Oldies But Goodies: Reg’lar Fellers Heroic Comics #7 (juillet 1941)
16 novembre 2013 Non Par Xavier Fournier[FRENCH] Le dessinateur H.G. Peter est surtout connu pour avoir été le co-créateur de Wonder Woman (et encore, on parle plus souvent du scénariste que de lui). Mais avant de mettre en images les aventures de la belle amazone, Peter avait travaillé sur un autre personnage largement oublié, Man O’Metal… dont la descendance est pourtant massive dans les comics modernes. Si si, vous allez voir…
Reg’lar Fellers Heroic Comics était une série qui accueillait déjà l’Hydroman (un personnage pouvant se transformer en eau) de Bill Everett tandis qu’ailleurs la tendance était aux «hommes d’acier » tels que Superman ou Man of Steel. Peut-être est-ce pour cela que le scénariste inconnu eut l’idée de réunir les deux catégories, de créer un personnage qui puisse se transformer lui aussi en un élément tout en appartenant à la même caste. Le résultat de cette « recette » débuta dans Reg’lar Fellers Heroic Comics #7 (juillet 1941) non sans une certaine emphase. Visiblement l’éditeur et les auteurs attendaient beaucoup de leur création. D’emblée ils incitent donc les lecteurs à s’impliquer : « Cher lecteur, Heroic Comics vous présente pour approbation… Man O’Metal… Laissez nous vous raconter comment il a été transformé en une créature surnaturelle. » L’image de présentation nous montre alors un ouvrier en train de travailler dur, torse nu, dans une fonderie. Ce travailleur à l’allure forcenée évoque un peu l’ambiance stakhanovisme qui glorifiait alors le rendement des ouvriers en URSS. Le commentaire nous explique : « Un jour nous retrouvons Pat Dempsey (NDLR: de facto c’est l’homonyme de l’acteur Patrick Dempsey, qui joue dans Grey’s Anatomy mais comme il est né en 1966, n’allez pas chercher de lien) qui travaille dur dans la fournaise d’une usine où le métal est fondu ».
Mais un accident se produit et un réservoir d’acier fondu au point d’être liquéfié se renverse… sur le pauvre Pat. Imaginez : un ouvrier torse nu sur lequel on renverse des litres de métal en fusion ! De quoi périr immédiatement. Ses collègues sont horrifiés : « Il va être brulé à mort ! ». Mais quelque chose d’extraordinaire se produit : « Un être humain, en raison d’une inexplicable réaction chimique de sa peau, est transformé en homme de métal (NDLR: en anglais « Man of Metal, raccourci dans le reste des aventures du héros en « Man O’Metal »). Ce phénomène étrange aurait du être brulé à mort quand le métal surchauffé s’est renversé sur lui. Mais il est maintenant transformé, capable de brûler un passage à travers les obstacles les plus épais ». Dans les faits, Pat Dempsey est maintenant devenu un être recouvert de métal mais qui plus est d’un métal en fusion. Ce qui fait que non seulement il ressemble à une sorte de Colossus (le membre des X-Men) du Golden Age mais qu’il est également auréolé de flammes et dégage une immense chaleur… Ce qui fait de lui un lointain cousin des personnages incendiaires tels qu’Human Torch. Même en imaginant qu’il y ait un facteur indéterminé (mettons que Dempsey soit par ailleurs un mutant), il y a quand même des choses incohérentes dans cette transformation, ne serait-ce que pour des questions de pudeur. Si c’est sa peau qui réagit au contact du métal, alors comment expliquer que le pantalon de l’ouvrier ou ses chaussures ne soit pas brulés par l’incident ? Et si le pantalon est intact est-ce que la peau des jambes de Dempsey a profité du même « bain » que son torse ? Les auteurs n’exploreront pas la question.
N’étant pas blessé, Dempsey se rend alors dans le bureau du patron de l’usine mais une autre chose étrange se produit quand il arrive dans la pièce; Son apparence surhumaine se dissipe. Et il apparait à nouveau comme un type normal, torse-nu. Le patron, qui a sans doute vu l’apparence de son employé avant qu’il perde ses pouvoirs, n’est pas impressionné. Il croit qu’on lui fait une blague et il ordonne à Dempsey d’arrêter ses tours et de retourner travailler ! Si Dempsey pensait avoir un peu de compassion de la part de son employeur, c’est raté. Même pas un petit « cet accident aurait pu te couter la vie, on s’excuse ». Ce qui d’ailleurs pose question sur la philosophie du scénariste. Si on reconnait le style très particulier d’H.G. Peter, futur dessinateur de Wonder Woman, on ne sait pas si c’est Peter lui-même ou un scénariste inconnu qui a écrit l’histoire. Mais la glorification de l’ouvrier et la représentation du patronat font qu’on a l’impression de lire une BD dont les bases sont pour l’époque très gauchistes. D’autant qu’à la même époque c’est Staline qui dirige l’Union Soviétique et que le surnom qu’il s’est choisi signifie « Acier ». Il est difficile d’être certain des intentions d’un scénariste dont on ignore l’identité et donc l’orientation. Mais on aurait voulu réunir des éléments cryptocommunistes dans cette BD qu’on ne s’y serait pas pris autrement ! Ceci dit il faut dire que dans les comics le « patron », quand il n’est pas le héros de l’histoire, est rarement vu comme un personnage positif (reportez-vous à J.J. Jameson dans les aventures de Spider-Man, par exemple).
Pour l’instant Dempsey n’a plus de pouvoirs, plus d’apparence surhumaine et il ressort plutôt penaud du bureau du patron. Mais pas moins enragé de l’accueil que lui a réservé son supérieur. Pour se défouler il tape sur la première chose qui lui passe sous la main. Il se trouve que c’est un radiateur mural. En le touchant, Pat se transforme à nouveau et adopte son apparence métallique (qui dégage toujours autant de chaleur). Pour ceux qui peineraient à comprendre le narrateur nous explique alors que la transformation ne dure qu’un temps limité et que Pat, pour se transformer en Man o’Metal, doit entrer en contact avec une source de chaleur (on n’est pas très loin du processus par lequel, bien plus tard, le héros français Photonik devra périodiquement entrer en contact avec une source de lumière ou d’énergie). Cette fois le directeur de l’usine est bien obligé de reconnaître qu’il y a un homme en fusion qui déambule dans son couloir. Mais sa première réaction est la panique : « Cet homme est DANGEREUX ! Nous ne pouvons pas le garder ici ! Il va ravager l’endroit ! ». On notera à nouveau que la compassion est absente de son raisonnement et qu’il s’intéresse seulement à son usine (et, par extension, à son profit). Son bras droit est un peu plus pragmatique. Réalisant la puissance de Man O’Metal, il laisse échapper « Quel atout il serait pour repousser la Cinquième Colonne » (la colonne en question fait allusion aux saboteurs nazis qui sont soupçonnés de détruire l’Amérique de l’intérieur). Le directeur est enchanté de cette idée : « C’est ça ! Le FBI ! Je vais téléphoner à son chef ! ». Il vient de trouver une solution pour se débarrasser de son problème.
C’est là qu’on cesse d’explorer sous un jour particulier les rapports ouvrier/patron pour entrer dans une phase bien plus patriotique qui s’éloigne de tout message potentiellement communiste. Au FBI, on réalise immédiatement l’intérêt d’avoir un agent de ce genre. Pat est accepté à bras ouverts. Et bientôt, sous son aspect humain, le chef du bureau fédéral lui confie sa première mission : on va l’envoyer à Badagero, en Amérique du Sud (il ne s’agit donc absolument pas de combattre la Cinquième Colonne). Dempsey se met au garde à vous et fait le salut militaire (ce qui est, sauf erreur de ma part, plutôt curieux pour un agent du FBI). Il accepte avec empressement : « Plus c’est dangereux et mieux c’est ! ». Le chef lui donne alors une mallette qui contient un accord commercial. Pat doit le remettre au président Chico Latista et on explique que la reprise des échanges commerciaux avec les USA devrait empêcher une guerre civile dans ce petit pays. Il n’existe pas de république du Badagero mais le terme désignait un ancien système de navette postale aux Philippines et on comprendra le nom du pays fictif a été chois par analogie (Pat Dempsey devenant lui-même porteur d’un courrier).
Dans l’avion qui l’emmène à Badagero, Pat remarque un individu à l’air suspect (il faut dire qu’il est habillé dans un costume folklorique et qu’on aurait du mal à ne pas le remarquer). L’agent du FBI fait donc mine de laisser sa mallette sans surveillance et tout de suite l’autre homme se précipite dessus pour essayer de s’emparer du contenu. Mais c’était un leurre. La mallette est vide. C’était un tour pour obliger les ennemis de Pat à se dévoiler. Il est maintenant sur ses gardes et quand l’avion se pose, Pat fait exprès de descendre du côté opposé aux autres voyageurs pour éviter d’être reconnu. Mais à peine arrivé dans l’aéroport, alors qu’il vient d’acheter un journal, il est dévisagé par une jeune femme brune : « Vous êtes Pat Dempsey ? Alors nous devons partir vite ! La voiture bleue à l’extérieur ! ». Pat est un peu surpris par la précipitation de la jeune femme, qui explique : « Vite, Señor Dempsey, ou ils vont vous tuer ! ». Elle ne croit pas si bien dire : A peine sont-ils dehors que l’homme au costume folklorique déjà croisé dans l’avion s’approche avec une arme à feu. Il menace : « Si tu tentes de fuir avec elle nous te tuerons ! ». Pat se rue alors sur lui en hurlant « personne ne me dis ce que je dois faire ! ». Et il assomme son adversaire d’un coup de poing.
Mais un complice était resté caché dans une voiture. Brandissant une mitraillette cet autre homme tire sur Pat. Il convient de rappeler que Dempsey a fait le voyage sous sa forme normal, non-métallique et que du coup en théorie il est tout à fait tuable, d’autant qu’il ne semble pas avoir de source de chaleur sous la main pour déclencher la transformation (ah, Pat, il faudrait vraiment penser à prendre un briquet !). Mais c’est là que les auteurs vont nous montrer leur définition plutôt large d’une « source de chaleur ». En effet la transformation est causée… par les balles qui le touchent (sans doute que la friction suffit ?). Des flammes surgissent de son corps, qui se transforme en métal. Il n’a aucun mal à faire fondre la voiture de son adversaire et à le capturer. La jeune femme qui cherchait à protéger Dempsey est terrifiée et Dempsey lui explique alors simplement que ce sont les balles qui l’ont transformé. Bon, vu que Pat ne transportait pas le traité dans sa valise il devait l’avoir sur lui et en théorie la transformation aurait brulé le papier (tout comme la chemise et la veste du héros ne résistent pas) mais ça ne semble pas traverser l’esprit du scénariste.
Pat et son alliée prennent la route mais sont toujours suivis par d’autres conjurés dans une nouvelle voiture. Dans un passage digne de James Bond, la jeune femme explique à Pat qu’elle est la fille du président, Marie. Le héros, lui, ne lui fait pas confiance. Mais il a des soucis plus immédiats. Il tente de tirer sur leurs poursuivants mais les vitres sont à l’épreuve des balles et il n’arrive à rien. En face, l’homme au costume folklorique lance ce que le texte décrit comme une grenade. En fait le dessinateur représente plutôt une masse d’armes avec des points. Le résultat reste quand même que la voiture transportant Pat et Marie explose. Forcément l’explosion transforme Pat en Man O’Metal. Et comme il est projeté vers la voiture de ses poursuivants, il la fait fondre en partie quand il atterrit dessus. Ses adversaires disparaissent alors dans une crevasse où la voiture en flammes disparait.
Redevenu humain, Pat transporte alors Marie, inconsciente, jusqu’au palais présidentiel. Mais il faut croire que ses ennemis eux aussi sont surhumains car l’homme au costume folklorique (celui qui vient de disparaître dans une voiture en flammes qui elle-même plongeait dans un ravin). Et Pat reconnaît alors le méchant Général Cabello, celui qui dirige le camp adverse. L’épisode se termine un peu de queue de poisson mais, en gros, le Général décide qu’il est inutile de se donner la peine de tuer Pat, il préfère l’abandonner de manière à ce qu’il périsse dans les bombardements (Cabello étant en train de démarrer la guerre civile que Pat devait empêcher). Bien sur, dans l’épisode suivant, vous vous doutez bien que les explosions auront pour effet de le transformer à nouveau en Man O’Metal. Pendant tout le reste de la saga (et dans les autres aventures du héros), ses ennemis auront le chic pour lui tirer dessus ou essayer de l’éliminer par des explosions ou des flammes, ce qui provoquera à chaque fois la métamorphose prévisible (il aurait fallu que l’un d’entre eux tente de le noyer !). Avec des variantes parfois intéressantes : Dans Reg’lar Fellers Heroic Comics #8 Pat se jette du haut d’un avion sur un navire de guerre. Non seulement le choc le transforme mais la chaleur qu’il dégage fait exploser les munitions du bateau, réglant le problème.
Avec Hydroman et Man O’Metal, l’éditeur (Eastern Color Printing) pouvait espérait avoir son équivalent de Namor et d’Human Torch mais les personnages n’ont jamais connus la popularité de ceux de DC ou même de Timely. Pourtant, même après avoir lancé Wonder Woman, H.G. Peter resta fidèle à cette autre création jusqu’en 1944, les épisodes restant étant l’œuvre d’artistes inconnus. De toute manière la carrière de Man O’Metal ne durerait guère plus, ses dernières aventures étant publiées en 1945.
Ce qui handicape sans doute un peu la popularité et l’évolution du personnage c’est qu’il est, en gros, construit sur du sable. Ses origines sont peu crédibles et le reste de ses aventures en général assez surréalistes par le ton. Man O’Metal traverse ainsi tous les attentats, tous les obstacles sans réelle notion de danger. Il n’y a pas réellement de suspens. Par contre bien souvent on a l’impression que les planches de Peters pour Man O’Metal sont supérieures en qualité à celles qu’il produisait pour Wonder Woman (sans doute qu’il avait moins de pression éditoriale chez Eastern).
Man O’Metal n’en reste pas moins un des premiers ancêtres de tous les super-héros dont le pouvoir est de se transformer en métal. Qu’il s’agisse de Ferro Lad (Legion of Super-Heroes), de Ben Boxer (Kamandi) ou de Colossus (X-Men), il les a tous précédé. Il n’est pas pour autant certain que les auteurs des héros en question aient voulu volontairement suivre le modèle de Man O’Metal (qui fut, après 1945, quand même largement oublié). Il semble plus probable que le terme « Man of Steel » associé pour la postérité à Superman ait été à la base de l’inspiration de ces autres personnages. On encore qu’on ait simplement voulu, à quelques décennies d’écart, suivre la même logique « élémentaire » que celle qui avait provoquée la création de Man O’Metal. Il reste cependant un personnage qui semble descendre en ligne directe de Pat Dempsey.
On sait, à travers les rares interviews qu’il a pu donner au début de sa carrière, que Steve Ditko était un grand fan de BD du Golden Age. Il est difficile – impossible en fait – de ne pas reconnaître la trace de Man O’Metal dans la création du Molten Man dans Amazing Spider-Man #28 (1965). Le dénommé Raxton a la peau recouverte par un alliage de métal. Il possède, en gros, toutes les caractéristiques du héros de Peter et ressemble à une version dorée de Man O’Metal (l’intention première peut aussi avoir été de copier Goldface, un adversaire de Green Lantern qui a la peau métallique et dorée). Très vite Ditko s’arrange pour que Molten Man se retrouve torse nu, ce qui accentue encore la ressemblance. Mais elle va être plus complète plus tard, dans des épisodes ultérieurs (à partir d’Amazing Spider-Man #132) où il apparait que la peau de Raxton fond et… dégage de la chaleur. Man O’Metal est donc en tous points l’ancêtre du Molten Man. Ironiquement d’ailleurs au moment de traduire en France le nom « Molten Man » (ce qui devrait donner littéralement « l’homme fondu »), les éditions Lug optèrent pour un terme qui semblait mieux le définir : l’Homme de Métal. Autrement dit la traduction exacte de Man O’Metal…
[Xavier Fournier]
À propos de l’auteur
Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.
2 commentaires
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Ce personnage torse nu me fait pensser au boxeur Jack Dempsey (donc souvent torse nu aussi) qui a eu son heure de gloire dans les années 20.
Le truc étant que le héros incarne un ouvrier travaillant dans la fournaise, dans une fonderie, son travail lui impose d’être torse nu.