D’abord un petit avertissement : Exceptionnellement la configuration de cet Oldies But Goodies est un peu différente car il y avait tout simplement trop de choses à dire sur ce numéro de Pep Comics. J’ai donc fait le choix d’en faire un article en deux parties, dont vous aurez la suite ici. Ce qui ne veut pas dire que vous aurez aujourd’hui seulement une moitié d’article. Disons que ce week-end la rubrique est « double-size ». Maintenant passons sans plus attendre au sujet du jour, à savoir Pep Comics #1, paru en janvier 1940 chez l’éditeur MLJ (par la suite connu sous le nom d’Archie Comics). Dans ce numéro on fait la connaissance du Shield (le Bouclier), un personnage au costume bariolé selon les couleurs du drapeau américain. On nous le présente rapidement dès la première page, sans perdre de temps à nous montrer ses origines. Elles sont racontées dans un encart de texte, dans la première case. Joe Higgins est le fils d’un homme tué par des agents étrangers (nous y reviendrons plus bas). Joe décide de devenir une sorte de Bouclier protégeant à lui seul toute la nation américaine et comme il a la fibre scientifique, il s’est inventé un costume à l’épreuve des balles et des flammes, qui augmente sa force et sa rapidité. Dans sa vie « non costumée », Higgins est agent du FBI, travaillant directement sous les ordres du directeur du bureau fédéral.
Mais le Shield n’est pas qu’un Captain America avant Captain America. Historiquement on pourrait même dire que cette ressemblance avec celui qui l’a en partie copié a souvent faussé le regard des historiens des comics. Ce n’est pas qu’un héros patriote indestructible mais aussi un héros chimiste, capable (en tout cas dans les premières années) de faire grandir son arsenal au fur et à mesure des missions. On sent alors une sorte de rapprochement avec Batman. Encore que là aussi il faut souligner que les épisodes où Batman transforma sa Batcave en laboratoire – lui permettant de forger de nombreux gadgets – sont parus bien plus tard. Dans la pratique, le Shield peut , lui, se rajouter des superpouvoirs à la demande : Dans Pep Comics #1, le directeur du FBI demande à Higgins d’infiltrer un réseau d’espions étrangers qui sont venus aux USA pour y préparer des attentats (bien sûr c’est un nouveau écho fait aux événements de Black Tom). Sauf que le scénariste n’est visiblement pas trop chaud pour accuser les allemands, deux ans avant l’entrée de l’Amérique dans la seconde guerre mondiale. Du coup les agents étrangers sont identifiés comme des «Stokians» (dans les numéros suivant le Shield affrontera aussi des Mosconians, allusion évidente à des Soviétiques).
L’un de ses ennemis arrive à s’enfuir et à déclencher des explosifs : le haut de l’Hôtel Braganza est détruit alors que le Shield était à l’intérieur. « Ca règle le sort du Shield » s’exclame le pseudo-assassin en se précipitant vers sa voiture… Mais les propriétés indestructibles de son costume ont bien entendu sauvé le héros. Il a simplement été projeté dans les airs. Il ne lui reste qu’une chose à faire pour diriger sa chute : se servir d’un « flagpole », ces porte-drapeaux qui sont fixés sur la façade des immeubles. Se servir d’un flagpole pour négocier un demi-tour est également un acte assez courant chez les super-héros modernes (Spider-Man et Daredevil en sont friands) mais je ne suis pas sûr que c’était si répandu en 1940…
Le Shield, lui, est déjà retourné se changer en Joe Higgins et faire son rapport auprès de son chef. Comme ce dernier le félicite pour la manière dont il a résolu l’affaire, on en déduit qu’il sait que son agent est le Shield (Higgins en civil n’a finalement pas fait grand-chose, pour le public c’est le Shield seul qui capturé les Stokians). Ce directeur, c’est Edgar Hoover (bien que celui-ci ne soit pas nommé dans l’épisode en question il le sera par la suite, dans d’autres épisodes de la série), le responsable du FBI dans la vie réelle. Indirectement, cela fait donc du Shield un collègue possible du Human Torch de Marvel, puisque nous avons déjà vu dans cette rubrique que Human Torch aussi œuvrait à l’occasion pour le FBI. Si la pratique des crossovers entre compagnies avait déjà existé à l’époque, il y avait là un beau potentiel. D’autant que le Shield, avec son aspect « scientifique en costume » ne tarderait pas lui aussi s’inspirer directement de Human Torch. Dans Pep Comics #2, en effet, comme il doit rapidement se rendre d’un bateau à un autre et qu’il n’a pas de véhicule, le Shield a une idée : il s’arrose d’essence et (surtout, n’essayez pas ça à la maison !) y met le feu. Le Shield peut, lui, parce que son costume est résistant aux flammes. Selon une logique propre aux comics de l’époque, « l’expérience » a pour effet de transformer le héros en torche humaine, capable de voler d’un bateau à un autre. Cette fois c’est le Shield qui ne s’amusera pas longtemps à ce mode de transport, MLJ/Archie craignant sans doute les représailles de Marvel/Timely.
Ces premiers épisodes du Shield sont, nous le disions, bien plus riches qu’un simple prototype de super-héros patriotique (ce qui en soi-même ne serait pourtant déjà déshonorant). On y retrouve au fil des pages l’esquisse de pratiques ou de pouvoirs utilisés par bien d’autres super-héros (nous parlions plus tôt du côté monte-en-l’air à la Spider-Man). Et puis il y a aussi cette idée d’un agent secret surnommé The Shield travaillant pour le FBI et inventant ses propres gadgets. Etait-il très loin de l’esprit de Stan Lee et Jack Kirby quand ils créèrent leur S.H.I.E.L.D., variation science-fictionnesque du FBI connue pour ses gadgets avant-gardiste ? Nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler. DC ayant récemment obtenu la licence des vieux super-héros Archie, J. Michael Straczynski est en charge de les incorporer à l’univers de leur nouvel éditeur. On espère que l’auteur saura utiliser les racines du héros et ne pas en faire seulement « le Captain America de DC ». Ce serait un comble, puisqu’à l’évidence le personnage a bien plus de potentiel que ça.
[Xavier Fournier]
(P.S. : Et rendez-vous demain pour finir de parler de ce comic-book, sur lequel il reste des choses à dire).
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