Au pire cette communauté de spores ferait de nos jours une bonne recrue pour les Sinestro… Pour l’instant Superman n’a aucun mal à s’attaquer aux spores mais le niveau de difficulté vient du fait que la bataille se déroule non loin d’un soleil rouge, catégorie d’astres qui a la particularité de faire baisser (où même de faire disparaître) les capacités de Superman. A se demander pourquoi, d’ailleurs, les Gardiens ont utilisé précisément Superman pour intervenir dans une telle « zone rouge ». Finalement « Supie » arrive à ce que les spores se fixent sur un astéroïde désert, donnant naissance à une sorte de planète artificielle. Mais trop diminué, Superman tombe inconscient et repose sur un anneau (fait de spores) orbitant autour du corps céleste qu’il vient de créer. Gisant, il est sauvé de justesse par Katma-Tui (la Green Lantern de la planète Korugar, future épouse de John Stewart, de nos jours décédée), envoyé à la rescousse par les Gardiens. Maintenant que les spores sont figées, la seule difficulté restante est le soleil rouge, qui ne pose aucun problème à Katma-Tui. Elle ramène donc sans problème le kryptonien inconscient à Oa.
Le Gardien qui accompagne Superman lors de la visite lance au passage que son peuple a toujours respecté Superman… malgré ses continuelles interférences dans l’évolution humaine. Interférences ? La curiosité de Superman est forcément piquée (ce qu’avait bien sûr prévu son interlocuteur en faisant cette réflexion). Le Gardien rétorque « Tu n’ignore surement pas que tu es la cause du retard culturel pris par l’humanité ». Superman tombe des nues. Mais un autre Gardien s’interpose et une discussion à lieu entre les deux résidents d’Oa. Le dernier arrivé suggère (en messe basse) à l’autre de se taire car Superman ne serait pas en mesure de comprendre… Et les deux espèrent que Superman ne les a pas entendus. Bien sûr que Superman les a entendus !
En étant toujours-là pour sauver les terriens de leurs propres erreurs, Serait-il une sorte de frein à la progression humaine ? « Pendant des années j’ai joué à Big Brother avec la Terre. Ai-je eu tort ? Est-ce qu’ils dépendent trop de moi et trop souvent ? » Assez curieusement on trouve-là une philosophie pas très éloignée de l’arc récent « Camelot Falls » (de Kurt Busiek ou Superman) dans lequel le sorcier Arion (en lieu et place des Gardiens de l’Univers) reprochait également à Superman d’être trop présent et sauver trop systématiquement le monde…
En rentrant sur Terre, Superman survole la Californie et aperçoit un exploitant agricole en train de gifler un jeune garçon. Bien sûr, le super-héros ne peut rester insensible et intervient. Le fermier, Mr. Harley, proteste : Superman n’a pas à interférer, ce ne sont pas ses affaires ! Mais le garçon explique que son seul crime est d’avoir continué à faire la grève pour laquelle les autres se sont dégonflés après qu’Harley ait menacé de les renvoyer. Superman questionne les autres travailleurs. Pourquoi ne sont-ils pas intervenus, eux, pour empêcher Harley de frapper l’enfant ? (sous-entendu : « Pourquoi Superman doit-il s’en mêler ? »). Comme Harley n’est bon qu’à crier et que les travailleurs ne sont pas plus courageux que ça, Superman s’intéresse finalement au seul qui semble mériter sa sympathie, à savoir le jeune garçon. Jeune Mexicain, Manuel est venu s’installer aux USA pour respecter le vœu de son père mourant, qui voulait qu’il ait la meilleure vie possible. Superman, décidément très introspectif ces temps-ci, médite alors sur le fait que la situation de Manuel n’est pas très différente de la sienne. Tous les deux sont des migrants qui ont été envoyés dans ce pays par leur père. On notera au passage le ton assez « gauchiste » de l’épisode, puisque le méchant, c’est le propriétaire de l’entreprise tandis que le gentil est un jeune gréviste qui, de manière à peine voilée, est un clandestin… Ce n’est pas non plus d’un parfum révolutionnaire sans bornes, mais il est certain que DC Comics (de surcroît en 1972) ne nous avait guère habitué à ce genre de propos (sauf peut-être dans les Green Lantern/Green Arrow de Dennis O’Neil).
Superman accompagne Manuel jusque dans le bidonville où il vit. Mais très rapidement c’est l’émeute. Les habitants de ce « ghetto » se ruent sur le super-héros pour lui demander de les dépanner et de leur construire, entre autres, des maisons plus humaines. Et là, Superman (qui a encore la tête remplie des insinuations des Gardiens de l’Univers) refuse catégoriquement. S’ils veulent des maisons ils n’ont qu’à se les construire ! Curieuse démonstration mal placée, où Superman décide d’un seul coup d’être intransigeant selon une logique qui, de plus, insinue que finalement les gens qui habitent… Heureusement/Malheureusement Superman et la foule voient passer de nombreux oiseaux dans le ciel et en déduisent qu’un tremblement de terre est proche. Il ne manque d’ailleurs pas de se produire un instant plus tard. Superman est occupé à sauver les gens et arrêter le tremblement de terre mais le village, lui, n’a pas résisté. Comme cette fois le triste état des maisons est le résultat d’une catastrophe naturelle, la situation a apparemment assez changée pour que Superman puisse reconstruire des bâtisses neuves, modernes et bien sûr salubres. Mais le héros prévient les habitants : il n’a reconstruit ces maisons que parce qu’une catastrophe naturelle est une chose sur laquelle ces gens n’ont aucun pouvoir. Sans cette circonstance exceptionnelle, Superman ne serait pas intervenu. Il faut qu’ils apprennent à vivre sans un homme providentiel derrière eux… Ce qui est une fois encore une philosophie très particulière car on peut difficilement s’imaginer que les habitants du bidonville se tournaient les pouces en attendant que Superman passe dans le coin. S’ils avaient les moyens de reconstruire d’eux-mêmes, ils l’auraient déjà fait. L’ancien Bidonville était sans doute ce qu’ils pouvaient faire de mieux avec les moyens du bord. S’il voulait aller au fond de la logique, Superman ferait mieux de retourner voir Harley pour voir comment et pourquoi l’entrepreneur paye ses salariés si bas qu’ils soient obligés de vivre dans la misère. Mais ça, non, le DC de 1972 n’est pas progressiste à ce point. Cela fait sans doute partie des nouvelles résolutions de Superman de ne pas déranger un type comme Harley.
Du coup l’épisode a un curieux ton entre deux chaises, un tantinet « social » en prenant d’un côté la défense des grévistes (comme nous le notions plus tôt) mais aussi, paradoxalement, finalement très (trop) prudent quand il s’agit de poser des questions à celui qui les exploite. Finalement Superman fait comme si les gens du bidonville avaient, à un certain niveau, décidé de vivre dans la misère en attendant qu’une tierce personne viennent les en tirer. Difficile de croire que c’est le cas. Superman retourne ensuite à Metropolis mais il intercepte une dépêche de presse qui l’informe qu’un bateau est en danger à cause d’une tempête. Et comme la tempête entre visiblement dans le (nouveau) cadre des catastrophes naturelles sur lequel Superman accepte d’intervenir, il s’y rue. De loin, de très loin, de la planète Oa en fait, les Gardiens de l’Univers observent la scène en se félicitant de voir les premières traces d’un Superman moins interventionniste qui comprend enfin qu’un extra-terrestre doit laisser une autre planète s’épanouir à son propre rythme…
Au second degré et à travers ces contradictions peut-être un peu maladroites, on comprendra que l’intention du scénariste Elliot S! Maggin n’est pas tellement d’exprimer une opinion politique ou sociale mais plutôt d’expliquer comment et pourquoi la famine ou le crime peuvent continuer d’exister dans un monde (le notre) protégé par Superman. L’idée c’est qu’il y a désormais certaines menaces que Superman veut bien combattre (par exemple les catastrophes naturelles) mais d’autres sur lesquelles il laissera les hommes face à leurs responsabilités. Bien des années plus tard, lors de son passage sur la série Swamp Thing, le scénariste Alan Moore utilisera d’ailleurs (mais avec bien plus d’aisance) un raisonnement similaire pour expliquer pourquoi Swamp Thing, seigneur de la vie végétale sur Terre, ne règle pas d’un claquement de doigts tout problème de famine. Ici, la chose est moins adroite parce que Superman est un super-héros (chose que n’est pas Swamp Thing) et que si on va au fond des choses alors il devrait dire aux pouvoirs publics que Lex Luthor et d’autres criminels ne sont plus de son ressort puisqu’il s’agit de « menaces humaines ». Il y a une certaine hypocrisie à donner des leçons aux habitants d’un bidonville de Californie puis de retourner sauver Metropolis envers et contre tout. Mais bien sûr, arrêter de sauver Metropolis reviendrait à changer profondément l’alchimie de la série de Superman. L’hypocrisie est double puisque les Gardiens de l’Univers (ceux-là même qui reprochent à Superman d’être un extra-terrestre intervenant dans le destin d’une autre planète) sont quand même les créateurs d’une force de police intergalactique (les Green Lanterns) dont la spécialité est quand même d’intervenir partout, même sur les mondes où on ne les a pas demandés. Et le Green Lantern terrestre, Hal Jordan, ne se comporte pas autrement que Superman. Difficile d’animer une série Superman où le héros n’interviendrait qu’en cas de tornades ou de tremblements de terre. Les résolutions apportées par Elliot S! Maggin seront donc bien vite oubliées. Mais l’hypocrisie des Gardiens à l’égard de Superman, leur manière détournée mais manipulatrice de lui dire certaines choses, me semble montrer combien les habitants d’Oa ne sont pas sans travers, leur définition du bien collectif s’apparentant même parfois à une certaine forme de fascisme (qu’on voit aussi se matérialiser à l’issue de la Sinestro Corps War)…
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