Ainsi dans New Gods #5, en marge d’une histoire principale qui traite du combat d’Orion contre des monstres marins (histoire dont je vous parlerais peut-être un jour dans cette rubrique si vous êtes sages), on trouve un autre récit plus court, officiellement consacré aux « Young Gods of Supertown ». Pour ceux que cette terminologie laisserait de marbre ou qui seraient susceptibles de s’embrouiller entre les « New Gods » et les « Young Gods », détaillons. Le contexte du Fourth World repose sur deux mondes ennemis composés à partir des cendres des « Anciens Dieux ». L’un est une sorte d’enfer industriel, Apokolips, dirigé d’une main de fer par une sorte de Staline cosmique, Darkseid. L’autre, New Genesis, est une planète paisible, une sorte de jardin d’Éden étendu à un monde entier, habité par les New Gods qu’on peut définir selon les époques comme étant pacifiques ou, dans leurs phases plus belliqueuses, comme des champions du Bien. Mais dans Forever People #1 les protagonistes de la série, bien qu’ennemis de Darkseid, faisaient référence à eux-mêmes comme étant de jeunes dieux originaires de « Supertown » (« Supercité »), un terme qui laissait songeur même Superman. Mais alors où se plaçait Supertown sur l’échiquier du Fourth World ? Au début la distinction en égara certain. En fait on se rendit vite compte que Supertown relevait de New Genesis. Là où Apokolips est un monde totalement industrialisé qui dévore ses ressources naturelles, New Genesis est une planète laissée intacte. Les New Gods habitent dans une ville volante qui flotte quelques centaines de mètres au dessus du sol. Il n’est pas rare que des histoires donnent l’impression que New Genesis est aussi le nom de la ville flottante mais elle a pour nom Supertown. Ou en tout cas une partie de cette ville, telle que surnommée par les jeunes, est identifiée de cette manière.
Dans New Gods #5, Jack Kirby le démontre en créant Fastbak, un personnage que nous découvrons en train de voler dans le ciel, poursuivi par des Monitors (on comprendra qu’il s’agit pour Supertown de l’équivalent de policier de la route). Portant des casques ailés, les Monitors font lointainement penser au dieu Thor tel que Kirby le représentait chez Marvel mais l’idée est sans doute plutôt d’évoquer le dieu Mercure. Les Monitors volent à toute vitesse, comme une police aérienne. Mais on remarque d’emblée qu’ils sont incapables de rattraper Fastbak. En effet on nous explique qu’en dehors de Lightray (un des personnages principaux de New Gods et le plus proche ami d’Orion), Fastbak est le plus rapide des habitants de New Genesis.
Au sol, d’autres New Gods observent la scène : « Le temps du chaos est venu ! Fastbak est dans le ciel ! Il teste encore de nouveaux principes pour régler ses aéro-pads ! ». Une autre passante se lamente : « La croissance est plus une épreuve pour les anciens que pour les jeunes ! » (Comprenez par là que Fastbak est difficile à tenir et que les habitants en ont jusque-là de subir ses frasques). Fastbak est donc l’équivalent d’un chauffard aérien. Si ce n’est que l’attirail qui lui permet de se déplacer tient plus d’une armure partielle que d’une voiture ou d’un avion. Les « chaussures qui permettent de voler » sont un concept assez régulier dans le Fourth World, le maître de l’évasion Mister Miracle utilisant assez régulièrement des disques qu’il colle sous ses semelles et qui lui servent de véritables « raquettes aériennes ». Les chaussures de Fastbak sont visiblement similaires mais portent la chose à un autre niveau. Là où Mister Miracle marche dans les airs, Fastbak est une véritable fusée. C’est ce que ne manquent pas de remarquer les Monitors, non seulement moins rapides mais moins agiles (ils n’arrivent pas à tourner aussi bien que le Young Gods qu’ils poursuivent).
Privé de sa vitesse et de sa capacité de voler, Fastbak atterrit sur une sorte de toboggan, récupéré par un groupe de New Gods qui l’attendait et qui a visiblement l’habitude de ce genre de circonstances. Un peu à la manière de l’équipe technique pendant une course de formule 1, on lui retire alors son attirail pour mieux lui confier d’autres accessoires, parmi lesquels un livre de chants. Un des assistants le prévient : « Tu ferais mieux de faire de ton mieux, Fastbak ! Le Highfather est ton auditoire aujourd’hui ! ». Fastbak se lamente ! Mais je n’ai pas répété ! Je travaillais sur mes aéro-pads ! ». Une autre assistante le rassure « Ne t’inquiètes pas ! Nous ne le dirons pas ! ». Et bientôt Fastbak se retrouve à chanter pour le leader spirituel de New Genesis. Car, comme on nous l’explique : « Fastbak est affligé par une inguérissable voix d’une grande beauté… et curieusement ses activités rebelles se terminent à temps pour lui permettre de se produire devant le Highfather ». On remarque le soin qui est apporté à décrire la belle voix de Fastbak comme s’il s’agissait d’une malédiction. Ca l’est sans doute pour lui puisque, obligé de chanter, c’est autant de temps qu’il ne peut pas consacrer à sa véritable passion, la vitesse !
Et pour ce qui est de Fastbak ? Il apparaît proportionnellement tard dans les épisodes de New Gods par Kirby, la série n’ayant pas rencontré son public. L’auteur semblait d’ailleurs lui accorder un statut secondaire, le confinant à une autre backup (dans New Gods #8) où il s’agit cette fois de faire la course contre le Black Racer (l’esprit de la mort chez les New Gods). On ne sait pas trop ce que Jack Kirby aurait fait de ce personnage sur le long terme, si la série New Gods avait perduré. Sans doute que le personnage aurait été quand même handicapé par la concurrence de Lightray, personnage capable de se déplacer à la vitesse de la lumière et plus en vue dans l’histoire. Ce qui distingue les deux « Nouveaux Dieux », c’est leur personnalité. Lightray et Fastbak sont deux visages de l’archétype mercurien. Mais Lightray est à Orion ce que le fidèle Balder est à Thor. Il est certes rapide (et la scène de présentation de Fastbak ne laisse pas de place au doute : Lightray est le plus rapide des deux). Mais il l’est sans y penser, sans s’y complaire. De la même manière que quelqu’un peut respire sans effort conscient. Fastbak est peut-être moins rapide mais il est impétueux, se défini par sa vitesse avant tout. C’est un personnage que Kirby va peu avoir l’occasion d’utiliser. D’ailleurs d’une manière générale DC Comics va peu s’y intéresser dans les diverses incarnations plus tardives des New Gods. Ironiquement celui mettra le plus l’accent sur Fastbak ne le fera pas dans une série directement liée au Fourth World. En 1999 James Robinson fera de Fastbak un personnage secondaire dans une saga de son Starman (#57-60), où le héros principal s’aventure dans l’espace (avec l’aide de ce champion de la vitesse, vous l’aurez compris). Kurt Busiek l’a également utilisé dans Superman #663 (2007), dans un épisode où les Young Gods viennent semer le chaos à Metropolis.
Il y a d’autres Young Gods, ceux-là chez Marvel, qui sont apparus en 1972 sous la plume de Gerry Conway et de John Buscema dans les pages de Thor. Il est difficile de ne pas faire un rapprochement, sachant que Thor était la série de Kirby par excellence avant qu’il s’en aille chez DC, que Kirby y avait faire référence à une jeune race de dieux qui finirait par remplacer les Asgardiens et qu’inversement, dans les New Gods, le même Kirby faisait de grosses allusions pour faire comprendre qu’Apokolips et New Genesis étaient construites à partir des ruines de l’Asgard de Marvel. Cerise sur le gâteau, on sait, comme je le disais en introduction, que certains des New Gods sont des survivances de concepts que Kirby a d’abord proposé à Marvel. En 1971 Kirby (entretenant une certaine rancune envers son ancien employeur) et Marvel (supportant mal qu’on ose lui préférer la concurrence) se livraient à une guerre d’allusions et de pieds-de-nez dans des circonstances dont nous reparlerons sans doute une ou deux autres fois. Il est difficile de penser que l’apparition de « Young Gods » dans les pages du Thor de Conway/Buscema n’ait pas été pensée pour singer Kirby.
Mais Kirby lui-même n’en avait pas terminé avec l’archétype représenté par Fastbak et aurait l’occasion de le réutiliser au moins deux fois pour des personnages très voisins. D’abord il y aurait, après son retour chez Marvel, le lancement des Eternals au sein desquels on trouverait Makkari, variante du dieu Mercure (« Mercury« ) et donc les attributs et la personnalité doivent beaucoup à Fastbak. Comme ce dernier, Makkari ne se contente pas d’être super-rapide. Il est aussi passionné par tout véhicule rapide et passe une partie de son temps à en concevoir. La seule différence est que Makkari n’est pas spécialement porté sur la chanson et qu’aucune « Force » ne vient le soustraire à son passe-temps favori. On trouve un autre personnage « Fastbakien » [1] dans la Secret City Saga (un ensemble de titres que Kirby a créé en 1993 chez Topps Comics) nommé cette fois Bombast. Le rapport avec la vitesse est plus diffus mais Bombast, plutôt porté vers les fusées et les explosifs, partage une grande partie de la personnalité de Fastbak. Bombast, comme les autres personnages de la Secret City Saga, a refait surface dernièrement, rebooté par Kurt Busiek dans le cadre de la série Kirby Genesis. DC a donc un « Flash divin » (peut-être que la comparaison serait d’ailleurs plus pertinente avec Impulse/Kid Flash) mais ne l’a pas utilisé (ou si peu).
[Xavier Fournier] [1] Jack Kirby a bien entendu généré d’autres personnages à la fois rapides et divins tout au long de sa carrière, dans la droite lignée d’Hurricane/Mercury dans les années 40 mais ils relèvent plutôt du dieu rapide « responsable » (disons qu’ils se rapprochent plus de Lightray) même si dans une certaine mesure chez Marvel on pu les fusionner par la suite et « révéler », après le départ de Kirby, que Makkari, Hurricane et Mercury ne faisaient qu’un. Ce qui n’était pas l’intention de leur créateur.Après deux volets ayant conquis le box-office sans pour autant séduire la critique, Venom :…
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