Finalement Terrill pénètre dans la pièce et on se rend compte qui est tout le contraire de son chef. Terrill a un physique d’acteur et un certain sens de l’humour. Sans se démonter il commence à conseiller à l’autre homme de se calmer avant de faire exploser une de ses artères. Mais le rédacteur ne décolère pas. Le ballon décolle dans une heure… Le rédacteur, ulcéré, le traite alors de « slap-happy cub » (insulte qu’on pourrait traduire par « chaton irresponsable » ou « aussi irresponsable qu’un chaton). L’expression restera dans la série les auteurs n’avaient pas réellement donné de prénom à leur héros, seulement identifié par « Terrill ». Par la suite on partira du principe que l’insulte est en fait le surnom du reporter : « Happy » Terrill. Mais on n’en est pas encore là… Calmement Terrill explique que s’il n’était pas là… c’est qu’il était en train de se faire admettre au sein de l’équipage du professeur Styne. Il va faire partie des hommes qui vont s’envoler jusqu’à la stratosphère ! En gros, tandis qu’on le traitait d’incapable Terrill a grillé toute la concurrence et s’est trouvé un siège aux premières loges : Il va participer lui-même à l’exploit. Pour le coup le rédacteur est bien obligé de se calmer : « Écoutes, gamin, c’est une mission dangereuse ! Si j’ai dis des choses un peu vexantes… Oh… Bonne chance, gamin ! ».
Du danger, oui. Car le ballon stratosphérique du professeur Styne ne se contente pas d’emmener quelques gadgets dans l’espace pour y mesurer la température. C’est au contraire une sorte de montgolfière expérimentale, pourvue d’une nacelle hermétique qui ressemble à un bathyscaphe : un engin digne de Jules Verne qui va transporter tout un équipage là où aucun humain n’est jamais allé (en tout cas à cette époque). En clair, il s’agit du premier vol habité vers l’espace, même s’il n’utilise pas une fusée. On comprend mieux que le rédacteur-en-chef jugeait l’histoire importante. En fait la mission est jugée si dangereuse qu’en dehors de Terrill il a recruté seulement des détenus (sans doute des condamnés à mort) qui ont le choix entre participer à l’expérience ou rester sur Terre pour y subir leur peine.
L’équipage resté à l’intérieur n’en a pas conscience mais Terrill est devenu quelque chose qui peut se transformer en éclats de lumière. Et le personnage masqué, pouvant voler, n’a pas besoin d’effectuer la descente avec eux (en fait on ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur, on sait juste que la mission retourner au sol, ce qui laisserait la porte ouverte pour que les détenus eux-mêmes aient reçu des pouvoirs mais la chose n’est pas explorée). Ce qui fait que tout le monde croit que Terrill a trouvé la mort en sauvant la mission. Le lendemain les journaux se font l’écho de la disparition du reporter. Mais quand on lit la manchette qui occupe l’image on réalise aussi que la mission de Styne avait un autre but : Il a ramené de la stratosphère « un nouveau gaz destructeur avec le pouvoir de 100 tonnes de TNT dans un « inch » cube. Le « inch » étant une unité de mesure qui vaut à peine plus que 2 centimètres et demi, on comprendra que Styne a trouvé quelque chose de particulièrement destructeur, même quand ça n’a que la taille d’un dès.
Dans la pègre, l’article ne passe pas inaperçu. Un chef de gang qui se trouve aussi être trafiquant d’armes, Anton Rox, réalise immédiatement qu’il pourrait revendre la formule de ce gaz pour une fortune. Ses hommes de main sont moins enthousiastes. Après tout Styne travaille avec le soutien de l’armée. Il y aura forcément des sentinelles… Mais la bande prépare un plan et, la nuit venue, profite d’une relève de la garde pour neutraliser les sentinelles extérieures et grimper à la façade du bâtiment (évitant ainsi les gardes postés à l’intérieur) jusqu’à l’étage où Styne est seul à travailler. Rox ne fait pas dans la dentelle et tire immédiatement sur Styne (sans doute que la formule vaut plus si son découvreur n’est plus là pour la diffuser). Les gangsters font main basse sur la formule et s’en vont sans plus attendre.
Heureusement, dans leur précipitation les gangsters n’ont fait que blesser le professeur, qui est bientôt sur pied. Mais il semble reconnaître celui qui s’est porté à son secours : « Qui êtes vous ? Votre visage est familier. Vous ressemblez à Terrill mais vous avez une allure étrange ! ». On comprendra que, tout en reconnaissant Terrill, Styne doute que ce soit lui. Après tout le reporter a disparu aux frontières de l’espace. Ce qui est plus étonnant, c’est la réaction du héros. Après tout il lui suffirait d’expliquer le processus qui l’a transformé. Styne est le savant qui l’a emmené là-haut. Il serait en mesure de comprendre. Mais l’homme en jaune se contente de répondre « Je suis The Ray, Terrill est mort, oubliez-le ! ».
Terrill n’a pourtant pas grand chose à gagner en laissant croire qu’il est mort. Personne n’a assisté à sa métamorphose et on ne pourrait donc pas faire le rapprochement entre le fait que le reporter ait survécu à un orage cosmique et les pouvoirs du Ray. Il ne resterait guère qu’à expliquer comment Terrill peut être vivant sur Terre, des dizaines de kilomètres en dessous du point où il a disparu. Mais au pire il pourrait toujours expliquer qu’il a été sauvé par… le Ray ! On reconnaîtra-là une figure de style qu’on retrouve ailleurs dans l’œuvre de Will Eisner et en particulier dans l’origine du Spirit, quand Denny Colt décide de laisser croire qu’il est mort pour se consacrer entièrement à sa nouvelle identité masquée. Ici, c’est un peu la même chose. Ou bien il faut comprendre que le Ray est réellement le fantôme lumineux d’un Ray Terrill trépassé. La présence inexpliquée de ce costume dorée et la connaissance en apparence immédiate de ses pouvoirs laissent en tout cas largement la place pour un élément mystique non exploré. En un sens ce Ray des origines a quelque chose en commun avec le Spectre de DC. L’histoire elle-même encourage d’ailleurs l’aspect « vengeur spectral » puisqu’il faut se souvenir qu’il s’écoule au bas mot au moins 24 heures entre la dématérialisation de Terrill et la tentative d’assassinat de Styne. Entretemps le Ray ne semble pas avoir fait quoi que ce soit, comme s’il n’avait pas existé dans le monde matériel. Il n’est pas non plus intervenu avant qu’on blesse Styne. Il a fallu que le crime soit commis avant qu’il intervienne, comme si le Ray n’avait pas pu se matérialiser devant Styne avant qu’il y ait une cause à défendre…
Rassuré sur la santé de Styne, le Ray explique alors au savant qu’il va rattraper Rox car la formule est trop dangereuse pour être laissée entre ses mains. Et le héros semble alors se fondre dans un faisceau de lumière, sous le regard médusé du scientifique. Quelques instants plus tard la bande de Rox gare son automobile dans un aéroport (sans doute qu’ils pensent s’éloigner le plus possible avant que l’armée découvre Styne et le vol de la formule). Mais les gangsters n’en croient pas leurs yeux. Dans le faisceau des feux de la voiture un homme semble apparaître, comme s’il émergeait de la lumière. Là aussi Eisner et Fine retombent sur certains mécanismes antérieurs. The Flame, dont les pouvoirs sont basés sur le feu, peut apparaître spontanément, comme s’il se téléportait, partout où il y a la moindre flamme, même quand il s’agit de la moindre cigarette. Visiblement les auteurs ont importé le principe pour le Ray : il peut se matérialiser partout où il y a un éclat de lumière, sans avoir besoin de voler d’un point à un autre. Cette particularité lui donne encore plus des airs d’apparition fantomatique.
C’est au tour du Ray de leur sauter dessus et de passer au corps à corps : « Vous êtes puissants avec des flingues, mais quand vous êtes désarmés vous ne représentez aucun danger » ironise alors le héros. Mais un des gangsters s’est éloigné tandis que le Ray maîtrisait les autres. Le criminel s’éloigne, prenant la fuite hors de portée du héros. En tout cas en apparence. Car le Ray n’a pas que des pouvoirs lumineux. Il est également capable d’émettre une force magnétique qui attire le fuyard vers lui. Le Ray a enfin neutralisé toute la bande… sauf Rox qui en a profité pour sauter dans un petit avion et s’envole au loin. Le héros utilise
L’engin est lentement obligé de revenir au niveau du sol et le Ray n’a plus qu’à sauter vers le cockpit pour donner à Rox une raclée méritée… Même si le trafiquant d’armes tente de le corrompre. Quelques heures plus tard la police trouve la bande de Rox et un message d’explication… dans une cellule baignant dans un rayon de lumière (comprenez que le Ray vient sans doute de les matérialiser).
Reste l’origine qui elle-même pose problème puisqu’on voit mal comment des rayons cosmiques pourraient créer spontanément un costume doré. Ca, ca ne sera pas vraiment un problème pendant le reste du Golden Age. A l’époque, ce qu’on demandait à une origine c’était de lancer le personnage. Mais une fois le premier épisode passé il était rare qu’on en fasse à nouveau mention. Si l’origine était maladroite, ce n’était pas vraiment un problème puisqu’on n’y ferait plus allusion. The Ray continuerait ses aventures jusqu’au 40ème numéro de Smash Comics (février 1943)… Soit une carrière de 26 épisodes, ce qui ne concurrence pas vraiment la longévité d’un Captain America ou d’un Superman mais n’est pas non plus déshonorant quand on la compare à certains autres héros de la même époque qui, eux, alignent difficilement une demi-douzaine d’aventures.
Finalement, dans les années 80, DC en finira avec son système de terres parallèles, annulant l’existence de Terre X et de divers autres mondes au bénéfice d’une seule réalité unifiée. De ce fait toute l’essentiel de la carrière moderne du Ray fut annulée (bien qu’il reste un membre des Freedom Fighters mais désormais l’équipe semblait avoir été active surtout dans les années 40). Paradoxalement cette annulation allait permettre au Ray de progresser bien plus que ses collègues. En 1992, Jack C. Harris et Joe Quesada réinventèrent le Ray dans une minisérie homonyme qui déboucherait finalement sur une série mensuelle. Le Ray moderne était en fait le fils du Ray originel mais son histoire familiale était pour le moins chaotique alors que dans le même temps on faisait le ménage sur l’origine du Golden Age. Dans la nouvelle mouture, Happy Terrill a été d’une certaine manière d’une machination. En 1940 une société secrète savait que la Terre risquait d’être détruite par une entité lumineuse. Le voyage du ballon stratosphérique n’avait été organisé que pour s’assurer qu’Happy Terrill serait contaminé par cette puissance, dans l’espoir que lui ou sa progéniture éventuelle puisse empêcher l’entité de détruire la Terre par la suite.
Finalement on se rapproche alors d’un autre archétype : Happy Terrill transformé n’est pas très éloigné de la métamorphose de Jean Grey en Phoenix, dans les pages d’Uncanny X-Men. Dans la nouvelle chronologie d’Happy, son premier fils, le jeune Spitfire, a été rendu fou par sa puissance. Son père a du l’emprisonner. A la naissance d’un second fils (nommé Ray Terrill) Happy est déterminé à ce que celui-ci ne devienne pas un danger public. Il s’arrange alors pour que Ray Jr. soit élevé par le frère d’Happy tout en s’assurant qu’il est maintenu dans l’obscurité (on raconte à l’enfant qu’il est atteint d’une rare allergie). En fait, la lumière du jour activerait les pouvoirs de Ray Jr., ce que son vrai père veut absolument éviter. Comme on pouvait s’y attendre Ray Jr. finira par découvrir ses superpouvoirs et deviendra le nouveau Ray. Dans un premier temps la chose sera loin de faire plaisir à son père. Dans cette version il faut bien voir qu’Happy Terrill, présenté comme quelqu’un de nonchalant et plein d’humour dans les années 40, est un véritable tyran qui a ruiné toute l’enfance de son enfant sous. Ray Terrill aura une bien meilleure carrière que son père puisqu’entre la minisérie et la série, il totalisera 35 épisodes auxquels il faut rajouter différents évènements annexes (Ray II sera brièvement membre de la Justice League puis d’une nouvelle mouture des Freedom Fighters).
En 2006 Infinity Crisis a permis d’introduire un troisième Ray, Stan Silver, membre d’une troisième incarnation des Freedom Fighters. Mais il s’avéra bien vite que Silver était un traitre à l’intérieur du groupe. Uncle Sam, le leader de l’équipe, avait néanmoins vu clair dans le jeu du personnage et préparé depuis le début le retour du deuxième Ray à sa place. Parallèlement les scénaristes Jimmy Palmiotti et Justin Gray ont aussi installé les conditions du retour d’Happy Terrill. Réconcilié avec son fils, il hérite des pouvoirs d’un autre héros du Golden Age, Neon the Unknow (ce qui permet d’éviter d’avoir deux Ray dans l’équipe). Mais les auteurs se désintéressont assez vite du destin de ce nouveau Neon. Tous ces évènements seront néanmoins rendus caducs par la relance de l’univers DC en 2011. En clair dans la nouvelle chronologie de l’éditeur il n’y a pas eu de super-héros dans les années 40 ni de Freedom Fighters. Ray I, II et III n’ont jamais existé dans cette continuité (par contre une version de Ray I existe à nouveau sur une Terre parallèle conquise par les nazis, Earth 10, aperçue à la fin de 52 #52). DC a cependant édité une nouvelle série The Ray mettant en scène une quatrième incarnation du personnage, cette fois appelé Lucien Gates. Ce Ray moderne, en dehors du nom et du fait d’avoir des pouvoirs basés sur la lumière, n’a cependant pratiquement pas de rapport thématique avec ses prédécesseurs.
En rebootant le Ray pour en faire un personnage méconnaissable et ne garder que l’aspect « lumineux », DC Comics aura débarrassé le mythe de plusieurs éléments qui lui donnait une importance historique. Néanmoins Happy Terrill est, d’une façon ou d’une autre, revenus déjà plusieurs fois d’entre les morts. On peut espérer que son avatar survivant sur Earth 10 perpétuera son souvenir (encore qu’il est tout aussi possible qu’il serve de chair à canon lors d’une prochaine apparition) puisqu’il est prévu que ce monde soit mentionné dans le futur Multiversity de Grant Morrison. Au pire, la famille Terrill pourrait en être quitte… pour attendre un autre reboot de l’univers DC. Ce n’est pas non plus comme si cet éditeur était à son coup d’essai en la matière et lors d’une prochaine refonte, recentrer les choses sur le concept initial de Will Eisner et Lou Fine (quitte à le moderniser) ne serait pas un mal. D’autant que le Ray des origines, avec ses pouvoirs sans limites et son insistance à nier l’existence de son existence humaine est en fin de compte bien plus proche du Doctor Manhattan que toutes les tentatives que DC a pu faire en la matière.
[Xavier Fournier]
PS: La tenue du festival d’Angoulême la semaine prochaine ainsi que le fonctionnement de Comic Box font que je ne suis pas du tout certain de poster un Oldies la semaine prochaine. Si j’ai la possibilité d’en poster un sans le bâcler, je le ferais mais dans le cas contraire vous en serrez quitte pour patienter deux semaines au lieu d’une…
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