[FRENCH] Spy-Smasher (« le Briseur d’Espions ») était un personnage conçu de manière très intelligente en 1940 dans le sens où il jouait sur les ressorts de la seconde guerre mondiale sans être lié par les éléments réels. Spy-Smasher ne jouait pas (ou peu) à la guerre conventionnelle mais affrontait des espions (dont le propre était donc d’agir dans la clandestinité). Que l’Amérique entre ou pas dans la guerre, le Spy-Smasher était donc assuré de ne pas manquer d’espions à combattre. Y compris The Red Death, un nazi macabre aux méthodes familières.
De son vrai nom Alan Armstrong, Spy-Smasher tenait à la fois du héros aviateur (de type Blackhawk ou Airboy) et du savant futuriste sorti d’un roman de Jules Verne à la Robur puisque le héros pilotait un véhicule bien en avance sur son temps, capable de servir aussi bien de sous-marin que d’avion furtif. A terme, l’engin servirait de modèle à d’autres véhicules comme le Bug du Blue Beetle de Charlton ou le vaisseau similaire du Nite-Owl des Watchmen. Mais même en dehors de son véhicule, Spy-Smasher restait une sorte de super-agent capable d’intervenir partout et de se battre non seulement aux commandes de son invention mais aussi avec ses poings. Le registre des aventures de Spy-Smasher était du coup un peu plus dense que le tout venant des aventures des autres héros de Fawcett (en particulier Captain Marvel où on privilégiait le plus souvent la magie et le merveilleux, dans une atmosphère de pantomime). Le cheptel des adversaires du Spy-Smasher était autrement plus noir, avec des personnages plus sanguinaires ou violents, comme le America-Smasher (en quelque sorte le reflet maléfique, nazi, du héros), la Tigress ou, dans le cas qui nous intéresse présentement, un certain Red Death qui apparait dès les premières pages de Spy-Smasher #2, en septembre 1941.
« D’outre-Atlantique vient une maladie mortelle… Une maladie apparaissant sous la forme d’un maître criminel connu seulement sous le nom de Red Death (la « Mort Rouge ») ! Les officiels du gouvernement sont condamnés à mourir… Condamnés à moins que Spy-Smasher puisse écraser tout ça ! » En toile de fond, surplombant une scène où le héros Spy-Smasher s’attaque à des nazis (ou quelque chose y ressemblant énormément), on voit une créature qui ne peut qu’être le fameux Red Death : un crâne grimaçant portant une croix gammée sur le front et drapé dans une toge rouge.
D’emblée, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec le Red Skull, l’ennemi juré de Captain America apparu quelques mois plus tôt. Encore que. Pour l’instant nous savons jusque que dans les deux cas il s’agit de nazis masqués utilisant l’iconographie du crâne de manière voisine mais pas identique. Si le Red Skull a pour masque un crâne rouge, Red Death porte un déguisement imitant un crâne blanc, l’élément rouge se limitant à sa toge. Puis l’histoire enchaîne en montrant un homme qui se fait déposer par un taxi. Il s’agit de l’amiral Corby, un « fameux officier de la marine ». En fait Corby est le père d’Eve, la dulcinée d’Alan Armstrong. Il est donc, en un sens, presque le beau-père du Spy-Smasher. Sans perdre de temps, Corby s’engouffre dans un édifice proche où se réunissent très secrètement un ensemble d’officiels. Bientôt, un militaire leur explique la raison de leur réunion ce soir-là : Red Death est arrivé en Amérique ! Les hommes présents sont incrédules. Pour eux c’est une blague, une impossibilité : cet agent étranger n’oserait pas ! Il n’aurait aucune chance contre les USA !
Mais l’homme qui préside la réunion joue la prudence : « Nous devons être sur nos gardes. Regardez ce qu’il a fait à la France, à la Norvège, à la Pologne ou à d’autres ! Eux aussi ont dit qu’il n’avait aucune chance contre eux ! ». Non loin de là, Eve Corby et Alan Armstrong se promènent. La jeune femme est curieuse : « Pourquoi crois-tu que Papa et les autres ont une réunion, Alan ? ». Et l’homme de répondre qu’il en a aucune idée mais que c’est sans doute très important. Sacrée réunion secrète si les invités en parlent à leurs filles et que ces dernières courent en causer avec leurs fiancés. Mais dans le cas présent, Eve est une de ces rares femmes des comics à être dans la confidence de l’identité secrète de son amoureux. Elle insiste. Si Alan ne sait pas ce qui se trame, ne pourrait-il pas… chercher ? L’homme se range à son avis « Ce n’est pas une mauvaise idée ! Dans quelques instants Spy-Smasher s’invitera aussi à cette réunion ! ».
Ce qui n’est pas très logique puisque d’une part si les officiels n’ont pas requis la présence du héros il y a peu de chances qu’ils lui parlent spontanément. D’autre part, il suffirait d’attendre que l’Amiral Corby ressorte de sa réunion. Après tout s’il a parlé de l’invitation à sa fille, il ne serait sans doute pas plus discret sur le contenu de la réunion. Mais c’est le propre de Spy-Smasher de se mêler des choses sans attendre qu’on fasse appel à lui. Quelques secondes plus tard, Alan Armstrong a donc passé la tenue de Spy-Smasher, « bizarre nemesis du crime ». Il saute alors d’immeuble en immeuble (visiblement son véhicule extraordinaire est en révision ce soir-là). Puis il arrive sur le toit du bâtiment où la réunion se déroule. Derrière une vitre placée en hauteur, il observe : « Ah ! Ils sont tous là ! Corby… Jackson… Le Général Noosan… et, hey! Qui est ce type en manteau ! ». Le type en manteau est un grand bonhomme portant un masque blanc imitant un crâne. Il entre dans la pièce en lançant aux officiels : « Continuez, Gentlemen, que mon arrivée ne vous arrête pas ! ». Les militaires sont stupéfaits. Qui est donc cet inconnu ? Ils ne sont pas très perspicaces. Vous aurez sans doute compris, vous, de qui il s’agît. D’ailleurs, sans perdre de temps, le nouveau venu se présente : « Err… Excusez-moi, j’ai oublié de me présenter. En France, en Pologne, en Norvège, en Russie et d’en d’autres endroits on me nomme… Red Death ! ».
Mais ses interlocuteurs sont incrédules. Le Général Noosan, en particulier, pense que le nouveau venu ne peut-être qu’un imposteur (comme si quelqu’un avait quelque chose à gagner à se faire passer pour Red Death). L’homme au crâne blanc est furieux qu’on ne le craigne pas. Il prend Noosan par le col : « Imbécile ! Je devrais te saigner pour cette insulte ! Mais j’ai d’autres plans pour toi ! ». Red Death s’empare de son arme (qui ressemble à un révolver) et tire sur Noosan. Ce n’est pas une balle qui sort mais un nuage de fumée rouge qui enveloppe rapidement le militaire américain. Quand le nuage se dissipe, Noosan gît à terre, mort. Sa peau est marquée par une terrible couleur écarlate. « La marque de la Mort Rouge » s’exclame Red Death avant de ricaner sous les yeux terrifiés des autres officiels.
Rapidement Red Death ordonne à ses hommes d’attacher tous les officiels et de les emmener dans leur « nouveau repaire ». Mais heureusement les manigances sont interrompues par l’irruption du Spy-Smasher : « Si vous autres Ratzis (NDLR: jeu de mots alors assez courant entre « nazis » et « rats ») n’y voyez pas d’objection, je vais me joindre à la fête ! ».
Bien sûr, c’est une question purement rhétorique. Bien sûr, le Spy-Smasher n’attend pas la permission des malfaiteurs pour leur tomber dessus, sous le regard admiratif des officiels. L’un d’entre eux s’écrie : « Qui aurait pu croire que le Spy-Smasher se montrerait ! ». L’amiral Corby, plus habitué aux interventions du super-héros masqué, tempère : « Le Spy-Smasher est toujours là quand il faut régler des problèmes ! ». Moins enjoué, Red Death menace le héros de son arme mortelle : « Je te tiens, Spy-Smasher ! Goûte à ma Mort Rouge ! Et laisse tomber cette chaise ! ». Car son adversaire vient de s’emparer d’une pièce de mobilier et la jette devant lui, fracassant ce qui l’entoure. Et en particulier la seule lampe qui semble éclairer la pièce. L’endroit est bientôt plongé dans le noir. Red Death tire. Mais dans l’obscurité il ne sait pas s’il dirige la Mort Rouge dans la bonne direction… Pendant ce temps, Spy-Smasher en a profité pour s’éclipser et faire sortir avec lui les officiels qu’il vient de libérer. Rien ne nous explique pourquoi et comment l’obscurité a prise sur les nazis alors le héros, lui, est arrivé à coordonner l’évasion des prisonniers dans le noir. Vu que Alan Armstrong est par ailleurs un as de la technologie, il est bien possible que ses épaisses lunettes d’aviateurs cache un système de vision infra-rouge (ou ce qui pouvait en tenir lieu à l’époque). Mais l’heure est plutôt à protéger les officiels : « Vous feriez mieux de déguerpir vite avant que Red Death sorte de là avec son pistolet ! ». Mais Corby est intimidé : « Que.. que suggérez-vous de faire ensuite, Spy-Smasher ? ». Le héros conseille : « Propagez l’alerte partout ! Le Red Death est lâché en Amérique ! Tous les citoyens et la police doivent aider l’armée à le débusquer ! ». Et, n’écoutant que son courage, Spy-Smasher s’engouffre à nouveau dans la bâtisse : « Pendant ce temps je retourne en découdre avec lui ! ». Mais il arrive trop tard. Les nazis sont probablement partis par l’autre côté. Il ne reste sur le sol que le seul cadavre de ce pauvre Noosan, que Spy-Smasher recouvre d’un drap… En promettant de le venger !
Un passage graphique nous monte alors Red Death ricanant, projetant sur la populace des éclairs rouges. Autrement dit se préparant à exterminer l’Amérique. Plus tard, Alan Armstrong retrouve sa tenue civil et fonce chez les Corby se faire expliquer ce à quoi il vient d’assister, l’Amiral n’ayant visiblement aucune idée de l’identité secrète de Spy-Smasher. Armstrong s’exclame alors qu’il a une « intuition » que le héros l’emportera puis s’éclipse. Quelques instants plus tard, Armstrong se retrouve dans la rue : « Hmm. J’ai trouvé où est le repaire de Red Death et j’ai découvert ce que sont ses plans. Maintenant il faut passer à l’action ! ». Rien ne viendra réellement nous expliquer comment Spy-Smasher a pu en découvrir si long sur son adversaire. Mais visiblement le scénariste est en mal de justification. Bientôt, à l’heure du crépuscule, un homme se précipite au repaire de Red Death et tape à la porte en se faisant connaître sous le pseudonyme de Mousey (la « Souris »). On le laisse rentrer et Mousey explique alors qu’il a fait tout ce que le Chef lui a demandé. Mais Red Death le gifle avec violence en lui expliquant qu’il déteste qu’on l’appelle « chef ». Qui plus est le chef nazi se penche sur ce que Mousey a ramené. Et les choses ne correspondent pas vraiment à ce qu’il attendait : « Hmmm… je t’ai envoyé pour récupérer les plans de la ville. Et je vois qu’il s’agit d’une fausse carte. C’est un faux. Tu m’a trompé ! Viens par là, Mousey, je déteste les traitres ! ». Mousey proteste mais Red Death lui arrache le visage (ou plutôt un masque à l’image de Mousey qui révèle la cagoule du héros !). Red Death n’est qu’à moitié surpris : « Ah ! Juste comme je le pensais ! Tu n’est pas Mousey… Mais Spy-Smasher !
A la case suivante, Spy-Smasher est soudainement dans son costume de super-héros. Il faut croire que lui arracher son masque de Mousey a pour effet de révéler toute sa tenue… Rapidement une bagarre explose. Et les nazis ont le nombre pour eux… Bientôt Spy-Smasher est assommé par un coup en plein visage et traîné jusqu’à une table. Là, bizarrement, Red Death ne profite pas de l’avantage pour utiliser sa « Mort Rouge » sur le héros inconscient. Au contraire, il lui jette de l’eau au visage pour le réveiller et mieux pouvoir se vanter que bientôt il pourra gazer l’Amérique entière : Red Death vient d’obtenir un avion à partir duquel il pourra larguer sa Mort Rouge sur des populations entières : « Ils s’envolent ! Des missiles de mort ! Ils laisseront vos jolies cités en ruine ! Pousseront l’Amérique à genoux ! Tu as vu comment j’ai laissé ton général Noosan rigide et mort ! C’est ce qui va arriver à tout ton peuple ! C’est ainsi que le père-pays a pu conquérir toute l’Europe !». Les auteurs n’ont sans doute pas conscience de la portée prophétique de ces paroles, les nazis gazant des centaines de milliers de personnes en Europe au même moment… Bientôt Red Death dit « au revoir » à Spy-Smasher, tout en promettant de dévaster l’Amérique. Une fois encore le nazi aurait tout le loisir de tuer le héros avant de partir mais son avion s’envole sans qu’il ait jugé utile d’achever son ennemi… Avant de partir, cependant, Red Death a frappé un de ses hommes qu’il juge incompétent et l’abandonne derrière lui..
Bientôt l’avion de Red Death traverse les cieux et croise des pilotes américains. Les nazis lancent alors le gaz rouge sur leur cible. Bientôt l’avion américain est silencieux. Les américains sont morts. Leur engin pique vers le sol et s’écrase. Red Death est triomphant : « Et c’est seulement un exemple de ce qui attend le reste du pays ! ». Mais au même moment les événements sont déjà en train de prendre un cours que le nazi n’a pas prévu. Dans le repaire qu’il vient d’abandonner, l’homme de main qu’il a frappé est furieux d’avoir été traité comme un bon à rien. Il décide de se venger, de changer de camp et de libérer Spy-Smasher. Ce dernier n’est que trop heureux de profiter de l’occasion. Libre, le héros rédige une note à l’attention de la police pour expliquer qu’Hermann, qui vient de le libérer, a prouvé sa valeur américaine. Bientôt, Spy-Smasher s’élance à la poursuite du Red Death et décolleee à bord de son véhicule multi-usage, le Gyrosub, à la fois avion et sous-marin. Notons que le Gyrosub de Spy-Smasher a de faux airs du véhicule numéro #2 des Sentinelles de l’Air…
Forcément, le Gyrosub a tôt fait de retrouver la trace de l’avion de Red Death. Alors qu’il le survole, Spy-Smasher utilise une échelle de corde pour descendre sur sa cible. A l’intérieur, Red Death ne se doute de rien. Il est trop occupé à expliquer son plan à ses hommes de main : « Nous devrions être au dessus de New York maintenant. Préparez les bombes mortelles ! ». Bien sur, les manigances de Red Death n’ont pas de sens. Quelques pages plus tôt il attendait que Mousey lui apporte les plans de New York. En lieu et place de Mousey, le Spy-Smasher lui a procuré un faux plan que Red Death a reconnu comme tel. En théorie, donc, les nazis ne pourraient pas passer à l’action sans envoyer au préalable un autre informateur récupérer un vrai plan. De toute façon tout est rapidement caduque : Le Spy-Smasher fracasse les vitres de l’avion et s’introduit à l’intérieur. A nouveau une bagarre explose dans l’habitacle. L’avion nazi tangue (tandis que le Gyrosub, en pilote automatique, le suit). Les bombes à gaz pleines de « Mort Rouge » sont projetées les unes contre les autres. Elles se fracassent et bientôt une brume écarlate s’élève dans l’avion. Le Spy-Smasher n’a que le temps de sauter vers l’extérieur, d’agripper l’échelle de corde et de remonter à l’abri, dans le Gyrosub : « Je m’en suis tiré juste à temps ! ».
Bien sûr, le Red Death et ses hommes n’ont pas cette chance. Leur avion pique vers le sol et s’écrase dans l’eau, non loin de la Statue de la Liberté. Les terroristes semblent disparaître vers une mort certaine et bientôt Alan Armstrong peut retrouver les Corby pour célébrer la disparition d’ennemis de la démocratie américaine. L’Amiral est une nouvelle fois admiratif de Spy-Smasher et Armstrong de conclure : « C’est étonnant, Amiral ! Ce Spy-Smasher se débrouille à chaque fois pour arriver au bon moment ! ». Fin de l’histoire. Red Death est mort dans les eaux new-yorkaises. Encore que… pour qui voudrait trouver une porte de sortie, il serait toujours possible d’expliquer qu’à l’instar du Red Skull de Marvel le Red Death avait pris la précaution de s’immuniser contre sa propre Mort Rouge et qu’il a simplement survécu au crash de son avion. Red Death et Red Skull étant si similaires, il y aurait une certaine forme de logique…
En fait, toute la question est de savoir si Red Death est une imitation délibérée de Red Skull ou si, au contraire, les deux personnages reposent en partie sur une inspiration commune, à savoir la nouvelle « The Masque of the Red Death » d’Edgar Poe. Le nom même de l’adversaire semble évoquer sans l’ombre d’un doute la nouvelle… A moins que la filiation s’opère à travers un relais, le « Master of the Red Death » qui s’était opposé à Doc Savage (au point que la « Mort Rouge » est utilisée pour tuer Clark Savage Senior !). Il est possible que Red Death soit une copie intentionnelle du Red Skull ou bien que ces deux saboteurs nazis soient en quelque sorte des « frères » qui, comme le Skull qui s’était opposé au Black Hood auparavant, descendraient d’une même influence commune. Le résultat, au final, est là : le Red Death de Fawcett utilise les mêmes méthodes que le Red Skull de Marvel, au point d’utiliser, comme lui, cette poudre/fumée écarlate et meurtrière… Au final, Fawcett ne fera cependant pas un usage si intensif du Red Death, préférant partir du principe qu’il avait trouvé la mort et que justice était faîte. Ce n’est pas pour autant que l’éditeur en avait terminé avec les pseudo-Red Skull. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir…
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Xavier Fournier]