Dans Smash Comics #25, publié un peu avant l’été 1941 (les dates officielles de parution des comics étant notoirement antidatées) l’éditeur Quality Comics étrenne donc sa propre version d’un personnage incendiaire, à savoir Wildfire (« Feu sauvage »). Il s’agît de la création de Robert Turner et d’un jeune Jim Mooney, qui débute par un flashback remontant une quinzaine d’années en arrière, alors qu’un incendie ravage une forêt. Le ranger Frank Vance cherche désespérément sa petite fille, Carol. Malheureusement pour lui, intoxiqué par la fumée, le ranger s’écroule dans les bois (et meurt sans doute « hors champs »). Non loin de là, la petite Carol Vance, une fillette rousse, est seule à proximité d’une cabane. On ne saura jamais précisément ce que faisait Carol toute seule dans les bois et comment elle a pu échapper à la surveillance de son père. On ne nous parlera pas non plus de sa mère, qui est sans doute décédée bien avant ces événements. Toujours est-il que le Seigneur du Feu, sorte de divinité élémentaire, s’émeut de voir la jeune orpheline menacée par l’incendie de forêt. Carol est trop jeune pour être effrayée par l’apparition et elle se contente de le surnommer « Monsieur Feu ». La gaité de l’enfant suffit à amadouer le Seigneur du Feu, qui décide non seulement d’épargner la fillette mais aussi de lui donner une immunité contre le feu et de la promouvoir « maîtresse des flammes ».
Visiblement ce n’est pas la première fois que ça arrive car Carol commente « Je suis plus heureuse quand j’utilise mes pouvoirs pour aider les autres ». Sans perdre de temps elle s’envole, révélant la raison, sur le plan graphique, de son énorme masse de cheveux : Le dessinateur s’en sert comme d’une longue traînée derrière elle, trainée qui, vers la fin se transforme en flamme, comme si Wildfire était une météorite humaine. Et au passage notons qu’ainsi, en 1941, Jim Mooney invente un effet qui sera bien plus tard à la base de l’esthétique de Starfire (l’héroïne extra-terrestre membre des Teen Titans à partir des années 80).
Mais tous voient une femme enflammée apparaître dans le ciel. Et certains des gens de la base militaire la reconnaissent comme étant Wildfire (continuant de nous confirmer qu’elle a déjà réalisée un certain nombre de missions en public avant ce premier épisode publié). Wildfire s’introduit dans le bâtiment et ordonne au feu de se calmer. Les flammes lui obéissent et se concentrent alors dans une sorte de boule de feu qu’elle tient entre ses mains. Wildfire sent bien que l’incendie n’a rien de naturel. Elle ordonne dont à la boule de lui montrer les coupables. Les flammes forment alors une main géante qui désigne du doigt Dolph et Heinrich. Furieuse, Wildfire ordonne à la main de feu de s’emparer des saboteurs et leur extorque des aveux. Ils travaillent en fait pour le Bund (les sympathisants allemands) et plus précisément pour le « Bund au masque vert ». La base militaire sauvée, l’héroïne s’éloigne alors dans le ciel sous le regard admiratif des pompiers…
Dire qu’elle était complètement oubliée serait sans doute exagéré puisque bien des années plus tard le scénariste Roy Thomas se souvenait assez d’elle pour envisager d’en faire l’un des membres fondateurs du All-Star Squadron. Entretemps, les héros de Quality avaient été rachetés par DC et Thomas pouvait donc les intégrer dans ses représentations des années 40. L’idée première d’All-Star Squadron était de décrire les activités des super-héros pendant la guerre à une époque où la Justice Society était supposée être inactive (la plupart des membres de cette dernière étaient partis s’engager dans l’armée). Pour que l’idée fonctionne, il fallait donc que Roy Thomas compose son All-Star Squadron avec des héros mineurs de DC qui, sauf exception, n’avaient été que peu impliqués dans la Justice Society. Dans ce contexte, aller puiser dans le réservoir des personnages inexploités de Quality avait du sens, d’autant que Thomas avait besoin d’une héroïne de plus que la seule qui était déjà par ailleurs déterminée (Liberty Belle). Il fut donc décidé de ressortir Wildfire, à plus forte raison puisqu’elle avait fait partie des premiers héros à combattre les nazis sans attendre la guerre. Mais une mauvaise surprise attendait Roy Thomas. Au moment du lancement de All-Star Squadron, « Wildfire » était déjà par ailleurs le nom d’un des membres de la Legion of Super-Heroes. Bien qu’il y ait plusieurs Flash et plusieurs Green Lantern, il fut décidé que plusieurs Wildfire pouvait prêter à confusion. Finalement Thomas décida de ne pas utiliser la Wildfire de Quality mais de créer spécialement un personnage similaire, la nouvelle Firebrand, qui remplirait le même rôle, avec des pouvoirs et une apparence qui, à défaut d’être identique, était quand même voisine. Pour une bête histoire de nom, Wildfire manqua de peu un retour qui l’aurait inscrit dans l’univers DC.
Cette seconde chance ne s’est jamais véritablement produite. Wildfire a été mentionnée très rarement (par exemple dans le quatrième épisode de mini-série Golden Age de James Robinson et Paul Smith, on la voit de loin parler avec Black Canary, mais il faut vraiment ouvrir l’œil), et jamais de façon réellement régulière. Osons avancer un autre lien possible avec la continuité DC. Enfin, à défaut d’un lien existant, un lien qui pourrait exister et aurait l’avantage d’être « organique » par rapport au reste de l’univers de l’éditeur. Comme nous l’avons écrit précédemment, l’effet visuel de la traînée de cheveux/feu de Wildfire est en quelque sorte le prototype d’un élément similaire utilisé par la Starfire des Teen Titans. D’ailleurs « Wildfire », « Starfire »… Il y a une certaine ressemblance également au niveau des noms. Comme le fait qu’un Seigneur du Feu (dont personne n’avait jamais entendu parler avant ou après) sauve une seule petite fille par simple caprice (là où par exemple le père Vance n’est absolument pas épargné) parait fantaisiste, une autre explication est envisageable : puisque les auteurs n’ont pas daigné nous montrer (ni même identifier) la mère biologique de Carol, on pourrait imaginer que cette dernière est une hybride. Elle serait bien la fille de Frank Vance mais aussi d’une extra-terrestre de Tamaran venue pour ses propres raisons sur Terre. Du coup le Seigneur du Feu qu’on voit en début d’histoire pourrait être une divinité propre aux habitants de Tamaran, qui se serait manifesté seulement parce que la petite fille était à moitié issue du peuple dont il a l’habitude (ce qui expliquerait que le Seigneur du Feu ne s’intéresse pas au père). Le Seigneur ne lui aurait pas réellement donné ses pouvoirs mais plutôt réveillé des pouvoirs latents chez les gens de Tamaran. Wildfire serait alors une sorte de Starfire du Golden Age, ce qui aurait l’avantage de tirer partie des ressemblances entre les deux personnages. Une manière (parmi sans doute beaucoup d’autres) de la ramener dans le giron de l’univers DC tout en mettant en cohérence les aspects les plus naïfs de son origine.
[Xavier Fournier]P.S. : Demain dimanche, retrouvez également un autre « Oldies But Goodies » !
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