Oldies But Goodies: Star-Spangled Comics #7 (1942)

[FRENCH] 200ème Oldies But Goodies ! En février 2009, pour la 100ème chronique d’Oldies But Goodies, le dénommé Lionel (sans doute recordman des commentaires sur cette rubrique) me demandait quand tomberait la 200ème. Et bien je suis en mesure de lui répondre qu’elle tombe aujourd’hui ! Ffffiu, 200 chroniques écrites. J’en suis tout chose. Après avoir évoqué les Young Allies pour notre 100ème puis les Boy Commandos pour la 150ème, il m’a paru naturel et logique de vous parler cette fois de la Newsboy Legion, autre groupe de jeunes liés à l’imagination de Joe Simon et Jack Kirby. La Newsboy Legion, c’était une petite troupe de gavroches new-yorkais, obligés de vendre des journaux à la criée pour survivre et que le sort allait mettre sur le chemin d’un curieux super-héros armé d’un bouclier…

En 1942, Joe Simon et Jack Kirby avaient tourné le dos à Marvel (où ils avaient créé Captain America) et faisaient feu de tout bois dans les pages des DC Comics, en particulier avec un genre qu’ils maîtrisaient bien : la bande de jeunes garnements. Après avoir initié les Sentinels of Liberty pour Marvel (concept rapidement rebaptisé les Young Allies), ils avaient ainsi créé les Boy Commandos pour DC : un groupe d’enfants qui formait une unité d’élite au sein de l’armée sous la houlette d’un militaire tenant lieu de figure paternelle. En gros, la dynamique était la même que lorsque Captain America veillait à l’occasion sur les Young Allies. A l’époque le succès des Boy Commandos était énorme et (selon la préface de Joe Simon dans le recueil récemment paru de la série) l’éditeur craignait que tout s’arrête à cause de la seconde guerre mondiale. Toutes les probabilités indiquaient que les auteurs risquaient eux-mêmes d’être rapidement appelés sous les drapeaux.

Par précaution, on avait donc demandé à Simon & Kirby (ainsi qu’aux autres artistes avec qui ils collaboraient) de surproduire des récits des Boy Commandos afin d’avoir du stock d’avance. Selon l’histoire racontée par Simon lui-même, ce ne fut pas le manque qui se produisit mais bien l’inverse : il y aurait eu trop de stock et les gens de DC se seraient demandé un jour que faire de ces crayonnés de trop… Avant de se dire qu’il suffisait de réunir une partie des planches et de les reformuler afin qu’elles décrivent les exploits d’une autre bande de gosses, à la fois différente mais en même temps assez similaire pour qu’elle puisse espérer être aussi populaire que les Boy Commandos, déjà considéré comme « le comic-book le plus vendu au monde » selon les souvenirs de l’auteur… Il y a quand même quelque chose qui me chiffonne dans cette version, lié au planning des événements. Les Boy Commandos firent leur première apparition dans Detective Comics #64 (daté de juin 1942) tandis que l’autre groupe, la Newsboy Legion, débutèrent dans Star-Spangled Comics #7 (qui porte sur la couverture la mention d’avril 1942).

A l’époque, certes, les éditeurs américains avaient pour coutume d’antidater les couvertures de manière à tromper les kiosquiers. Sortir un numéro estampillé du mois de juin trois mois avant permettait de s’assurer qu’il resterait en rayon jusqu’à la date officielle. Même en imaginant que le décalage ne soit pas uniforme selon les séries et que les Boy Commandos aient bien physiquement précédés la Newsboy Legion, l’écart était sans doute infime et on peut douter que DC avait les chiffres de ventes du premier numéro de Detective Comics montrant les Commandos. De plus ces derniers n’étaient très certainement pas en état, à l’époque, de revendiquer d’être « le comic-book le plus vendu au monde » puisque les Boys Commandos quittèrent les pages de Detective Comics pour avoir leur propre série seulement pendant à partir de l’hiver 1942/43. Il parait plus probable, donc, que la discussion entre Simon et DC se déroulait en amont, que l’éditeur et les auteurs tablaient dès le départ sur un succès de ce genre de séries, qui permettrait d’en faire vivre deux de manière parallèle. Similaires ? Sans aucun doute. Dire qu’elles étaient identiques serait par contre très exagéré. Les Boy Commandos étaient dans les tranchées, supervisés par le militaire Rip Carter tandis que l’univers de la Newsboy Legion tournait autour des quartiers les plus miséreux de New York…

Dans Star-Spangled Comics #7, tout reste à faire cependant… Il convient de marquer le démarrage du concept (d’une certaine manière l’origine, encore qu’on verra que le background de la plupart des personnages reste peu détaillé) et nous faisons donc connaissance de Jim Harper, jeune policier débutant, qui rentre de patrouille alors que la journée a été dure. Il revient du quartier de Suicide Slum une nouvelle fois tâché, sali… A voix haute il rumine : « Ils commencent vraiment à m’aimer, aujourd’hui j’ai seulement été frappé par une brique« .

Au poste de police son sergent remarque que, vu son état, il a sans doute passé « une journée intéressante » et Harper rétorque qu’effectivement Suicide Slum est un quartier intéressant… Sa journée terminée, Harper reprend ses vêtements civils et sort du poste, en se disant qu’il va sans doute aller voir un film pour se changer les idées. Malheureusement pour lui, des brutes l’attendent à la sortie et l’un d’entre eux lui donne un coup de matraque. Entre deux cases, visiblement, les autres font plus que matraquer le pauvre Harper puisqu’on le retrouve ensuite couvert de traces de coups, avec ses vêtements en lambeaux. Rien n’explique réellement ce que les gens du quartier de Suicide Slum reprochent à Harper mais, faute d’une explication autre, on en déduira que les voyous n’aiment pas trop qu’un policier vienne patrouiller sur leurs terres et qu’il s’agît, sans doute, de le décourager. Si c’est bien le cas, c’est l’effet inverse qui se produit.  Abandonné par ses agresseurs, Jim Harper se redresse, dégoûté : « C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Je ne peux plus le supporter ! Je vais régler ça avec… hmm… cette boutique de vêtements me donne une idée !« . Visiblement Harper arrive à s’introduire dans le magasin entre deux cases (on imagine que l’ellipse permet aux auteurs d’éviter de montrer un policier en train de forcer une porte).

Une fois à l’intérieur, Harper commence à faire son choix. Il prend un casque de protection puis un assortiment de vêtements qui lui permettent de se composer une identité costumée. Le clou du spectacle est un large bouclier doré (qui évoque un peu la forme des insignes de policiers) dont on ne nous dira jamais vraiment à quoi il pouvait servir avant d’être sélectionné par Harper. Des versions plus tardives, bien obligées d’expliquer ce que l’objet faisait là, le définissent comme une « antiquité » mais cela creuse plus le mystère qu’il ne le résout. Le bouclier originel d’Harper pourrait-il être une sorte de talisman ancien ? Assez curieusement l’idée ne sera jamais réellement explorée. Mais dans le récit, l’important est qu’Harper (après avoir laissé de l’argent sur le comptoir pour payer ce qu’il a pris) ressort de la boutique en portant un uniforme singulier : « Je ressemble probablement à un super-héros sorti d’un comic-book prêt à prendre le crime par les cornes !« . Et c’est d’ailleurs l’idée d’Harper : se faire passer pour un super-héros le temps de régler ses comptes.

Rapidement il retrouve la trace des malfrats qui l’ont agressés, qui s’étaient entre-temps arrêtés dans un bar. Et là, il leur saute directement dessus, avec un résultat carrément différent cette fois : il les roue de coups sans que les autres puissent vraiment répliquer. Quand l’un d’entre eux tente de battre l’homme masque en utilisant une queue de billard, Harper est protégé par son casque et par son bouclier. Difficile de l’assommer cette fois ! En quelques instants leur compte est bon. Les crapules sont neutralisées et attachées. L’un d’eux, quand même, finit par demander qui est l’inconnu et pourquoi « il leur fait ce truc de super-héros ». Pris de cours, Harper répond qu’il est une sorte de Gardien (Guardian en VO) de la Société. Puis écoutant les sirènes de police, Harper disparaît dans la nuit sans se douter des retombées de l’événement…

Le lendemain, la ville est réveillée par les vendeurs à la criée, qui s’égosillent sur le scoop du jour : le Guardian a capturé le gang de Suicide Slum ! Mais l’un des jeunes vendeurs est méfiant quand il voit un policier approcher pour lui acheter le journal. Jim Harper découvre, très étonné, que sa petite sortie nocturne n’est pas passée inaperçue… « On dirait que j’ai mis en marche quelque chose ! Et je ferais mieux de me tenir à carreau si je veux conserver mon insigne… Bien, au revoir le Guardian !« . L’originalité de la chose, en effet, c’est que Jim Harper n’est pas réellement un super-héros de vocation. En dehors de sa petite vengeance personnelle, il n’imagine pas qu’il puisse reprendre ce costume et continuer à défendre la justice sous ce masque. Aussi bizarre que cela puisse paraître, on pourra dresser quelques liens avec le bien plus tardif Kick-Ass de Mark Millar et John Romita Jr. (non pas que j’imagine un instant que Kick-Ass ait copié, puisqu’il existe par ailleurs des différences fondamentales). Certes Kick-Ass se prend d’emblée pour un super-héros et veut le rester mais les deux personnages ont en commun le fait qu’ils sont des êtres totalement normaux, sans propriété physique exceptionnelle, qu’ils en prennent plein la figure et qu’ils se font finalement dépasser par le « buzz » après avoir neutralisé presque par chance une poignée de brutes. L’histoire d’un personnage du Golden Age devenu super-héros « par accident » et qui se fait dépasser par sa propre réputation pourrait être en soi intéressant mais à partir de là l’intrigue prend une autre route.

Le vendeur de journaux (on apprendra plus tard qu’il s’appelle Tommy Tompkins) qui vient de croiser Harper rencontre ses jeunes collègues et amis, Big Words, Gabby et Scrapper. Le plus souvent on aura l’impression que les quatre enfants sont des orphelins vivants dans la plus profonde misère mais il convient de noter que Big Words, qui est en gros l’intello de la bande, est habillé bien mieux que les autres, comme s’il venait d’une autre sphère sociale. Big Words est d’ailleurs une redite pure et simple du personnage de Jeff (Jefferson Worthington Sandervilt) dans les Young Allies. Globalement la Newsboy Legion cache mal sa ressemblance avec les Allies. Gabby ressemble beaucoup a Knuckles et il n’y a pas d’équivalent de Whitewash (stéréotype racial membre des Young Allies) mais Tommy, le leader du groupe, a un petit air d’un Bucky sans le costume de super-héros. A comparer, le casting international des Boy Commandos était bien plus original, moins proche des Sentinels of Liberty/Young Allies. A se demander, même, si la Newsboy Legion est bien née de pages surnuméraires et reformulées des Boy Commandos (ce qui pose le problème chronologique évoqué plus tôt) ou bien si Simon, Kirby et leurs partenaires ne sont pas arrivé chez DC en amenant des planches initialement prévues pour Young Allies et/ou Captain America. Ou bien DC aura demandé à Simon & Kirby de « Captainiser » le casting de cette autre bande de jeunes. On verra cependant un peu plus loin qu’un autre indice lie la Newsboy Legion à Captain America.

Pour les quatre garçons, la journée a été mauvaise et il semble que leurs concurrents (les autres vendeurs ou les autres journaux, ce n’est pas clair) ait fait plus de chiffre qu’eux. Les quatre garçons retournent alors à leur repaire en se lamentant qu’ils n’ont plus assez d’argent pour entretenir les lieux. Tommy promet à ses amis qu’ils obtiendront les outils pour réparer leur abri. Mais il leur demande d’abord d’enfiler leurs patins à roulettes. Rapidement, tout le petit groupe fonce vers une boutique d’équipement avec l’avidité de rapaces. Le patron, les voyant arriver, réalise bien qu’il s’agît d’un vol. Car les quatre garçons en sont réduits à ça: voler pour pouvoir subsister. Les gosses s’emparent d’autant de choses qu’ils peuvent en emporter et repartent aussi vite que possible, juchés sur leurs patins. Malheureusement pour eux, ils tombent à la sortie sur l’agent Harper qui passait par là. Curieusement muni d’une sorte de brouette, Harper arrive à la pousser devant le groupe, qui s’écrase dessus, mettant fin à la cavale des enfants. Harper attrape alors les quatre garnements « Désolé les enfants mais il y a une loi contre le vol, vous vous souvenez ?« .

Le patron de la boutique insiste pour porter plainte et… « Steve » est obligé de les livrer à la police. Attendez ! Stop ! Qui est Steve ? On ne nous avait pas parlé d’un Steve ! Aucun des gosses ne porte ce nom. Quand à Harper son prénom est Jim. Et pourtant le lapsus est bien là : Dans ce passage, on tombe carrément sur une forme d’atavisme ! Simon & Kirby donnent accidentellement à Jim Harper le prénom de Steve Rogers (alter-ego de Captain America) !!! Mais la Newsboy Legion a bien d’autres soucis immédiats que se demander quel est le prénom réel de l’agent qui les a arrêté. Ils passent devant le tribunal et n’en sont pas vraiment à leur coup d’essai. Le juge dresse même un constat assez sévère : « Dans le passé, les garçons, vous avez volé des choses comme des bouchons de radiateurs et d’autres accessoires. Ces petits crimes font de vous des ennemis potentiels de la société ! Il est de mon triste devoir de vous envoyer dans une institution (NDLR : comprenez une « maison de redressement ») où vous resterez jusqu’à l’âge de 21 ans ! ». Les enfants sont ravagés ! Pour eux, c’est ni plus ni moins qu’une peine de prison jusqu’à l’âge adulte ! Mais à ce moment l’agent Harper s’interpose, malgré les protestations de la bande, qui voit d’un assez mauvais œil l’intervention de l’homme qui les arrêté. Malgré la colère du juge, Harper insiste « Je ne peux pas voir ces garçons condamnés sans qu’ils soient défendus ! ». Harper plaide alors véritablement pour le groupe, en expliquant qu’ils sont tous orphelins et qu’ils ont du voler pour survivre.

Harper insiste : « Les envoyer dans une maison de redressement les fera fréquenter des criminels plus durs et le seul résultat sera d’endurcir leurs petites âmes déjà amères. Je souhaite que vous reconsidériez votre décision ». Mine de rien la scène est loin d’être aussi anodine qu’on pourrait le penser puisqu’on a ici un policier en train de remettre en cause le bien fondé du système carcéral et, par extension, du fonctionnement de la justice ». D’une manière générale la littérature populaire n’apprécie guère les « placements d’enfants » (souvenez-vous des Thénardier dans les Misérables par exemple) mais il convient de souligner que dans le parcours de Simon & Kirby cette notion est vivement critiquée à chaque fois qu’elle est mentionnée. Jim Harper explique ici l’inutilité des maisons de redressement mais quelques mois plus tard (Star-Spangled Comics #11, 1942), quand la Newsboy Legion ira quelques temps en prison, ce sera surtout et avant tout pour montrer le directeur de l’établissement comme un oppresseur d’enfants. C’est un angle qu’on retrouvera plusieurs fois dans la carrière des deux auteurs. Par exemple dans Adventures of the Fly (1959) le jeune héros est maltraité par Creacher, le directeur de l’orphelinat où se trouve l’enfant. Et on peut également se reporter, entre autres, aux origines du plus tardif Mister Miracle de Kirby, élevé dans l’orphelinat démoniaque de l’horrible Granny Goodness. Simon & Kirby étaient visiblement opposés à l’idée qu’on enferme des enfants (que ce soit en prison, maison de redressement ou en orphelinat) et ce fil rouge allait perdurer dans leurs travaux. D’ailleurs quand le juge se ravise et demande à Harper quelle solution il propose, l’idée de placer Tommy et les autres dans un orphelinat n’est même pas envisagée…

Le plan d’Harper ? Demander la garde des enfants (ce qui fait de lui leur « gardien légal », d’où le double jeu de mot avec son travail de « gardien de la paix » et son identité masquée de « gardien, cela ne vous aura sans doute pas échappé). Harper veut prouver qu’ils peuvent devenir des citoyens utiles ! Le juge se laisse convaincre, mais à la condition que des changements soient notables d’ici quelques mois. Harper en est certain : « Le temps qu’on m’accorde est court mais je suis sur que je peux prouver ma théorie… Je parierais mon insigne là-dessus ! « . Une fois ressorti du tribunal avec ses quatre nouveaux pupilles, Harper ne reçoit pas vraiment des remerciements. Au contraire les quatre enfants lui affirment qu’ils n’ont pas besoin d’un « Big Brother » au dessus d’eux. Ils refusent même l’argent qu’Harper leur propose pour aller voir un film en expliquant qu’ils « savent où trouver de l’argent ». Resté seul, Harper rentre chez lui mais est inquiet de cette réflexion sur l’argent. « On dirait que mon rôle de gardien de ces gosses va être dur. GARDIEN ! Cela me rappelle que je dois me débarrasser de mon costume ! ». Mais machinalement Harper remet le masque et le casque pour s’en amuser. Il n’a toujours pas l’intention de redevenir un jour un super-héros mais, presque machinalement, renonce à détruire les vêtements : « Ha ha… Je m’amuse bien à porter cet uniforme ! ».

Pendant ce temps la Newsboy Legion trouve de l’argent de la seule manière qu’elle connaît : en volant ! Le gang désosse une voiture, dérobant aussi bien les pneus que le pare-choc et d’autres accessoires. Puis Tommy et les autres se rendent chez Frankie the Fence, un receleur bien connu. Malheureusement pour eux, l’accueil n’est pas celui qu’ils espéraient. Frankie sait qu’ils ont été mis sous la protection de l’agent Harper. Il refuse de leur acheter quoi que ce soit. Mais comme Tommy l’implore, en expliquant qu’ils ont besoin d’argent, Frankie explique alors qu’il a peut-être mieux à leur proposer. Plus tard, Jim Harper est en train de faire sa patrouille dans les rues quand il tombe sur un attroupement. La Newsboy Legion est en train de chanter, de danser et de faire du bruit dans la rue, mendiant de l’argent auprès des passants. Dans un premier temps Harper est rassuré et pense que c’est ce qu’ils voulaient dire quand ils parlaient de trouver de l’argent. Mais à ce moment-là un hold-up a lieu à quelques mètres de là. Les gangsters sortent en tirant des coups de feu, touchant une personne. C’est la cohue. Harper sort son arme de service et voudrait pouvoir tirer à son tour mais la foule est trop dense autour de la Newsboy Legion, formant comme une muraille entre le policier et les bandits. Il ne peut les empêcher de s’enfuir, même quand ils ouvre le feu sur les passants. Harper s’exclame « Je ne peux pas tirer ! Je ne peux prendre ce risque ! Je pourrais blesser quelqu’un dans la foule ! ». En l’écoutant les garçons de la Newsboy Legion prennent une mine déconfite puis s’enfuient. Harper ne manque pas de le remarquer : « C’est bizarre ! Je pensais que ces gamins aimaient l’excitation… Un coup de feu ou une rafale devrait normalement les attirer comme des mouches… Et ils fuient ! Ce n’est pas naturel ! Hmmmm…. Je ferais mieux de les suivre ! ».

L’instinct d’Harper ne l’a pas trompé. Si la Newsboy Legion est catastrophée, c’est qu’elle a servi de diversion sur la suggestion de Frankie The Fence mais sans savoir ce qui se passerait à côté. Ils ne pensaient pas que quelque chose de grave se passerait. Encore moins que des gens seraient blessés ! Et dans le même temps, même s’ils se méfient de la police, ils ont bien remarqué qu’Harper n’avait pas tiré comme un fou, lui. Il avait le souci de ne pas blesser des innocents. Les garçons commencent à réaliser qu’Harper est sans doute quelqu’un de respectable mais ils sont encore sous le coup des événements de la journée. Furieux contre Frankie, ils décident d’aller lui dire deux mots pour lui signifier qu’ils ne travailleront plus pour lui. Bien que cela ne nous soit pas montré il semble qu’Harper ait réussi à entendre une partie de la conversation. Trois minutes plus tard, il est déjà chez lui en train d’enfiler le costume bleu : « Je ne pensais pas le remettre un jour mais Jim Harper le policier a les mains liées par la Loi. Mais pas le Guardian ! Il peut s’attaquer à Frankie The Fence sans problème ! Je suis déterminé à ce que ces gosses filent droit ! S’ils n’écoutent pas Jim Harper, j’ai l’impression qu’ils respecteront le Guardian ! ».

Chez Frankie, les garçons sont inconscients du risque qu’ils courent. Ils annoncent au gangster qu’ils savent très bien ce qu’il a fait et qu’ils ne veulent plus marcher dans la combine. Mais cela ne surprend pas Frankie, qui avait justement prévu de se débarrasser d’eux. Il sort alors un revolver, prêt à en finir. Heureusement, c’est à ce moment-là que le Guardian fracasse la porte et donne un magistral coup de poing à l’homme, qui tombe assommé. Les garçons sont admiratifs mais le Guardian refuse d’achever ou d’arrêter Frankie. Ce qu’il veut, c’est « le gros poisson », l’homme au dessus de Frankie. En compagnie des enfants, le Guardian se cache donc non loin et quand Frankie, revenu à lui, s’en va ils le prennent en filature jusqu’à un port proche. Frankie part alors en utilisant un bateau. Arrivé là, le super-héros décide de le suivre seul à bord de la dernière embarcation qui reste. Les enfants sont furieux mais le Guardian leur explique que c’est trop dangereux pour eux. Restés sur l’embarcadère ils n’ont plus le choix de toute manière puisqu’il n’y a plus de bateau disponible. Mais c’est compter sans la débrouillardise des garçons, qui prennent place à bord d’une caisse en bois et s’en servent comme d’un radeau de fortune…

Le Guardian a suivi Frankie jusqu’à une petite île pourvue d’un phare. Mais quand il arrive sur les lieux, il fait trop noir. Harper n’y voit pas grand-chose et est ébloui quand un faisceau de lumière (celui du phare ?) l’éclaire. Un gangster l’assomme (visiblement le point de faible d’Harper est de se faire assommer par surprise). Quand le Guardian revient à lui, il est présence du vrai chef du réseau criminel, le fameux gangster Chips Carder. Le héros est dans une mauvaise passe mais quand il regarde par-dessus l’épaule de Carder il aperçoit, par la fenêtre, le visage des garçons de la Newsboy Legion. Ils sont là et épient. Le Gardian s’exclame « Applique de la laque vermillon sur la source de luminescence ci-dessus Big Words ! ». Les gangsters ne comprennent rien à ce qui se passe. Pour eux les propos du héros sont incohérents. Ils s’apprêtent à le tuer quand les garçons font irruption dans la pièce et le défendent avec férocité. L’ordre « codé » du Guardian était de peindre en rouge l’ampoule du phare (quand à savoir comment le héros pouvait deviner qu’il y avait de la peinture rouge à proximité, mystère…). Le phare balaye donc la baie comme une sorte de gyrophare écarlate. Pendant ce temps l’intervention des enfants à permis à Harper de se libérer. Ensemble, ils arrivent à bout de la bande. Chips Carder tente bien de tirer sur le Guardian mais le gangster est lui-même victime de balles perdues avant de pouvoir mener à bien son plan. Très vite les garde-côtes arrivent, attiré par le gyrophare rouge. Ils peuvent alors coffrer toute la bande. Avant que quiconque ait pu réagir, le Guardian s’enfuit à bord d’un bateau, de manière à conserver son anonymat…

Le lendemain la Newsboy Legion retrouve l’agent Harper, qui leur dit avoir entendu parler de leurs exploits nocturne : « C’est un petit exploit d’avoir réussit à peindre le phare en rouge ! Ha ha ha ! ». Tommy est étonné : « Mais… comment peux-tu être déjà au courant ? Nous n’avons quitté le phare qu’il y a quelques instants ! ». Harper bredouille alors, sans trop de conviction, qu’il a lu le rapport de police. Mais les enfants ne sont pas totalement dupes. Pire ! Ils s’aperçoivent qu’Harper porte un pansement exactement à l’endroit où le Guardian a reçu un coup dans la nuit. Laissés seuls, les quatre garçons ruminent. Et si… Et si Harper était le Guardian ? Dans la case de conclusion de l’épisode, ils décident qu’à partir de maintenant ils garderont un œil sur le policier pour vérifier leurs soupçons. C’est d’ailleurs ce qui va donner dans les épisodes suivants une alchimie assez particulière à la série. La Newsboy Legion admire le Guardian et, dans une moindre mesure, Harper, tout en se doutant que les deux ne font qu’un… MAIS les garçons ne peuvent le prouver et ne seront jamais certains (en tout cas pas pendant le Golden Age) de leur théorie. Quand à Harper, on voit bien que son but principal en restant le Guardian est de fournir une sorte de modèle idéal aux enfants mais que, s’il ne tenait qu’à lui, il ne continuerait pas de porter le costume…

Le Guardian, tel que créé en 1942 est relativement à part dans le sens où il ne s’agît pas d’un athlète formidable ou d’un sportif hors pair. Il n’est pas un super-soldat et on peut voir dans la scène d’introduction que quelques malfrats peuvent venir à bout d’Harper très facilement. Il n’a pas d’origine autre qu’une impulsion soudaine qui le pousse à s’introduire dans une boutique de vêtements. Et pourtant dans les épisodes suivants, ses prouesses seront bien dignes de la plupart des autres justiciers masqués. Dans All-Star Squadron Annual #1, le scénariste Roy Thomas a donc amendé les événements de cet épisode en extrapolant certaines choses. En fait Thomas glisse une aventure supplémentaire quelque part dans ces pages. Dans l’Annual en question on apprend qu’après avoir coincé ses agresseurs dans le bar (lors de sa première sortie comme Guardian), Jim Harper a disparu dans une grande lumière blanche, emporté (tout comme le premier Atom et Wildcat) auprès du All-Star Squadron. Ensemble les trois héros se rendront compte d’une certaine similitude dans leurs origines. Tous les trois ont été pris en charge par un seul et même entraîneur ! Toujours dans All-Star Squadron, on apprend que Jim Harper, enfant, a lui-même vécu dans le quartier de Suicide Slum en chapardant, jusqu’à ce que le dit entraîneur le recueille. Ce personnage d’entraîneur est totalement absent du récit initial de Simon & Kirby mais il a l’avantage d’expliquer que Jim Harper soit plus athlétique que le commun des policiers.

Pendant le Golden Age la Newsboy Legion et le Guardian étaient profondément raccrochés à la périphérie de New York, vivants dans le quartier imaginaire de Suicide Slum (il semble que l’endroit était basé sur les souvenirs de jeunesse de Kirby, qui avait fait partie d’une bande de gosses dans sa jeunesse). Si vous ouvrez de nos jours un comic-book DC qui mentionne la Newsboy Legion, il y de bonnes chances qu’on n’y mentionne pas du tout New York mais au contraire Metropolis (la ville de Superman). On pourrait croire à une forme de trahison mais quand on y regarde de plus prêt ce « déménagement rétroactif » est plus logique qu’il y parait. Jack Kirby ayant bien plus tard raccroché le destin de la Newsboy Legion et du Guardian au Projet Cadmus et à l’univers de Superman, le scénariste/dessinateur John Byrne officialisa dans les années 80 que Suicide Slum était, dans la continuité « post Crisis » un quartier de Metropolis (et il est depuis décrit ainsi non seulement dans les comics mais aussi dans d’autres supports, comme le feuilleton télévisé Smallville). En fait tout ça ne se limite pas forcément à un caprice car dans Action Comics #9 (janvier 1939, précédant donc l’apparition de la Newsboy Legion) on apprenait que la ville ou vivait Superman avait un faubourg surnommé les « Slums ». Mieux encore : l’épisode tourne autour du fait que Clark Kent (Superman) assiste à la condamnation d’un jeune nommé Frankie, envoyé dans une maison de redressement. Le super-héros réalise alors que Frankie n’est pas le vrai coupable mais qu’il a été manipulé par un receleur nommé Gimpie. Superman finit par tirer des griffes de Gimpie quatre garçons qui trempaient dans ses histoires de vol. Ce n’est pas tout à fait la Newsboy Legion mais les logiques sont assez similaires. La grosse différence c’est que Superman ne décide pas de les prendre avec lui. Il décrète que s’ils ont mal tourné c’est la faute de l’environnement lugubre des Slums. Il s’arrange donc pour provoquer un faux cyclone qui détruit les habitations, forçant le gouvernement à construire de nouveaux habitats, plus propres et plus modernes.

Finissons, enfin, en soulignant que si le Suicide Slum de DC est passé de New York à Metropolis, il est possible qu’il se soit également réincarné sous un autre nom chez la concurrence. Il suffit de lire clairement la scène d’introduction pour comprendre que les gangsters qui attaquent Harper ne sont pas les seuls à le tourmenter quand il fait sa patrouille de police dans Suicide Slum. Il revient tâché au commissariat et il semble bien qu’on lui lance plein de choses pour se moquer de lui (d’ailleurs dans All-Star Squadron Annual #1, la mention de la brique qu’on lui a jeté est remplacée par une histoire de lancer de tomates). Les gens de Suicide Slum sont donc au moins en partie d’affreux farceurs qui se moquent d’Harper. Or, il y a dans l’œuvre de Kirby un autre gang new-yorkais capable des pires blagues dans le cadre d’une relation d’amour/haine avec un héros. Dans les pages des Fantastic Four, le personnage de Ben Grimm (la Chose) est victime des blagues de ses anciens camarades du Yancy Street Gang. Jack Kirby dessine toujours les gens de Yancy Street dans l’ombre ou bien carrément hors champ. Mais leur conduite envers Ben Grimm est identique au comportement qu’ont les gens de Suicide Slum avec Harper. Mieux : même si on ne le voit pas (des auteurs bien plus tardifs que Kirby l’ont montré mais de manière plus ou moins convaincante) le Yancy Street Gang parle exactement de la même manière que la Newsboy Legion. De là à penser que Yancy Street ne serait rien d’autre qu’une rue du quartier de Suicide Slum et que par conséquent ce Yancy Street Gang invisible ne serait qu’un autre nom pour une Newsboy Legion de DC que Kirby pouvait difficilement montrer dans une revue Marvel…

[Xavier Fournier]

PS : Si Oldies But Goodies vous plaît, n’hésitez pas à le faire savoir et à faire connaître la rubrique, qui revient sur www.comicbox.com au moins une fois par semaine, chaque samedi ! Et si vous avez pris le train en cours de route, je vous invite à lire/relire les 199 chapitres que vous avez pu manquer en consultant ces pages (http://www.comicbox.com/index.php/category/oldies-but-goodies/). Les commentaires et questions sont également les bienvenus !

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