tandis que le général demandant à un prêtre de déterminer dans les astres ses plans de conquêtes fait allusion au penchant d’Hitler (plus ou moins poussé mais déjà rapporté par les journaux de l’époque) pour l’astrologie. Ne vous y trompez pas, malgré leur nom et leur apparence, ces « Mongols » symbolisent tout à fait autre chose.
Aux USA, Wonder Boy prend connaissance des événements qui se jouent outre-Atlantique, alors que l’Europe mobilise, terrorisée, ses troupes pour faire face à la redoutable invasion. « Comme il est étrange que des gens se tuent ainsi les uns et les autres. Je vais les arrêter… ». Et Wonder Boy informe alors son tuteur qu’il compte partir en Europe par ses propres moyens. Le tuteur en question ainsi que tous les enfants de l’orphelinat se moquent ouvertement du garçon, en pensant qu’il a une nouvelle fois perdu la tête… ou qu’il a trop lu de comic-books ! Wonder Boy s’en va en ne comprenant pas la cause de l’hilarité générale. « Ca n’aurait fait rire personne sur Viro » pense tout haut le jeune garçon. La nuit venue il s’échappe de l’institution et rejoint la côte. Là, il se jette à l’eau en regardant partir un bateau : « J’arriverais une bonne semaine avant lui ! ». Et tout indique qu’il a raison puisqu’il nage dans l’eau aussi vite qu’une torpille (et c’est la première fois qu’on a la preuve de ses pouvoirs, jusqu’ici on pouvait s’imaginer que c’était un garçon plus costaud que la moyenne qui avait effectivement perdu la tête). Arrivé de l’autre côté de l’Atlantique, le garçon va même jusqu’à s’étonner : « Que les océans sont petits sur cette planète ! ».
Arrivé dans le périmètre des forces de l’Europe de l’Ouest, Wonder Boy n’a aucun mal à s’introduire dans le camp, auprès du général qui commande « l’armée des bons ». Personne ne se méfie d’un enfant et il n’est pas dit s’il leur raconte ou pas son incroyable histoire sur la planète Viro. Mais le général se dit que Wonder Boy est petit et qu’il pourra se faufiler là où d’autres ne le pourraient pas. On le réquisitionne donc comme coursier pour aller porter un message important aux troupes sur le front. Dès qu’il a quitté le camp, Wonder Boy ouvre le message en question et s’aperçoit qu’il s’agit de l’ordre de battre en retraite. Mais Wonder Boy ne mange pas de ce pain-là, lui ! Il réécrit donc le message, qui devient un ordre d’attaquer les ennemis. Et il s’en va livrer la lettre modifiée… En cours de route il tombe sur un tank de l’armée de l’Ouest qui s’est embourbé. Wonder Boy n’a aucun mal à soulever le blindé à la force des bras, sous les yeux incrédules du conducteur. Puis il continue sa route en coupant directement par le champ de bataille pour emprunter le chemin le plus court, tout en évitant les obus et les balles…
Arrivé au centre de commande du front, Wonder Boy délivre son message aux gradés présents, qui sont passablement surpris. Attaquer ? Mais ce serait du suicide. A moins que les armées mongoles soient bien moins fortes qu’ils ne le pensent… Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Il part en courant vers le camp mongol et une fois arrivé leur ordonne de se rendre… où il sera obligé de les tuer. Les mongols, forcément, ne prennent pas la menace au sérieux. Pour eux, le camp de l’Ouest a tellement peur qu’il a envoyé un jeune garçon pour faire un travail d’homme. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la colère de Wonder Boy qui passe comme un rouleau compresseur sur les troupes. Indestructible, il se rend jusqu’au dépôt de munition des ennemis et le fait exploser sans trop de difficultés… Et après l’explosion, il reste sur place. Des hordes de soldats « orientaux » l’encerclent et le mettent en jouent, lui tirent dessus mais, étant visiblement à l’épreuve des balles, il est indemne. Wonder Boy fait ensuite mine de s’enfuir et l’armée mongol se lance à sa poursuite sans pouvoir le rattraper tellement il court vite. Distraite, ayant vidée une partie de ses armes et sans son arsenal qui est partie en fumée, l’armée mongol se laisse donc mener sans le réaliser vers l’endroit où Wonder Boy a donné l’ordre à l’autre armée d’attaquer. Les Européens de l’Ouest, eux, sont en état de se battre… sous les ordres de Wonder Boy qui dirige la bataille du haut d’une petite colline. A l’état-major, on a néanmoins compris que le garçon a changé les ordres. Les généraux, convaincus qu’ils courent à la catastrophe, se promettent de punir sévèrement l’enfant… jusqu’au retour des troupes qui leur annoncent que la guerre est gagnée ! Wonder Boy est alors célébré en héros et remercié par toute l’Europe…
Car soulignons ce que certains d’entre vous n’auront pas manqué de remarquer. Wonder Boy a ni plus ni moins la même histoire que le héros Kryptonien Superman. Tous les deux sont les derniers survivants de leur monde. Wonder Boy a même une certaine ressemblance physique avec Superman, il pourrait passer pour son petit frère ou même pour Superman plus jeune. La grosse différence par rapport à la première version des origines de Superman, c’est que celui-ci s’était écrasé sur Terre à l’écart de tout (puis avait été trouvé par un motard et déposé à l’orphelinat « Smallville », les parents Kent n’intervenant que plus tard). Les ressemblances ne s’arrêtent pas là. La première mission de Wonder Boy rappelle beaucoup un épisode de Superman dans Action Comics #2 (juillet 1938) dans lequel le héros adulte décidait de stopper une guerre à l’étranger. Par exemple Superman tente dans un premier temps de faire le voyage à bord d’un bateau (à l’époque il ne vole pas encore mais « saute » juste sur certaines distances, sa destination étant sans doute trop éloignée pour y bondir). Poussé à l’eau, Superman finit le voyage à la nage, en narguant le bateau d’un « see you later ! » ironique puisqu’il va bien plus vite que le véhicule. La scène de Wonder Boy se ventant d’arriver une semaine avant un bateau y fait écho. La grosse différence reste philosophique. Superman renvoyait dos à dos les deux armées, en démontrant aux gradés des deux camps que la guerre est une mauvaise chose. Wonder Boy, lui, a une idée précise de qui sont les bons et qui sont les méchants.
Ce qui est intéressant c’est qu’en 1940 la société plus tard connue sous le nom de DC Comics n’a pas encore décidé de raconter la jeunesse de Superman. A l’époque, on part du principe que le héros adulte n’a pas eu d’aventures extraordinaires pendant l’adolescence et a attendu d’être adulte pour venir s’installer à Metropolis et de devenir super-héros. En fait, ce n’est qu’en 1945, dans More Fun Comics #101 que l’éditeur utilisera pour la première fois le concept qu’avant d’être Superman à Metropolis, il avait été l’enfant Superboy à Smallville. Un Superboy qui, en fin de compte, ressemble énormément à Wonder Boy (et donc pas le contraire). Wonder Boy est bien un plagiat de Superman (les auteurs ayant introduit une différence d’âge pour rendre plus difficile les éventuelles poursuites) mais il ne serait pas faux de dire que Superboy est inversement dérivé de Wonder Boy. Reconnaissons aussi une influence au jeune garçon surpuissant venu de la planète Viro puisqu’il est apparu en juillet 1940 et que quelques mois plus tôt (en avril de la même année) Robin the BOY WONDER avait ses débuts dans Detective Comics. Wonder Boy doit donc probablement son âge à Robin et son nom de l’inversion du « sous-titre » du même jeune héros. Mais plusieurs éléments de Wonder Boy ont ensuite été cannibalisés par la concurrence. Marvel a donné un costume similaire à Bucky tandis que DC a lancé « Wonder Woman » et donc un peu plus tard « Superboy ».
Bien qu’il ne soit pas forcément l’un des héros les plus connus de Quality Comics, Wonder Boy n’est pas un de ces héros qui seront apparu deux ou trois fois avant de disparaître dans l’indifférence générale (ce qui était arrivé par exemple au Red Raven que nous avons vu la semaine dernière). Ses apparitions dans National Comics continueront pendant plus de deux ans (26 numéros en tout) et, vendu plus tard au concurrent Ajax, il refera surface dans les années 50 sous son propre titre, cette fois pour combattre non pas des nazis déguisés en mongols mais bien des communistes (guerre froide oblige). Forcément, dans les années 50 tout le monde avait oublié que Wonder Boy était paru avant Captain America ou Wonder Woman et qu’il n’était pas la copie de qui l’on croyait. Aujourd’hui Wonder Boy fait partie de ces personnages orphelins qui n’ont plus vraiment d’éditeur. D’un côté il ne fait pas vraiment partie des héros Quality par la suite racheté par DC Comics puisqu’Ajax était passé par là dans les années 50, mais c’était aussi le cas pour l’héroïne Phantom Lady (elle aussi passée par la case Ajax) et cela n’a pas empêché DC de l’utiliser quand même. Dès lors on pourrait se prendre à rêver que DC Comics utilise un jour Wonder Boy soit comme un « remplaçant » de Superman dans la continuité des années 40 ou bien de manière moderne, aussi bien dans les rangs de la JSA que des Teen Titans. D’ailleurs dans un futur alternatif (Team Titans #19) on voyait bien un Wonder Boy parmi eux mais avec un costume radicalement différent qui se prêtait à toutes les interprétations. Tout reste donc possible…
[Xavier Fournier]
C’est étonnant les destinées des personnages de comics changeant d’univers et d’éditeurs. C’est spécifique au droit d’auteur US je pense, car en France ce sont les créateurs qui gardent le contrôle, n’est-ce pas ?
Les mongols=les huns=les nazis!Quelle déduction!!Mais pourquoi pas!!!les périls jaunes et nazis en un seul!!Bon,un gros travail de recherche comme d’habitude!!
Je voulais savoir si tu possédais chacun des comics que tu chroniquais(ou leur éventuelles rééditions!!)?
CYRIL
Aymeric: Le truc c’est qu’à l’époque personne ne leur accordait la moindre valeur. Aujourd’hui en France les auteurs gardent les droits, oui, mais il n’en a pas toujours été ainsi…
Cyril: Il y a eu plus de rééditions qu’on croit en fait (entre les fanzines US des années 70, les DC millenium et les TPB). Et puis il est possible de récupérer certains comics pas cher pour peu qu’on ne soit pas pointilleux sur l’état. Le cas échéant j’attends d’avoir récupéré la pièce sous une forme ou une autre avant de la chroniquer. Là par contre je n’ai National Comics qu’en reprint N&B et j’ai récupéré les scans d’un contact, d’où la qualité moindre par rapport à d’habitude. Et de mémoire aussi j’ai du utiliser un scan une ou deux fois (comme pour faire le comparatif Doctor Druid/Doctor Droom) mais globalement sinon ça vient de la collection maison.
………..Sacrée collection , bravo !
Ah oui!Les DC MILLENIUM!Quelle excellente collection!Dommage que Marvel n’ai jamais fait ce genre de bouquins!!!
Peux tu me citer,svp,des titres de ces fanzines US où l’on peut trouver des rééditions?Merci
CYRIL
En fait Marvel fait justement un peu de ce genre de bouquins à travers ses numéros spéciaux sur le 70ème anniversaire, il y a souvent des reprints. Sinon pour le non-Marvel, il y a eu les fanzines « Flashback » dans le milieu des années 70 (http://gallery.stlcomics.com/categories.php?cat_id=296&sessionid=1f021333f1d4f745f025ad02eb0eb7ee)et ce genre de trucs (http://www.accomics.com/accomics/goldenage/index.html), pour ne citer que ces exemples…
Une URL où on peut télécharger légalement des scans de comics libres de droit : http://digitalcomicmuseum.com/