Là où la plupart des gens dans la même situation se seraient dépêchés de retourner vers la civilisation et d’oublier cet accident, la brune héroïne décidait de rester dans la jungle et d’aider une tribu à échapper à des marchands d’esclaves. Reconnaissants, les indigènes décident d’en faire la reine de leur village et de lui donner le nom de « Rulah » (déformation du verbe anglais « Rule », équivalent de « Diriger »). La nature en elle-même du village est un peu étrange puisque les hommes y sont des guerriers noirs musclés… mais que dans le même temps la plupart des femmes sont des amazones blanches vêtues de peaux de bête à l’image de Rulah. Sans doute qu’il s’agit de victimes des esclavagistes qui ont décidé de rester là mais du coup la tribu de Rulah a un visage très interethnique, pas du tout raccord avec ce que les lecteurs vivaient dans l’Amérique du moment, toujours en proie à la ségrégation. En gros, blancs et noirs n’avaient pas le droit de monter dans le même bus dans l’Amérique « civilisée » tandis qu’au royaume « sauvage » de Rulah, tout le monde vivait en bonne intelligence sans se poser de problème de couleur de peau. Il faut dire aussi qu’en coulisses Matt Baker était l’un des rares afro-américains dessinateurs de comics et qu’il était donc bien place pour ne verser ni dans le racisme ni dans une sorte de colon-paternalisme…
A côté de cela, le côté outrancier de la jungle de Rulah sentait le carton-pâte, le film de série B qui déshabillait les jeunes femmes de manière « kinky » pour les jeter sous les griffes de fauves ou dans les plans de sorciers cannibales aux intentions manifestes. Dans Rulah (comme dans d’autres séries du même ordre) on avait l’impression qu’Ed Wood et Russ Meyer s’étaient mis d’accord pour produire un Tarzan à leur sauce.
Le barbichu explique la mission : se rendre dans la jungle tout en emportant le nouveau lance-flammes. Aucun échec ne sera permis puisque « leur conquête en dépend ». Et tandis que l’avion des femmes s’éloigne, l’homme commente « Ce sont de bonnes travailleuses. Comme il est dommage que je doive m’en débarrasser après cette expérience dans la jungle. Car elles en savent trop, bien trop… ». On laissera le lecteur déterminer lui-même si l’adjectif « bonnes travailleuses » trahit le vocabulaire communiste ou si le côté « filles de mauvaise vie » se confirme ici…
L’origine de l’odeur de brulé ? Elle n’est pas fixe. Une horde d’espionnes étrangères se déplacent dans la jungle armées de lance-flammes et curieusement… déguisées en diablesses. Un accoutrement rouge aux allures de « tenue SM » (laissant tout deviner de leurs rondeurs) dont l’utilité, au premier abord, reste inexpliquée. Et pourtant l’une d’entre elles s’exclame : « Ces costumes sont confortables, ça nous change… ». Pardon ? S’habiller dans une tenue de cuir qui ne laisse à l’air que le visage, au beau milieu d’une jungle africaine où les indigène, eux, sont obligés de vivre en pagne pour supporter la chaleur ? Si c’est ca « confortable », on serait curieux de voir quelles ont été leurs missions précédentes. La cheftaine du commando de diablesses reste concentrée sur leur but : « Venez vite, les filles. Nous allons d’abord les effrayer et le reste sera facile »…
Arrivant au village, elles mettent ainsi une jeune vierge en joue et les indigènes voient ainsi ce bataillon de créatures qui arrive en tirant des rafales de feu. C’est rapidement la panique. Cachée, Rulah constate de loin qu’elle ne peut rien contre les lance-flammes mais « aussitôt que je verrais une ouverture, ils rencontreront pour de bon Rulah ! ». Une fois que les diablesses incendiaires pensent avoir « laissé leur marque », elles disparaissent en emportant des prisonniers. Les quelques villageoises qui restent crient leur impuissance, consciente que ces femmes-démons reviendront finir le travail. Pourtant, maintenant que le terrain est libre, c’est le moment où Rulah peut entrer en action, en se lançant sur leur trace avec l’aide de Saber. Elle explique au reste des femmes : « Premièrement je veux découvrir leur cachette et souvenez-vous : Elles sont aussi humaines que vous et moi, pas des démones comme elles aimeraient vous le faire croire. ».
D’ailleurs une fois lancée sur la piste, Rulah trouve un gant rouge qu’a laissé tomber une des assaillantes. Rulah constate que le gant est recouvert d’amiante (c’est une époque où on en ignorait encore complètement les dangers). On comprendra donc que les vêtements des diablesses rouges ont un double but : non seulement ils permettent de livrer une sorte de guerre psychologique (encore que se déguiser en diable tel que peuvent l’imaginer des occidentaux peut se retrouver d’une certaine bêtise dans la jungle africaine, où les indigènes ont d’autres mythes) mais en plus, avec l’amiante, ils permettent de protéger le corps de ces espionnes au corps de top-modèle. Et nous qui pensions bêtement qu’il s’agissait d’attiser la libido du lecteur !
Le chef fait venir la diablesse principale, Lona, et lui explique qu’il reste un problème : « Il faut détruire Rulah. Elle en sait assez pour nous dénoncer au commissaire ». Le chef est loin de se doute que Rulah l’écoute, cachée non loin de là. D’ailleurs la phrase du chef ne tient guère debout : La bande n’a pas encore conscience d’avoir rencontrée Rulah. Elle ne sait pas non plus que l’héroïne à découvert l’amiante et leur Q.G. Bref, en toute logique, le chef devrait penser que Rulah ne sait rien. Consciente que Lona et d’autres vont se mettre à sa recherche, Rulah se dit qu’elle doit trouver un moyen d’échapper à leur regard… mais en même temps de ne pas les perdre de vue, elle. Elle commence dont à suivre de loin Lona et une de ses complices qui s’engagent dans la jungle, lance-flammes à la main. Mais les diablesses sont bien peu habituées à la faune des environs. Quelques instants plus loin elles dérangent un tigre. Dans la cohue Lona tue non seulement le tigre mais aussi, par accident, la femme qui l’accompagnait. Voyant que les chances sont désormais équilibrées, Rulah tombe sur Lona et arrive à jeter au loin son lance-flammes. Et sans son arme, Lona ne vaut pas grand-chose au combat, comme l’héroïne à plaisir à le souligner en la mettant K.O.
Quand la fausse Lona demande ce qu’elle doit faire de la captive, le chef répond : « Mais que pensais tu que je voulais faire de cette sorcière de la jungle ? ». Et il s’empare de la femme en maillot de bain pour la brandir au dessus de sa tête et la jeter dans une grande marmite (j’avoue que je n’ai pas bien compris si on y fait juste bouillir de l’eau ou s’il s’agit d’y préparer le napalm nécessaire aux lance-flammes).
La fausse Lona s’écrie « Attends ! Ne… Je ne savais pas que tu allais… ». Mais le chef est trop occupé à rire des marmonnements de la fausse Rulah qui, bâillonnée, ne peut s’identifier. Réalisant que Lona va périr à sa place, Rulah pense intérieurement : « C’est horrible ! Mais c’est elle ou mon peuple ! Et elle est maléfique ! ». Le chef balance la jeune femme dans la marmite sans réaliser qui il vient de tuer…
Arrivée au village, Rulah arrive à se faire identifier en douce par Telsa et lui donne des instructions. Puis les derniers villageois sont conduits à la grotte, pendant que « Lona » fait semblant de jouer le jeu. Mais une mauvaise surprise l’attend… Le chef a découvert le cadavre de la femme tuée par la vraie Lona. Comme Rulah a donné d’autres explications sur sa disparition, le chef a finalement compris qui elle est. Aussitôt, c’est une mêlée de diablesses se précipitant sur Rulah.
Plus tard, Rulah a retrouvé son bikini en peau de girafe et le porte à nouveau malgré le fait qu’il ait « cuit » sur une morte ébouillantée. Ou bien Rulah a trouvé le temps d’aller tuer une autre girafe entre deux cases pour se confectionner un autre maillot de bain. L’héroïne se tient aux côtés de Telsa et Saber, regardant de loin l’installation qui explose (l’idée est visiblement qu’ils ont déclenché la destruction de la base). Rulah conclue : « Quand les hommes maléfiques vont-ils réaliser que le monde veut la paix et pas la guerre » ? Sans doute quand ils seront assez intelligents pour comprendre que se déguiser en diable en pleine jungle au lieu de creuser dans la mine de diamants est une belle incohérence !
La période de « gloire » de Rulah fut de courte durée. En 1949, sa série disparaissait (elle a depuis refait surface chez AC Comics). Pourtant elle avait suffisamment marquée quelques personnes pour faire partie des séries attaquées par Fredric Wertham dans son ouvrage, Seduction Of The Innocent, grand brulot anti-comics publié en 1954. Non, décidément, les hommes maléfiques n’étaient pas prêts de réaliser que le monde voulait la paix et pas la guerre… D’ailleurs il a quelque chose de drôle dans cette phrase de Rulah. Voyez-vous Fredric Wertham utilisa en partie l’aide et les notes d’un certain Gershon Legman pour écrire Seduction Of The Innocent. Ce même Legman – connu pour être un fétichiste convaincu et auteur de nombreux ouvrages sur la culture de l’érotisme- avait donc lu un certain nombre de comics dans le cadre de la rédaction de ces notes. Et, vu le cursus du bonhomme, il serait curieux que ce numéro n’ait pas attiré son attention. Dans les années 60, Legman revendiqua d’avoir inventé la phrase « Faites l’amour pas la guerre ». Une devise qui semblait sacrément emprunté à la dernière phrase de Rulah dans cet épisode…
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