Oldies But Goodies: Strange Adventures #187 (Avril 1966)
28 décembre 2009[FRENCH] Dans les années 60, le cheptel de super-héroïnes de DC n’était pas très peuplé. Il y avait bien Wonder Woman (créée vingt ans plus tôt) mais elle n’avait pour ainsi dire aucune collègue évoluant en solo. En dehors de faire-valoirs féminins comme Hawkgirl (aux côtés de Hawkman) ou Supergirl, la génération du Silver Age de DC ne s’était pas donné la peine de réinventer des héroïnes. En 1966, une charmante magicienne allait tenter de renverser la vapeur. Si elle n’a pas fondamentalement transformé l’histoire des comics, l’Enchantress reste aujourd’hui encore un personnage régulièrement utilisé chez DC.
Strange Adventures était, comme le nom l’indique, une anthologie consacrée à des récits axés sur le bizarre (c’est de cette série américaine que l’éditeur français Artima dérivera sa propre anthologie, Étranges Aventures, abritant du matériel DC puis par la suite du contenu Marvel). Aussi n’est-il pas illogique que (pour acclimater le lecteur aux exploits d’une nouvelle héroïne régulière) le narrateur ait des intonations dignes de la Twilight Zone ou de The Outer Limits: « Ce que nous considérons comme un seul monde est en réalité DEUX mondes nous disent ceux qui portent des chapeaux pointus et des capes flottantes… Ceux qui voient le destin écrit dans des codes cryptiques et dans d’étranges symboles sinistres ! Il y a un effrayant second monde… Un royaume ténébreux, fait de choses irréelles, d’évènements inexplicables, de magie noire… Comme vous le constaterez quand vous rencontrerez l’Enchanteresse de Château Terreur (« The Enchantress of Terror Castle », titre de l’histoire). Au demeurant cette présentation tend à démontrer qu’il existe un monde de magie se superposant au notre mais elle démontre aussi involontairement certains rapports qui existaient à l’époque à l’intérieur des publications de DC Comics…
Dans les années 60, c’était un peu comme si l’éditeur DC avait été victime d’un dédoublement de personnalité. Là aussi, on trouvait plusieurs mondes : D’un côté il y avait les super-héros classiques de la société (Superman, Batman, Wonder Woman et les héros associés de près ou de loin à la Justice League of America). Des personnages bien propres, sérieux, pour qui les limites étaient claires. Les bons étaient surpuissants et beaux (l’exception la plus marquante étant le Martian Manhunter et sa peau verte) tandis que les méchants de service étaient au minimum chauves ou carrément grotesques. Bien souvent on dit que les héros de DC privilégiaient l’aspect « surhumain » (comme un idéal de perfection) tandis que leurs homologues de Marvel, eux, centraient les choses sur le côté « inhumain » ou monstrueux (la Chose, Hulk et même en un sens le côté arachnéen de Spider-Man pouvait s’apparenter à une perte partielle d’humanité). En fait il existait chez DC une sorte de région intermédiaire où les auteurs pratiquaient des recettes « monstrueuses » avec un certain ton baroque qui tendait à rejoindre celui de Marvel. La Doom Patrol (constituée de véritables phénomènes de foire), Metamorpho (un être monstrueux capable de changer la composition chimique de son corps) ou encore Eclipso (un savant frappé par un dédoublement de personnalité causé par les éclipses) évoluaient dans des séries différentes mais (sans qu’il y ait de crossovers réels) donnaient l’impression de fonctionner sur une Terre à part, dans une logique très différente du reste de l’univers DC. Là où Superman et ses pairs prônaient la réussite d’un système où la science était maitrisée, Eclipso, Metamorpho et les autres évoluaient dans un monde où la science, la magie et le surnaturel se confondaient, où les monstres étaient parfois les héros. Et, sans doute pour déjouer l’auto-censure de la Comics Code Authority, le ton y était aussi plus léger. On y montrait des créatures étranges, parfois démoniaques, mais l’ambiance était un peu kitsch, plus proche de la « Famille Addams » ou de « Ma Sorcière Bien Aimée » que des comics d’horreurs des années 50. On montrait de l’étrange mais on ne cherchait pas réellement à faire peur au delà d’un certain point. Scénaristiquement ou graphiquement ces titres étaient tellement différents du reste de la production de DC qu’on ne les associait guère que grâce à la présence du logo de l’éditeur (c’est d’ailleurs sans doute pour cela que les séries concernées n’eurent qu’un succès d’estime comparé à celui de Superman et Cie). Restait que cette région baroque de DC manquait d’héroïne et n’avait pas sa figure féminine, sa « Wonder Woman de l’étrange ». Et la fiction, comme la nature, a horreur du vide…
D’où, sans doute, la création de l’Enchantress au sein de cette anthologie qu’était Strange Adventures. D’habitude le titre abritait des récits jetables, peuplés de créatures grotesques (qui n’étaient pas sans rappeler les histoires de monstres publiées par Marvel avant l’apparition des Fantastic Four). L’avantage avec les anthologies, c’est qu’on pouvait y tester n’importe quelle nouvelle idée et, si le succès n’était pas au rendez-vous, l’oublier aussi vite au bénéfice d’un nouveau projet prenant sa place dans la revue. Dans Strange Adventures #187, l’éditeur démontrait son ambivalence dès la couverture, en donnant la vedette à une de ces histoires « jetables » (« The Weirdest Prison On Earth »). Deux personnages se retrouvaient de grandes mâchoires de métal. La première apparition de l’Enchantress était relégué à un bandeau en haut de la couverture, annonçant les débuts de « The Switcheroo-Witcheroo Enchantress » (« Switcheroo-Witcheroo » étant une sorte de néologisme se voulant branché à l’heure des yé-yé, qu’on traduira plus ou moins par « la sorcière changeante »). On annonçait bien les débuts de l’Enchantress mais dans le même temps c’était un peu le service minimum tant que l’héroïne n’aurait pas fait ses preuves. On continuait, en attendant, de consacrer le plus gros de la couverture aux récits étranges auxquels les lecteurs du titre étaient habitués.
L’origine de l’Enchantress débute au crépuscule, alors qu’une voiture transporte un couple sur une route sinueuse, menant à une vieille bâtisse équipée de tourelles caractéristiques. A l’intérieur du véhicule la charmante June Moon commente : « C’est ma première visite dans un château réellement ancien, Alan ! Et je n’arrête pas de penser aux circonstances qui nous amènent ici ! ». Nous, on aimerait bien plutôt penser aux circonstances sans doute extraordinaires qui font qu’un « château réellement ancien » de type médiéval puisse se trouver aux USA mais l’histoire ne s’attarde pas sur cet aspect. Le Alan à qui June parle est Alan Dell (un nom pas identique mais proche d’Aladin), un riche importateur qui a trouvé pratiquement par hasard l’invitation à se rendre au château. June Moon (un nom aux consonances hippies puisqu’il peut se traduire par « Lune de Juin »), elle, est visiblement la petite amie d’Alan. Bien que la vie privée de l’héroïne soit assez peu détaillée, la création de June Moon – personnage un tantinet beatnik – est assez surprenante chez DC. A l’époque les héros adultes de la firme étaient des notables, des cadres. Des savants, des journalistes, des milliardaires ou encore des pilotes d’avion. Les professions artistiques n’étaient pratiquement pas utilisées et les seuls personnages qui pouvaient s’intéresser au farniente, aux arts ou à la fête étaient des jeunes comme les Teen Titans. L’adulte, lui, était forcément responsabilisé, intégré au minimum dans les classes moyennes. June Moon, elle, est par ailleurs dessinatrice free-lance (on la devine plutôt du genre à peindre des banderoles « Faites l’Amour, pas la Guerre »), ses tournures de phrases sont emplies de tournures « beatnik » ou « baba-cool ». Bref, June Moon est le type de femme qui pourrait tout aussi prendre la route d’un concert à Woodstock et ne rate jamais une occasion de pratiquer son art. D’ailleurs à l’approche du château, elle demande à Alan de s’arrêter car elle aimerait faire quelques croquis des statues de gargouilles… Mais Alain s’exclame « Des statues ? Nom d’un cochon ! Ces choses sont vivantes ! ». Et d’ailleurs effectivement un griffon et une gargouille s’élancent sur la route, venant à leur rencontre avec des gestes menaçants. Quand elle s’aperçoit que ces choses bougent, June s’écrie : « EEK ! On se croirait en pleine sorcellerie du moyen âge ! Qu’allons-nous faire, Alan ? ».
Mais heureusement pour June et Alan, les deux créatures posent leurs masques, révélant des têtes humaines. Il s’agit simplement de deux hommes normaux mais déguisés : « Bonjour les gars ! Si nous vous avons fait peur… c’est bien ! C’est le but ! Nous sommes le comité d’accueil du bal costumé qui se tient au château ! ». Très second degré, Alan ricane en expliquant qu’ils n’ont pas eu peur puisqu’ils sont habitués à trouver des griffons et des gargouilles sur la route. Plus pragmatique, June constate: « Alors c’est un ball costumé… ». Alan est surpris : « Mon invitation parlait juste d’une fête. Nous sommes venus comme ça… ». Un de leurs interlocuteurs les rassure. Il y a aura probablement des costumes en surplus à leur disposition au château. Et quand le couple arrive dans l’édifice, ils trouvent une foule déguisée dans des costumes dignes d’une danse macabre moyenageuse (squelette, démons…). La décoration est également improbable, avec une tapisserie représentant un minotaure. Adam et June jugent l’œuvre cauchemardesque et se demandent bien qui pourrait afficher une telle croute dans son salon. Mais June reste une artiste. Elle souhaite monter à l’étage pour mieux observer la tapisserie. Pendant ce temps Adam s’occupera de leur trouver des déguisements.
Mais soudainement résonne un gong. Un coup de vent froid traverse la pièce et les torches s’éteignent, plongeant l’intérieur du château dans la pénombre. La grande porte qui en donnait l’accès se referme comme par magie et soudainement… la tapisserie du minotaure se met à luire de manière de plus en plus éclatante. Devant ces faits étranges, la foule est prise de frayeur et c’est rapidement la panique. Dans la confusion Adam perd la trace de June. Dans l’escalier cette dernier déclenche un passage secret en s’appuyant contre un mur. Un panneau coulisse et elle se retrouve dans une salle différente. La voici dans une pièce occupée par des silhouettes encapuchonnées et des statues étranges. Au centre, dans une grande chaise, trône une sorte de tête énorme et rouge, pourvue de bras mais pas de jambes. June, elle, réagit comme une héroïne d’un dessin animé façon « Scooby-Doo »: « Quel endroit effrayant… Et si calme ! Probablement insonorisé ! J’aurais voulu qu’il soit aussi étanche à la frayeur ! Je suis aussi nerveuse que du popcorn sur la poêle. Ces fêtes à thème vont trop loin ! Je dois trouver la sortie ! ». Il est clair que pour le personnage tout ce qu’elle voit est considéré comme des décors factices. June se retourne vers le panneau coulissant pour essayer de le déclencher dans l’autre sens. Mais une voix lugubre commente : « Le destin t’a amené ici, le destin te montrera la sortie… ».
La grosse tête rouge s’adresse à elle mais dans un premier temps June pense qu’il s’agît d’une supercherie, qu’un système de micro est caché quelque part. Mais la tête rouge continue : « Écoute-moi… Mais ne tente pas de tout comprendre pour l’instant ! La fatalité t’a amené ici… ». June est toujours incrédule mais elle finit pas décider de jouer le jeu. Alors qu’est-ce qu’elle lui veut la grosse tête rouge ? Imperturbable, le visage à l’allure démoniaque continue : « En ce château se cache une présence maléfique. Une présence maléfique qui a été tirée de son très vieux sommeil. Son pouvoir mauvais peut maintenant détruire tous ceux qui se trouvent ici… A moins que tu ne l’arrête ! ». June Moon, qui n’a visiblement pas une haute opinion d’elle-même, rétorque « Moi ? Maintenant je suis certaine que vous plaisantez ! ». Mais la tête rouge continue: « Répète après moi ces deux mots… THE ENCHANTRESS! ». Comme hypnotisée la jolie blonde dit tout haut les deux mots et… La foudre tombe tandis qu’on entend un grand bruit de tonnerre… Ceux d’entre vous qui sont familier avec le Captain Marvel originel n’auront pas manqué de noter les similitudes entre les deux origines. La grosse tête rouge remplace le sorcier Shazam mais le mécanisme est le même, avec les deux cas une transformation déclenchée par un nom et marquée par un éclair. Soulignons qu’à l’époque DC n’avait pas encore racheté Captain Marvel et le reste de sa famille à son concurrent Fawcett. Cette allusion cachée à Shazam était donc sans doute ce que DC pouvait faire de plus proche de l’origine de Capt. Marvel sans pour autant se faire prendre. Plus exactement il convient de souligner que Mary Marvel (la sœur du Captain) avait été un des personnages féminins les plus populaires des années 40 et une concurrente directe de Wonder Woman. Au moment de lancer une nouvelle super-héroïne, DC s’inspirait donc au maximum d’un modèle qui avait fait ses preuves un quart de siècle plus tôt… Comme dans le cas des transformations de Mary Marvel, quand la fumée se dissipe, la blonde June Moon a été transformée. Elle est désormais une jolie brune aux cheveux longs, tout de vert vêtue, avec un chapeau pointu et une petite jupe à motif damier. La tête rouge poursuit : « L’Enchanteresse… C’est celle que tu es désormais, dans ceci, ton autre forme ! Utilise bien tes pouvoirs, car ils sont puissants ! Stoppe la chose maléfique ! Maintenant… je… m’en… vais… pour… toujours ». Là aussi il y a un parallèle avec le sorcier Shazam qui disparaissait à la fin de l’origine de Captain Marvel en promettant de ne jamais revenir. Shazam, tout comme la tête rouge, exagéraient et ils réapparaitraient tous les deux dans les aventures respectives de leurs champions.
L’Enchantress se regarde dans un miroir et ne peut désormais plus nier que les événements sont réels: « Mes cheveux ! Mes yeux ! Ce… costume ? J’ai changé ! Maintenant la première chose à faire est de sortir de cette pièce et d’aider Alan et les autres… ». L’Enchantress semble avoir une connaissance automatique de ses pouvoirs magiques. Là où quelques instants plus tôt June Moon tentait (sans y réussir) d’activer à nouveau le panneau secret pour sortir de la pièce, l’Enchantress se sert de sa capacité… à se dématérialiser. Elle passe à travers les murs pour quitter cette partie du château.
Dans le hall, la foule cède à la panique et plusieurs hommes tentent de se servir d’une table comme d’un bélier pour essayer de briser la porte du château. L’Enchantress arrive dans la pièce et réalise que leurs efforts pour ouvrir le portail sont en fait en train d’affaiblir la voute du grand hall. A tout moment le plafond risque de tomber sur la foule. Après avoir prévenu les hommes d’arrêter de frapper la porte, elle décide de consolider le plafond à sa manière. Elle fait un geste vers une vieille armure de chevalier qui sert à la décoration de l’endroit. L’armure se met à grandir jusqu’à atteindre la taille d’un géant qui, à l’instar d’Atlas, porte le poids du plafond sur ses épaules. Mais à peine ce problème réglé, un autre prend sa place. La tapisserie lumineuse du minotaure prend vie. Les mains de la créature sortent du cadre, prennent une dimension énorme et tentent de capturer certains des invités. Là aussi, sur la nature même de ce minotaure, il convient de faire une digression. En fait il pourrait tout aussi bien s’agir de Satan mais à l’époque le Comics Code étant encore en action, les relents de satanisme auraient posé problème. L’être cornu devient donc un « minotaure » qui, rattaché à la mythologie grecque et non plus à la religion catholique, n’est plus un souci.
Devant un adversaire si puissant, l’Enchantress est consciente qu’elle est en difficulté : « A moins que je n’intervienne rapidement, la magie noire va gagner ce duel de sorcellerie. Pour faire pencher la balance, l’héroïne a heureusement autre chose de la magie : son intelligence et sa débrouillardise. Elle récupère une sorte de lasso qui était intégré dans la décoration et arrive à « menotter » les mains géantes du minotaure. Dans le même temps elle entend les organisateurs de la soirée s’étonner de tous ces événements. Eux n’ont fait qu’assembler une décoration un peu baroque. Les choses sont devenus folles depuis que le gong a sonné. Le gong ! L’Enchantress réalise que c’est cela qui a tout déclenché. Elle utilise ses pouvoirs pour le faire résonner à nouveau et instantanément les phénomènes surnaturels s’arrêtent et les mains géantes retournent dans la tapisserie du minotaure, désormais inoffensif.
Dans la cohue, Alan Dell est projeté contre la belle brune et on ne peut pas dire qu’il perde de temps : « Je ne sais pas qui tu es ma jolie mais tu te débrouille vraiment bien pour enchanter ! Tu m’a même ensorcelé ! ». Intérieurement l’Enchanteresse fulmine : « Hmm. Très flatteur mais il semble avoir totalement oublié mon autre moi… June ! ». Très rapidement les lieux sont évacués et l’héroïne, pour se fondre à nouveau parmi les mortels, se concentre pour redevenir June Moon. Mais elle est encore un peu novice en la matière. Elle n’a pas réalisé qu’en se redevenant une simple humaine elle coupe du même coup la source magique des enchantements qu’elle a lancé. L’armure géante qui soutenait la voute reprend donc une taille normale et le toit s’effondre. Heureusement elle arrive à sortir indemne du château et tombe dans les bras d’Alan. Après tant d’émotions, le couple peut alors reprendre sa voiture et quitter les lieux. On ne peut pas traiter Alan Dell de malhonnête : il est intarissable sur la beauté de la jolie brune qu’il a croisé ce soir. June rumine, mi-figue mi-raisin : « Je ne peux pas être jalouse parce qu’il a aimé l’Enchantress ! Puisque je suis coincée avec deux personnalités… Je plutôt contente qu’il aime les deux versions ! ». Et l’épisode s’arrête sur la promesse d’un rapide retour de l’Enchantress…
Retour il y aura bien, pendant quelques mois, mais l’Enchantress n’atteindra jamais le niveau de popularité d’une Wonder Woman ou d’une Mary Marvel. De plus, comme évoqué en début d’article, l’Enchanteresse paraissait dans une « région éditoriale » de DC qui était plutôt destinée aux « freaks » en tous genres, comme la Doom Patrol ou Metamorpho. L’héroïne, elle, était au démarrage une sorte de grande fée clochette au minois mignon, qu’elle soit blonde ou brune. Elle n’avait pas de défaut visible, pas de handicap qui la mettait à l’écart de la société. Il faudrait donc lui en créer un dans les mois suivants et le discours sur les deux personnalités (qui marque la dernière scène de cet épisode) serait prophétique : Si dans cette première histoire June Moon et l’Enchantress sont essentiellement deux apparences distinctes animées par un seul esprit la situation allait évoluer dans les années suivantes. L’idée étant que l’Enchanteresse – contrairement à ce qui nous est montré dans ce premier épisode – est un esprit à part entière qu’il est difficile de contrôler. Si June Moon passe trop de temps sous la forme de l’Enchanteresse ou si elle utilise trop de puissance magique, elle risque à tout moment de perdre le contrôle de son alter-ego, qui devient maléfique et se retourne alors contre tous ceux qui l’entourent.
Après quelques mois, DC décidera d’oublier l’Enchanteresse et de passer à autre chose. Si elle continuera d’apparaître dans quelques titres DC ce sera finalement en utilisant une recette très marvellienne, déjà utilisée pour Hulk : la personnalité de l’Enchanteresse deviendrait totalement incontrôlable, au point de ne plus du tout agir de manière héroïque mais bien comme une menace. Privée de sa propre série, elle deviendrait donc une sorte de super-ennemie occasionnelle venant semer le désordre dans les aventures d’autres héros (ainsi elle se battra quelques fois contre Supergirl dans les années 70). Avec le temps l’Enchanteresse finirait par consumer entièrement la personnalité de June, restant la plupart du temps sous sa forme de sorcière. En 1987 (à partir du crossover Legends), ce statut de criminelle permettrait de l’intégrer dans la seconde génération du Suicide Squad, une équipe façon « Les 12 Salopards » dans lesquels divers super-villains étaient condamnés à des missions suicide s’ils voulaient être libérés. La motivation de l’Enchantress était différente. Moins extrémiste que dans les années 70, elle avait désormais conscience de perdre la boule et voulait non seulement se racheter mais aussi s’assurer qu’il y aurait quelqu’un (le Suicide Squad) pour la neutraliser si elle dépassait les bornes. Finalement elle disparaîtra de l’équipe après que son côté noir ait été expulsé de sa personnalité (contaminant sa collègue Nightshade). La carrière super-héroïque de June Moon semblait terminée mais les choses sont rarement définitives dans les comics. L’Enchantress reprit donc du service et plus tard intégra une autre équipe, les Sentinels of Magic. Mais dans le crossover Day of Judgment (1999) l’Echanteresse est trahie et tuée par Faust (un autre membre des Sentinels of Magic), sa mort servant de sacrifice nécessaire pour réactiver l’Enfer (tombé en « panne » pendant le crossover). June Moon, elle, survivait mais, privée d’une partie d’elle-même, restait plongée dans un état végétatif. Mais là aussi les choses ne furent pas définitives (heureusement pour elle) et l’Enchanteresse refit surface plus tard (en temps rebaptisée Soulsinger), dans un costume modifié, devenant au moment d’Infinite Crisis l’un des membres de la nouvelle équipe mystique Shadowpact. Mais le ton « sixties » du personnage, son chapeau pointu ainsi que sa jupette à carreaux, eux, sont des éléments depuis longtemps révolus et la belle Enchanteresse n’est plus « Switcheroo-Witcheroo » depuis belle lurette…
[Xavier Fournier]