Oldies But Goodies: Sub-Mariner Comics #42 (1955)

[FRENCH] Sub-Mariner Comics #42 marque ni plus ni moins que la fin du Golden Age pour les super-héros de Marvel. C’est en effet le dernier épisode de la série, paru après que Captain America et Human Torch aient par ailleurs déjà disparu (le tout dernier récit du numéro s’intitule d’ailleurs de manière prophétique « When the Light Goes Out!« , soit « Quand la lumière s’éteint!« ). Passé Sub-Mariner Comics #42, Namor ne réapparaîtrait qu’une demi-douzaine d’années plus tard, dans Fantastic Four #4. Rien que cette particularité donne déjà à ce #42 une petite importance historique pour les admirateurs de la firme. Mais le numéro révèle également l’existence d’un vieil ami de Namor : le Ice King !

Dans les années 50, Bill Everett, le créateur de Namor le Sub-Mariner, appliquait à son personnage une logique très proche de ce que Superboy/Smallville peut être pour Superman. Chaque numéro de Sub-Mariner Comics racontait (à côté des exploits du héros « classique ») les aventures du jeune Namor avant qu’il entre en contact avec les humains de la surface. En gros, quand le personnage n’avait qu’une quinzaine d’années. Au passage Everett se permettait un peu de révisionnisme des origines du héros. Par exemple il avait été établi de longue date que les ailettes que portait Namor aux talons étaient présentes depuis sa naissance alors que les histoires du « jeune Namor » racontaient qu’elles étaient apparues soudainement à son adolescence (ce qui rétroactivement colle plutôt bien avec l’apparition des mutations généralement décrites par Marvel).

La jeunesse de Namor contredisait également la première apparition de Namora, qui établissait qu’elle et Namor ne s’étaient rencontré qu’à l’âge adulte (date à laquelle elle décidait de porter le surnom de Namora). Dans cette jeunesse réinventée, Namora et Namor avaient finalement été élevés ensembles et se connaissaient donc très bien depuis l’enfance. Ces aventures rétroactives montrait aussi Namor découvrant des choses « simples » qu’il n’aurait pas pu observer sous l’eau (un récit entier est consacré à sa première rencontre avec le feu). Et dans Sub-Mariner Comics #42 (octobre 1955), Namor allait carrément faire la connaissance d’un mystérieux bienfaiteur… Ce genre d’histoires se déroulant avant que Sub-Mariner tourne sa colère contre l’humanité, tout se passait du coup bien avant que les navires humains délogent le peuple des Sub-Mariners (le terme Atlantéens n’a été réellement utilisé par Marvel qu’à partir des années 60, à plus forte raison puisque l’endroit originel n’était pas dans l’Atlantique) de l’emplacement initial de leur royaume, dans l’Antarctique.

Du coup, le jeune Namor vivait ses aventures dans une relative solitude, avec impossibilité pour les humains de s’en mêler. Sa mère (la Princesse Fen) et ses cousins représentaient l’essentiel du casting de ces épisodes. De plus ces histoires étant publiées en « bouche-trou » en plus des épisodes habituels du Sub-Mariner adulte, elles étaient courtes et Bill Everett n’avait pas le loisir de s’étendre sur le sujet. Il devait donc aller droit au but… C’est ainsi que cette ultime aventure du « jeune Namor » début directement alors que celui-ci vient de faire une découverte fantastique.

Comme le résume le narrateur : « Tournant en arrière les pages de l’histoire de la jeunesse de Sub-Mariner, nous le retrouvons dans une de ses humeurs curieuses, explorant une crevasse dans le vaste champ de glace qui recouvre sa froide demeure sous-marine… Il pénètre dans une grande chambre glacée et reste bouche bée d’étonnement!« . Il faut dire qu’il y a de quoi. Sa découverte est un grand géant de glace, juché sur un trône…

L’air jovial, avec une couronne posée de manière nonchalante sur son crâne, le géant s’adresse alors au jeune Namor : « Bien, bien, petit Sub-Mariner! Enfin nous nous rencontrons face à face !« . Visiblement l’inconnu de glace connaît dans les détails l’identité de son petit visiteur. Et quand Namor y trouve une source supplémentaire d’étonnement, l’homme de glace explique : « Je suis ton ami, le Ice King (NDLR: le « Roi de Glace »). Mon domaine est tout ce qui est de glace dans de grand plateau polaire ! Nous avons été amis depuis longtemps, Prince Namor… Tu m’as aidé et je t’ai aidé, bien que je doute que tu ai été au courant ! Pourquoi ne pas t’asseoir et avoir une petite discussion avec moi ?« . L’entrée en matière est assez déroutante car en général dans les comics (et en particulier chez Marvel) quand un nouvel allié potentiel apparaît, les scénaristes commencent par organiser un quiproquo qui dégénère le plus souvent en bagarre avant que les deux personnages se rendent compte qu’ils sont du même bord. Et comment le Ice King sait-il le nom de Namor ? Comment ont-ils pu être amis « longtemps » ? De quelle manière se sont-ils aidés mutuellement ?

Les questions sont vite estompées par une autre situation. Après avoir discuté pendant près d’une heure avec le Ice King, Namor rentre dans le royaume sous-marin et parle de cette étrange rencontre à sa mère, à l’époque représentée comme une blonde souriante aux orbites noires (dans les épisodes du début du Golden Age Everett la représentait plutôt comme une brune, pas toujours très gaie de nature et plutôt enclin à pousser Namor à faire la guerre avec la surface). Namor raconte à sa mère comment il a rencontré ce géant d’au moins 15 pieds (soit un peu plus de 4,5 mètres) qui a promis d’être son ami pour toujours. Mais la Princesse Fen ne le prend guère au sérieux. Elle pense que l’imagination de son fils s’est sans doute emballée, qu’il a trop prêté l’oreille aux contes de fée…

Une semaine passe et le royaume sub-aquatique est menacé par la famine : les troupeaux de phoques et de morses qui constituent l’essentiel de l’alimentation du peuple disparaissent de la région. Bientôt c’est la panique générale, les gens de demandant avec angoisse s’ils ne vont pas tous mourir de faim. Le jeune Namor prend alors la parole devant la cour pour faire part d’un plan qui permettrait de capturer les phoques et les morses des environs mais… quand il s’est expliqué il devient la risée générale. Il vient de leur expliquer qu’avec l’appui de son ami, le Ice King, il pouvait créer une sorte de banc d’icebergs qui bloquerait les bêtes. Et comme personne ne croit à l’existence d’un Ice King, Namor passe pour une sorte de demeuré. C’est donc seul que le héros retourne à la grotte du géant pour lui expliquer son plan. Le Ice King est beaucoup plus amical… « Ce que tu propose n’est pas si ridicule, petit homme ! Entre nous, je crois que nous pouvons y arriver !« .

Bientôt les deux personnages se retrouvent au fond de l’océan. Namor rapproche les icebergs les uns à côté des autres et le Ice King utilise son souffle froid pour que la glace « soude » les blocs les uns aux autres. Du coup, c’est comme si un enclos artificiel avait été créé, enclos dans lequel la race de Namor (dépeinte à l’époque comme ayant la peau verte) peut tranquillement capturer les bêtes nécessaires à ses besoins. Mais les amphibiens sont curieux. Qui donc a pu créer un piège si fantastique. Quand ils aperçoivent Namor, ils pensent qu’il sait peut-être qui a agit. Mais quand le héros leur parle à nouveau du Ice King, ils se moquent à nouveau de lui. Ce qui n’est pas déclencher la colère du prince : « Crétins ! Imbéciles ! Je vous dis la vérité ! Il y a un Ice King et il m’a aidé à construire ce piège ! Vous ne pensez pas que j’aurais pu faire tout ça seul, non ?« . Condescendants, les autres lui répondent que, oui, ils se doutent bien qu’il n’a pas pu créer ce piège mais que ce n’est pas une raison pour inventer des histoires à dormir debout… Vexé, Namor leur rétorque alors qu’il va amener le Ice King devant eux et qu’ils ne pourront plus douter de sa parole…

Mais quand Namor retourne dans la grotte de glace, une déception l’attend. Le Ice King lui explique que son existence doit rester leur secret : « Depuis que le début du Temps, il a été décidé que le Ice King ne peut se montrer qu’à un seul mortel tous les dix ans… Et seulement quand un désastre se produit et que le Ice King pense qu’il peut être utile ! Cela a été un plaisir de t’aider et nous resterons pour toujours de bons amis, même s’il est possible que tu ne me revois jamais !« . Namor est déçu mais est bien obligé d’accepter la règle : « Je suppose qu’il doit en être ainsi… Mais je vais devoir trouver une autre façon d’expliquer ce que nous venons de faire : Je ne te remercierais jamais assez, King, cela a été merveilleux de te connaître…« . Le Ice King lui dit au revoir et… la crevasse se referme après que Namor en soit sorti. Sans doute pour ne pas se rouvrir avant dix ans… Seul sur la banquise, Namor retourne vers les siens en se disant qu’après tout peu importe ce qu’ils pensent. Lui sait ce qui s’est vraiment passé !

Au demeurant il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre le Ice King et Jack Frost, un autre personnage polaire capable de maîtriser le froid pendant le Golden Age (et membre de la Liberty Legion). Si ce n’est que Jack Frost a la taille normale d’un humain et que lui réside dans l’Arctique, pas dans l’Antarctique (autrement dit à l’autre bout du globe). En fait, par sa stature le Ice King fait aussi penser à un autre personnage de Marvel : le démon de glace Ikthalon (adversaire du Son of Satan), qui a à peu près la même taille (même si le visage est différent). Quand à la manière qu’a le Ice King de se manifester seulement une fois tous les dix ans, elle fait penser encore à la mythologie d’un autre héros de l’éditeur. Dans les aventures d’Iron Fist, la cité mythique de K’un L’un est supposée n’apparaître sur Terre qu’une fois tous les dix ans. Ce ne sont donc pas les pistes qui manquent pour expliquer l’existence du Ice King même si, inversement, rien ne permet de privilégier une hypothèse plus qu’un autre. Le discours du personnage selon lequel Namor et lui se sont mutuellement aidés par le passé laisse également perplexe. A moins de se souvenir que dans l’épisode originel de Sub-Marine, dans Marvel Comics #1, le bateau de son père est prisonnier des glaces, ce qui provoque sa rencontre avec la Princesse Fen (et donc indirectement la naissance de Namor). Serait-il possible que le Ice King, ici auteur d’un pièce de glace pour retenir les animaux, aurait utilisé un stratagème similaire quelques années auparavant pour causer la naissance du héros ? Une chose est sure. Depuis 1955 on n’a pas revu le Ice King, qui reste cependant un allié potentiel pour Namor a tout moment (comme on n’est pas sur de la date de cette rencontre, il suffit de dire que l’anniversaire approche). Avec quand même cette étrange limitation que personne ne doit voir le Ice King autre que la personne qu’il aide…

Même s’il ne devait jamais revenir à l’ère moderne, cet étrange bonhomme reste le dernier super-personnage identifiable que Marvel/Atlas aura produit à la fin du Golden Age. Passé ce numéro de Sub-Mariner Comics, Martin Goodman déciderait en effet d’arrêter les frais (comprenez: arrêter de publier des histoires de super-héros). L’ironie du sort veut que Sub-Mariner Comics #42 soit paru en octobre 1955. Un mois plus tard, dans Detective Comics #225, DC Comics lancerait son premier héros du Silver Age, le Martian Manhunter, signe avant-coureur d’un renouveau qui serait popularisé, l’année suivante, par l’apparition du deuxième Flash (Barry Allen). A quelques mois près, avec un peu plus de patience, Goodman (et par conséquent Marvel) aurait pu noter que la mode des super-héros revenait. Et sa firme aurait pu directement entrer dans le Silver Age sans interrompre ses publications ou sans attendre 1961 (date de parution du Doctor Droom et des Fantastic Four). Mais Goodman était un peu comme les amphibiens de l’histoire de Namor : Il ne croyait que ce qu’il voyait. En octobre 1955, il n’y avait rien à voir. Les histoires de super-héros de Marvel cessèrent donc pour six ans…

[Xavier Fournier]
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