Oldies But Goodies: Smash Comics #14 (Sept. 1940)

[FRENCH] On se souvient surtout du héros le Ray (« Le Rayon ») pour sa participation aux aventures des Freedom Fighters et pour sa version moderne (son fils) des années 90. Spontanément, peu de lecteurs seront capables d’évoquer les origines du personnage… Et encore moins de réaliser que le personnage se situe (entre autres choses) à mi-chemin entre Watchmen et les Fantastic Four. Faisons donc un peu la « lumière » sur ce pionnier méconnu…

En 1940, les surhommes originaux ne se bousculaient pas aux portillons. Les auteurs manquaient tout simplement d’imagination. Ou bien devrait-on dire que leurs employeurs les pressaient d’inventer le prochain Superman. Dans ces condition l’essentiel des super-héros du moment s’inscrivait soit dans la logique de Batman et des détectives masqués (un « simple » meurtre dans la famille valide alors qu’un personnage s’habille de manière ridicule pour aller combattre le crime) soit copiait, à un niveau ou à un autre ce moule initial qu’était Superman. On lorgnait sur son apparence ou sur sa force herculéenne. Will Eisner (qui venait de lancer The Spirit et était alors une des deux têtes du studio Eisner & Iger) était un peu à la croisé des chemins en la matière. Co-créateur de Wonder Man (premier super-héros à faire l’objet d’une plainte de DC Comics), de Wonder Boy, de Doll Man et de quelques autres, Eisner avait régulièrement suivi le modèle de Superman à des degrés divers (quand ce n’était pas une allusion au costume, c’était un emprunt aux pouvoirs). Mais, dans d’autres cas Eisner, s’éloignait au contraire de ce canevas pour s’intéresser à des super-héros qui tenaient plus d’un esprit élémentaire. Ainsi en juillet 1939 Eisner avait lancé, en compagnie du dessinateur Lou Fine, The Flame (« La Flamme ») chez Fox Feature Syndicate. Personnage aux pouvoirs incendiaire, The Flame préfigurait un peu le Human Torch de Marvel… En 1940, dans Smash Comics #14 (publié chez Quality Comics), c’est vers ce « canevas élémentaire » qu’Eisner et Fine allaient revenir. Après avoir lancé un héros qui incarnait la flamme, ils allaient créer un personnage qui était… la lumière !

L’origine du Ray commence par une manchette de journal qui nous explique que le professeur Styne (notez que le nom a sans doute été choisi pour sonner comme Stein et, par association, comme Einstein) se prépare à lancer un nouveau type de ballon stratosphérique ce jour-là. A la rédaction du Morning Telegraph, on a visiblement organisé les choses pour ressembler le plus possible au Daily Planet. Il y a un irascible rédacteur-en-chef qui tempête et joue les Perry White. Il y a aussi, devant lui, une brune qui pourrait passer pour Lois Lane… si l’histoire lui laissait le temps de placer une parole. En fait le rédacteur est furieux. Pour lui le lancement de ce ballon est « l’histoire la plus marquante depuis des mois » (en 1940 on a quand même du mal à croire que l’actualité était si plate qu’on se passionne pour ce genre d’expérience) et son journaliste vedette, Terrill, est introuvable. Au lieu de crier sans faire avancer les choses, le rédacteur pourrait aussi bien demander à un autre journaliste de couvrir l’affaire mais l’idée n’a pas l’air de lui traverser la tête.

Finalement Terrill pénètre dans la pièce et on se rend compte qui est tout le contraire de son chef. Terrill a un physique d’acteur et un certain sens de l’humour. Sans se démonter il commence à conseiller à l’autre homme de se calmer avant de faire exploser une de ses artères. Mais le rédacteur ne décolère pas. Le ballon décolle dans une heure… Le rédacteur, ulcéré, le traite alors de « slap-happy cub » (insulte qu’on pourrait traduire par « chaton irresponsable » ou « aussi irresponsable qu’un chaton). L’expression restera dans la série les auteurs n’avaient pas réellement donné de prénom à leur héros, seulement identifié par « Terrill ». Par la suite on partira du principe que l’insulte est en fait le surnom du reporter : « Happy » Terrill. Mais on n’en est pas encore là… Calmement Terrill explique que s’il n’était pas là… c’est qu’il était en train de se faire admettre au sein de l’équipage du professeur Styne. Il va faire partie des hommes qui vont s’envoler jusqu’à la stratosphère ! En gros, tandis qu’on le traitait d’incapable Terrill a grillé toute la concurrence et s’est trouvé un siège aux premières loges : Il va participer lui-même à l’exploit. Pour le coup le rédacteur est bien obligé de se calmer : « Écoutes, gamin, c’est une mission dangereuse ! Si j’ai dis des choses un peu vexantes… Oh… Bonne chance, gamin ! ».

Du danger, oui. Car le ballon stratosphérique du professeur Styne ne se contente pas d’emmener quelques gadgets dans l’espace pour y mesurer la température. C’est au contraire une sorte de montgolfière expérimentale, pourvue d’une nacelle hermétique qui ressemble à un bathyscaphe : un engin digne de Jules Verne qui va transporter tout un équipage là où aucun humain n’est jamais allé (en tout cas à cette époque). En clair, il s’agit du premier vol habité vers l’espace, même s’il n’utilise pas une fusée. On comprend mieux que le rédacteur-en-chef jugeait l’histoire importante. En fait la mission est jugée si dangereuse qu’en dehors de Terrill il a recruté seulement des détenus (sans doute des condamnés à mort) qui ont le choix entre participer à l’expérience ou rester sur Terre pour y subir leur peine.

Eisner et Fine (qui signe cette série « E. Lectron ») nous épargnent le décollage ou encore la lente montée à travers l’atmosphère. On est déjà à la limite de la stratosphère quand l’équipage remarque quelque chose qui va sembler familier à la plupart des lecteurs de comics : « Un orage cosmique approche ! ». On ne sait pas trop comment ces pseudo-astronautes seraient en mesure de reconnaître, à l’œil, un orage cosmique en approche. Mais une chose est sure : Terrill réalise que l’arrivée d’air extérieur doit être fermée. Visiblement, même à cette hauteur, les hommes disposaient encore d’une arrivée d’air qu’il faut obturer avant que l’orage cosmique y pénètre. Et comme le professeur Styne est un savant très rigoureux et logique… Il n’a pas prévu que cette arrivée d’air puisse être fermée depuis l’intérieur de la nacelle. On ne peut le faire que de l’extérieur. Courageux, Terrill décide donc d’y aller lui-même. Au demeurant on peut sourire de l’idée d’un homme s’aventurant à l’extérieur, à cette hauteur, sans protection. Même si l’histoire ne s’arrête pas vraiment sur le détail, il semble néanmoins que les pseudo-astronautes portent une sorte de système de respiration sur leur tenue. Terrill n’est donc pas complètement démuni mais cette mission est un tantinet fantaisiste par ses méthodes et son équipement. Ce qui nous intéresse plus immédiatement, c’est que par la force des choses Terrill est dehors quand l’orage frappe. Le scénario n’utilise pas le terme « rayon cosmique », préfère parler de « lumières cosmiques » mais c’est bien la même chose : N’étant pas à l’abri de la nacelle hermétique, Terrill est traversé par ces rayons… et son corps se transforme. On ne peut pas manquer de faire la comparaison avec l’origine bien plus tardive des Fantastic Four en 1961, quatre astronautes bombardés par les rayons cosmiques suite à un défaut de protection. Le corps de Terrill semble disparaître, remplacé par un autre, curieusement revêtu d’un costume et d’un masque jaune (ou doré, dans les comics il n’est pas toujours évident de faire la différence) : « Une barre de lumière est projeté de l’endroit où il se tenait, tandis que Terrill, sous une nouvelle forme, s’élève dans l’espace… ».

L’équipage resté à l’intérieur n’en a pas conscience mais Terrill est devenu quelque chose qui peut se transformer en éclats de lumière. Et le personnage masqué, pouvant voler, n’a pas besoin d’effectuer la descente avec eux (en fait on ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur, on sait juste que la mission retourner au sol, ce qui laisserait la porte ouverte pour que les détenus eux-mêmes aient reçu des pouvoirs mais la chose n’est pas explorée). Ce qui fait que tout le monde croit que Terrill a trouvé la mort en sauvant la mission. Le lendemain les journaux se font l’écho de la disparition du reporter. Mais quand on lit la manchette qui occupe l’image on réalise aussi que la mission de Styne avait un autre but : Il a ramené de la stratosphère « un nouveau gaz destructeur avec le pouvoir de 100 tonnes de TNT dans un « inch » cube. Le « inch » étant une unité de mesure qui vaut à peine plus que 2 centimètres et demi, on comprendra que Styne a trouvé quelque chose de particulièrement destructeur, même quand ça n’a que la taille d’un dès.

Dans la pègre, l’article ne passe pas inaperçu. Un chef de gang qui se trouve aussi être trafiquant d’armes, Anton Rox, réalise immédiatement qu’il pourrait revendre la formule de ce gaz pour une fortune. Ses hommes de main sont moins enthousiastes. Après tout Styne travaille avec le soutien de l’armée. Il y aura forcément des sentinelles… Mais la bande prépare un plan et, la nuit venue, profite d’une relève de la garde pour neutraliser les sentinelles extérieures et grimper à la façade du bâtiment (évitant ainsi les gardes postés à l’intérieur) jusqu’à l’étage où Styne est seul à travailler. Rox ne fait pas dans la dentelle et tire immédiatement sur Styne (sans doute que la formule vaut plus si son découvreur n’est plus là pour la diffuser). Les gangsters font main basse sur la formule et s’en vont sans plus attendre.

Mais à peine le laboratoire de Styne est-il vide, plongé dans l’obscurité, qu’un rayon de lumière tombe dans la pièce, un peu comme dans certains scènes bibliques. Dans le rayon apparait alors The Ray, c’est à dire Terrill, portant toujours son costume jaune. Inquiet, il se précipite immédiatement sur le corps de Styne et tente de le ranimer.

Heureusement, dans leur précipitation les gangsters n’ont fait que blesser le professeur, qui est bientôt sur pied. Mais il semble reconnaître celui qui s’est porté à son secours : « Qui êtes vous ? Votre visage est familier. Vous ressemblez à Terrill mais vous avez une allure étrange ! ». On comprendra que, tout en reconnaissant Terrill, Styne doute que ce soit lui. Après tout le reporter a disparu aux frontières de l’espace. Ce qui est plus étonnant, c’est la réaction du héros. Après tout il lui suffirait d’expliquer le processus qui l’a transformé. Styne est le savant qui l’a emmené là-haut. Il serait en mesure de comprendre. Mais l’homme en jaune se contente de répondre « Je suis The Ray, Terrill est mort, oubliez-le ! ».

Terrill n’a pourtant pas grand chose à gagner en laissant croire qu’il est mort. Personne n’a assisté à sa métamorphose et on ne pourrait donc pas faire le rapprochement entre le fait que le reporter ait survécu à un orage cosmique et les pouvoirs du Ray. Il ne resterait guère qu’à expliquer comment Terrill peut être vivant sur Terre, des dizaines de kilomètres en dessous du point où il a disparu. Mais au pire il pourrait toujours expliquer qu’il a été sauvé par… le Ray ! On reconnaîtra-là une figure de style qu’on retrouve ailleurs dans l’œuvre de Will Eisner et en particulier dans l’origine du Spirit, quand Denny Colt décide de laisser croire qu’il est mort pour se consacrer entièrement à sa nouvelle identité masquée. Ici, c’est un peu la même chose. Ou bien il faut comprendre que le Ray est réellement le fantôme lumineux d’un Ray Terrill trépassé. La présence inexpliquée de ce costume dorée et la connaissance en apparence immédiate de ses pouvoirs laissent en tout cas largement la place pour un élément mystique non exploré. En un sens ce Ray des origines a quelque chose en commun avec le Spectre de DC. L’histoire elle-même encourage d’ailleurs l’aspect « vengeur spectral » puisqu’il faut se souvenir qu’il s’écoule au bas mot au moins 24 heures entre la dématérialisation de Terrill et la tentative d’assassinat de Styne. Entretemps le Ray ne semble pas avoir fait quoi que ce soit, comme s’il n’avait pas existé dans le monde matériel. Il n’est pas non plus intervenu avant qu’on blesse Styne. Il a fallu que le crime soit commis avant qu’il intervienne, comme si le Ray n’avait pas pu se matérialiser devant Styne avant qu’il y ait une cause à défendre…

La mort apparente d’Happy Terrill dans l’espace et sa réapparition « lumineuse » sur Terre après destruction/reconstruction de son corps anticipe également un autre archétype. Il semble difficile de ne pas faire le lien avec le Captain Atom plus tardif de Steve Ditko, chez Charlton : Lancé par erreur dans une fusée, un militaire disparait dans une explosion avant de reformer son corps sur Terre, devenant du même coup le Captain Atom. La ressemblance s’impose à plus forte raison quand le héros de Ditko adopte rapidement un costume jaune et se met à voler en laissant derrière lui des trainées lumineuses. On sait, à travers de rares interviews, que Steve Ditko était un grand collectionneur de comics du Golden Age. Est-ce l’origine de The Ray faisait partie de ses lectures de jeunesse ? Difficile de le demander au principal intéressé. Néanmoins qu’il y a ait filiation créative ou que ce soit le fruit du hasard, le Ray s’impose comme un précurseur de Captain Atom (on verra dans une future chronique qu’il y a sans doute un maillon manquant qui explique la transmission de certains éléments). De fait le Ray ne se contente pas de devancer les Fantastic Four, il anticipe aussi sur Captain Atom et sur le « clone » encore plus tardif de ce dernier, le Doctor Manhattan des Watchmen…

Rassuré sur la santé de Styne, le Ray explique alors au savant qu’il va rattraper Rox car la formule est trop dangereuse pour être laissée entre ses mains. Et le héros semble alors se fondre dans un faisceau de lumière, sous le regard médusé du scientifique. Quelques instants plus tard la bande de Rox gare son automobile dans un aéroport (sans doute qu’ils pensent s’éloigner le plus possible avant que l’armée découvre Styne et le vol de la formule). Mais les gangsters n’en croient pas leurs yeux. Dans le faisceau des feux de la voiture un homme semble apparaître, comme s’il émergeait de la lumière. Là aussi Eisner et Fine retombent sur certains mécanismes antérieurs. The Flame, dont les pouvoirs sont basés sur le feu, peut apparaître spontanément, comme s’il se téléportait, partout où il y a la moindre flamme, même quand il s’agit de la moindre cigarette. Visiblement les auteurs ont importé le principe pour le Ray : il peut se matérialiser partout où il y a un éclat de lumière, sans avoir besoin de voler d’un point à un autre. Cette particularité lui donne encore plus des airs d’apparition fantomatique.

Paniqués dans un premier temps par cette matérialisation, les hommes de Rox font mine de s’enfuir puis se reprennent. Après tout ils ne voient qu’un homme en costume jaune. Et un homme ça craint les balles, non ? Ils tirent alors sur le Ray mais sans aucun effet notable. Le dessin ne permet pas de voir si le héros est à l’épreuve des balles (c’est à dire qu’elles rebondissent sur sa peau) ou si, simplement, elles lui passent à travers comme si on tirait sur un rayon de lumière.

C’est au tour du Ray de leur sauter dessus et de passer au corps à corps : « Vous êtes puissants avec des flingues, mais quand vous êtes désarmés vous ne représentez aucun danger » ironise alors le héros. Mais un des gangsters s’est éloigné tandis que le Ray maîtrisait les autres. Le criminel s’éloigne, prenant la fuite hors de portée du héros. En tout cas en apparence. Car le Ray n’a pas que des pouvoirs lumineux. Il est également capable d’émettre une force magnétique qui attire le fuyard vers lui. Le Ray a enfin neutralisé toute la bande… sauf Rox qui en a profité pour sauter dans un petit avion et s’envole au loin. Le héros utilise alors ses pouvoirs magnétiques pour faire léviter ses prisonniers et les emprisonner dans une sorte de tourbillon. Puis il utilise à nouveau son pouvoir de traction en visant cette fois l’avion.

L’engin est lentement obligé de revenir au niveau du sol et le Ray n’a plus qu’à sauter vers le cockpit pour donner à Rox une raclée méritée… Même si le trafiquant d’armes tente de le corrompre. Quelques heures plus tard la police trouve la bande de Rox et un message d’explication… dans une cellule baignant dans un rayon de lumière (comprenez que le Ray vient sans doute de les matérialiser).

Reste alors le moment de la véritable conclusion, quand le Ray ramène la formule au professeur Styne. Reconnaissant, le scientifique demande alors à son bienfaiteur comment il pourra le remercier. Le Ray commence par dire que la première forme de remerciement serait de faire don de cette formule au gouvernement des USA et ensuite d’oublier… qu’il a rencontré Happy Terrill. Ce qui revient à dire « oui, c’est moi sous ce masque mais on va faire comme si j’étais vraiment mort et tu ne vas plus jamais m’en parler ». On reste une nouvelle fois surpris par l’insistance de Terrill à passer pour mort. Mais il enfonce le clou : « Désormais je suis le Ray ! Avec mon pouvoir je peux faire de grandes choses ! ».

En fait c’est sans doute un des défauts du personnage : Il peut faire trop de choses. Et là on retrouve à nouveau un parallèle avec le Spectre de DC. Eisner et Fine ont fait du Ray un personnage au champ d’action trop étendu. Il ne lui suffit pas de voler, il peut se téléporter. Il ne lui suffit pas d’être un rayon de lumière, il a aussi des pouvoirs magnétiques. Il peut se dématérialiser… Et on ne tardera pas à nous montrer dans d’autres épisodes que, fort logiquement, il peut se déplacer à la vitesse de la lumière. A la fin de Smash Comics #15, on le voit en train de reconstruire la ville après un combat et il est visiblement de la taille d’un gratte-ciel et doué d’une force colossale (anticipant là aussi, une nouvelle fois, le Doctor Manhattan). Les auteurs eux-mêmes finissent par s’embrouiller dans les capacités du Ray. Par exemple dans Smash Comics #16 un adversaire s’apprête à tirer dans le dos du Ray mais un commissaire tue le malfrat avant qu’il puisse nuire. Le Ray remercie alors chaleureusement le policier : « Merci, cette fois c’est vous qui m’avez sauvé la vie ! ». Sauf que l’épisode original nous avait montré sans l’ombre d’un doute que le Ray ne craint pas les balles ! Bref on ne voit pas trop comment le commun des mortels pourrait envisager de lui résister plus de deux cases. D’où un certain problème pour maintenir le suspens dans les épisodes suivants et une volonté de revenir un peu en arrière pour ce qui est de l’étendue de ses pouvoirs (sa crainte nouvelle des balles en témoigne). Enfin viendra aussi une volonté d’humaniser à nouveau le personnage. Il est très possible qu’elle soit le signe d’un changement de scénariste (Will Eisner ne manquant pas de projets pour l’occuper) car dans Smash #17, du jour au lendemain, the Ray est à nouveau le journaliste Happy Terrill et personne dans sa rédaction ne s’étonne de le voir là. A partir de là on rentrera dans un mécanisme d’identité classique ou Happy Terrill s’efforce de cacher à ses collègues qu’il est le Ray et où ses reportages le guident vers de nouvelles enquêtes. On s’éloignera donc graduellement du Ray « spectral » qui se matérialise comme par magie sur le lieu d’un crime.

Reste l’origine qui elle-même pose problème puisqu’on voit mal comment des rayons cosmiques pourraient créer spontanément un costume doré. Ca, ca ne sera pas vraiment un problème pendant le reste du Golden Age. A l’époque, ce qu’on demandait à une origine c’était de lancer le personnage. Mais une fois le premier épisode passé il était rare qu’on en fasse à nouveau mention. Si l’origine était maladroite, ce n’était pas vraiment un problème puisqu’on n’y ferait plus allusion. The Ray continuerait ses aventures jusqu’au 40ème numéro de Smash Comics (février 1943)… Soit une carrière de 26 épisodes, ce qui ne concurrence pas vraiment la longévité d’un Captain America ou d’un Superman mais n’est pas non plus déshonorant quand on la compare à certains autres héros de la même époque qui, eux, alignent difficilement une demi-douzaine d’aventures.

A partir de là le Ray semblait condamné aux limbes de l’histoire des comics, à plus forte raison parce que dans les années 50 Quality Comics allait vendre ses dernières revues existantes (comme Blackhawk) à DC Comics. Et, on pourra le comprendre, ce nouveau propriétaire n’avait pas spécialement pour objectif de ramener des personnages oubliés depuis plus de dix ans. C’est la nécessité qui allait finalement faire loi en 1973, soit trente ans après la dernière apparition du Ray. DC Comics avait rencontré un grand succès avec les épisodes de la Justice League of America qui confrontait le groupe à son homologue des années 40, la Justice Society. Chaque rencontre entre la JLA et la JSA était l’occasion de ramener de vieux héros du Golden Age, immédiatement identifiés comme étant des membres de la Justice Society. Mais bientôt les scénaristes manquèrent d’abord de membres de la JSA à « ressusciter ». Dans un premier temps on ramena alors d’autres héros de la firme, comme les Seven Soldiers of Victory en 1972. Mais on avait à peu près fait le tour du cheptel DC. L’éditeur commença donc à organiser le retour des personnages appartenant aux firmes qu’elle avait racheté. En Septembre 1973, la JLA fit donc la connaissance des Freedom Fighters, un groupe rétroactivement composé d’anciens personnages de Quality Comics, qui vivaient sur un monde où les nazis avaient gagné la seconde guerre mondiale, Earth X. L’inventeur des Freedom Fighters, Len Wein, ne semble pas forcément avoir raisonné en termes de popularité ou de longévité, sinon il n’aurait pas manqué d’intégrer certains personnages connus de Quality, comme Plastic Man. Il semble qu’il ait préféré réunir certains archétypes ou joué sur la complémentarité de certains personnages. Le Ray, vous l’aurez compris, figurait en bonne place dans les rangs des Freedom Fighters, au même titre qu’Uncle Sam, Dollman, Phantom Lady, Human Bomb ou Black Condor. Par la suite DC donna même le feu vert pour une série des Freedom Fighters mais il faut bien constater que le Ray, tout en étant présent, n’était pas au centre des évènements. A comparer des héros comme Dollman (qui se retrouvait coincé à une taille microscopique) ou Phantom Lady semblaient plus en proie à un certain pathos.

Finalement, dans les années 80, DC en finira avec son système de terres parallèles, annulant l’existence de Terre X et de divers autres mondes au bénéfice d’une seule réalité unifiée. De ce fait toute l’essentiel de la carrière moderne du Ray fut annulée (bien qu’il reste un membre des Freedom Fighters mais désormais l’équipe semblait avoir été active surtout dans les années 40). Paradoxalement cette annulation allait permettre au Ray de progresser bien plus que ses collègues. En 1992, Jack C. Harris et Joe Quesada réinventèrent le Ray dans une minisérie homonyme qui déboucherait finalement sur une série mensuelle. Le Ray moderne était en fait le fils du Ray originel mais son histoire familiale était pour le moins chaotique alors que dans le même temps on faisait le ménage sur l’origine du Golden Age. Dans la nouvelle mouture, Happy Terrill a été d’une certaine manière d’une machination. En 1940 une société secrète savait que la Terre risquait d’être détruite par une entité lumineuse. Le voyage du ballon stratosphérique n’avait été organisé que pour s’assurer qu’Happy Terrill serait contaminé par cette puissance, dans l’espoir que lui ou sa progéniture éventuelle puisse empêcher l’entité de détruire la Terre par la suite.

Finalement on se rapproche alors d’un autre archétype : Happy Terrill transformé n’est pas très éloigné de la métamorphose de Jean Grey en Phoenix, dans les pages d’Uncanny X-Men. Dans la nouvelle chronologie d’Happy, son premier fils, le jeune Spitfire, a été rendu fou par sa puissance. Son père a du l’emprisonner. A la naissance d’un second fils (nommé Ray Terrill) Happy est déterminé à ce que celui-ci ne devienne pas un danger public. Il s’arrange alors pour que Ray Jr. soit élevé par le frère d’Happy tout en s’assurant qu’il est maintenu dans l’obscurité (on raconte à l’enfant qu’il est atteint d’une rare allergie). En fait, la lumière du jour activerait les pouvoirs de Ray Jr., ce que son vrai père veut absolument éviter. Comme on pouvait s’y attendre Ray Jr. finira par découvrir ses superpouvoirs et deviendra le nouveau Ray. Dans un premier temps la chose sera loin de faire plaisir à son père. Dans cette version il faut bien voir qu’Happy Terrill, présenté comme quelqu’un de nonchalant et plein d’humour dans les années 40, est un véritable tyran qui a ruiné toute l’enfance de son enfant sous. Ray Terrill aura une bien meilleure carrière que son père puisqu’entre la minisérie et la série, il totalisera 35 épisodes auxquels il faut rajouter différents évènements annexes (Ray II sera brièvement membre de la Justice League puis d’une nouvelle mouture des Freedom Fighters).

En 2006 Infinity Crisis a permis d’introduire un troisième Ray, Stan Silver, membre d’une troisième incarnation des Freedom Fighters. Mais il s’avéra bien vite que Silver était un traitre à l’intérieur du groupe. Uncle Sam, le leader de l’équipe, avait néanmoins vu clair dans le jeu du personnage et préparé depuis le début le retour du deuxième Ray à sa place. Parallèlement les scénaristes Jimmy Palmiotti et Justin Gray ont aussi installé les conditions du retour d’Happy Terrill. Réconcilié avec son fils, il hérite des pouvoirs d’un autre héros du Golden Age, Neon the Unknow (ce qui permet d’éviter d’avoir deux Ray dans l’équipe). Mais les auteurs se désintéressont assez vite du destin de ce nouveau Neon. Tous ces évènements seront néanmoins rendus caducs par la relance de l’univers DC en 2011. En clair dans la nouvelle chronologie de l’éditeur il n’y a pas eu de super-héros dans les années 40 ni de Freedom Fighters. Ray I, II et III n’ont jamais existé dans cette continuité (par contre une version de Ray I existe à nouveau sur une Terre parallèle conquise par les nazis, Earth 10, aperçue à la fin de 52 #52). DC a cependant édité une nouvelle série The Ray mettant en scène une quatrième incarnation du personnage, cette fois appelé Lucien Gates. Ce Ray moderne, en dehors du nom et du fait d’avoir des pouvoirs basés sur la lumière, n’a cependant pratiquement pas de rapport thématique avec ses prédécesseurs.

En rebootant le Ray pour en faire un personnage méconnaissable et ne garder que l’aspect « lumineux », DC Comics aura débarrassé le mythe de plusieurs éléments qui lui donnait une importance historique. Néanmoins Happy Terrill est, d’une façon ou d’une autre, revenus déjà plusieurs fois d’entre les morts. On peut espérer que son avatar survivant sur Earth 10 perpétuera son souvenir (encore qu’il est tout aussi possible qu’il serve de chair à canon lors d’une prochaine apparition) puisqu’il est prévu que ce monde soit mentionné dans le futur Multiversity de Grant Morrison. Au pire, la famille Terrill pourrait en être quitte… pour attendre un autre reboot de l’univers DC. Ce n’est pas non plus comme si cet éditeur était à son coup d’essai en la matière et lors d’une prochaine refonte, recentrer les choses sur le concept initial de Will Eisner et Lou Fine (quitte à le moderniser) ne serait pas un mal. D’autant que le Ray des origines, avec ses pouvoirs sans limites et son insistance à nier l’existence de son existence humaine est en fin de compte bien plus proche du Doctor Manhattan que toutes les tentatives que DC a pu faire en la matière.

[Xavier Fournier]

PS: La tenue du festival d’Angoulême la semaine prochaine ainsi que le fonctionnement de Comic Box font que je ne suis pas du tout certain de poster un Oldies la semaine prochaine. Si j’ai la possibilité d’en poster un sans le bâcler, je le ferais mais dans le cas contraire vous en serrez quitte pour patienter deux semaines au lieu d’une…

Xavier Fournier

Xavier Fournier est l'un des rédacteurs du site comicbox.com, il est aussi l'auteur de différents livres comme Super-Héros - Une Histoire Française, Super-Héros Français - Une Anthologie et Super-Héros, l'Envers du Costume et enfin Comics En Guerre.

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