L’histoire commence un soir d’orage, alors qu’un hydravion de type « clipper » survole l’océan Pacifique. L’engin est frappé par la foudre et le pilote s’aperçoit qu’il a perdu le contrôle des commandes. A bord, sentant que l’avion vole à sa perte, une femme prie pour que son bébé survive. Quand soudain l’avion entre en collision avec « une mystérieuse île flottant dans les nuages ». Décidément ils n’ont pas de chance ces gens-là, parce qu’être frappé par la foudre en plein vol (c’est possible, mais pas si courant) puis, l’instant d’après, heurter « une mystérieuse île dans les nuages », c’est beaucoup pour un seul vol. Forcément le pilote ne pouvait s’attendre à trouver un rocher de cette taille à cette hauteur et n’a pu préparer l’impact. L’avion s’écrase et commence à brûler tandis que la population native de cette île céleste se réunit autour de la carcasse pour observer. Et, forcément, sur une île volante, les habitants ne peuvent être que d’étranges hommes ailés, des Bird-Men.
Ce n’est pourtant pas la seule particularité de l’île volante. Il ne faudra pas longtemps à l’enfant pour grandir à l’âge de vingt ans. Car l’accident n’est pas très vieux quand le jeune homme arrive, déjà, à l’âge adulte, comme le prouve (pour ceux que ça intéresse) le modèle d’avion utilisé. UN « clipper », qui était relativement contemporain de la publication de Red Raven Comics #1. Les « clippers » sont en fait des Boeing 314 dont les premiers vol d’essais ont eu lieu en 1938. Alors pour qu’un bébé qui aurait voyagé à bord d’un « clipper » fête ses 20 ans en 1940, il faudrait normalement un sérieux problème de compression temporelle et on serait tenté de croire à une erreur scénaristique. Mais non, au contraire la question est même totalement assumée. Dans la case qui symbolise le passage du temps, on nous explique que sur l’île céleste règnent « les étranges conditions qui ont permis aux oiseaux de dépasser la vitesse habituellement lente de l’évolution » et qu’elles ont affecté l’enfant. Autrement dit, le curieux phénomène qui a permis aux oiseaux de devenir des Bird-Men fait que l’enfant vieillit de manière accélérée et que ses vingt ans ne se sont écoulés qu’en quelques mois « normaux ».
A l’âge de vingt ans, donc, le dernier survivant du crash de l’avion se présente devant le roi des Bird-Men (qui n’a pas l’air d’avoir changé dans cet intervalle de vingt années relatives). Le roi lui explique que puisque le jeune homme est aussi brave que le plus brave des corbeaux, on l’appellera désormais Red Raven (« Corbeau Rouge »). Et là aussi on peu se demande ce qu’aura été son nom pendant les vingt premières années de sa vie s’il faut attendre ce moment pour le « baptiser ». Le roi lui donne alors comme mission de repartir sur la terre ferme pour combattre le crime et plus largement tout ce qui peut contrer le bonheur de la race humaine. Red Raven, lui, considère visiblement que sa culture est celle des Bird-Men et il n’est pas spécialement ravi de quitter « son pays » pour aller retrouver l’humanité mais bon, puisque c’est le vœu de son père adoptif, il s’y plie sur le champ… Revenu en Amérique, Red Raven s’installe dans la société (bien qu’on ne nous dira jamais son nom civil, qui est donc laissé à notre imagination. Pourquoi pas « Reed Raven » ?). Le héros est sidéré de constater le niveau de pauvreté. Surtout quand il est obligé de faire la queue devant l’équivalent de l’ANPE. Ce qui est là aussi une particularité de Red Raven. Bien souvent les super-héros étaient des notables qui n’avaient pas besoin de travailler pour vivre ou qui décidaient d’une case à l’autre de travailler dans telle ou telle activité sans jamais avoir suivi de formation ou connu les affres du chômage (par exemple le Clark Kent classique devient directement journaliste vedette sans qu’on ait l’impression qu’il ait eu à chercher du travail un jour, malgré le fait qu’il ne semble pas avoir fait d’études le préparant à la presse). L’idée qu’un héros fasse la queue devant une agence de recrutement, qu’il ne suffit pas de vouloir un poste pour qu’il tombe du ciel, est donc assez atypique pour les comics de l’époque. Quand un resquilleur tente de passer devant tout le monde, Red Raven n’est pas du genre à se laisser faire et lui assène un coup de poing. Une bagarre explose alors, seulement dispersée par les fumigènes de la police…
Dans son « château souterrain », un certain Zeelmo observe la scène sur sa « gazegraphomachine » (sorte de télévision avec un autre nom, simplement pour faire plus savant). Et histoire de bien nous montre que Zeelmo est un savant fou, le sol de la pièce où il se trouve est jonché de squelettes, comme s’il était dans les oubliettes d’un donjon (au passage, profitons-en pour souligner que ceux qui se plaignent que les comics sont plus violents et plus « gore » aujourd’hui qu’il y a quelques décennies se trompe totalement, à moins de regretter les années de censure du Comics Code). Zeelmo a repéré Red Raven en civil, en train de se battre dans la file d’attente et il se dit qu’une telle brute serait tout à fait ce dont il a besoin. Manque de chance pour lui, à l’issue de la bagarre, la police a coffré Red Raven et l’emmène dans un fourgon jusqu’au commissariat. Ce n’est qu’un petit inconvénient pour les hommes de Zeelmo qui attaquent le fourgon à coups de missile et libèrent Red Raven avant de l’emmener avec eux.
Zeelmo explique à Red Raven sa fascination pour l’or, qu’il désire puisqu’elle lui permettra d’asservir l’humanité. Il propose au héros de le rejoindre puisque Zeelmo prétend être en passe de gagner la bataille de la survie du plus fort (« survival of the fittest », un terme qu’on retrouvera par la suite souvent chez Marvel, en particulier dans la bouche de bad guys comme Magneto, Apocalypse ou Sinister). Aucun des gangsters n’a compris jusqu’ici que Red Raven n’est pas de leur bord. Mais ils le réalisent vite quand le héros jette l’or au visage de Zeelmo tout en refusant son œuvre. Zeelmo, qui n’en est déjà plus à un cliché près, actionne alors une trappe dans la pièce. Red Raven disparaît dans le sol, tombant dans une pièce spéciale où Zeelmo le prévient qu’il périra de vieillesse puisque dans cette cellule spéciale les gens vieillissent de 100 ans en une heure (manière incroyablement compliquée de se débarrasser des gens, alors qu’un bon vieux coup de revolver aurait fait l’affaire). Mais Red Raven n’est pas le seul qui est ainsi « condamné ». Zeelmo fait jeter dans le trou de la trappe une jeune femme qui lui a désobéi. La jeune femme implore Red Raven de la sauver et c’est alors qu’il se transforme (un peu à la façon de Captain Marvel/Shazam). Son costume de ville disparaît, remplacé par une tenue rouge et des « ailes membraneuses ».
Avec ces ailes, il peut voler vers le plafond de la pièce en portant la jeune femme mais le poids cette dernière plus les étranges vapeurs qui le font vieillir amenuisent ses forces. Il n’arrive pas à ouvrir la trappe. Alors que le dessinateur accentue les rides sur les deux visages, la jeune femme l’encourage « Et puis souviens-toi que la vie commence à 40 ans ! ». Parce oui, en quelques minutes les deux personnages ont vieillis de 20 ans (avec le principe de l’île céleste où le temps passe plus vite, Red Raven vient de perdre près de 40 ans de sa vie en quelques pages !). Avec ce curieux encouragement, Red Raven trouve la force de les élever jusqu’à la pièce supérieure, où se trouve Zeelmo et ses gangsters. Une bagarre éclate. Dans la précipitation Red Raven pousse Zeelmo dans la « fosse à vieillir », vers une mort certaine. Puis il fait exploser le repaire du savant fou. Mais si le boss est mort, ses hommes ont réussi à s’enfuir.
Mais il n’a pas compté sur un point. Le nouveau chef qui remplace Zeelmo, Ratoga (où vont-ils chercher des gangsters avec des noms pareils ?) a observé les événements à travers leur fameux écran de télévision. Il sait que Red Raven vient vers eux et il fait tendre un filet dans l’entrée de la maison. Quand le héros ailé s’y précipite, il s’y coince comme une mouche qui serait venue se prendre dans la toile d’une araignée. Ratoga contemple alors son prisonnier en lui promettant une mort horrible. Car une chose est sûre, ces gangsters ne sont jamais à cours d’idées en ce qui concerne les engins de torture. Les voici qui enferment Red Raven dans une sorte de capsule nommée la Vibrato-machine. La force qu’elle dégage en tournant sur elle-même est supposée broyer les os de toute personne s’y trouvant. Mais ce que les criminels ignorent quand ils actionnent la machine c’est qu’à l’intérieur Red Raven contre les vibrations de l’engin en volant. Le fait de ne pas entrer en contact avec le sol ou les parois lui permettent visiblement d’échapper aux effets néfastes promis. Pourtant, une fois la machine arrêtée, quand les gangsters observent l’intérieur, ils trouvent le héros inanimé et le croient mort. Red Raven joue en fait la comédie pour pouvoir s’enfuir l’instant d’après, une fois leur attention tournée ailleurs. Le héros trouve alors Ratoga dans une sorte de salle de projection où (grâce à un écran de télévision cette fois nommé un « Futurescope ») le nouveau leader explique qu’il veut conquérir le monde là où Zeelmo était surtout intéressé par l’or.
Ainsi prend fin la première et seule histoire originale de Red Raven dans les années 40 puisque Red Raven Comics n’aura qu’un numéro. On pourra s’étonner de cet arrêt précipité : les ventes ne peuvent absolument pas intervenir dans cette décision puisque les comics étaient antidatés et qu’il fallait donc plusieurs mois avant de savoir si une BD s’était bien vendue ou pas. Au moment de décider de faire (ou, dans le cas présent, ne pas faire) un Red Raven Comics #2, personne chez Timely Comics ne pouvait prétendre avoir une idée claire du succès du #1. Ce qui paraît plus probable c’est que Red Raven a plutôt été victime du succès des autres héros publiés par la firme. Timely nota à peu près en même temps que Human Torch et Sub-Mariner étaient assez populaires pour avoir leurs propres titres en « solo » et démarrer en profitant des diverses autorisations postales d’un titre pré-existant permettait de gagner du temps, à condition de conserver la même numérotation. Human Torch Comics démarra donc directement au #2 quelques temps plus tard, remplaçant Red Raven Comics sur le planning de l’éditeur. Timely avait sans doute jugé qu’il était plus prometteur de donner plus de place à un héros populaire au lieu d’essayer d’imposer une création nouvelle. Bon. Mais à ce compte-là pourquoi ne pas récupérer les aventures de Red Raven à l’intérieur d’Human Torch Comics et lui donner ainsi le même genre de place secondaire que Hawkman dans Flash Comics ? Il me semble que l’explication la plus logique viendrait de l’esthétique même du personnage. Car si on regarde le costume original de Red Raven, il s’agit essentiellement de l’uniforme du Human Torch du Golden Age. Red Raven ressemble à un Human Torch a qui on aurait collé des ailes. La similitude est d’autant plus forte que même si les Bird-Men l’ont surnommé « Red Raven » (et qu’on serait en droit d’attendre qu’il soit roux, comme il l’est d’ailleurs sur la couverture), il est blond comme Human Torch. Ses ailes sont semblables à des ailes de chauve-souris (faisant un peu penser à la cape de Batman). Red Raven n’a à l’époque aucun masque mais -allez savoir pourquoi – il aura une apparence assez différente dans X-Men #44, lors de son retour à l’ère contemporaine (avec une sorte de capuche rouge, des ailes avec des plumes et des accessoires jaunes sur son costume rouge). Pour le meilleur est pour le pire ce sera le costume des années 60 qui deviendra son uniforme de référence, même rétroactivement (c’est à dire qu’après ça, dans les rares occasions où on nous a montré un flashback avec le Red Raven des années 40, il portait la tenu des sixties et pas son apparence originale). Bref, les ressemblances n’étaient pas dérangeantes tant que Red Raven évoluait dans son propre mag, sans croiser Human Torch. Par contre si on l’avait utilisé dans les pages d’Human Torch Comics, le vis-à-vis aurait été un peu trop évident.
Cette ressemblance condamna Red Raven à des décennies d’oubli, avant qu’on ne nous le ressorte dans les pages des X-Men comme une sorte de pseudo-Sub-Mariner qui aurait mal tourné et qui s’apprêterait à conquérir la Terre entière. Après s’être opposé à Zeelmo et Ratoga précisément sur des plans similaires je doute que le Red Raven aurait pu tomber dans ce genre de délire. Et n’oublions pas que le roi des Bird-Men espérait apporter la paix à l’humanité, ne désirant pas particulièrement lui faire la guerre (au contraire des Atlantéens qui méprisaient les « gens de la surface »). Donc cette attitude désormais hautaine envers le genre humain s’explique mal. Lors de ses apparitions modernes (ou même des flashbacks liés à la Liberty Legion) il n’utilisera plus, non plus, le cadran doré, très « Dial H for Hero », qui lui donnait un accès limité au magnétisme et en faisait autre chose qu’un énième homme volant… Plus tard, bien plus tard, on nous dirait que les Bird-Men étaient une branche évolutive issue des Inhumans (et en un sens ce serait assez logique puisqu’Attilan, la cité des Inhumans, est aussi une ville qui peut être déplacée en volant) mais je crois personnellement qu’une occasion a été loupée et que, paradoxalement, si Red Raven n’avait pas relié aux Inhumans, il aurait pu trouver plus tard une place bien plus naturelle dans l’univers des mutants. Car cette histoire d’enfant dont les parents disparaissent lors d’un crash d’avion et dans lequel est impliqué une race aviaire… évoque singulièrement les origines de Scott Summers et de ses frères. Si la race d’hommes-oiseaux de Red Raven avait liée aux Sh’iars (les extra-terrestres aviaires utilisés dans les pages des X-Men), la place du héros ailé serait sans doute aujourd’hui tout autre. Ramené il y a une dizaine d’années par Erik Larsen dans les pages de la série Nova, Red Raven est aujourd’hui le monarque de l’île céleste. Ses apparitions modernes écrites par Roy Thomas ont été tempérées (sa volonté d’envahir le monde faisait apparemment partie d’un plan secret pour convaincre l’humanité que l’île céleste avait été détruite) mais ce héros de quatrième ordre reste très méfiant et ne semble plus guère porter la race humaine dans son cœur. Dommage, car il reste quand même une création du scénariste /éditeur Joe Simon (en compagnie du dessinateur Louis Cazeneuve) et à ce titre on pourrait espérer autre chose qu’une occasionnelle apparition dans une scène de foule…
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