Oldies But Goodies: Star Spangled War Stories #110 (1963)
25 août 2012[FRENCH] Nous en avons déjà parlé dans un précédent Oldies But Goodies : A partir de Star Spangled War Stories #90 (1960), le scénariste/responsable éditorial Robert Kanigher eut tout le loisir d’envoyer les différents corps d’armée sur une île peuplée de dinosaures. C’était le préambule de War That Time Forgot (« La Guerre oubliée du temps »). Avec cependant une limitation : Comment se renouveler et maintenir l’intérêt ? En introduisant un gigantesque allié des humains, le Dinosaur Killer. Un personnage nouveau mais pourtant vraiment très familier…
Dans une précédente chronique nous avons vu comment, presque par accident, Robert Kanigher avait transformé en 1960 la série Star Spangled War Stories en une anthologie abritant un genre délirant totalement hybride : Le récit de guerre… contre les dinosaures ! Il y avait donc quelque part dans le Pacifique une « Dinosaur Island » sur laquelle, épisode après épisode, des soldats contemporains de la Seconde Guerre Mondiale étaient venus s’échouer. A chaque nouveau numéro des militaires américains débarquaient donc et affrontaient une nouvelle sorte de reptile préhistorique. Au début c’était facile. Il suffisait de changer à chaque fois le corps d’armée et le type de créatures. Des parachutistes étaient attaqués par des ptérodactyles. Des fantassins se faisaient poursuivre par des bêtes cuirassées. Des marins devaient échapper à des murènes géantes. Mais rapidement il fallut trouver autre chose. Même si les militaires ne cessaient de s’étonner de se retrouver face à des dinosaures, l’effet de surprise sur le lecteur ne pouvait durer qu’un temps. Il fallait se renouveler et Robert Kanigher introduisit donc des situations de plus en plus folles, des castings plus pittoresques. Par exemple dans Star Spangled War Stories #100 les héros qui se retrouvent sur Dinosaur Island sont… trois frères qui, dans le civil, sont acrobates de cirque ! Les trois trouffions vont donc lutter contre les dinosaures en faisant… des acrobaties. Il y aurait aussi diverses sortes de robots et même un géant de fer construit par les japonais (et envoyé on ne sait trop pourquoi sur cette ile alors qu’ils auraient pu s’en servir pour attaquer les USA). Dinosaur Island était une sorte de zone de folie où l’Histoire s’entrechoquait avec la Science-fiction ou le Fantastique. L’île de Lost, à côté d’elle, aurait des airs de camp de vacances.
Mais même ce bouillonnement créatif ne suffisait pas forcément à éviter le côté répétitif du concept. Il semble que, très vite, Kanigher se rendit compte qu’il ne suffisait pas de varier les menaces. Il fallait aussi renouveler le rapport de force en donnant certains avantages aux héros humains. Kanigher inventa donc le « G.I. Robot » (une machine programmée pour sauver les soldats) et d’autres artifices de ce genre. Mais remplacer les militaires humains par des militaires robots n’était qu’un petit pas dans la dynamique de la série. Il fallait autre chose de plus spectaculaire. Un nouveau monstre géant qui prendrait le parti des humains contre les dinosaures ! En août 1963 (dans Star Spangled War Stories #110), Robert Kanigher trouva enfin sa bestiole, qui serait la star de The Suicide Squadron’s Mystery Mission (« la mission mystère de l’Escadron Suicide »). En fait, depuis quelques mois, le scénariste utilisait « War That Time Forgot » comme une sorte de prologue rétroactif à un autre de ses concepts. Dans Brave & The Bold #25 (Août 1959), Kanigher et le dessinateur Ross Andru avaient lancé un groupe d’aventuriers intrépides plus ou moins voisin des Challengers of the Unknow. Le Suicide Squad (dont le nom de code était Task Force X) était un équivalent de Mission Impossible, réunissant quatre spécialistes contemporains qui acceptaient les missions les plus risquées sans pour autant posséder de superpouvoirs. Dès le premier épisode ils avaient ainsi affronté un saurien géant. Thématiquement ils étaient donc assez proches de War That Time Forgot et avaient les mêmes créateurs. La différence de taille était que le Suicide Squad opérait « de nos jours » (en tout cas à l’instant T par rapport au lecteur) et n’évoluait pas sur une île. Mais, à la différence de War That Time Forgot, le Suicide Squad (dans cette version originelle de 1959) ne décolla jamais et ne déboucha pas sur une série régulière. Une fois Dinosaur Island inventée, Kanigher et Andru s’efforcèrent alors de rapprocher les deux idées dans un tout cohérent.
C’était d’autant plus facile que Ross Andru avait tendance à s’inspirer du visage des mêmes collègues pour dessiner certains types de personnages. Ainsi dans le leader du Suicide Squad, Rick Flag, ressemblait beaucoup à Robert Kanigher lui-même. Mais ce dernier servait aussi d’inspiration à plusieurs militaires de passage sur Dinosaur Island (le plus souvent des capitaines de bateau ou de sous-marin, visant sur leur tête leur casquette de la même manière que l’aviateur Rick Flag). Mêmes auteurs, mêmes visages, mêmes sauriens géants… Dans Star Spangled War Stories #96 (avril 1961) Kanigher décida d’enfoncer le clou. On apprit ainsi que le nom de code de l’opération qui envoyait des soldats sur l’ile était la « Mission X ». Ce qui était logique puisque les militaires qualifiaient l’endroit d’Île X. La Mission X, ce n’était pas la « Task Force X » mais on y était presque… Dans Star Spangled War Stories #110, l’épisode qui nous intéresse aujourd’hui, il était donc question d’un « Suicide Squadron », terme qui céderait la place dans le #116 au nom Suicide Squad en toutes lettres. Il devenait donc évident qu’une partie des militaires aperçus sur cette île était des membres d’une précédente incarnation du Suicide Squad aperçu en 1959 (la chose serait d’ailleurs officialisée plus tard dans la continuité DC, quand on nous expliquerait que Rick Flagg senior, le père du héros du Suicide Squad de 1959, avait combattu sur l’île et donc fait partie de ce premier escadron).
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, en septembre 1963, les lecteurs purent découvrir une couverture de Star Spangled War Stories (#110) qui annonçait la « Mission mystère du Suicide Squadron », alors qu’un bateau de l’armée américaine tentait d’échapper à un gigantesque tyrannosaure rouge, sans doute plus grand qu’un immeuble. La vision pourrait faire penser au Devil Dinosaur (saurien rouge bien plus tardif lancé chez le concurrent Marvel) mais il n’en est rien. Vu le nombre des monstres apparaissant dans la série, les auteurs étaient tout simplement obligé de varier les couleurs pour différencier les créatures d’un épisode à l’autre. Il était donc mathématique qu’un certain nombre de dinosaures de l’Île X soient de couleur rouge. Et si d’aventure vous pourriez avoir l’idée que ce géant rouge est le « Dinosaur Killer », l’allié des humains dont nous parlions en introduction, ce n’est pas le cas non plus. Non, ce dinosaure-là a bien l’intention de faire comme le tout-venant des créatures de la série : bouffer de l’humain autant que possible !
A l’intérieur, on découvre que l’histoire est racontée par un capitaine de bateau (sans doute le navire aperçu en mauvaise posture sur la couverture). Étant gradé, le personnage est paré d’une casquette plate tandis que le dessinateur Ross Andru lui donne, pour les raisons déjà évoquées, le visage de Robert Kanigher. Du coup on a donc un protagoniste qui ressemble énormément au leader du Suicide Squad de Brave & The Bold. Autre marotte de l’équipe créative : Kanigher avait une certaine affection pour le terme « skipper », qui dans le langage de l’armée peut se comprendre comme une version familière de « Capitaine » ou même de « gradé ». Même s’il y avait une forte rotation dans le casting de la série (la plupart des militaires n’apparaissant qu’une fois pour risquer leur vie sur Dinosaur Island avant de repartir vers la civilisation), le lecteur avait droit à une sorte de vision cyclique : dans différents épisodes on voit débarquer un « skipper » qui a le visage de Kanigher mais qui, selon les histoires, appartient à la marine ou à l’armée de l’air. A l’évidence il s’agit de plusieurs personnages mais qui se ressemblent énormément.
Le skipper qui raconte les évènements de Star Spangled War Stories #110 explique qu’entre capitaines de « PT Boats » (des vedettes lance-torpilles) il arrive souvent qu’on se raconte des exploits, des faits de guerre. Mais à chaque fois qu’il se retrouve dans ce genre de conversation notre skipper est obligé de se taire. Il a en effet vécu une aventure extraordinaire mais ne peut la partager de peur qu’on le prenne pour un fou. Vous aurez compris que le héros parle d’un séjour sur Dinosaur Island, chose que l’intéressé nous confirme rapidement. On voit son bateau poursuivi par une horde de sauriens (au point que l’horizon semble bouché). C’est la panique ! Tant de monstres alors qu’il ne leur reste qu’une seule charge de TNT ? L’équipage se sait perdu ! Mais soudain, de l’autre côté, devant eux, surgit une autre créature qui n’est pas un dinosaure. C’est un singe ! Un gigantesque singe albinos ! Le capitaine s’apprête à ordonner qu’on tire sur la créature qui leur bloque le passage mais un de ses passages, un professeur, lui rétorque : « Non, Allan, c’est le gorille géant blanc ! Vous ne pouvez pas lui tirer dessus ! ». Un singe géant ? Sur une île peuplée de dinosaures ? Voyons voyons… où avons-nous déjà vu ça ? En fait le recours aux singes était assez courant dans les histoires éditées par Julius Schwartz. Ce dernier avait remarqué que les épisodes mettant en scène des singes attiraient le public. Les singes étaient aussi une bonne manière de proposer des « monstres » qui déjouaient les limitations du Comics Code. Il y avait donc de bonnes raisons éditoriales pour que le meilleur ami de l’homme contre les dinosaures soit un singe. Et si en plus la situation pouvait faire penser à un célèbre film, ce n’était sans doute pas pour faire peur à DC Comics…
Le skipper décide de tout raconter du début et se souvient du professeur, un scientifique embarqué à bord on ne sait pas trop pourquoi (que viendrait faire un savant à bord d’un lance-torpilles ?). Tout comme le skipper est basé sur les traits de Robert Kanigher, le professeur est le portrait craché de Julius Schwartz, alors grand ponte éditorial chez DC Comics. Le professeur s’excuse auprès du Skipper que sa présence l’oblige à se détourner de l’action. Le marin explique alors que pour lui « action » est juste un mot dans le dictionnaire et qu’il n’en a jamais vu beaucoup. De toute façon ce n’est pas la guerre qui intéresse le professeur. Ce dernier est là pour poursuivre des recherches qu’il avait entamé avant le début de la seconde guerre mondiale sur les îles du secteur. Il s’occupait de traduire le vocabulaire pictural que les peuplades primitives avaient laissé sur les parois des cavernes. Belle idée mais on se demande quand même, là aussi, pourquoi l’armée américaine détournerait en pleine guerre un lance-torpilles pour une mission civile de ce type. Le professeur sort alors son carnet de notes et montre quelques croquis au skipper, y compris le dessin d’un « gigantesque gorille blanc qui sauvait les hommes préhistoriques des dinosaures ! ». Sacré professeur qui, normalement, devrait tiquer en voyant ce dessin. En effet, l’existence de Dinosaur Island étant restée secrète (la plupart de ceux qui s’y aventurent n’osant pas raconter ce qu’ils ont vu), ce savant n’a pas de raison de penser que des sauriens géants ont survécu au-delà de la date officielle de leur extinction. Et même si le récit est écrit en 1963 et que certaines théories scientifiques étaient peut-être encore assez floues, il aurait du s’étonner qu’un dessin préhistorique puisse représenter de manière détaillée un tyrannosaure, qui n’était pas supposé avoir coexisté avec l’humanité. Qu’il soit archéologue ou ethnologue (la chose n’est pas très claire), le professeur aurait du d’abord s’étonner du fait qu’un homme primitif sache ce qu’est un « T-Rex » plutôt que de la supposée existence d’un singe géant. D’ailleurs le skipper n’est pas très impressionné par la mention d’un gorille géant : « Arrêtez de me faire marcher, professeur ! Ils ont déjà fait le coup au cinéma ! ».
En effet, il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour immédiatement faire le rapprochement entre le gorille géant dont parle le professeur et le film King Kong de 1933. Certains ont tendance à l’oublier (ou tout au moins à le sous-estimer) mais le long-métrage de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack ne racontait pas seulement les aventures d’un gorille géant nommé Kong. On le découvrait sur une île où il n’était pas le seul habitant. Passé une barrière géante, la plus grande partie de Skull Island était en effet occupée par des dinosaures dont King Kong était l’ennemi naturel. Cet aspect est d’ailleurs encore renforcé dans le remake qu’en a fait Peter Jackson en 2005, où il apparaît qu’une race de singes géants dont Kong est le dernier survivant s’est toujours attaqués aux sauriens géants de l’île. Tout comme War That Time Forgot, le contexte général du film King Kong était en fait largement inspiré du roman Land That Time Forgot d’ Edgar Rice Burroughs. A partir de là, il n’était pas iconoclaste de penser Skull Island et Dinosaur Island soient deux noms pour un seul et même endroit (Dans les films de 1933 Skull Island est détruite par un séisme, mais pas dans les remakes plus tardifs). D’ailleurs cette situation s’étend à bien d’autres îles « compatibles » qu’on retrouve dans différents univers partagés. Chez Marvel, le Mole Man pioche aussi ses monstres géants sur une île identifiée comme Monster Island (et parfois représentée avec une montagne en forme de crâne, semblable à celle qu’on trouve dans King Kong). Dans les films de la licence Godzilla on trouve deux îles successives, Monsterland et Monster Island, qui servent de réserve naturelle aux différents monstres géants du studio Toho. En 1999, dans Planetary #2, Warren Ellis et John Cassaday donneront une vision ravagée de Monster Island, baptisée Island Zero, dans laquelle on reconnaît les cadavres de la plupart des créatures du studio Toho (mais où il semble qu’au moins un monstre a survécu). Le film Deep Rising (en VF : « Un cri dans l’océan ») de Stephen Sommers s’achevait avec les survivants échouant visiblement sur une île similaire. Toutes ces îles correspondant plus ou moins au même archétype, on peut facilement imaginer qu’il s’agit d’un seul endroit vu à différentes époques. Au pire elles appartiendraient à un même archipel.
Qu’il y ait un singe géant sur Dinosaur Island n’était donc finalement pas si étonnant que ça. C’était même logique. Mieux : Dans un autre épisode de War That Time Forgot (Spangled War Stories #97, juin 1961) les lecteurs en avaient déjà vu un. Pendant trois pages les héros de l’histoire (y compris un capitaine de PT Boat abondamment surnommé Skipper, mais ce n’était visiblement pas le même) devaient résister à un véritable tir de barrage : Un singe géant (mais brun, est ressemblant plus à une sorte de chimpanzé enragé) les bombardait avec… des noix de coco géantes ! L’intervention était fugace et s’inscrivait dans un récit où les humains étaient plus préoccupés par d’autres créatures. Sans doute que chez Robert Kanigher l’idée de rapprocher sa Dinosaur Island de Skull Island existait déjà mais qu’il avait d’abord tenté d’y aller à petit pas, avec un singe géant d’abord réduit au rôle de figurant. Avec Star Spangled War Stories #110, par contre, on aurait droit à quelque chose d’une autre ampleur…
Notre skipper continue de se moquer du professeur : « Allez, prof ! Vous ne pensez quand même pas que je vais croire cette histoire de gorille blanc qui aurait joué au Robin des Bois de l’Âge de pierre et qui aurait aidé les hommes des cavernes à combattre les dinosaures ? ». Mais bientôt l’étrange discussion est interrompue car le PT Boat est pris dans une violente tempête. Le bateau manque quelques fois d’être englouti. Mais quand les éléments se calment, l’embarcation se retrouve à proximité d’une « île étrange » (vous n’aurez aucun mal à deviner laquelle). Le skipper remarque alors un autre PT Boat qui lui aussi a été rabattu par l’orage vers cet endroit. Après avoir pris contact par radio, les deux bateaux de l’armée américaine décident d’aller explorer l’intérieur de l’île en profitant de l’existence d’une rivière qui la traverse. C’est l’autre vedette lance-torpilles qui joue les éclaireurs. Mais alors qu’ils passent sous une voute, une gigantesque patte griffue s’empare du premier bateau, comme s’il s’agissait d’un jouet d’enfant ! Le skipper décide alors d’attaquer et de se précipiter à l’aide de l’autre PT Boat. Mais quand ils émergent de la voute et découvrent la créature qui a capturé l’autre bateau, c’est une vision d’horreur qui les attends. Un dinosaure géant (celui qu’on pouvait voir sur la couverture du numéro) agite le navire capturé. Heureusement on voit, en petit, les hommes se précipiter dans l’eau pour échapper au monstre. Le skipper, lui, est sidéré : « Professeur ! On ne peut quand même pas être tombé en plein âge des dinosaures ! ». Et son interlocuteur lui répond alors : « On dirait plutôt que c’est l’âge des dinosaures qui est parti pour nous écraser ! ».
Le grand dinosaure lui aussi a repéré le second bateau et s’en empare également. Heureusement le skipper a l’idée de lancer une torpille (qui, par miracle, semble capable de fonctionner hors de l’eau). Elle touche le dinosaure géant qui, frappé de plein fouet, s’écroule de tout son poids. Rejeté, le PT Boat peut à nouveau flotter et en profite pour recueillir les survivants de l’autre bateau. Le répit est cependant de courte durée. Le navire restant est attaqué par un groupe de ptérodactyles. Cette fois le skipper, qui veut économiser sa TNT, décide d’une autre stratégie révolutionnaire : projeter en l’air des charges sous-marines, pourtant conçues pour exploser sous l’eau. Par chance, cette stratégie improbable fonctionne. Il aurait été idiot de mourir juste pour vouloir économiser des munitions (par défaut, si vous ne survivez pas à la menace du moment, des stocks d’armes ne serviront plus à rien). Mais il est bien évident que sur une telle île les menaces se succèderont par la force des choses. Le skipper décide de ne pas rester à découvert. Son détachement vérifie alors si les cavernes environnantes ne pourraient pas leur servir de refuge. Le capitaine et le professeur s’aventurent alors dans une caverne « qui ne semble pas avoir été occupée depuis l’âge de pierre ». Mais le savant fait remarquer que les précédents occupants leur ont « laissé un message » : un dessin sur la paroi représente un gorille géant blanc en train de sauver un humain. Malgré tout ce qu’il a déjà vu, le skipper persiste dans son incrédulité : « Vous n’êtes pas en train de me demander de croire qu’un gorille géant blanc, un solitaire, en raison d’une prédisposition génétique, aurait protégé les humains contre ces monstres ? ». Fort justement, le professeur lui fait remarquer qu’il vient de survivre à une attaque de tyrannosaure puis à des ptérodactyles. Ce genre d’expérience devrait lui ouvrir l’esprit… Mais en fait le marin explique qu’il en est à douter de ce qu’il vient de voir. Est-ce que ces créatures existent ? Peut-être que tout ça n’est qu’un horrible rêve ?
Mais alors qu’ils en sont encore à discuter de l’authenticité de ce qu’ils sont en train de vivre, des dinosaures surgissent à l’extérieur. Dans la cohue, les soldats se défendent avec des grenades… qui déclenchent un éboulement. Les hommes, qui s’étaient réfugiés dans la grotte, se retrouvent piégés à l’intérieur. Des tonnes de rocher obstruent la seule issue visible. Il y a bien une sorte de puits de lumière naturel dans le plafond de la grotte. Mais il se situe plusieurs mètres trop haut pour que les soldats puissent espérer sortir par là. C’est alors que l’incroyable se produit à nouveau : une main géante passe par le trou et emporte le professeur vers le ciel. Les autres sont terrifiés et convaincu que le scientifique vient d’être tué par un autre monstre. Ils sont passablement surpris quand, quelques instants plus tard, le savant se montre au bord du trou et leur balance une échelle de corde.
Ils sont sauvés ! Le détachement peut alors évacuer la grotte. Et le professeur explique avoir été sauvé par le grand gorille blanc. Mais le skipper reste incrédule : « Vous avez grillé un fusible, professeur ! Quelque chose vous a bien tiré vers le haut ! Mais par miracle vous vous êtes échappé ! Maintenant fermez-là au sujet au sujet du gorille géant blanc. Sinon ils vont vous coller dans une camisole de force ! ». Les militaires grimpent à nouveau dans le seul PT Boat restant et repartent au long de la rivière. Mais cette fois c’est un véritable front de dinosaures qui les attend. Une meute assez incroyable car, même sans s’étonner de l’existence de ces sauriens (après tout c’est le préambule de départ de cette série), leur « alliance » semble impossible. On trouve aussi bien un tyrannosaure qu’un tricératops, un stégosaure ou encore une sorte de brontosaure. Toutes ces bestioles font trempette dans l’eau et semblent se ruer vers le bateau. En théorie cependant certaines de ces races sont des prédateurs pour les autres et, sur un plan logique, elles devraient s’entretuer plutôt que de s’intéresser au bateau. Il faut croire que depuis l’arrivée des premiers militaires au début de War That Time Forgot les dinosaures ont pris l’habitude d’en découdre avec les humains et qu’ils les considèrent comme une menace prioritaire. Et là, c’est la panique ! Car, après toutes ces péripéties, les militaires ont épuisé pratiquement toutes leurs munitions. Il ne laisse plus qu’une seule torpille et en plus elle est coincée. Le PT Boat est donc sans capacité de se défendre, avec une horse ô combien sauvage qui lui fonce dessus…
C’est à ce moment-là qu’arrive la cavalerie. Ou plutôt, comme on pouvait s’y attendre, le gorille blanc. Bien qu’il soit lui aussi dans l’eau jusqu’à la taille, c’est la première fois qu’on le voit aussi bien et de face en plus ! On constate alors qu’il est très différent (et pas seulement pour la couleur) du singe aperçu dans Spangled War Stories #97. Ross Andru a rapproché sa création d’un King Kong albinos, certes, mais en prenant la peine de lui donner une sorte de coupe de cheveux « en brosse ». Le gorille géant prend le PT Boat dans une de ses mains… Et le tient derrière lui pendant qu’il commence à se battre contre les dinosaures. Le skipper est stupéfait. Le professeur avait raison ! Le gorille blanc est l’ami des humains ! L’ennui c’est que le gigantesque singe est seul contre tous. Les marins se rendent vite compte que leur nouvel allié ne peut pas venir à bout de tous ces monstres. Le skipper ordonne alors à ses hommes de faire ce qu’il faut pour décoincer la dernière torpille. Et effectivement le projectile, une fois lancé, arrive à détruire les dinosaures.
Mais c’est apparemment trop tard pour le gorille blanc, trop gravement blessé. Le skipper observe alors avec beaucoup d’émotion le singe qui disparait progressivement sous l’eau, en semblant faire au revoir de la main. Le marin demande alors au professeur comment il pourrait remercier l’animal pour les avoir sauvé. Mais le savant lui affirme alors que la seule manière qui lui reste, c’est de le remercier intérieurement, avec son cœur. Après ce sacrifice de l’animal, le bateau arrive à s’échapper de l’île et retrouve la civilisation. Mais la hiérarchie ordonne au skipper de ne pas parler de Dinosaur Island. Et le marin, de toute manière, n’a pas envie de passer pour un fou. Il termine donc l’épisode en passant officiellement pour un marin qui n’a jamais connu d’aventure sortant de l’ordinaire. Et il ne peut pas partager le secret de l’animal, le Dinosaur Killer, qui lui a sauvé la vie en mourant à sa place…
En dehors du fait qu’il y ait un singe géant, on pourrait se dire que l’histoire est nettement différente du film King Kong, que les auteurs n’ont fait que s’inspirer du singe du cinéma mais que tout le reste est de leur cru. Ce n’est pourtant pas tout à fait vrai. En 1933, après le succès du film King Kong, RKO Pictures décida de lui donner une suite. Mais comment faire puisque le gorille géant était mort après sa chute de l’Empire State Building ? En retournant à la source. Dans The Son of Kong (sorti en décembre 1933), on retrouve Carl Denham, le promoteur qui avait cherché à exploiter King Kong dans le premier film. Mais les autorités le jugent responsable des dégâts que le singe fait dans New York. Menacé de banqueroute et convaincu que Skull Island contenait un énorme trésor, Denham retourne sur l’île où il a découvert Kong. Là, les différents héros du film rencontrent un autre singe, plus petit et surtout blanc ! Denham pense que c’est sans doute le fils de King Kong, qui n’a pas encore fini sa croissance. Kong Junior se montre beaucoup plus amical que son père et prend la défense des humains contre différentes menaces (le film étant sorti à la période de Noël, il aura sans doute été pensé de manière plus « optimiste »). Jusqu’au moment où l’île est ravagée par un tremblement de terre. Kong Junior meurt alors en permettant aux humains de s’échapper en bateau. La scène où le grand singe blanc se sacrifie et disparaît sous les eaux, sous le regard reconnaissant des humains, est forcément à rapprocher de ce qui se passe dans Star Spangled War Stories #110. Plus qu’une copie de King Kong, Robert Kanigher et Ross Andru se sont à l’évidence inspirés de Son of Kong.
La ressemblance serait d’ailleurs accentuée dès l’épisode suivant. Star Spangled War Stories #111 est en effet tout simplement titré “Return of the Dinosaur Killer”, montrant cette fois dès la couverture un singe albinos géant en train de défendre un petit avion attaqué par des ptérodactyles. En fait on retrouve les deux principaux personnages humains de Star Spangled War Stories #110. Le skipper et le professeur finissent par s’avouer mutuellement qu’ils sont hantés par le sacrifice du singe. Après tout c’est logique : comme ils sont obligés de garder le secret, ils ne peuvent en parler qu’entre eux. Le skipper va juste à parler de son étrange obsession : il n’arrête pas d’espérer que le singe a peut-être pu survivre, qu’il aurait pu nager vers la rive après le départ du bateau. Et le skipper rêverait de pouvoir retourner sur l’ile pour pouvoir le vérifier. Cette fois c’est le professeur qui joue les incrédules et lui explique que le gorille blanc n’a pas pu survivre. Et pour ce qui est de retourner sur l’île, c’était déjà un miracle d’en revenir vivant une première fois. Ce serait de la folie d’y retourner.
Mais alors qu’ils ont cette discussion, les deux hommes sont piégés sur une île occupée par les japonais. Le seul moyen de s’en échapper est de voler un avion. Ce que les deux américains font. Mais ils sont pris en chasse par l’aviation japonaise. Alors qu’on leur tire dessus, les deux héros décident de cacher leur avion dans un épais ban de brume. Sous le brouillard, ils ont la surprise de croiser des ptérodactyles. Ils sont « par le plus grand des hasards » revenus sur Dinosaur Island (où bien le skipper a décidé de tester sa théorie sans en parler au professeur). Mais cette fois ils n’ont pas de gorille blanc pour les protéger. Ils se posent en catastrophe sur l’île, non loin de la rivière qu’ils connaissent déjà. Après avoir manqué d’être dévoré par un lézard géant, les deux héros plongent dans le cours d’eau et découvre la carcasse du singe géant. Il est bien mort et s’est sacrifié pour eux. Le skipper est dévasté par cette découverte. Mais il a des soucis plus immédiats. Quand les deux hommes sortent de l’eau, ils sont menacé par d’autres dinosaures et manquent de retomber dans la rivière, désormais infestées de créatures… Quand ils sont sauvés par le grand gorille blanc ! Le skipper pense halluciner, puisqu’il vient d’en voir la dépouille. Mais le professeur explique : « Celui-ci pourrait être son fils ! ». Une nouvelle fois des dinosaures chargent et ce deuxième (ou troisième en comptant le singe brun aperçu dans le #97) affronte à nouveau bien trop de bêtes pour espérer l’emporter. Mais il donne aux deux humains le temps de retourner à leur avion et de s’enfuir. La dernière chose qu’ils voient de l’île est une scène épique : ce nouveau singe blanc utilise un tronc d’arbre (lui aussi géant, forcément) comme une massue pour affronter les ptérodactyles qui l’encerclent. La bataille est en apparence perdue mais le singe prend le temps de faire un signe de la main à l’avion qui s’éloigne. Comme son père avant lui ou comme le Son of Kong en 1933 !
Bien sûr, on aurait pu imaginer que cet idiot de skipper soit à nouveau pris de remords et retourne une troisième fois sur l’île pour s’assurer que le fils soit mort ou pas, mais arrivé à ce stade là les auteurs décidèrent de mettre en sommeil le cycle. D’un autre côté, là où on avait vu le premier singe blanc couler dans le #110, le sort de son fils supposé dans le #111 était un peu plus ouvert. On le quittait en pleine bataille mais rien n’indiquait qu’il soit réellement mort. La porte restait donc ouverte…
Et les auteurs n’avaient visiblement pas totalement tourné le dos à l’idée. Dans Star Spangled War Stories #123 (1965), un avion s’écrase sur Dinosaur Island. Les deux soldats (y compris un aviateur surnommé skipper pour les raisons déjà évoquées) qu’il transporte découvrent l’endroit et ne sauraient être confondus avec les héros humains des #110-111. Ne connaissant rien de l’endroit, ils observent un singe géant qui affronte un dinosaure. Cette fois le singe n’est pas blanc mais marron. Le design (avec la « coupe de cheveux » particulière) reste par contre fidèle aux deux précédents gorilles géants imaginés par Ross Andru. Les soldats passent une partie de l’épisode à éviter le grand singe marron avant de comprendre qu’il se comporte en ami avec eux et qu’il les défend. Finalement ils en prennent leur parti et réalisent qu’avec son aide ils arriveront sans doute à survivre, voir à s’échapper de l’île. Mais quand l’épisode s’achève, ils sont encore piégé sur l’île X, sans moyen de rentre chez eux. L’idée de Kanigher et d’Andru était sans doute de ne pas répéter l’erreur des singes géants précédents. Inutile de renvoyer les soldats chez eux, ce qui aurait nécessité de justifier leur retour lors d’un épisode suivant. D’ailleurs la conclusion laisse peu de doute sur les intentions du scénariste/éditeur : « Ce n’est pas la fin ! Mais juste le début ! Il se produira d’autres choses dans de futurs épisodes sensationnels de Star Spangled !!! ». Il est donc évident que l’auteur pensait mettre en place les aventures du gorille géant marron comme une sorte de « série dans la série », avec les deux aviateurs qui s’en seraient servi comme d’un animal apprivoisé pour affronter différentes menaces de l’île. Mais bizarrement l’idée n’eut pas réellement de suite. L’île aux dinosaures était donc également une île aux singes géants, globalement qualifiés du titre de « Dinosaur Killers », avec assez de représentants pour envisager la présence de toute une race (ou tout au moins de toute une famille) bien que l’idée ne fut jamais exploitée jusqu’au bout. Ces habitants assez particuliers renforcent néanmoins l’attrait d’un des endroits les plus étranges de l’univers DC…
[Xavier Fournier]