Oldies But Goodies: Star Spangled Comics #1 (Oct. 1941)

[FRENCH] Il est l’homme-araignée ! Il marche sur les murs et se sert d’armes lance-toiles. Seulement voilà nous sommes en 1941, l’histoire n’est pas publiée par Marvel et l’état-civil du héros n’est pas Peter Parker ! Tarantula (futur membre du All-Star Squadron) prend pourtant son essor… avec quelques ressemblances troublantes. Et pour ceux qui se poseraient la question, le doute n’est guère permis : voici bien un des grand-pères de Spider-Man ! C’est même pour ainsi dire écrit dedans !

« Quand la plus puissant cité de la Terre devient la proie d’une vague systématique de crimes, la police est impuissante… Mais émerge alors Tarantula pour tisser une toile fatale autour de cette sinistre société de destruction » commente le narrateur alors qu’on voit le dénommé Tarantula marcher sur un mur tout en lançant d’étranges fils sur des gangsters qui, eux, ripostent avec des armes à feu. Pour assister aux débuts de Tarantula on nous propose de nous replonger dans un hold-up qui se déroule dans le « quartier des salles de spectacles le plus éclairé d’Amérique ». Alors que l’audience est absorbée par le spectacle des hommes armés surgissent et tiennent en respect le public, tandis que certains des malfaiteurs forcent le coffre-fort et s’emparent de la recette. Mais soudainement, au bout d’une corde, surgit de manière inattendue le héros du jour… Tarantula !

Le révolver de Tarantula ne tire pas des balles mais de la toile. L’un des malfrats est rapidement immobilisé par ces fils si gluants qu’il pense qu’il s’agit de serpents. « Non, c’est ma toile, elle est bien plus pratique que les balles » commente le héros masqué en terminant de ligoter son prisonnier. Tarantula fait alors divers usages de cette toile pour capturer d’autres gangsters. Le justicier masqué finit par « coller » à un siège celui qui dirige la bande, Ace Deuce, mais ce dernier jure qu’il ne finira pas sur la chaise électrique et qu’il trouvera un moyen de se venger… L’arrivée de la police interrompt de manière abrupte la discussion entre les deux hommes. Bien sûr les policiers connaissent Ace Deuce et savent qu’il est un criminel… Mais ils n’ont aucune raison de déterminer si Tarantula est un héros qui mériterait une médaille ou si, au contraire, il s’agit juste d’un gangster qui vient d’éliminer un rival. Tarantula leur fausse compagnie en expliquant qu’il préfère garder pour lui son identité. Les forces de l’ordre le poursuivent pour qu’il s’explique mais le héros préfère disparaître, non sans qu’un des policiers ait noté « d’étranges disques » sur son gant (nous y reviendrons pas la suite). Inutile de dire que Tarantula finit par échapper à ses poursuivants, reprendre une apparence « civile » et rentrer tranquillement chez lui sans que personne ne puisse se douter de qui il est…

On retrouve l’homme (un dénommé John Law) qui arrive dans sa maison de banlieue, alors qu’il est accueillit par sa femme de ménage. Celle-ci (et c’est assez peu répandu chez les amis des héros DC de l’époque) est visiblement au courant de ses activités en tant que Tarantula. En fait elle écoutait la radio qui vient de diffuser un premier reportage sur les activités du héros arachnéen : « Mr. Law ! Vous l’avez fait ! La nouvelle a été diffusée à la radio. Le commentateur a parlé de « Spider Man »  et de « Tarantula », le nom que vous avez vous même choisi ! ». Oui, « Spider Man », le nom est lâché… Et pour le meilleur et pour le pire les auteurs avaient visiblement choisi Tarantula. Mais alors pourquoi évoquer un autre nom potentiel ? En général quand un auteur créait un nouveau super-héros, il ne se perdait pas dans des digressions. Les histoires étaient plus courtes à l’époque. Le scénariste avait moins de place. Quand on baptisait un héros, on ne perdait pas de temps à évoquer d’autres noms possibles pour lui.

Bien sûr, nous évoquerons plus tard des hypothèses mais pour l’instant continuons la présentation du héros en lui-même. La vieille domestique de John Law lui dit être incroyablement fière de lui… mais (serions-nous en face d’un prototype de Tante May ?) s’inquiète terriblement pour le bien-être de son employeur. Lui répond en expliquant à voix haute les raisons de sa vocation de super-héros. Il est criminologiste et, en tant que tel, écrit depuis des années sur des histoires de lutte contre le crime. Ce soir, il a juste commencé à mettre en pratique ce sur quoi il écrit depuis des années. Quand à ses méthodes et ses gadgets, évoquant les capacités d’une araignée, elles ont simplement été inspirée par la tarentule que John Law garde en tant qu’animal de compagnie. Sans elle, il n’aurait jamais songé à devenir… Tarantula ! On notera que (là aussi c’est une chose rare pour l’époque) John Law est devenu héros non pas par désir de venger un proche mais bien par pur altruisme. Pourtant, le « totem » inspiré par un animal introduit dans la maison évoque à un certain degré les circonstances dans lesquelles Bruce Wayne a choisi de devenir Batman. Mais tandis que John Law repense à ses débuts, la femme de ménage revient consternée. Elle vient d’entendre à la radio que Ace Deuce vient de s’échapper. John Law écoute à son tour les informations qui expliquent que lors de son évasion on a entendu le gangster dire que pour se venger il commettrait un crime encore pire ce soir-même….

Sans attendre plus, John Law sort de chez lui avec la ferme intention de recapturer son adversaire.  Et sa femme de ménage l’implore une nouvelle fois de faire demi-tour et de rester ce qu’il est, à savoir un simple écrivain. Mais Law est intraitable: « S’il a échappé aux policiers dans les propres locaux de la police, personne d’autre ne peut l’arrêter ». Et le commentaire du scénariste insiste même « mais comment Tarantula pourrait-il trouver Ace Deuce ce soir, dans la grande ville ? ». Et bien on ne le saura pas car l’auteur choisit curieusement de faire une ellipse sur un point sur lequel il venait pourtant de mettre l’accent. La scène suivante nous montre en effet Ace Deuce dans un de ses repaires, en train de préparer avec ses hommes un prochain holp-up, concernant cette fois une soirée de bienfaisance liée à la guerre (comme nous sommes à l’automne 1941 et que l’Amérique n’est pas encore partie prenante dans la guerre mondiale, cette mention dans la BD est à noter, même si elle reste bien plus mineure dans le genre que l’apparition de Captain America quelques mois plus tôt). Seulement les hommes de Deuce ne tardent pas à repérer un inconnu qui fouine aux alentours, un inconnu dans lequel le lecteur n’aura pas de mal à reconnaître John Law (qui a apparemment trouvé la cachette par simple intervention du simple esprit). Pour garder la face, Law invente de toute pièce une histoire et se présente comme étant Pugs O’Bannion, un gangster à la recherche d’un coup à faire. Et pour une raison étrange, Ace Deuce et sa bande n’ont aucun mal à le croire et ne demandent aucune garantie. Promptement, « Pugs O’Bannion » est donc recruté au sein du gang sans que les autres se doutent qu’ils viennent de se faire infiltrer. Ace Deuce lui explique alors le coup qu’il prépare pour la soirée même et nous apprend au passage le nom de la ville où tout ça se passe : Wireless City (nom finalement assez téléphoné puisqu’il signifie en gros « cité sans fil » ce qui, dans le cadre des aventures d’un personnage qui tisse sa toile, n’est sans doute pas dû au hasard).

Rapidement toute la bande passe à l’attaque pendant la soirée de bienfaisance, dans des conditions qui évoquent un peu le hold-up de la salle de spectacle en début d’histoire. Sauf qu’alors que les criminels sont triomphants et se préparent à quitter les lieux, ils remarquent que « Pugs » a disparu. Mais comme les gangsters des comics ne sont pas vraiment connus pour leur penchant pour la solidarité, ils n’ont aucune intention de l’attendre. Il n’aura qu’à se débrouiller. Sauf, bien sûr, que « Pugs » s’est caché le temps d’enfiler sa tenue de super-héros. Utilisant les disques adhésifs qui couvrent la surface de ses bottes comme celle de ses gants, Tarantula peut adhérer sur n’importe quelle surface et marcher ainsi sur les murs. C’est en rampant au plafond que le héros peut passer inaperçu (aucun gangster ne pense à lever la tête au dessus). A partir de là, il a tôt fait d’en « entoiler » certains et de casser la figure à d’autres.

Ace Deuce tente de s’enfuir, convaincu cette fois que son ennemi « n’est pas humain » (la vision du héros marchant au plafond comme par magie à sans doute contribué à ce constat). Le gangster prend place à bord de l’autogire (pour ceux qui ne connaitraient pas, c’est un peu l’ancêtre de l’hélico) qui devait servir à la fuite de toute la bande. L’engin décolle et Tarantula, qui ne peut pas voler, ne peut pas le suivre… Alors que dans le même temps rien n’empêche Ace Deuce de lui tirer dessus. Utilisant son pistolet lanceur de toile, Tarantula englue alors l’autogire de manière à ce qu’il ne puisse voler puis utilise à nouveau sa toile pour s’emparent de l’arme de Deuce. Mais ce dernier s’écrie alors qu’il a toujours un plan de rechange et se jette du haut de l’édifice, révélant un petit parachute portable. Tarantula continue de le poursuivre, en se laissant glisser le long de sa toile… Cette vision fait perdre son sang froid à Deuce, qui emmêle les fils de son parachute et finit par s’écraser… Plus tard John Law rentre chez lui et sa fidèle Olga l’accueille avec le sourire, convaincue que maintenant que le gangster est mort le héros mettra fin à sa carrière et qu’il n’est plus besoin de « spiderifier ». Law tempère : « Tant qu’il y aura des hommes mauvais, il faudra des hommes bons pour les contrer. Et ça veut dire Tarantula patrouillera de nouveau… ».

Et il est vrai que le personnage restera en activité quelques temps dans les pages de Star-Spangled Comics. Les lecteurs modernes connaissent sans doute mieux John Law par l’entremise de la série All-Star Squadron : Tarantula en était un membre relativement régulier. Le scénariste Roy Thomas était par contre beaucoup plus intéressé pour expliquer une connexion qui n’existait pas à l’origine, à savoir le pourquoi du comment le costume originel de Tarantula ressemblait tant à l’un des deux uniformes portés par Sandman pendant le Golden Age. En fait c’était surtout une ressemblance au niveau des couleurs car l’implantation de la cape et le design de la cagoule étaient différents (le masque originel de Tarantula comportait des zones noires sur les côtés, chose que ne possédait pas le costume de Sandman). Dans All-Star Squadron #66 (1987) Roy Thomas et Alan Kupperberg racontèrent à nouveau l’origine de Tarantula en y développant toute l’histoire de la ressemblance avec Sandman de cette manière. Etant criminologiste, John Law avait été très intéressé par les premiers exploits du Sandman et avait enquêté sur lui, ce qui l’avait mené à la fiancée du héros qui lui avait montré un design potentiel pour un nouveau costume du Sandman, design finalement abandonné au moment de leur conversation. Finalement John Law avait décidé d’utiliser ce design comme une forme d’hommage, sans se douter que de son côté le Sandman avait changé d’avis et finalement adopté une tenue très similaire… En définitive ses apparitions dans All-Star Squadron menèrent à l’invention d’un costume très différent (mais il est vrai plus élégant) pour Tarantula, sans qu’il se sépare pour autant de son pistolet lance-toile ou de ses bottes à disques adhésifs qui lui permettaient de marcher sur les murs. Et d’ailleurs pour pousser plus loin l’ironie il se trouve lors de sa première apparition en 1939, le Sandman avait également un adversaire nommé aussi Tarantula… Plus tard on a vu John Law en personnage secondaire dans la série Nightwing puis, après sa mort, une variation de sa tenue a été portée par une jeune femme relativement hystérique qui a été tantôt une sorte de partenaire/tantôt une ennemie de Nightwing (il s’agit de la Tarantula qu’on a récemment revue dans la série Secret Six).

Dans les origines de John Law telles qu’elles furent publiées en 1987, Roy Thomas pris grand soin d’insérer à nouveau la scène où la radio baptise le temps d’un instant le nouveau héros « Spider Man » en y ajoutant une seule différence. Dans cette version, John Law marque un temps d’arrêt et se demande s’il ne devrait pas adopter plutôt cet autre nom avant de décider que, finalement, ce sobriquet de Spider Man est ridicule. Et pourtant cette scène de 1941 ne cesse de fasciner car, comme nous le disions plutôt, cette mention de « Spider Man » sonne comme une étrange digression dans le scénario.

Ma théorie personnelle est que Tarantula doit sans doute une bonne partie de son existence à l’influence de The Spider, personnage de « Pulp » qui avait fait l’objet d’un feuilleton cinématographique (un « Serial ») en 1938. Non seulement il se trouve que The Spider est lui aussi criminologiste mais la version cinéma du héros était un tantinet plus super-héroïque que le Spider des pulps et présent plusieurs points de similitudes avec Tarantula. Le fait même que les aventures de Tarantula commencent dans une salle de spectacle comme celles où l’on projetait les serials semble en un sens comme une sorte de lapsus de l’auteur qui trahirait la filiation de l’idée. Et on peut assez facilement imaginer qu’à un moment de sa conception ce fils spirituel du Spider a donc réellement failli s’appeler Spider Man, avant que le scénariste ou la firme ne préfèrent finalement prendre un nom un peu plus éloigné du modèle. Et inversement il serait facile de trouver là la source des ressemblances structurelles entre le Tarantula de DC et le Spider-Man de Marvel puisque dans son livre Origins of Marvel Comics, Stan Lee lui-même reconnaissait que selon lui Spider-Man avait été en grande partie inspiré par le Spider. Mais non, ce serait encore trop facile…

Comme nous l’avons déjà évoqué quelques fois dans Comic Box et par ailleurs également ici, dans le cadre de cette rubrique, il y a une sorte de filiation (au moins partielle) entre le Spider-Man de Marvel et un « projet » que Joe Simon aurait précédemment promené d’éditeur en éditeur. A l’origine initié en compagnie du dessinateur C.C. Beck, ce projet aurait eut été titré, à un stade de son développement, « Silver Spider ». C.C. Beck se retirant, Jack Kirby, le partenaire régulier de Joe Simon à cette époque, aurait travaillé sur diverses variations ou idées annexes (notablement un certain « Night Fighter » qui n’existe qu’à l’état de croquis préparatoire mais qu’on voit distinctement marcher sur les murs grâce à des bottes adhésives). A un autre moment le projet aurait failli s’appeler Spiderman (Joe Simon avait même dessiné un logo en ce sens). Finalement le projet s’est métamorphosé en The Fly, héros d’Archie Comics dont nous avons déjà parlé ici. Et par la suite le consensus veut que certaines planches du projet Silver Spider/Night Fighter/Spiderman/Fly aurait suivies Kirby lors de son retour chez Marvel, peu de temps avant que Stan Lee et Steve Ditko ne lancent leur Spider-Man. On peut discuter du pourcentage d’ADN commun entre Silver Spider/Night Figther/Spiderman/The Fly et le Spider-Man de Marvel mais il est certain qu’il y a un ADN commun. Mais en quoi tout cela concernerait le Tarantula de DC, créé 18 ans avant thé Fly ? C’est simple: la couverture du premier numéro de thé Fly est grandement inspirée d’une page de Tarantula (Star Spangled Comics #13, 1941). A partir de là il ne fait pas l’ombre d’un doute que les auteurs de The Fly et du Niger Fighter connaissaient les aventures de Tarantula puisqu’ils se servaient des pages de Star Spangled Comics comme « inspiration » (ou plus exactement qu’ils en repompaient des passages pour gagner du temps). De la même manière qu’il y a de « l’ADN créatif commun » entre The Fly et Spider-Man, le lien existe donc de manière toute aussi réelle avec John Law, l’homme qui a failli s’appeler Spider Man bien avant Peter Parker et qui est d’une certaine manière un lointain grand-père ou arrière grand-père…

[Xavier Fournier]
Comic Box

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