Oldies But Goodies: Pep Comics #1 (Jan. 1940) [Part 1]

[FRENCH] Pep Comics #1 est resté dans l’histoire pour contenir la première apparition du précurseur de Captain America, le Shield. Mais il y a plus dans ce personnage qu’une simple antériorité sur un héros plus célèbre. Même ses auteurs ont sous-estimé la puissance du concept au point de lier leur création à l’Histoire sans mesurer la richesse du choix.

D’abord un petit avertissement : Exceptionnellement  la configuration de cet Oldies But Goodies est un peu différente car il y avait tout simplement trop de choses à dire sur ce numéro de Pep Comics. J’ai donc fait le choix d’en faire un article en deux parties, dont vous aurez la suite ici. Ce qui ne veut pas dire que vous aurez aujourd’hui seulement une moitié d’article. Disons que ce week-end la rubrique est « double-size ». Maintenant passons sans plus attendre au sujet du jour, à savoir Pep Comics #1, paru en janvier 1940 chez l’éditeur MLJ (par la suite connu sous le nom d’Archie Comics). Dans ce numéro on fait la connaissance du Shield (le Bouclier), un personnage au costume bariolé selon les couleurs du drapeau américain. On nous le présente rapidement dès la première page, sans perdre de temps à nous montrer ses origines. Elles sont racontées dans un encart de texte, dans la première case. Joe Higgins est le fils d’un homme tué par des agents étrangers (nous y reviendrons plus bas). Joe décide de devenir une sorte de Bouclier protégeant à lui seul toute la nation américaine et comme il a la fibre scientifique, il s’est inventé un costume à l’épreuve des balles et des flammes, qui augmente sa force et sa rapidité. Dans sa vie « non costumée », Higgins est agent du FBI, travaillant directement sous les ordres du directeur du bureau fédéral.

Comme le Shield est en quelque sorte le prototype de Captain America, on a souvent tendance à insister sur les ressemblances entre leurs origines (tous les deux sont le résultat d’une expérience destinée à créer un homme parfait, mais hélas l’inventeur de la formule est mort, assassiné par des espions étrangers). A postériori on a donc souvent l’impression que, comme Captain America, le Shield est un personnage qui, à sa façon, anticipait de quelques années l’arrivée de la seconde guerre mondiale. Or, ceux qui s’intéressent au Shield oublient souvent que son origine «classique» n’est pas tout à fait celle qui avait été établie en janvier 1940. Oh, ce n’est pas une origine très longue puisque les auteurs ne se donnent même pas la peine de la représenter. C’est dans un encart de texte qu’on nous apprend qui est le Shield et pourquoi il existe : le scénariste précise de façon presque subliminale que le père de Joe Higgins est mort dans la «fameuse explosion de Black Tom» pendant La guerre mondiale. LA guerre mondiale parce qu’à l’époque on n’en avait connu qu’une et personne ne se doutait qu’elle ne serait que la première. Et là, il nous faut rouvrir les livres d’histoire car l’explosion de Black Tom n’a rien d’un événement fictif. Le 30 septembre 1916, des agents allemands ont fait sauter des stocks de munitions sur Black Tom Island (à proximité de New York) pour s’assurer que l’Amérique n’enverrait pas ces armes aux Alliés, en Europe. La déflagration fut suffisante pour briser les vitres sur une distance de 40 kilomètres, on estime généralement sa force à 5,5 sur l’échelle de Richter et l’explosion endommagea la Statue de la Liberté au point que depuis la visite du bras et de la torche du bâtiment en soit interdit. Bien que moins meurtrière (les sources parlent de 4 ou 7 morts) l’explosion de Black Tom fut, en terme de symbole, aussi forte qu’un Pearl Harbor ou que l’attentat du 11 septembre. Et comme en prime c’est après Black Tom Island qu’on transforma le Bureau d’Investigation en FBI, l’événement est doublement bien choisi pour expliquer la genèse d’un super-héros patriotique travaillant pour ce même FBI. Il est même étonnant – en un sens – que d’autres scénaristes ne soient pas plus inspirés de Black Tom pour justifier l’origine de tel ou tel super-héros. En un sens seulement car en même temps on ne peut que s’étonner de l’initiative de Harry Shorten de baser l’origine de son héros sur un événement vieux de 24 ans au moment de la parution de Pep Comics. Non pas que l’opinion publique avait totalement oublié Black Tom mais il est probable que pour les lecteurs (assez jeunes à l’époque), 24 ans c’était un peu comme un autre siècle. Peut-être est-ce pour cela que par la suite l’éditeur s’employa à oublier la mention de Black Tom dans les origines de son patriote masqué. Ca n’a l’air de rien mais cette mention mineure de Black Tom est aussi une des premières mentions du monde réel dans une aventure de super-héros et elle trace la voie pour des allusions plus directes aux conflits. Dans cette référence à un attentat de la première guerre mondiale il y a déjà la petite graine menant bien des mois plus tard à la couverture de Captain America #1, où Cap casse la figure à Hitler.

Mais le Shield n’est pas qu’un Captain America avant Captain America. Historiquement on pourrait même dire que cette ressemblance avec celui qui l’a en partie copié a souvent faussé le regard des historiens des comics. Ce n’est pas qu’un héros patriote indestructible mais aussi un héros chimiste, capable (en tout cas dans les premières années) de faire grandir son arsenal au fur et à mesure des missions. On sent alors une sorte de rapprochement avec Batman. Encore que là aussi il faut souligner que les épisodes où Batman transforma sa Batcave en laboratoire – lui permettant de forger de nombreux gadgets – sont parus bien plus tard. Dans la pratique, le Shield peut , lui, se rajouter des superpouvoirs à la demande : Dans Pep Comics #1, le directeur du FBI demande à Higgins d’infiltrer un réseau d’espions étrangers qui sont venus aux USA pour y préparer des attentats (bien sûr c’est un nouveau écho fait aux événements de Black Tom). Sauf que le scénariste n’est visiblement pas trop chaud pour accuser les allemands, deux ans avant l’entrée de l’Amérique dans la seconde guerre mondiale. Du coup les agents étrangers sont identifiés comme des «Stokians» (dans les numéros suivant le Shield affrontera aussi des Mosconians, allusion évidente à des Soviétiques).

Higgins se rend à l’Hôtel Braganza, où se trouvent les espions mais on lui refuse l’accès de l’ascenseur. Il ne peut accéder aux étages. Il ne lui reste donc qu’une solution, enfiler son costume de super-héros et profiter de ses nouvelles capacités, en particulier pouvoir… adhérer aux murs. Et si on fait abstraction du style désuet du dessin, le Shield commence alors à ramper sur les parois de l’Hôtel Braganza dans une pose finalement pas très éloignée de l’attitude typique (mais bien plus tardive) de Spider-Man. Pour être complet précisons même que le commentaire précise que le Shield « escalade les murs comme une mouche humaine« . Hasard ou inspiration ? A la fin des années 50 MLJ publiera les aventures de The Fly (la Mouche) qui servira à son tour d’inspiration à Spider-Man (voir Comic Box vol.1 #1). En haut de l’immeuble le Shield sort un autre attirail de son costume, un « radio-détecteur de sons », qui lui permet de savoir ce qui se dit à l’intérieur. Le côté chimiste revient sur le devant : après avoir vérifié que les terroristes se trouvent bien à l’intérieur, le Shield improvise (visiblement son costume cache une sorte de nécessaire à chimie) une mixture semblable à un super acide, grâce à ce liquide, le plafond de l’hôtel est rongé de manière instantanée et il peut surgir parmi les espions pour faire parler ses poings.

L’un de ses ennemis arrive à s’enfuir et à déclencher des explosifs : le haut de l’Hôtel Braganza est détruit alors que le Shield était à l’intérieur. « Ca règle le sort du Shield » s’exclame le pseudo-assassin en se précipitant vers sa voiture… Mais les propriétés indestructibles de son costume ont bien entendu sauvé le héros. Il a simplement été projeté dans les airs. Il ne lui reste qu’une chose à faire pour diriger sa chute : se servir d’un « flagpole », ces porte-drapeaux qui sont fixés sur la façade des immeubles. Se servir d’un flagpole pour négocier un demi-tour est également un acte assez courant chez les super-héros modernes (Spider-Man et Daredevil en sont friands) mais je ne suis pas sûr que c’était si répandu en 1940…

Du coup, le Shield arrive à choisir l’endroit où il atterrit et il opte bien sûr pour le toit de la voiture du terroriste, rebondir puis se dresser devant le véhicule de manière à ce qu’il s’écrase sur lui (là, l’influence de Superman est manifeste, histoire de dire que si le Shield a inspiré beaucoup de monde, il ne rechignait pas, lui non plus, à regarder ce que faisaient ces collègues). La police n’a plus qu’à arriver sur les lieux, trouver l’espion seul mais sonné, avec une étrange carte de visite triangulaire sur lui. Et elle devrait vous évoquer quelque chose. Car dans l’apparition du Shield il y aussi une autre petite graine liées à Captain America : le schéma des couleurs de la carte du Shield est repris sur le premier bouclier (triangulaire) de Captain America. L’accessoire de Cap n’est ni plus ni moins qu’une version agrandie de cette carte (c’est d’ailleurs à cause de çà, pour éviter un procès, que Marvel/Timely optera pour un bouclier rond dès Captain America Comics #2).

Le Shield, lui, est déjà retourné se changer en Joe Higgins et faire son rapport auprès de son chef. Comme ce dernier le félicite pour la manière dont il a résolu l’affaire, on en déduit qu’il sait que son agent est le Shield (Higgins en civil n’a finalement pas fait grand-chose, pour le public c’est le Shield seul qui capturé les Stokians). Ce directeur, c’est Edgar Hoover (bien que celui-ci ne soit pas nommé dans l’épisode en question il le sera par la suite, dans d’autres épisodes de la série), le responsable du FBI dans la vie réelle. Indirectement, cela fait donc du Shield un collègue possible du Human Torch de Marvel, puisque nous avons déjà vu dans cette rubrique que Human Torch aussi œuvrait à l’occasion pour le FBI. Si la pratique des crossovers entre compagnies avait déjà existé à l’époque, il y avait là un beau potentiel. D’autant que le Shield, avec son aspect « scientifique en costume » ne tarderait pas lui aussi s’inspirer  directement de Human Torch. Dans Pep Comics #2, en effet, comme il doit rapidement se  rendre d’un bateau à un autre et qu’il n’a pas de véhicule, le Shield a une idée : il s’arrose d’essence et (surtout, n’essayez pas ça à la maison !) y met le feu. Le Shield peut, lui, parce que son costume est résistant aux flammes. Selon une logique propre aux comics de l’époque, « l’expérience » a pour effet de transformer le héros en torche humaine, capable de voler d’un bateau à un autre. Cette fois c’est le Shield qui ne s’amusera pas longtemps à ce mode de transport, MLJ/Archie craignant sans doute les représailles de Marvel/Timely.

Ces premiers épisodes du Shield sont, nous le disions, bien plus riches qu’un simple prototype de super-héros patriotique (ce qui en soi-même ne serait pourtant déjà déshonorant). On y retrouve au fil des pages l’esquisse de pratiques ou de pouvoirs utilisés par bien d’autres super-héros (nous parlions plus tôt du côté monte-en-l’air à la Spider-Man). Et puis il y a aussi cette idée d’un agent secret surnommé The Shield travaillant pour le FBI et inventant ses propres gadgets. Etait-il très loin de l’esprit de Stan Lee et Jack Kirby quand ils créèrent leur S.H.I.E.L.D., variation science-fictionnesque du FBI connue pour ses gadgets avant-gardiste ? Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler.  DC ayant récemment obtenu la licence des vieux super-héros Archie, J. Michael Straczynski est en charge de les incorporer à l’univers de leur nouvel éditeur. On espère que l’auteur saura utiliser les racines du héros et ne pas en faire seulement « le Captain America de DC ». Ce serait un comble, puisqu’à l’évidence le personnage a bien plus de potentiel que ça.

[Xavier Fournier]

(P.S. : Et rendez-vous demain pour finir de parler de ce comic-book, sur lequel il reste des choses à dire).

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