Oldies But Goodies: Pocket Comics #1 (Août 1941)

[FRENCH] La découverte du feu fut déterminante dans la progression de l’humanité. Chez les héros de comics, la chose est également vraie avec les nombreuses imitations pyrotechniques qui marchèrent sur les pas de précurseurs tels que The Flame et Human Torch. Parmi ces copies, le Red Blazer pourrait sans doute être noyé dans la masse (et noyé, quand on est un héros de feu, c’est quand même un comble) s’il n’avait la particularité d’avoir une des origines les plus tarabiscotées du Golden Age.. Ou si on n’y voyait pas quelques traces de chose à venir. Et puis ce n’est pas tous les jours qu’on croise un vacher devenu super-héros…

Parler de la propagation des super-héros au début des années 40 c’est un peu comme vouloir enfoncer une porte déjà ouverte de longue date. La cause était entendue. Tout les éditeurs entraient dans la danse et demandaient à leurs auteurs de leur fournir leur propre version d’un héros à succès dérivé d’un Superman, d’un Shadow ou d’autres figures qui, déjà, s’étaient imposées. Dans l’état 1941 Harvey Comics participait à la ruée sur les super-héros avec une petite particularité. Ses responsables avaient eut l’idée de tester un nouveau format, plus petit, qui avait le double avantage d’être moins cher à produire et plus facilement transportable par le jeune lecteur. D’où le nom de la série Pocket Comics (« Comics de Poche ») qui débutait alors, contenant les débuts de nombreux personnages inventé pour l’occasion.

Comme Harvey compensait la différence de hauteur en rajoutant des pages, le premier numéro de Pocket Comics faisait bien ses 100 pages. Bien sûr, sur des pages plus petites la composition des pages et le nombre de cases étaient moins complexes, donnant des planches moins longues à produire, mais on comprendra que pour alimenter un titre de 100 pages les auteurs s’activaient en coulisses pour remplir, remplir et encore remplir, donnant des créations où l’on devine souvent que les créateurs ont travaillé « le nez sur le guidon » sans avoir le luxe de pouvoir prendre du recul ou même tout simplement d’y réfléchir à deux fois… Le premier épisode du Red Blazer en est une preuve pratiquement à chaque page, tellement le récit qui le concerne est biscornu. Un véritable cas d’école…

Dès la page d’introduction de l’histoire, la case d’ouverture nous montre sans l’ombre d’un doute que le Red Blazer est un pseudo-Human Torch. Le héros, entouré de flammes, tombe du ciel sur une bandes de personnages patibulaires tandis que le commentaire nous le présente ainsi: « Propulsé par les pyro-rayons enflammés, un étrange nouveau champion de la justice apparait ! C’est le Red Blazer, qui utilise ses pouvoirs pour aider le monde à combattre le crime et le mal. En voici l’histoire…« . Et ces derniers mots sont bien inspirés car ce n’est pas tellement le personnage en lui-même qui nous intéresse (je serais tenté de dire que quand on a vu un ou deux dérivés d’Human Torch on les a tous vu…) mais bien les circonstances ahurissantes de sa genèse. Cette dernière débute dès la case suivante, alors qu’un vaisseau spatial traverse le ciel pour se poser dans une prairie du Wyoming. Le Red Blazer serait-il un extra-terrestre, façon Superman ? Non, vous allez voir, c’est plus compliqué que ça….

Une fois le vaisseau posé, deux personnages en émergent. L’un est visiblement un savant (il a tous les attributs habituels du scientifique dans les comics et pourrait aussi bien être confondu avec le Professeur Horton, créateur du Human Torch originel). Mais son compagnon est plus étrange. Il s’agit de Kagah, un martien chauve à la peau verte (certains voudront sans doute faire la comparaison avec le plus tardif Martian Manhunter de DC Comics mais enfin la représentation des martiens comme « hommes verts » me semble assez répandue pour qu’on n’établisse pas un rapport de cause à effet entre Kagah et le Manhunter). Le savant s’exclame : « Nous avons réussi ! Les Etats-Unis ! Ma patrie ! Nous sommes revenus de Mars, Kagah !« . Et l’homme vert, admiratif mais s’exprimant visiblement avec difficulté, répond « Très… Bien… Votre Terre est… très belle… » avant de s’effondrer dans un râle. Le commentateur nous explique que l’air de la Terre est trop lourd pour le Martien et qu’il lui est fatal (et là on ne pourra s’empêcher de faire le rapprochement avec la conclusion du roman la Guerre des Mondes où les Martiens finissaient par mourir, incapables de survivre sur Terre). Le savant ne peut que constater l’évidence: « Kagah est mort… Et c’est ma faute, je n’aurais pas du le ramener de Mars« . Il ne reste qu’une chose à faire : sortir une pelle pour enterrer le martien…

La scène est observée de loin par un cow-boy nommé Jack Dawnson. Un cow-boy comme dans les films d’Hollywood, plus proche de Gary Cooper ou John Wayne que d’un réel « garçon-vacher ». On pourrait croire que Jack Dawnson s’étonne de voir une fusée posée au milieu de sa prairie ? Et bien non ! Ce qui retient son intention c’est au contraire la vision du vieil homme en train de finir d’enterrer quelqu’un. Le cow-boy se dit que le savant n’a pas la force nécessaire pour terminer sa tâche et que c’est à lui, Jack Dawnson, de l’aide. Pendant que Dawnson termine la tombe improvisée, il discute avec le scientifique, posant des questions sur la « voiture » si bizarre qui se trouve à côté d’eux. Le savant lui explique alors qu’il s’agit d’un croiseur spatial. Son nom est le Docteur Morgan. Il a inventé ce vaisseau il y a quelques années et est parti pour Mars en 1901 (soit 40 ans avant la scène en train de se dérouler). Il est revenu avec son fidèle assistant martien Kagah pour partager ses découvertes scientifiques avec une humanité pacifique… Hélas le monde n’est pas prêt… Il n’y a que crimes et guerres. Là, on aurait envie de demander au Docteur Morgan comment il le sait puisque visiblement il est parti depuis 1901 et qu’il n’a pas traversé deux guerres mondiales. Et s’il avait pu observer les événements depuis Mars, sans doute n’aurait-il pas entrepris son voyage de retour. En quoi la mort naturelle de Kagah, seul événement survenu depuis leur arrivée, lui aurait-elle démontré que l’humanité se livrait seulement au crime ? Surtout quand, au contraire, le premier humain qu’il croise lui propose spontanément de l’aider…

Mais le Docteur Morgan n’a visiblement pas tout dit. En son for intérieur il constate que Jack Dawnson est « un jeune homme bien sous tout rapport » et qu’il « fera l’affaire ». Du coup le scientifique lui tend une boisson qui apparait comme par magie dans la case, comme si le Docteur se promenait avec un verre au milieu de la prairie. Il explique au cow-boy que cela le désaltérera après ces efforts. Et c’est vrai que Jack adore le goût de cette boisson… avant de tomber assis, réalisant qu’il est en train de perdre connaissance… « Dors, jeune homme, car je te prépare un avenir très actif« . Morgan hisse alors le corps inconscient dans son vaisseau et le laisse sur le sol du véhicule. Puis le savant programme le croiseur pour qu’il flotte dans les hautes couches de l’atmosphère pendant trois heures. Quand la fusée décolle, Morgan, lui, est resté sur le sol de la prairie et Jack Dawnson, toujours inconscient, vole donc sans le réaliser vers son destin… Comme quoi il faut toujours se méfier quand on rencontre un inconnu en train d’enterrer un martien dans les prairies du Wyoming…

En fait de « plus hautes couches de l’atmosphère » le vaisseau va sans doute plus loin puisque dans une case une comète passe entre nous et le croiseur. Plus tard, Jack Dawnson revient à lui, en se demandant comment il a pu dormir si longtemps (mais comme il dormait et qu’il n’a pas de montre, comment sait-il, au juste, s’il a dormi longtemps ou pas ?). Visiblement avant de lancer l’appareil, Morgan a pris soin de déshabiller Dawnson et de le vêtir avec une curieuse tenue bleu et rouge, pourvue d’un masque jaune. « Que c’est-il passé ? Je me sens… différent ! » Ce qui est sidérant, déjà, c’est que tout le temps où Jack Dawnson était habillé en Cow-boy, il parlait avec un accent rural à couper au couteau. Or, allez savoir pourquoi, le voici qui s’exprime désormais dans un anglais parfait…

Et en cherchant s’il est seul à bord, Dawnson trouve une note scotchée sur un miroir. C’est un mot de Morgan qui lui explique qu’il l’a expédié vers les couches supérieures où les « astro-pyro-rayons ont agit sur lui et fait avancer son évolution de quelques niveaux… Il est devenu un homme parfait ».

Là, sortons un instant de l’atmosphère ridicule qui baigne ce récit (Pourquoi le scénariste s’est-il embêté à inventer un martien si c’était pour le tuer au bout de deux cases sans fonction réelle dans le récit ? Pourquoi avoir inventé une Mars peuplée pour ne plus jamais l’évoquer ?) pour noter que Jack Dawnson, dans son attirail de Red Blazer vient de vivre une expérience qui devrait vous paraître familière si vous lisez un tant soit peu des comics. Le personnage s’est trouvé à bord d’un vaisseau spatial baigné par des rayons cosmiques (même si en l’occurrence ce sont des « astro-pyro-rayons ») et en ressort transformé, doué de pouvoirs surhumains. C’est ni plus ni moins la même mécanique que l’origine des Quatre Fantastiques mais vingt ans avant l’heure !

D’autant que les pouvoirs du Red Blazer ressemblent, par la force des choses, à ceux d’un des Fantastiques : Quand le vaisseau ramène Dawnson sur Terre, il se pose sur l’une des montagnes les plus hautes et escarpées des Sierras. Le héros, désolé, constate qu’il est coincé au sommet sans moyen de redescendre. Du coup il ne voit pas d’autre alternative qu’attendre dans le vaisseau en se nourrissant des vivres et en lisant quelques livres en espérant qu’un avion passe par là et le repère. Vous constaterez donc comme moi que Jack est un fieffé idiot qui ne réalise pas l’ombre d’un instant qu’il est à bord d’une fusée et qu’il lui suffirait donc de redécoller vers un lieu plus amical. Heureusement pour Jack, la première chose qu’il commence à lire, c’est le journal de bord, qui contient les notes de Morgan. Et ce journal décrit visiblement les pouvoirs dont à hérité Dawson (Au passage on se demandera comment Morgan, qui venait de Mars et qui a forcément traversé les mêmes couches de l’atmosphère terrestre, n’a pas reçu, lui, les mêmes pouvoirs mais ce n’est qu’une incohérence de plus à verser au dossier). Sidéré, Dawnson découvre donc qu’il est maître des astro-pyro-rayons et peu donc s’enflammer à volonté. Et sans perdre de temps, le personnage décolle (l’auteur part sans doute du principe que les lecteurs sont suffisamment habitués aux pouvoirs de héros comme Human Torch pour qu’on puisse se dispenser de toute autre explication quand au fait que le fait de brûler permette de voler). Dawnson, dans les airs, s’exclame : « Ces rayons m’ont donné une super-vitesse ! J’ai toujours voulu être pilote mais ceci est plus fort que tout ! ». En fait de « super-vitesse » Dawnson ne fera jamais preuve d’aptitudes comme celle de Flash ou du Whizzer, on restera nettement plus dans le registre des pouvoirs d’Human Torch. Mais qu’importe le nom qu’on leur donne… Les nouveaux pouvoirs de Dawnson lui permettent de vite retrouver la civilisation, en atteignant la ville de Crater Lake.

C’est une fois ainsi « sauvé » que Dawnson  prend le temps de se livrer à un peu de réflexion sur sa tenue: « Hmm. Ce costume a une étrange signification. Je commence à réaliser ce que le Docteur Morgan voudrait. Il m’a choisi pour que je me lance dans une croisade contre le Mal. J’accepterais cette mission en tant que Red Blazer et maître des puissants astro-pyro-rayons. Je jure de les utiliser seulement pour la justice ». Et tout ça, toutes les intentions de Morgan, le Red Blazer les « devine » d’après l’étrange tenu qu’il porte. Encore heureux que le savant ne lui a pas donné ces vêtements seulement parce que c’était Mardi Gras sur Mars ou encore simplement parce qu’il avait envie de lui donner l’air ridicule…

Au même moment, dans une proche cité, le gangster Doc Brennan réunit tous ses hommes de main avec un projet maléfique : libérer tous les bagnards de manière à ce qu’ils rejoignent leur gang et fassent le sale boulot. La nuit même, les forces de Brennan se lancent à l’assaut du pénitencier, tuant les sentinelles à coups de fusil. Très vite, tous les gardiens sont abattus et les prisonniers s’échappent, venant grossir les rangs des hommes de Brennan. Une vague de crimes sans précédent s’abat sur la ville et de nombreux policiers perdent la vie. Les corps sont transportés les uns après les autres au commissariat (on imagine que la morgue est dans le même bâtiment) sous le regard du Red Blazer qui se trimballe dans la rue dans son super-costume (pourtant pas du tout discret) sans éveiller la moindre réaction. Bien sûr, il n’en fallait pas plus pour que le héros s’en mêle. Son approche est pour le coup plutôt originale : il placarde dans la ville des tracts expliquant qu’il déclarera la guerre au crime dès minuit… Son idée est que les gangs s’uniront pour lui résister et qu’ils ne formeront finalement qu’une seule cible pour lui.

Allez savoir pourquoi mais ça marche. En voyant ces tracts signés d’un mystérieux Red Blazer que personne n’a jamais vu, les gangsters rient mais décident quand même de se réunir le soir venu à l’armurerie municipale. Du haut d’un immeuble le Red Blazer les surveille et s’exclame « C’est le moment de combattre le feu avec le feu » clin d’œil appuyé à ses pouvoirs mais qui ne s’explique pas vraiment dans l’histoire puisqu’on serait curieux de savoir quel « feu » il combat. Aucun des gangsters n’a fait usage du moindre briquet. Et pourtant le Red Blazer insiste en leur tombant dessus et en leur jetant des boules de feu: « Goûtez à votre propre médecine ! » alors que la « médecine » des gangsters est pourtant toute autre et qu’ils n’utilisent que des balles. Les criminels ne s’attendaient pas à rencontrer un adversaire surhumain. Très vite ils prennent la fuite et certains d’entre eux se réfugient dans un fourgon blindé. Mais c’est peine perdue : le Red Blazer fait fondre la paroi du fourgon et vient à bout de toute résistance avant de s’envoler dans le ciel. La police n’a plus qu’à cueillir Brennan et sa bande…

Le Red Blazer, lui, est retourné dans le croiseur spatial planqué dans les sierras, qui continue visiblement de lui servir de base arrière. Mais il entend très vite une voix familière « C’est le Docteur Morgan sur le mur-vis-o-phone ! ». Et en effet le visage de Morgan apparait sur un écran : « Fiston, tu as bien fait… et le monde réalisera bientôt que le crime ne paie pas ! ». Visiblement ni Morgan ni le Red Blazer ne semblent gêné par le coup pendable que l’un a joué à l’autre. Car si Morgan professe lutter contre le crime, il a quand même drogué Dawnson avant de le kidnapper d’une certaine manière et de l’envoyer dans l’espace sans lui demander son avis. Ce n’est pas très démocratique comme procédé… Et puis d’ailleurs d’où émet-il, Morgan, puisque la dernière fois qu’on l’a vu il regardait décoller son vaisseau sans s’y trouver ? Aux dernières nouvelles, nous l’avions laissé dans la prairie sans aucun mode de locomotion. Il faut croire qu’il avait un autre vaisseau quelque part… Mais pourquoi ne pas venir en personne aider le Red Blazer à découvrir ses pouvoirs plutôt que de lui envoyer des platitudes via le lointain ancêtre d’une webcam ? Mais il est vrai que les auteurs n’en sont plus à un illogisme près.

Malgré ces débuts laborieux, le Red Blazer durera plus longtemps qu’on pourrait le croire, même s’il subira quelques changements en cours de route. D’abord la série Pocket Comics ne durera qu’un temps. Harvey Comics transférera les personnages les plus notables dans d’autres titres au format plus conventionnel et le Red Blazer deviendra ainsi la « vedette » de la série All-New Comics. Mais par « vedette » il faut comprendre une utilisation très particulière. Le personnage n’apparaissait que sur la couverture. A l’intérieur il n’y avait aucune BD le concernant (elles étaient consacrées à d’autres héros). Il n’était l’objet à chaque fois que d’une courte nouvelle écrit, selon la formule de « l’histoire derrière la couverture » (procédé par lequel de nombreux éditeurs racontaient ainsi les circonstances de l’image de couverture tout en restant en « mode textuel » afin de démontrer aux associations familiales qu’ils aidaient les enfants à pratiquer la lecture non-illustrée).

Jusqu’en 1946 le héros fut donc montré sur la couverture d’All-New Comics sans réellement être représenté dans le contenu. Ce curieux statut ne l’empêcha pas de continuer d’évoluer. Entretemps Harvey Comics avait en effet visiblement décidé que le modèle de Captain America était plus porteur que celui d’Human Torch. Du coup le héros avait changé de costume (insistant beaucoup plus sur le côté patriotique) et se faisait désormais appeler Captain Red Blazer. Dans la foulée, Captain Red Blazer s’était également découvert un sidekick, un jeunot possédant les mêmes pouvoirs que lui, nommé selon les occasions Sparky ou Spark. Pas aussi populaire qu’un Superman (loin s’en faut) Red Blazer (ou Captain Red Blazer, comme vous préférez) durera quand même 5 ans, à une époque qui n’était pas tendre pour les héros, qui disparaissaient souvent aussi vite qu’ils étaient apparus. Aux dernières nouvelles le Docteur Morgan attend toujours quelque part dans une prairie du Wyoming, avec son verre de somnifères à la main. Vous le reconnaîtrez facilement si vous passez par là : c’est le vieil homme à côté de la tombe du martien…

[Xavier Fournier]

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