Dans ces conditions, on a plusieurs raisons de penser que Wildcat était un peu le Batman que Bill Finger aurait pu faire en expurgeant tout ce que Bob Kane avait apporté de son côté dans la création du justicier chauve-souris. Bien sûr, il y le fait que les deux personnages sont plutôt sombres (à contre-courant des silhouettes colorées inspirées par Superman), qu’ils utilisent tous les deux un « totem animal » comme inspiration de leur costume mais aussi qu’il s’agit de justiciers nocturnes (dès la présentation, Wildcat est défini comme un « prédateur nocturne »). Mais les premières cases de l’histoire vont nous faire penser à une famille Wayne qui aurait tourné différemment.
Tout ça cependant va vite devenir caduque car dans la case suivante on apprend que la mort soudaine de ses parents va changer les plans de Ted. Quelle mort ? Comment ? Là aussi c’est quelque chose qui va à l’encontre du super-héros habituel pour lequel, s’il est courant que les parents soient morts, le décès est toujours organisé de manière spectaculaire, de façon à ce qu’il y ait un besoin de vengeance (l’assassinat des parents Wayne, l’attentat qui a tué le père du Shield originel…) ou, au pire un sacrifice à honorer (la mort des parents de Superman lors de l’explosion de Krypton). Dans certains cas on avait d’autres héros qui ne mentionnaient tout bonnement jamais leurs parents (Captain America dans les épisodes des années 40, par exemple, n’évoque pas sa famille). Mais des parents qui meurent « hors champs » sans qu’il y ait une « raison » sur laquelle revenir, c’est plutôt rare. Voici donc Ted Grant en train de discuter avec un ami sur un banc et de lui apprendre qu’il est tout bonnement ruiné. Henry Grant était couvert de dettes et son assurance-vie les couvre de justesse. Sans le sous, Ted est donc obligé de se chercher un travail. Là non plus rien ne viendra expliquer ce que sont ces « dettes » (ma théorie personnelle serait de penser que tous ces professeurs prestigieux engagés pendant des années ont mis la famille sur la paille). Ted Grant, c’est un peu le jeune Bruce Wayne si ses parents avaient dilapidés la fortune familiale avant d’avoir eu le temps de se faire assassiner.
Ted Grant part donc « à la grande ville » (aucun nom n’est donné à la ville dans ce récit, ça peut être aussi bien New York que Gotham) pour chercher un travail… mais n’en trouve aucun. A compter de ce moment d’ailleurs, Ted Grant ne fera plus allusion à ses études de médecines. Ted se retrouve à la rue, sans le sous, sans emploi et sans rien pour manger quand soudain il surprend une bagarre dans une ruelle. Plusieurs hommes sont en train d’en tabasser un, qui lui est seul. N’écoutant que son courage, Ted vole au secours de l’homme seul et tous les deux ils mettent en déroute les agresseurs (on ne saura jamais ce qu’ils voulaient). L’homme qu’il a sauvé est bien sûr reconnaissant et s’émerveille des dons athlétiques de Ted. Il lui demande s’il a déjà pratiqué la boxe… Et c’est là que Ted reconnaît en son interlocuteur un certain Socker Smith, un boxeur célèbre qui se trouve être champion « poids-lourd ». Socker Smith remarque que Ted a l’air miséreux. Le jeune homme est tellement « dans la dèche » que bien que n’ayant jamais rien demandé à personne, il demande à Smith s’il peut lui payer à manger en guise de remerciement. Smith va faire encore mieux: après un détour dans un restaurant le boxeur propose à Grant de devenir un de ses « sparring partners » (des boxeurs « d’échauffement » servant à l’entraînement des champions).
On remarquera le long détour choisi par Bill Finger pour forger son personnage. Il aurait pu le créer directement boxeur mais à décidé de lui donner d’abord cette « errance sociale » dans laquelle on reconnaît péle-mêle quelques influences venues des « pulps » mais aussi sans doute un certain pourcentage autobiographique, Finger ayant vécu de petits boulots avant de se lancer dans l’écriture de comics (malheureusement il finira également dans la misère). Ted Grant débute donc au gymnase de Socker Smith. Ce dernier ne manque pas de dire à ses deux managers, Flint et Skinner, combien il pense que Ted est doué… Et les trois hommes finissent par décider de laisser sa chance à Grant en lui organisant un vrai match. Devenant vraiment boxeur, Ted Grant devient « la SENSATION de l’année » (l’emphase sur le terme sensation étant sans doute là pour justifier sa présence dans une BD intitulée Sensation Comics. Ted devient de plus en plus ami avec Socker, qui lui présente sa fiancée, Joan Fortune. Ted coince en entendant le mot « fiancée », bredouille… Et Joan parle de manière guère plus cohérente. Il est évident qu’un coup de foudre couve… Mais autre chose couve…
Ted s’est aperçu que ses premiers matchs ont été truqués. Ses adversaires se sont « couchés ». Il en parle à Socker et ensemble ils vont voir les deux managers. Ces derniers reconnaissent la tricherie mais s’excusent, expliquant qu’ils voulaient seulement aider Ted à bien démarrer dans la profession. Ted explique que si d’aventure il n’était pas capable de gagner honnêtement alors il ne voudrait pas gagner du tout. Les deux managers mettent fin aux « trucages » mais pourtant la carrière de Ted continue de grimper et bientôt on parle de lui pour le titre de champion. Ce qui veut dire que, fatalement, Socker et Ted vont devoir se battre l’un contre l’autre.. Les deux managers posent l’idée sur la table. Ted ne veut pas affronter son mentor mais c’est Socker lui-même qui le contredit, en lui expliquant que cela fait déjà plusieurs années qu’il est champion et qu’il est temps que quelqu’un d’autre tente sa chance. Et quitte à être remplacer, Socker préférerait sans doute que ce soit son ami qui occupe la place. Du côté des managers, on ne fait pas dans le sentiment. Comme les deux boxeurs sont sous contrat avec eux, peu importe qui gagnera, ils sont sûr d’avoir sous licence le vainqueur du combat. Mais quand même, il y a un risque : les deux sportifs sont trop amis. Il faudrait quelque chose pour épicer les choses. Skinner a alors l’idée de lancer une rumeur. Le jour suivant, à la radio, le commentateur explique que le combat n’aura rien d’amical puisque les deux boxeurs s’en veulent à mort. Ted fréquenterait de trop près la petite amie de Socker ! Bien sûr c’est faux et de plus c’est la première fois que les deux sportifs écoutent parler de cette histoire. Le plan de Skinner échoue : Socker et Grant apprennent auprès de l’homme de la radio que cette « information » a été fournie par les deux managers. Ils se ruent auprès de Flint et Skinner qui se confondent en excuses, expliquant qu’ils tentaient seulement de faire un peu de publicité autour du match…
Pour la police, les choses sont claires : Ted Grant a empoisonné Socker pour gagner mais aussi parce qu’ils convoitaient la même femme (l’idée se nourrissant de la rumeur colportée quelques jours plus tôt par la radio). Ted proteste, clame son innocence mais il est quand même arrêté et emporté par la police. C’est en passant devant les deux managers qu’il comprend ce qui s’est passé. Ce sont eux qui ont tout organisé ! Il jure alors de révéler tout ce qu’il sait à la police dès qu’il sera interrogé… Chez les managers, c’est l’état d’urgence. D’une part, ils n’avaient pas prévu de tuer Socker. Ils voulaient simplement l’étourdir mais se sont trompé dans le dosage. D’autre part il faut faire taire Grant, qui vient de partir dans une voiture de police… Alors que la voiture où se trouve Grant l’emmène vers le commissariat, elle est rapidement rattrapée par un autre véhicule qui provoque un accident et pousse l’automobile de la police dans un profond ravin. Du haut de la route Flint et Skinner observent les débris de métal et ne voient aucun mouvement. Maintenant Ted Grant ne pourra plus raconter ce qu’il savait. Pour eux il est clair qu’il est mort. Et pourtant une fois qu’ils sont partis, une silhouette s’extirpe en titubant de la carcasse de la voiture. Il y a bien eu un survivant…
Le jour suivant, la presse fait sa une sur l’évasion de Ted Grant, dont le corps n’a pas été retrouvé dans les décombres de la voiture. Ted marche dans les rues avec une casquette vissée sur la tête pour passer incognito. Il tombe sur un enfant en train de pleurer parce qu’un autre gosse vient de lui voler son exemplaire de Green Lantern Comics. Ted n’a jamais entendu parler de Green Lantern et le gamin est donc obligé de lui expliquer qu’il s’agit d’un héros qui se cache derrière un masque pour que personne ne le reconnaisse. L’idée fait mouche. Ted donne un billet à l’enfant en guise de remerciement (et le garçon s’exclame qu’avec ça non seulement il pourra racheter un Green Lantern mais aussi, dans la foulée, un Flash Comics). Ted s’éloigne en murmurant, rêveur… « Alors il porte un costume et fait la chasse aux méchants, mmm… ».
C’est en fait une double mise en abîme. Puisque Green Lantern est bien sûr un magazine publié par ailleurs par l’éditeur de Wildcat. Green Lantern est aussi un membre de la Justice Society que fréquente Wonder Woman, publiée également dans Sensation Comics. Donc en gros Ted Grant trouve l’idée de devenir un personnage masqué en écoutant parler d’un personnage qui, pour lui, n’est que fiction bien qu’il soit par ailleurs un « collègue » de Wonder Woman publiée quelques pages avant Wildcat. Mais plus fort encore, dans le même Sensation Comics, entre Wonder Woman et Wildcat, on trouve les aventures d’une bande de jeunes garçons masqués (« Little Boy Blue And The Blue Boys ») qui ont soudainement l’idée de devenir des héros costumés en lisant… les aventures de Wildcat dans Sensation Comics. Ils lisent le passage ou Ted Grant découvre les aventures de Green Lantern et en tire l’idée de devenir lui-même un héros masqué. Donc c’est parce que le futur Wildcat découvre les aventures de Green Lantern qu’il devient super-héros mais c’est aussi parce que Wildcat devient héros qu’il donne une idée similaire à une bande de jeunes publiés AVANT lui dans Sensation Comics. Vous me suivez ? Il y a dans cette « boucle » qui mélange fiction et méta-fiction quelque chose que ne renieraient pas Julius Schwartz ou Grant Morrison… Et on n’est pourtant qu’en 1942. Ce côté « juxtaposition de fictions » serait d’ailleurs assez croustillant s’il ressortait de nos jours (Wildcat, Green Lantern et Flash étant désormais co-équipiers depuis des années au sein de la Justice Society). Il serait intéressant de voir le vieux Ted Grant expliquer aux Green Lantern et Flash des années 49 que pour lui ils étaient de pure fictions (de façon moderne on préfère expliquer que Grant a appris l’existence de Green Lantern dans les journaux, pas dans les comics)… Mais reprenons le cours de l’origine de Wildcat…
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