Oldies But Goodies: Smash Comics #25 (Août 1941)

[FRENCH] L’année 1941 fut décidément riche en matière de création de super-héros… et de super-héroïnes. Parmi ces dernières, Wildfire semblait appelée à de grandes choses, à plus forte raison puisqu’elle manqua de peu un retour dans les années 80, qui aurait fait d’elle un personnage régulier dans une série moderne de DC. Mais même dans l’état, cette version féminine de Human Torch vaut le détour…

Il vous suffira de vous reporter à la date de nombreux « oldies but goodies » dont nous avons déjà parlé dans cette rubrique : En 1941, ce qui marche ce sont les héros à super-pouvoirs. C’est que, même si la future participation des USA à la seconde guerre mondiale n’est pas encore acquise, même si les auteurs ou les lecteurs américains de l’époque n’ont pas forcément un avis tranché sur la question et pourraient avoir la tentation de ne s’intéresser qu’au sort national, la planète s’agite passablement à la même époque, aussi bien en Europe qu’en Asie. Face au portrait du monde dressé par les médias du moment, il est donc rassurant de s’imaginer de providentiels sauveurs à la puissance illimitée. Seulement voilà, les catégories de pouvoirs, elles, ne sont pas limitées. A plus forte raison quand les éditeurs préfèrent valider des concepts qui ressemblent au moins en partie à des séries qui ont déjà connu le succès. Le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, Wildfire, doit sans doute principalement son existence à deux super-héros qui l’ont précédé, à savoir The Flame (déjà abordé dans notre rubrique sœur French Collection) puis le Human Torch originel de Marvel Comics.

Dans Smash Comics #25, publié un peu avant l’été 1941 (les dates officielles de parution des comics étant notoirement antidatées) l’éditeur Quality Comics étrenne donc sa propre version d’un personnage incendiaire, à savoir Wildfire (« Feu sauvage »). Il s’agît de la création de Robert Turner et d’un jeune Jim Mooney, qui débute par un flashback remontant une quinzaine d’années en arrière, alors qu’un incendie ravage une forêt. Le ranger Frank Vance cherche désespérément sa petite fille, Carol. Malheureusement pour lui, intoxiqué par la fumée, le ranger s’écroule dans les bois (et meurt sans doute « hors champs »). Non loin de là, la petite Carol Vance, une fillette rousse, est seule à proximité d’une cabane. On ne saura jamais précisément ce que faisait Carol toute seule dans les bois et comment elle a pu échapper à la surveillance de son père. On ne nous parlera pas non plus de sa mère, qui est sans doute décédée bien avant ces événements. Toujours est-il que le Seigneur du Feu, sorte de divinité élémentaire, s’émeut de voir la jeune orpheline menacée par l’incendie de forêt. Carol est trop jeune pour être effrayée par l’apparition et elle se contente de le surnommer « Monsieur Feu ». La gaité de l’enfant suffit à amadouer le Seigneur du Feu, qui décide non seulement d’épargner la fillette mais aussi de lui donner une immunité contre le feu et de la promouvoir « maîtresse des flammes ».

Le jour suivant Carol est découverte dans les décombres de l’incendie. Elle n’a pas une égratignure et les rangers ne peuvent que constater qu’elle est indemne, sans trace de brulure. Un vrai « miracle » qui fait bientôt la une des journaux. Monsieur et Madame Martin, un couple richissime, apprend ainsi l’existence de l’orpheline miraculée et décident de l’adopter. Ce qui est d’ailleurs un détour assez curieux de l’histoire puisqu’en tout et pour tout les Martin n’existent que pendant une case, justifiant sans doute que Carol Vance puisse grandir sans avoir à se soucier des questions matérielles. Dans la case suivante, le temps a passé et Carol Martin est devenue une belle jeune femme qui fait partie de la « haute société » grâce, sans doute, au fait qu’elle soit entrée dans la famille Martin. Un soir, Carol regarde par la fenêtre et aperçoit un incendie. Elle décide qu’elle doit s’en approcher… et se transforme en un instant en Wildfire, « princesse des flammes ». Sous cette forme, ses vêtements se réduisent à une sorte de bikini rouge moins « habillé » que la plupart des autres super-héroïnes de l’époque et elle porte sur la tête une sorte de couronne (façon Statue de la Liberté) faite de flammes. Mais surtout, le changement physique le plus impressionnant est que ses cheveux ont poussé au point de descendre jusqu’à ses pieds.

Visiblement ce n’est pas la première fois que ça arrive car Carol commente « Je suis plus heureuse quand j’utilise mes pouvoirs pour aider les autres ». Sans perdre de temps elle s’envole, révélant la raison, sur le plan graphique, de son énorme masse de cheveux : Le dessinateur s’en sert comme d’une longue traînée derrière elle, trainée qui, vers la fin se transforme en flamme, comme si Wildfire était une météorite humaine. Et au passage notons qu’ainsi, en 1941, Jim Mooney invente un effet qui sera bien plus tard à la base de l’esthétique de Starfire (l’héroïne extra-terrestre membre des Teen Titans à partir des années 80).

Wildfire arrive en volant vers l’origine de l’incendie. Il s’agit d’un dépôt de munitions de l’armée. Les militaires sont d’ailleurs en train de se lamenter car ils ne voient pas comment arrêter les ravages mais, dans le même temps, ils sont conscients de l’importance des armes gardées dans ce dépôt. De loin, deux personnages à l’allure un tantinet démoniaque commentent d’une autre manière les événements. Dolph et Heinrich font visiblement partie des « saboteurs germaniques » qui pullulent dans les comics de l’époque. Et bien sûr ils se félicitent ouvertement des retombées d’un incendie qu’ils ont eux-mêmes initiés…

Mais tous voient une femme enflammée apparaître dans le ciel. Et certains des gens de la base militaire la reconnaissent comme étant Wildfire (continuant de nous confirmer qu’elle a déjà réalisée un certain nombre de missions en public avant ce premier épisode publié). Wildfire s’introduit dans le bâtiment et ordonne au feu de se calmer. Les flammes lui obéissent et se concentrent alors dans une sorte de boule de feu qu’elle tient entre ses mains. Wildfire sent bien que l’incendie n’a rien de naturel. Elle ordonne dont à la boule de lui montrer les coupables. Les flammes forment alors une main géante qui désigne du doigt Dolph et Heinrich. Furieuse, Wildfire ordonne à la main de feu de s’emparer des saboteurs et leur extorque des aveux. Ils travaillent en fait pour le Bund (les sympathisants allemands) et plus précisément pour le « Bund au masque vert ». La base militaire sauvée, l’héroïne s’éloigne alors dans le ciel sous le regard admiratif des pompiers…

On retrouve Wildfire dans la page suivante en train d’arriver près du quartier général du « Bund au masque vert », qu’elle identifie comme étant l’organisation anti-américaine la plus dangereuse de tout le pays. Mais comment peut-elle ainsi trouver la cachette d’une organisation si recherchée ? Sans doute qu’entre deux pages Wildfire a continué de demander aux flammes de lui montrer le chemin, qui sait… La visite de l’héroïne tombe à pic puisque les hommes aux masques verts sont en train de torturer un sénateur américain, un certain Monsieur Raymond, pour qu’il envoie une lettre aux journaux réclamant que les U.S. ne viennent pas en aide à des pays étrangers. On est clairement dans la question du moment, à savoir si les U.S.A. doivent entrer dans la seconde guerre mondiale et le choix des auteurs est visiblement fait : ceux qui ne veulent pas que l’Amérique aide ses alliés sont clairement identifiés comme les méchants tandis que le sénateur Raymond résiste héroïquement. Il résiste tellement que les masques verts décident de lui brûler la plante des pieds, collant ainsi au thème « incendiaire » de cette bande dessinée. Raymond finit par craquer et signe la missive tandis que le chef du Bund se félicite d’avoir une lettre qui va « causer une révolution en Amérique »…

C’est ce moment que choisit Wildfire pour faire son entrée. Elle lance une flamme comme d’autres lanceraient des fléchettes et elle fait ainsi d’une pierre deux coups : elle détruit la lettre tout en brûlant la main du chef des conspirateurs. Le reste du Bund tente de riposter en lui tirant dessus mais Wildfire forme un bouclier fait de feu. Quand les balles le touchent, elles se mettent à fondre et ne touchent pas la jeune femme. Cette fois le chef du Bund est vraiment furieux et dit à ses ouailles « Qu’est ce qui vous prend les gars ? On va se laisser battre par une femme ? Tous sur elle ! ». Fascistes et en plus sexistes… Wildfire rit d’avance de la raclée mémorable qu’elle va leur donner… Apparemment la belle rousse peut utiliser la même énergie qui lui permet de se propulser dans les airs pour augmenter la rapidité et la puissance de ses poings. Elle a donc vite fait de flanquer une sévère correction à la bande, mettant d’ailleurs le feu aux toges des saboteurs. Quand la police arrive, elle n’a plus qu’à cueillir les hommes aux masques verts, qui sont prisonniers d’un cercle de feu. L’histoire s’arrête sur Carol Martin revenue chez elle tandis que sa domestique, Marie, ignorant sa double vue, lui dit « Quelle vie merveilleuse vous avez ! Pas de problème ! Juste vivre une existence oisive faite de plaisirs ». Et forcément Carol, riant sous cape, ne la détrompe pas…

Wildfire restera quelques mois un des personnages réguliers de Smash Comics avant que l’éditeur finisse par décider de donner sa place à une autre création. La méthode avec laquelle les maisons d’éditions décidaient de conserver ou d’oublier des héros évoluant dans des anthologies reste assez nébuleuse. A l’époque, les professionnels n’avaient guère que le courrier des lecteurs (encore qu’il ne soit pas publié) pour leur servir d’indication. Une « surfemme », c’était encore à l’époque largement expérimental (Wonder Woman ne serait lancée que cinq mois plus tard). Gageons que l’héroïne Wildfire, malgré un certain sex-appeal, n’intéressait guère les petits garçons ou que, pire, elle effrayait les parents (Wildfire était ni plus ni moins que l’incarnation du terme « jouer avec le feu », de quoi encourager leur progéniture a tester n’importe quoi avec des allumettes). Peu importe les raisons. En définitive, ce qui est sûr c’est que Wildfire dura plus longtemps que de nombreux héros du Golden Age (des personnages comme Citizen V ou Black Widow ont moins d’une demi-douzaine d’apparitions à leur actif dans cette période).

Dire qu’elle était complètement oubliée serait sans doute exagéré puisque bien des années plus tard le scénariste Roy Thomas se souvenait assez d’elle pour envisager d’en faire l’un des membres fondateurs du All-Star Squadron. Entretemps, les héros de Quality avaient été rachetés par DC et Thomas pouvait donc les intégrer dans ses représentations des années 40. L’idée première d’All-Star Squadron était de décrire les activités des super-héros pendant la guerre à une époque où la Justice Society était supposée être inactive (la plupart des membres de cette dernière étaient partis s’engager dans l’armée). Pour que l’idée fonctionne, il fallait donc que Roy Thomas compose son All-Star Squadron avec des héros mineurs de DC qui, sauf exception, n’avaient été que peu impliqués dans la Justice Society. Dans ce contexte, aller puiser dans le réservoir des personnages inexploités de Quality avait du sens, d’autant que Thomas avait besoin d’une héroïne de plus que la seule qui était déjà par ailleurs déterminée (Liberty Belle). Il fut donc décidé de ressortir Wildfire, à plus forte raison puisqu’elle avait fait partie des premiers héros à combattre les nazis sans attendre la guerre. Mais une mauvaise surprise attendait Roy Thomas. Au moment du lancement de All-Star Squadron, « Wildfire » était déjà par ailleurs le nom d’un des membres de la Legion of Super-Heroes. Bien qu’il y ait plusieurs Flash et plusieurs Green Lantern, il fut décidé que plusieurs Wildfire pouvait prêter à confusion. Finalement Thomas décida de ne pas utiliser la Wildfire de Quality mais de créer spécialement un personnage similaire, la nouvelle Firebrand, qui remplirait le même rôle, avec des pouvoirs et une apparence qui, à défaut d’être identique, était quand même voisine. Pour une bête histoire de nom, Wildfire manqua de peu un retour qui l’aurait inscrit dans l’univers DC.

Cette seconde chance ne s’est jamais véritablement produite. Wildfire a été mentionnée très rarement (par exemple dans le quatrième épisode de  mini-série Golden Age de James Robinson et Paul Smith, on la voit de loin parler avec Black Canary, mais il faut vraiment ouvrir l’œil), et jamais de façon réellement régulière. Osons avancer un autre lien possible avec la continuité DC. Enfin, à défaut d’un lien existant, un lien qui pourrait exister et aurait l’avantage d’être « organique » par rapport au reste de l’univers de l’éditeur. Comme nous l’avons écrit précédemment, l’effet visuel de la traînée de cheveux/feu de Wildfire est en quelque sorte le prototype d’un élément similaire utilisé par la Starfire des Teen Titans. D’ailleurs « Wildfire », « Starfire »… Il y a une certaine ressemblance également au niveau des noms. Comme le fait qu’un Seigneur du Feu (dont personne n’avait jamais entendu parler avant ou après) sauve une seule petite fille par simple caprice (là où par exemple le père Vance n’est absolument pas épargné) parait fantaisiste, une autre explication est envisageable : puisque les auteurs n’ont pas daigné nous montrer (ni même identifier) la mère biologique de Carol, on pourrait imaginer que cette dernière est une hybride. Elle serait bien la fille de Frank Vance mais aussi d’une extra-terrestre de Tamaran venue pour ses propres raisons sur Terre. Du coup le Seigneur du Feu qu’on voit en début d’histoire pourrait être une divinité propre aux habitants de Tamaran, qui se serait manifesté seulement parce que la petite fille était à moitié issue du peuple dont il a l’habitude (ce qui expliquerait que le Seigneur du Feu ne s’intéresse pas au père). Le Seigneur ne lui aurait pas réellement donné ses pouvoirs mais plutôt réveillé des pouvoirs latents chez les gens de Tamaran. Wildfire serait alors une sorte de Starfire du Golden Age, ce qui aurait l’avantage de tirer partie des ressemblances entre les deux personnages. Une manière (parmi sans doute beaucoup d’autres) de la ramener dans le giron de l’univers DC tout en mettant en cohérence les aspects les plus naïfs de son origine.

[Xavier Fournier]

P.S. : Demain  dimanche, retrouvez également un autre « Oldies But Goodies » !

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