Oldies But Goodies: Space Adventures #38 (Fév. 1961)

[FRENCH] Dans Watchmen, le monde n’est qu’à quelques secondes de l’apocalypse nucléaire, englué dans une guerre froide qui ne s’est jamais détendue. Mais étrangement Captain Atom (le modèle de Doctor Manhattan) avait vécu une série d’événements assez prémonitoires, anticipant même la crise des missiles de Cuba. Plusieurs mois avant l’apparition des Fantastic Four (ou d’autres personnages de Marvel encore empêtrés dans l’anticommunisme comme Iron Man et Hulk), Captain Atom annonçait bien des choses…

L’Atome, c’est bien… Tant qu’il est dans notre camp. Quand il est chez les gens d’en face, c’est nettement moins « sécurisant ». Et c’est d’ailleurs bien le problème qui se pose au président des USA dans l’épisode « One Second Of War » quand il apprend l’existence d’une mine d’uranium en Afrique. Déduisant que cet uranium africain risque de tomber dans des mains ennemies, le président envoie alors son homme de confiance, à savoir le super-héros Captain Atom ou dans sa vie privé le Capitaine Adam. Captain Atom, c’est un personnage qui avait été créé quelques mois plus tôt comme un pur produit de l’opposition entre les blocs de l’Est et de l’Ouest. Piégé dans un missile défectueux, le Capitaine Adam avait hérité de nombreux superpouvoirs « atomiques » et les employait pour combattre les nombreux espions « rouges » qui pouvaient s’attaquer à l’Amérique. A la demande du président, Captain Atom s’envole « à la vitesse de la lumière » en direction de Somaliland, pays fictif créé pour l’occasion…

Les craintes du président américain étaient fondées : La « mine d’uranium » est en fait une véritable usine dirigée par le docteur Claudius Jaynes, qui se réjouit d’avance de construire de nombreux missiles. Alors qu’il approche de l’installation, Captain Atom est repéré par un garde qui lui tire dessus. Le héros riposte mais, conscient que le tir a donné l’alerte, se rend invisible et intangible pour en apprendre plus sur la situation. Découvrant le corps de son garde, Claudius Jaynes n’est pourtant pas dupe: « il ne peut pas avoir tiré sur un fantôme ». Désormais totalement invisible Captain Atom inspecte l’endroit et tombe bientôt sur une horde d’énormes missiles, avec les noms de leur cible inscrit de manière pas du tout subtile sur le fuselage. Et bien sûr il y en a un destiné à la ville de Washington. Toujours intangible Captain Atom assiste aux préparatifs des missiles ennemis… et à leur lancement.

Et alors quoi ? Que fait Captain Atom à se croiser les bras pendant que l’apocalypse se prépare ? C’est très simple : il a compris que si ces missiles étaient détruits trop près du sol cela couterait des vies. Il a donc attendu le lancement et, une fois qu’ils sont les airs, Captain Atom rejoint le groupe de missiles et les détourne en direction de l’espace, où ils ne pourront faire de mal à personne. Puis il redescend vers la Terre et le Somaliland… où il a la surprise de trouver un paysage radicalement changé. Il ne reste plus qu’un désert radioactif : un des missiles du docteur Jaynes a mal fonctionné et explosé au décollage, rayant le pays de la carte… Sur fond de champignon atomique le héros américain médite alors sur la folie destructrice de Jaynes puis retourne faire son rapport aux USA. Bon, ici le méchant est une nouvelle fois « l’ennemi » idéologique mais on notera qu’un changement (léger au début) s’est amorcé. Quelques mois auparavant le super-héros atomique aurait réglé l’affaire à la force de ses poings. Là, en dehors d’une discrète décharge énergétique balancée sur un garde, Captain Atom se montre très en retrait. Ce personnage qui peu de temps auparavant était un garant de la force atomique « positive » s’en méfie et devient un témoin de ses débordements…

Les aventures de Captain Atom étant alors publiées sous la forme d’une anthologie, cette aventure n’est que la première du numéro. On retrouve le héros quelques pages plus loin dans une histoire qui a… comme un goût de déjà vu. Cette fois le Président des USA convoque le Capitaine Adam pour lui faire part du danger que représente le dictateur Borlun et son conseiller scientifique ainsi que « leur soif de destruction ». Captain Atom voyage donc jusqu’en Europe et se met en contact avec l’ambassade américaine… Quelques cases plus loin, ce n’est qu’une demi-surprise de constater que le dénommé Borlun (nom proche de « Berlin ») ressemble à une version bouffie d’Hitler. Bien sûr Borlun et ses savants empilent d’énormes missiles en prévision d’un conflit global à venir. D’ailleurs il prépare une démonstration le lendemain même.

Une démonstration qui a tout l’air d’être réalisée « dans les conditions du réel ». D’ailleurs Borlun le dit carrément: ce jour est celui de sa vengeance sur l’Amérique. Comprenant que les missiles doivent être arrêtés, Captain Atom s’élance à leur poursuite et… les entraine dans l’espace où leur explosion ne peut nuire à personne. Sur Terre, le prestige de Borlun en a pris un coup et les habitants de son pays se soulèvent contre lui. Là encore le méchant de service est clairement identifié comme le dignitaire « non-américain », défendant des intérêts étrangers mais une nouvelle fois l’intervention de Captain Atom s’est borné à une destruction d’armement. La défaite du « bad guy » est le fruit d’événements tiers. Captain Atom n’est pas aussi revanchard que certains autres héros de la même époque, s’attachant désormais plus à dénoncer la course aux armements…

Et le procédé reste encore à souligner dans un troisième récit du même numéro. Cette fois-ci Captain Atom est déjà dans l’espace en compagnie de missiles. Décidément c’est un véritable passe-temps pour lui… A moins que ce ne soient les missiles qu’il a envoyé dans l’espace lors des deux histoires précédentes. En fait non. Cette fois Captain Atom est dans l’espace pour empêcher l’affrontement final, alors que de chaque côté du « rideau de fer » les puissances américaines et soviétiques s’apprêtent à appuyer sur LE bouton. Celui qui déclenchera une guerre automatisée, envoyant de part et d’autres des milliers de bombes nucléaires. On est donc déjà beaucoup plus proche d’un contexte à la Watchmen. Le rapport de force n’est pas du à un savant fou du Somaliland ou à un pseudo-Hitler mais bien à une crise aigue entre les deux blocs (crise d’autant plus remarquable que cet épisode a été écrit vers la fin 1960 et que – dans la réalité – l’Amérique et l’URSS montreront les dents quelques mois plus tard, à l’occasion de la crise de Cuba). Ici il n’y a pas de méchant, pas de bon, mais une paranoïa qui pousse les deux camps à être les premiers à dégainer. Captain Atom est monté là-haut pour essayer de désamorcer les fusées mais une pluie de météorites qui n’a rien de naturel lui complique la tâche et surtout, sur Terre, les dignitaires des camps sont sur le point de lancer l’ordre final. Captain Atom essaie de parlementer à distance avec Cap Canaveral pour convaincre les américains de retenir leurs armes. Dans le même temps, ne disposant pas d’une telle ligne directe avec l’URSS, il détruit les Spoutniks et autres satellites espions… Sa tâche accomplit, il retourne en Amérique où il explique que la pluie de météorites n’était pas un simple hasard. Quelqu’un ou quelque chose – une force inconnue – a tenté de provoquer la destruction de la planète en empêchant son intervention de sauvetage.

Captain Atom organise alors une sorte de conférence de presse mondiale où il explique que l’humanité a un adversaire commun. Quelque chose qui, là-haut, a voulu leur perte. Et avant de retourner patrouiller dans l’espace le héros radioactif conjure les forces de l’Est et de l’Ouest de s’allier contre cet ennemi commun si jamais Captain Atom devait périr lors de sa mission. En quelques cases, Captain Atom retourne dans l’espace et localise un vaisseau extra-terrestre qui faisait des siennes… L’OVNI est détruit sur le champ et Atom peut redescendre vivre sur Terre, l’alerte est passée. Mais on notera que ce dernier segment donne beaucoup à réfléchir par rapport à ses liens potentiels avec Watchmen. L’imminence du compte-à-rebours y est soulignée de manière similaire. De la même manière USA et URSS sont encouragés à s’allier et à mettre de côté leur différence pour lutter contre un ennemi extra-terrestre commun à toute l’humanité. Et bien entendu Captain Atom est le « modèle » du radioactif Doctor Manhattan de Watchmen. Ce qui change, en définitive, c’est que Captain Atom raconte la vérité du début à la fin. Si, après avoir détruit les extra-terrestres, il avait décidé de cacher sa victoire au reste du monde pour s’assurer que la planète reste soudée, là, ce mensonge aurait encore accentué les similitudes. Mais même sans aller jusque-là, les ressemblances existantes sont déjà bigrement intéressantes…

[Xavier Fournier]
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