Dans Strange Adventures #51 on peut ainsi lire différentes histoires de science-fiction qui n’ont pas liées. La première d’entre elles est celle qui nous intéresse le plus aujourd’hui : « The Man Who Stole The Air ! » (« L’Homme Qui Vola l’Air !« ). Elle est l’œuvre du scénariste Otto Binder et du dessinateur Sy Barry. Son image d’ouverture pose la problématique qu’on va retrouver plus loin dans le récit : Devant ce qui ressemble à une station d’essence, des gens munis de scaphandres font la queue. Le pompiste leur distribue non pas du carburant mais bien de l’oxygène. Autrement dit, il est visible que la foule ne peut plus respirer à l’air libre et a besoin de ces scaphandres pour vivre. Assez vite le narrateur pousse d’ailleurs plus loin la question : « Il est possible de vivre des semaines sans nourriture, plusieurs jours sans eau… Mais combien de temps quelqu’un peut-il vivre sans air ? Si nos poumons sont privés de l’oxygène qui nous donne la vie, que nous respirons dans l’atmosphère… La réponse lugubre est que nous survirerions quelques minutes tout au plus ! Est-ce qu’une personne recherchant de l’air serait capable de payer plus qu’un homme privé de nourriture ou mourant de soif ? ».
Pentagon Island est une île-test, de la même manière qu’on pouvait tester des bombes atomiques sur des îlots déserts. Là, c’est du contraire dont il s’agit : on teste une protection pour les populations ! Des savants ont mis au point ce champ de force pour protéger les populations d’une attaque aérienne. Même une bombe atomique
Mais un des techniciens chargés du système, Clyde Chambers, réalise un des défauts de qui est défini comme un « dôme de force » : « Hum, mais aucun air frais ne peut entrer ! « Cough » ! Notre respiration continuelle est en train d’épuiser l’oxygène dans l’air, faisant qu’il est de plus en plus difficile de respirer ! Bon, ils n’ont qu’à éteindre le dôme maintenant que le test de trois heures est terminé !« . Mais pendant ce temps, au laboratoire principal, il y a un problème : on n’arrive pas éteindre le dôme. Les commandes de l’engin qui le génère sont bloquées ! Un des savants ordonne : « Alertez tout le monde sur l’île qu’ils doivent trouver des scaphandres d’urgence pour respirer, tandis que nous faisons qui les réparations ! ».
A ce stade-là certains d’entre vous (les plus bibliophiles ou les plus téléphages) auront sans doute compris où je voulais en venir en vous parlant de Stephen King dans mon introduction. « The Man Who Stole The Air !« , avec son histoire de population enfermée dans un champ de force, évoque énormément, par anticipation, le roman Under the Dome (paru en France sous le titre Dôme) et par ailleurs la série télévisée qui en a été tirée sous la supervision de Brian K. Vaughn (Y The Last Man). Le livre de King raconte l’histoire de la population de Chester’s Mill se retrouvant coincée malgré elle sous un large dôme de force la protégeant des menaces extérieures mais empêchant aussi bien les gens d’entrer que de sortir.
A un moment de l’histoire, Stephen King se pose la problématique de la régénération de l’oxygène. Et dans un autre passage l’armée américaine, inquiétée par la présence du dôme, se décide à le raser en employant contre lui un bombardement aérien. Les avions lâchent des bombes atomiques… Mais le Dôme de Stephen King résiste : il est à l’épreuve de ces bombes ! Même si l’origine du Dôme imaginé par King est sensiblement différente (tandis que sa nature est plus métaphysique, avec des gens qui communiquent avec le dôme), les scènes vues dans Strange Adventures #51 sont étonnement voisines de celles vécues par les habitants de Chester’s Mill. Dans le roman plus encore que dans le feuilleton (ou en tout cas à ce stade du feuilleton), l’asphyxie est un souci croissant dans l’histoire de Stephen King.
Mais il prévient que son stock est limité et qu’il va sans doute devoir faire grimper les prix. Voyant cette scène, Clyde Chambers décide d’agir pour soulager la population. Il veut faire le tour du dôme afin de déterminer s’il existe un éventuel point plus faible. Ses recherches font qu’il monte bientôt à bord d’un bateau pour aller voir, en mer, si la barrière existe aussi. Malheureusement, alors qu’il circule à petite vitesse (pour être certain de ne pas s’écraser contre le dôme), Clyde sent un choc à l’avant : « Pas de chance ! Nous sommes complètement coupés du monde !« .
Barton est vaincu, tombé à terre. Clyde peut alors finir d’expliquer : « Oui, les savants ont réparé la console il y a trois heures et débranché le dôme !« . Les scientifiques en question arrivent sur les lieux : « … Mais avant que nous puissions le dire à qui que ce soit, Barton est entré dans le laboratoire et nous a enfermé à l’intérieur !« . Tant qu’aucune pluie ne venait démontrer que le dôme n’existait plus, Barton entendait bien vendre son oxygène au prix fort. Et personne n’aurait osé retirer son casque de peur de mourir. Le seul réel danger est survenu quand Clyde a utilisé un bateau pour aller en mer. Mais Barton explique qu’il a tout simplement utilisé son équipement de plongée pour devancer l’embarcation (qui avance à vitesse réduite). Sous l’eau, Barton a maintenu un rocher juste sous la surface, de manière à faire croire à Clyde qu’il avait atteint le dôme.
Rideau ! « The Man Who Stole the Air« , cet étonnant « prototype » d’Under The Dome s’achève ainsi, avec la population libérée du dôme mais aussi de l’emprise de Barton… Reste la question… Stephen King pourrait-il avoir lu cet épisode de 1954 ? Techniquement oui, puisqu’il est né en 1947 et que par ailleurs « The Man Who Stole the Air » a été réimprimé deux ou trois fois dans les années 60 et 70, quand l’auteur était en âge de la lire. Mais (comme souvent) c’est un peu plus compliqué que ça. Ce n’est pas tellement qu’on puisse penser que « The Man Who Stole the Air » et « Under the Dome » soient directement liés. A à priori quiconque voudrait copier sur ce numéro de Strange Adventures vieux de 50 ans ferait quand même attention a cacher plus finement cet emprunt, donc à part imaginer une lecture de jeunesse de King qui serait ressortie via le subconscient… Mais on est vraisemblablement dans une situation où les deux récits font appel à un même archétype de la science-fiction : la cité sous cloche (d’ailleurs certaines personnes ont accusé King d’avoir copié sur The Simpsons Movie (2007), où le président Schwarzenegger fait enfermer la ville de Springfield sous une cloche de verre, or là aussi le voisinage est du même ordre)…
Dans Strange Adventures on pouvait lire régulièrement les exploits du héros Captain Comet, une co-création de l’éditeur Julius Schwartz, du scénariste John Broome (futur initiateur d’Hal Jordan, le Green Lantern moderne) et du dessinateur Carmine Infantino (co-créateur plus tard de Barry Allen, le Flash moderne). John Broome signait les scénarios de Captain Comet sous le pseudonyme d’Edgar Ray Merritt, un nom trouvé par Schwartz pour faire plus « littéraire ». « Edgar Ray Merritt » avait été créé en regroupant les noms d’Edgar Poe, Ray Bradbury et Abraham Merritt. Et pourtant Captain Comet était largement inspiré par Captain Future (connu chez nous sous le nom de Capitaine Flam), un héros imaginé et édité à la base par Mort Weisinger. Edmond Hamilton avait écrit les romans qui avaient rendu Future très populaire et fait de lui un des héros les plus connus de la science-fiction (disons que Captain Future c’est un peu le Star Trek de son époque). Weisinger et Hamilton avaient tous les deux rejoints DC Comics depuis et il aurait été facile de leur faire produire un « clone » reconnaissable de Captain Future, qui aurait pu s’appuyer sur la signature d’Hamilton. Le fait que Captain Comet soit finalement lancé par Schwartz et Broome sous une signature cherchant à faire « pulps » montre la complexité de la situation chez DC Comics. En ce temps-là, bien qu’Hamilton soit « dans les murs », on pouvait aussi bien prendre un de ses romans et s’en inspirer au moins en partie pour produire une autre histoire, rédigée par un autre auteur.
A défaut d’avoir lu William Delisle Hay, on aura beaucoup de mal à croire qu’en 1954 Julius Schwartz et Otto Binder n’avait pas connaissance du livre publié trois ans plus tôt par leur collègue. Comme Binder, Hamilton écrivait lui aussi pour l’équipe éditoriale des titres liés à Superman. Même si la « Pentagon Island » d’Otto Binder n’est pas projetée vers le futur, les deux villes sous cloches se ressemblent assez dans le sens où les deux récits impliquent la notion de survivalisme, de ressources épuisées et de problèmes à l’intérieur de la communauté. Sans parler du fait que dans des deux cas l’histoire, écrite sur fond de guerre froide, est « déclenchée » par des explosions atomiques.
Reste que l’histoire de Strange Adventures #51 est une sorte de « cousine » de celle racontée par Stephen King dans Under The Dome. Sans doute pas par intention délibérée de copier mais parce que les idées sont comme les gens : elles ont une généalogie et peuvent se reproduire, se recroiser. Et en définitive, là aussi, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… D’ici à ce que DC/Warner pense un jour à tirer une série télé de « The Man Who Stole The Air !« …
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